Sacré-Coeur 3 – BP 15177 CP 10700 Dakar Fann – SENEGAL.
+221 33 827 34 91 / +221 77 637 73 15
contact@timbuktu-institute.org
Lors d’une intervention sur RFI, le directeur régional du Timbuktu Institute est revenu sur le parcours d’Ayman Al-Zawahiri qu’il qualifie d’évènement « important dans l’histoire de la lutte contre le terrorisme ». Toutefois, Bakary Sambe considère que ces coups d’éclats qu’on a pu voir aussi bien au Sahel avec Barkhane qu’en Afghanistan avec les Américains, sont certes « importants pour la symbolique », mais ne suffisent pas pour éradiquer le terrorisme. Pour lui, « il importe encore de s’attaquer davantage aux racines du mal et sortir des traitements de symptômes ». L’élimination des cibles symboliques peut sembler nécessaire, mais les cibles ont cette manie de se régénérer si les causes structurelles du terrorisme ne sont pas traitées à savoir, les vulnérabilités socioéconomiques, les injustices génératrices de frustrations mais aussi la mal-gouvernance.
« Il est vrai qu’al-Zawahiri fait partie de la génération fondatrice, comme Abdallah Azzam, souligne Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute et fondateur de l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique. Et dans la trajectoire du mouvement, on voit comment, par le travail humanitaire, ils approchaient les jeunes générations africaines avec notamment le Bureau qui a été mis en place par Ben Laden lui-même, qu’on appelle le “Bureau des services”. Mais en même temps, Ben Laden, grand financier, gérant et logisticien, va procéder au recrutement de volontaires étrangers. Et je pense que les terminologies comme “l’envahisseur”, “les croisés”, seront pour al-Zawahiri une manière d’internationaliser le jihad, une “macdonalisation du jihad” avec la création de succursales, mais aussi une labellisation de mouvements jihadistes. »
Pour s’implanter durablement, al-Qaïda tolère les pratiques locales : islam mêlé d’animisme, chefferies traditionnelles, imams locaux associés aux décisions de justice et certaines pratiques jugées « déviantes » tolérées, au moins dans un premier temps, afin de gagner l’adhésion des populations. L’objectif affiché est d’imposer la charia et de reprendre le pouvoir par la force à des États locaux jugés corrompus et injustes, de surcroît alliés à des forces militaires étrangères. L’usage de la violence par les combattants d’Aqmi est moins massif et moins systématique que chez le futur grand rival, le groupe État islamique. Une différence notable sur le terrain, même s’il faut rappeler qu’Aqmi tue presque quotidiennement au Sahel, y compris des civils.
Bakary Sambe dit ne pas croire que la mort d’al-Zawahiri affaiblisse des groupes comme Aqmi ou la katiba Macina. « Ben Laden est mort, le jihadisme, lui, est bien vivant. C’est aussi ma critique par rapport à ces coups d’éclat, ces éliminations de cibles symboliques pour dire qu’on avance dans la lutte contre le terrorisme. Je crois que l’élimination des cibles n’a jamais aidé à éliminer le terrorisme.
Par Dr. Bakary Sambe
Le Sénégal s’achemine vers des élections législatives de toutes les interrogations fin juillet prochain. Les périodes pré-électorales qui devaient être celles d’une respiration démocratique, sont, souvent, sous nos tropiques des moments d’anxiété. Voire un moment privilégié de satisfaction déguisée de toutes leurs envies refoulées de violences verbale, symbolique et physique. C’est à se demander, même, si « l’exception sénégalaise » tant vantée était en passe de se réduire en un simple slogan qui a subi l’œuvre du temps. Ou bien a-t-elle été, simplement, impactée par l’évolution d’une société qui, sans auto-critique, avait longtemps bâti sa réputation d’un pays « différent des autres » sur le socle d’un imaginaire nationaliste qui s’est toujours confondu à l’imaginaire religieux ?
Fin de l’exception ou simple mauvais virage ?
C’est justement, ce trait marquant de la société sénégalaise qui fait que toute évolution qui impacte l’évolution socio-politique ne peut épargner la sphère religieuse et vice-versa. Le fait est que cette dernière qui a été jusqu’ici considérée comme régulatrice éternelle au point de parler d’une « exception sénégalaise » n’est pas exempte des contradictions qui traversent cette société dite « profondément religieuse ».
