Dans la récente étude menée par le Timbuktu Institute sur les perceptions locales des coopérations sécuritaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest et qui a couvert la Côte d’Ivoire, le Niger, le Sénégal et le Togo, une place importante a été accordée à la place des réseaux sociaux et de la guerre de l’information dans la « fabrique » des opinion publiques et des perceptions tenaces. Il est vrai que la reconfiguration de l’échiquier géopolitique mondial est désormais palpable. Dans ce contexte d’un nouveau « grand jeu », l’Afrique occupe une place importante. Ses problématiques sociales, politiques, économiques et sécuritaires sont manifestement au cœur d’enjeux globaux, amenant ainsi les grandes puissances à jouer des coudes, pour se positionner. Ainsi, le continent où les réseaux connaissent une percée fulgurante, devient un haut lieu de la guerre informationnelle, en l’occurrence dans le cadre de la coopération sécuritaire. Pour tenter de saisir ce qui s’y joue en ce sens, il est possible d’orienter la réflexion vers deux paramètres principaux. D’une part, par l’analyse des réseaux sociaux comme nouveaux moyens d’informations et d’influence sur la compréhension de l’actualité, puis en examinant les réseaux sociaux entre le marteau des signaux d’une guerre informationnelle et l’enclume d’acteurs favorisant la désinformation, d’autre part.
L’Afrique est devenue la cible de manœuvres propagandistes de la part d’individus et/ou de groupes divers qui s’inscrivent dans une quête accrue d’influence et d’intérêts géostratégiques. Les questions politiques et sécuritaires, déjà sensibles et préoccupantes, se trouvent en première ligne des manipulations désinformationnelles. Cette guerre des réseaux sociaux, jadis plus connue comme une tactique des armées, est devenue globale avec l’hyper-connectivité, et déplace le champ de bataille en transposant ainsi les conflits physiques dans l’espace virtuel. De plus, le schéma des confrontations ayant muté, plusieurs territoires se retrouvent au milieu de guerres dont elles ne sont ni la cause principale, ni un grand privilège. En effet, de plus en plus, les guerres classiques où deux antagonistes s’opposent directement, laissent le champ à des conflits à distance ou par « procuration ». Ce qui explique que certains conflits qui ont refait surface, notamment entre la Russie et l’Ukraine, ont eu des contrecoups ailleurs comme en Afrique.
Avec l’avènement des réseaux sociaux, la communication a été libéralisée. La profusion des médias de diffusion et d’influenceurs entraîne une surexposition croissante à l’information, qu’elle soit professionnelle, publicitaire ou liée à l’actualité. Aujourd’hui, cette information s’échange, se relaie de manière informelle, permanente, intangible entre individus selon des flux complexes, sans traçabilité claire, sans émetteur centralisé. Le Sahel, de plus en plus instable sur les plans politique et sécuritaire, est vulnérable à ce phénomène que les frontières terrestres n’arrêtent guère. De nouveaux enjeux géostratégiques favorisés par le changement de régimes dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest et leurs désirs de rompre avec d’anciens partenaires internationaux, ont exacerbé les conflits d’intérêts et les luttes d’influences sur les réseaux sociaux et internet par les campagnes dites de désinformation. Ainsi, peut se poser la question de savoir si les réseaux sociaux ne sont pas devenus une entrave aux actions des partenaires extérieurs.
A la question « Par quels moyens vous informez-vous habituellement ? », 73% des personnes interrogées optent pour les réseaux sociaux (graphique 27). Les canaux classiques d’information (télévision, radio, presse) sont rudement concurrencés, voire supplantés par les réseaux sociaux. D’ailleurs, comme le souligne un ancien président de la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal, c’était par les médias traditionnels que nous informions les populations sur les questions sécuritaires. Depuis, tout a changé. Les réseaux sociaux sont désormais considérés comme le moyen d’information alternatif pour « échapper à la propagande d’État et des puissances dominantes » et à la restriction de la liberté d’information et d’opinion. L’ère des technologies de l’information et de la communication consacre non seulement une démocratisation de l’accès à l’information, mais aussi consolide les acquis en matière de liberté d’expression. C’est dans ce sillage que dans tous les pays de la zone à l’étude, les répondants sont majoritaires à affirmer de manière quasi harmonieuse que lesdits réseaux consolident la liberté d’expression et l’éveil des consciences.
On assiste ainsi à une ère d’hyper-connectivité qui nécessite de gagner la bataille de l’information virtuelle pour pleinement peser dans ce nouveau marché de l’information. D’ailleurs, une écrasante majorité des répondants soutiennent que les réseaux sociaux influencent leur compréhension de l’actualité. Toutefois, il semble se dégager une prise de conscience quant à la prudence que requiert l’information relayée sur les réseaux sociaux en termes d’influence sur cette compréhension de l’actualité, si l’on s’en tient au pourcentage pensant le contraire. (graphique 29).
Aujourd’hui, avec l’avènement des réseaux sociaux, il y a beaucoup de désinformation, voire une guerre de positionnement pour promouvoir telle puissance étrangère ou telle autre. Dans ce sillage, un des membres actifs de la société civile interrogé au Sénégal confirme qu’il est possible « qu’on nous montre des vidéos où des photos disant que les partenaires étrangers sont en train de piller nos ressources, mais après vérification avec le fact-checking, on se rend compte après que c’est une fausse information ». Malgré cette prise de conscience des acteurs, les populations sénégalaises sont les plus enclines à être influencées par les réseaux sociaux par rapport à leur compréhension de l’actualité (41% de oui), comparé au reste de la zone à l’étude. La Côte d’Ivoire semble mieux saisir la nécessité de discernement entre moyen d’information et influence sur la compréhension de l’actualité politique. Curieusement, le Niger arrive en seconde position, derrière la Côte d'Ivoire (graphique 30).
Les populations sénégalaises sont les plus enclines à être influencées par les réseaux sociaux par rapport à leur compréhension de l’actualité (41% de oui), comparé au reste de la zone à l’étude. La Côte d’Ivoire semble mieux saisir la nécessité de discernement entre moyen d’information et influence sur la compréhension de l’actualité politique. Curieusement, le Niger arrive en seconde position, derrière la Côte d'Ivoire (graphique 30).
A la question « Avez-vous ressenti sur les réseaux sociaux les effets ou signaux d’une guerre d'information entre les partenaires étrangers dans votre pays ? », l’écrasante majorité (87%) a répondu par la négative. C’est seulement 13% des personnes interrogées qui ont affirmé avoir fait ce constat dans leurs pays respectifs. Comme le montre le graphique (graphique 31), il y a un énorme besoin de sensibilisation sur les enjeux de la désinformation qui ne semblent pas être saisis par les jeunes dans ces différents pays. Les tendances pays sont quasi identiques en termes de pourcentage qui avoisinent ou arrivent au seuil de 90% de non (graphique 32).