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Timbuktu Institute – Juillet 2025
Dr. Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute – African center for Peace Studies, un des Think tanks et centre d’études stratégiques leaders sur les questions de paix et de sécurité en Afrique, est également enseignant chercheur au Centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Dans cette interview au quotidien national sénégalais, Le Soleil, il revient sur les récentes attaques perpétrées par le JNIM dans les régions de Kayes et de Ségou dont une à Diboli, à moins de 2 kilomètres de la ville de Kidira au Sénégal.
Comment comprenez-vous les attaques sur la zone frontalière entre le Mali, le Sénégal et la Mauritanie ?
Cela fait plusieurs années que le JNIM s’était déjà inscrit dans une stratégie d’exploitation des faiblesses sécuritaires et de l’isolement géographique de la région de Kayes. Elle est située à l’extrême sud-ouest du Mali, près des frontières avec le Sénégal et la Mauritanie, caractérisée par une faible présence de l’État et une porosité des frontières. Cette situation offre au JNIM des opportunités pour mener des attaques et établir de nombreuses zones de soutien logistique. Les attaques simultanées du 1er juillet 2025, qui ont visé des localités stratégiques comme Kayes, un centre régional majeur, Diboli et Gogui, proches des postes frontaliers, ainsi que Niono et Molodo dans la région centrale de Ségou, démontrent une capacité d’organisation et de coordination sophistiquée. Ces attaques contre des cibles stratégiques, incluant des postes militaires, de douane et des axes logistiques, visent à perturber les lignes de communication et d’approvisionnement de l’armée malienne (FAMa), isolant davantage Bamako. La faible densité de forces de sécurité dans ces zones périphériques au profit de la sécurisation de Bamako, permet forcément au JNIM de frapper rapidement et de se replier, exploitant l’isolement géographique et les défis logistiques de l’armée. En outre, il ne faut pas non plus négliger le fait que le JNIM a déjà opéré une réelle infiltration des réseaux économiques transfrontaliers en tirant une grande partie de son succès de sa capacité à s’infiltrer dans les réseaux de trafics transfrontaliers, comme le vol de bétail, le trafic de bois et diverses contrebandes. Justement dans la région de Kayes, le groupe contrôle en partie des secteurs économiques clés, générant des revenus substantiels.
Le Jnim semble prendre une autre ampleur depuis quelques mois. Pensez-vous que ce groupe a les moyens d’étendre ses actions dans tout le territoire malien ?
Vous savez, dans sa stratégie d’avancée vers l’Ouest du Mali, le JNIM a, d’abord, sécurisé des points de ravitaillement. Et ces ressources financent ses opérations et facilitent son expansion vers des pays voisins en s’appuyant sur des réseaux transfrontaliers. Les attaques du 1er juillet, notamment à Diboli, poste frontalier avec le Sénégal et Gogui, proche de la Mauritanie, visaient probablement à consolider le contrôle de ces routes économiques stratégiques. C’est pourquoi, en plus du renforcement des postes militaires, il faudra énormément investir dans la résilience socio-économique pour circonscrire la menace. Le JNIM excelle dans l’exploitation des tensions sociales et économiques pour recruter. En instrumentalisant les griefs locaux, notamment ceux des communautés marginalisées, le groupe attire, encore, des recrues en se présentant comme un « protecteur » face aux « abus des forces de sécurité » ou parfois des milices ethnico-culturelles. C’est d’ailleurs, la Katiba Macina, la branche la plus active du JNIM dans la région de Kayes, avec un effectif estimé à au moins 8 000 combattants qui semble avoir revendiqué les attaques qu’elle qualifie de « coordonnées et réussies » dans le communiqué à travers la chaîne djihadiste Al-Zallaqa dès la matinée du 1er juillet. Il faut voir la sophistication tactique et la coordination des attaques simultanées à Niono, Molodo, Sandaré, Nioro du Sahel, Diboli, Gogui et Kayes pour se rendre compte de la performance tactique croissante du Groupe. Cette capacité à mener des assauts simultanés sur plusieurs fronts reflète une planification avancée et une logistique robuste, probablement soutenue par les revenus des activités illicites et des couveuses locales. Cette stratégie vise à démontrer sa puissance et à affaiblir les capacités de réponse des FAMa, déjà sous pression dans un contexte de crise sécuritaire.