La vague inouïe de violence politique a délié les langues et fait sauter les deux principaux tabous jusqu’ici entretenus comme le discours ethniciste et l’attaque ouverte contre les chefs confrériques qu’on croyait hors de propos. Signe d’une profonde mutation sur le landerneau socio politique sénégalais : des jeunes, à visage découvert, activistes ou se réclamant des rangs de l’opposition, invectives à la bouche, s’en sont pris aux chefs religieux confrériques sur les réseaux sociaux allant même jusqu’à leur dénier tout droit à l’expression sur la chose publique.
Sans y prêter l’attention due, il y a eu, ces deux dernières années, des signaux de conflictualités et de rivalité ouverte entre les confréries par prédicateurs interposés sur les grandes chaînes de télévisions, notamment, durant le mois de ramadan au point de causer un malaise général au niveau de leurs fidèles. Parfois, par prédicateurs interposés, les adeptes des deux plus grandes confréries, surtout pendant le mois du ramadan, se sont, ces dernières années, échangés des propos aigres-doux sur les réseaux sociaux dans une ambiance électrique lourde de risques n’eût été l’intervention d’acteurs issus principalement du Cadre unitaire de l’islam, des personnalités de la société civile et monde universitaire.
Après les chocs intra-religieux, le Rubicon ethniciste ?
A cette situation délétère, est venu se greffer le conflit désormais ouvert entre mouvances salafistes qui contrôlent les mosquées des deux principaux campus universitaires de Dakar et Saint-Louis et adeptes de confréries dénonçant un activisme wahhabite débordant jusque dans l’enceinte des capitales confrériques. Cette évolution préoccupante s’affirme dans un contexte où la fuite en avant des élites politiques - du pouvoir comme de l’opposition - devant les pressions des religieux, surtout, sur les droits des femmes et même les libertés académiques n’a jamais aussi criante depuis l’indépendance.
Mais la classe politique qui était un tant soit peu appuyée par une intelligentsia, aujourd’hui, terrorisée par les nouveaux « activistes du web » au point de démissionner du débat public piégé, est elle-même dans une phase inédite de perte de crédibilité et de légitimité.
L’autre tabou qui a sauté de manière inattendue est le « clivage ethnique », question qui jusqu’ici était entourée d’une épaisse enveloppe de pudeur qui empêchait au politicien ou au chercheur le plus téméraire de s’y prononcer même pour dénoncer des dérives. C’était une sorte de « limes », barrière infranchissable qui faisait que le Sénégal se targuait encore d’être une exception dans une Afrique que déchire l’ethnicisme depuis des décennies. Ailleurs sur le continent, les conférences nationales consécutives à la vague de démocratisation « forcée » avaient conduit à une décomposition tribale de l’espace politique alors que le Sénégal semblait, jusqu’ici, prendre une certaine hauteur républicaine. Mais, cela vole bien bas depuis quelques temps où pouvoir et opposition s’inscrivent dans une telle surenchère politique qui n’hésite même plus à surfer sur le régionalisme primaire. Lorsqu’il est reproché à l’opposant Ousmane Sonko d’accuser publiquement le Président Macky Sall de nourrir une « haine pour la Casamance », les communicants du leader de Pastef ripostent en postant sur les réseaux sociaux des propos attribués au président-candidat conditionnant l'investissement en Casamance aux votes en sa faveur. Le rubicon est-il désormais franchi ? Suite à la mort non encore élucidée d’un détenu proche de l’opposition, s’est tenue la première conférence de presse à connotation ethnico-communautaire de l’histoire du Sénégal en guise de protestation de la communauté Mancagne, originaire du Sud du pays. La messe est dite. A la suite des politiques, il y a, désormais, de la part d’une jeunesse désemparée, une libération assumée du discours ethniciste en plus d’un désaveu des leaders religieux de plus en en plus assimilés à la classe politique comme formant, ensemble, le cœur de ce qu’ils appellent « le système » dont il faudrait se débarrasser.
Islamo-nationalisme, le nouveau syndicat unitaire ?