La coopération militaire entre le Mali et la Russie est dans une nouvelle configuration. Cela permettra-t-il aux FAMAs d’arriver de circonscrire la menace terroriste ?
Il faut comprendre d’abord que le JNIM est en pleine exploitation du vide sécuritaire régional avec retrait des forces internationales, comme la MINUSMA en 2023 et les forces françaises en 2022, qui ont quand même créé un vide sécuritaire malgré les apports de la coopération avec la Russie. Les autorités maliennes, au Burkina Faso et au Niger, réunies dans l’Alliance des États du Sahel (AES), peinent à endiguer la progression du groupe, malgré leur volonté et efforts de priorisation de la sécurité. Les FAMa, bien qu’ayant repoussé certaines attaques, notamment à Niono, où 30 assaillants auraient été tués, ont subi quelques pertes dans la plupart des autres localités visées par ces attaques du 1er juillet. Pour certains analystes, la collaboration avec des acteurs comme le Groupe Wagner, accusé de violations des droits humains, aurait également alimenté les griefs locaux, facilitant les recrutements du JNIM. Ensuite le JNIM a, tout de même, réussi à s’adapter et même profiter des crises environnementales et économiques. Elles ont exacerbé les tensions entre communautés pastorales et agricoles, que le JNIM instrumentalise pour rallier des jeunes désœuvrés, notamment via différentes plateformes des réseaux sociaux. Dans la région de Kayes, l’implication du JNIM dans l’économie du bois et de l’élevage lui permet de se poser en véritable acteur économique alternatif, offrant une forme de stabilité économique à certaines communautés en échange de leur loyauté. Cette dynamique soutient sa capacité à maintenir une présence durable et à financer des opérations complexes comme celles de ce 1er juillet. La coopération avec la Russie, bien qu’elle ait pu offrir des avantages logistiques et l’acquisition de matériel et d’armes n’a pas pu vaincre le terrorisme qui a aussi des soubassements sociopolitiques et culturelles dans cette zone, de la même manière que la stratégie du tout-militaire française avait aussi échoué. L’annonce de la venue de force paramilitaire russe d’Africa Corps et le changement de dispositif devront prendre en compte ces dimensions non forcément militaires du problème, si l’on veut éviter l’enlisement alors que le temps presse face à un groupe devenu de plus en plus offensif.
Quid alors de l’avenir dans cette zone très stratégique pour le Mali et ses voisins ?
La coopération transfrontalière s’impose davantage avec une mutualisation des capacités mais aussi le partage toujours difficile du renseignement en réactivant les dispositifs existants tout en prenant conscience des vulnérabilités partagées. Mais la communautarisation de la violence extrémiste rend les choses plus complexes pour les pays voisins devant éviter aussi de s’immiscer dans des velléités d’ordre interne. Mais, il est clair que les attaques coordonnées du 1er juillet s’inscrivent dans la stratégie à long terme du JNIM visant à fragiliser le Mali en perturbant le ravitaillement de Bamako mais aussi à étendre son influence vers les pays voisins. En ciblant des villes comme Kayes, Nioro du Sahel et Diboli, le groupe cherche naturellement à contrôler des axes économiques et logistiques clés reliant le Mali au Sénégal et à la Mauritanie. Quant aux attaques à Niono et Molodo, dans la région de Ségou, elles viseraient plutôt à maintenir la pression sur le centre du Mali, où la Katiba Macina est particulièrement active. Il n’empêche que cette offensive simultanée, qui a neutralisé plus de 80 combattants selon l’armée malienne, mais aussi causé des pertes significatives pour les FAMa, illustre clairement la capacité du JNIM à exploiter les faiblesses structurelles de l’État tout en consolidant ses réseaux transfrontaliers.
Propos recueillis par Oumar Ndiaye