Certes, on savait l’ingénieuse manie des hommes politiques sénégalais à compétir âprement dans la quête effrénée du soutien des religieux. Mais, ces dernières années, la démarche en est arrivée à l’émergence d’un populisme quasi-généralisé avec la montée d’un « islamo-nationalisme » poussant un célèbre défenseur des droits humains à parler d’une « extrême droite religieuse ». Une dictature rampante de la pensée unique dans ce pays qui, jadis, était plus connu par les voix de ses intellectuels qui continuent à rayonner plus à travers le monde que dans leur pays où les populistes semblent avoir pris le pouvoir dans l’espace politique et médiatique. Cette tendance a, même, facilité une curieuse alliance objective entre activistes religieux et « vieille gauche » qui trouve en cet islamo-nationalisme un puissant levier et une nouvelle trouvaille de contestation du « néolibéralisme » et de la « domination occidentale » à l’ère du souverainisme et du « sentiment anti-français » ambiant dans la sous-région.
Le paradigme de la fin des exceptions développé il y a quelques années, par le Timbuktu Institute, après la première attaque terroriste au Burkina Faso, longtemps considéré comme le dernier pays qui pouvait être un terreau du djihadisme, semble coller au contexte actuel du Sénégal. Ce pays voit sauter, de jour en jour, les derniers mythes qui alimentaient encore l’illusion d’une « exception » comme celui du « sénégalais naturellement non violent ». Le dénombrement des morts ne fait plus sursauter après les manifestations politiques les plus violentes depuis des décennies. La violence politique s’est durablement installée en tant que pratique pour, en plus de la fin des tabous et de l’exception, laisser la place à de grandes interrogations sur l’avenir d’une vitrine démocratique qui s’est bien craquelée au fil et à l’épreuve du temps et des mutations souvent refoulées mais de plus en plus inquiétantes.
Dr. Bakary Sambe
Enseignant-chercheur au Centre d’étude des Religions
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal)
Directeur Régional du Timbuktu Institute
Par Ibrahima Harane Diallo, Junior Fellow
Timbuktu Institute (Bamako)
La communauté internationale a appris avec stupéfaction les massacres des populations civiles perpétrées dans la nuit du 18 au 19 juin dernier dans le cercle de Bankass au Centre du Mali. Un modus operandi semblable à ceux des précédentes attaques contre des populations civiles dans les mêmes régions. En effet, le mode opératoire nous rappelle les malheureux massacres contre Ogossagou(1) en mars 2019 ou encore de Sobane(2) en juin 2019.
Ces attaques interviennent, paradoxalement, dans un contexte de montée en puissance de l'armée malienne mais aussi de mise en œuvre des nombreux programmes et opérations militaires spécifiques. Il s’agit, par exemple, de la loi d'orientation et de programmation militaire ou encore de la loi de sécurisation intégrée des régions du Centre. Les opérations spécifiques concernent l’opération Kélétigui(3) ou encore l’opération Maliko.(4)
Alors qu’est ce qui n’a pas bien fonctionné ? En d’autres termes, pourquoi une armée qu’on dit monter en puissance n’est quand même pas parvenue à prévenir les massacres perpétrés dans plusieurs localités du Centre du pays ? Ce sont, entre autres, des questions légitimes que de nombreux observateurs dans le domaine sécuritaire se posent ?
Aujourd’hui, il ressort d’une réalité empirique que les défis fondamentaux, notamment, en matière des moyens lourds de combats, des moyens militaires volants ou encore de munitions qui s’étaient posés dans le temps à l’armée malienne sont en train de trouver des réponses à travers de nouvelles coopérations militaires et des nouvelles visions de l’armée portée par l’élite militaire actuelle du pays.
Il est, toutefois, important que des défis stratégiques puissent bénéficier d’une attention particulière de la part des responsables en charge des questions militaires et de défense. Il s’agit, en effet, des défis liés au renseignement. L’épineuse question de renseignement et son rapport avec les massacres de Dessagou et de Diallassagou(5) devrait être traitée une bonne fois pour toute. Les services de renseignements ne doivent pas seulement être renforcés en moyens opérationnels mais c’est le système opérationnel même qui reste à repenser.
Les forces de défense, de sécurité et les services de renseignement doivent s’adapter à, un moment donné, aux stratégies et au modus operandi même de l’ennemi. A ce niveau Napoleon Bonaparte(6) disait que pour lutter, efficacement, contre l’ennemi, il faut emprunter les mêmes moyens que lui. Cette doctrine suppose que les forces de défense puissent s’il le faut monter à bord de motos lorsqu’ils sont dans une zone où l'ennemi emprunte une moto pour commettre, efficacement, son forfait. Ils doivent être en mesure de monter à bord des charrettes si l’ennemi emprunte une charrette pour être efficace en menant des opérations.
La réadaptation des moyens de combats qui peut aller jusqu’à l’infiltration est plus que nécessaire. Les grandes armées du monde ont, également, engrangé des nombreux succès en matière de guerre asymétrique à travers le recours des méthodes d’infiltration ayant permis non seulement de déjouer des grandes opérations programmées par l’ennemi mais aussi de le surprendre par des attaques programmées selon des périodes opportunes.
Partant du postulat selon lequel une armée solide ne se construit pas en deux ou trois ans, et du constant que l’état de désorganisation et de destructuration de l'armée malienne avait atteint un seuil important durant ces décennies précédentes à la faveur des crises politiques répétitives ou encore de la mauvaise gestion des processus de paix, la nouvelle école militaire du Mali doit être une opportunité pour une meilleure réadaptation des opérations militaires au contexte de conflits qui, de plus en plus, se complexifient. Cette réadaptation s’avère aussi nécessaire au regard de la complexité des enjeux sécuritaires, stratégiques et géopolitiques au Sahel.
Au-delà des équipements et de la réforme, une réadaptation de l’armée malienne aux évolutions sécuritaires est plus qu’opportune pour faire face aux défis d’un contexte sécuritaire en perpétuelle évolution.
Ibrahima Harane Diallo, Journaliste-Politologue, chercheur à l’Observatoire sur la Prévention et la Gestion des Crises et Conflits au Sahel
Préparée par Soary ANDRIAMAHENINA
Stagiaire
Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali, au Tchad (dont l’expérience, nous le verrons, diffère de celle des autres pays sahéliens), la région du Sahel a été secouée par des manifestations souvent en faveur des juntes, contre la présence française, ou en demande d’une présence russe. Ces mouvements mobilisent pour la plupart, des jeunes, des organisations de la jeunesse, des étudiants, qui réclament un changement et qui perçoivent le pouvoir des juntes comme une porte ouverte vers ce dernier. Selon le rapport de 2018 du Plan d’appui des Nations Unies pour le Sahel, 52% de la population des pays du Sahel sont âgés de 10 à 24 ans, faisant de cet espace la région la plus jeune au monde. L’objectif de cette note est d’une part, de revenir sur ces manifestations dans leur forme, puis sur leurs racines et les revendications des jeunes. Nous nous attacherons par la suite à la question de savoir si ce sentiment « pro-junte » est partagé dans la région, avant de conclure sur la question suivante : les manifestations sont-elles témoins de l’espoir des jeunes envers les nouvelles juntes ou une contestation plus profonde de l’ancien système ?
Entre slogans anti-français et pro-russes clamés par les jeunes manifestants, d’autres bruits se font entendre, ceux du soutien envers l’armée au pouvoir. À leur arrivée au pouvoir, les militaires burkinabés ont été salués par la rue, qui voient la défaite de l’ex-président Kaboré comme une victoire du peuple. Au Mali, le soutien fervent envers l’armée se mêle à la contestation de la France et de la CEDEAO. Les jeunes la jugent incapable même d’assurer la sécurité des populations. De même, les discours de la rue sont aussi teintés d’une sorte de nationalisme. On vient défendre la souveraineté du Mali, revendiquer une meilleure considération des forces de sécurité, notamment les militaires.
Cet élan d’enthousiasme et de confiance envers les forces de sécurité est aussi perceptible au Burkina Faso. En effet, parce qu’issu d’une formation militaire, et militaire lui-même, les manifestants considèrent que le lieutenant-colonel Damiba est plus à même de venir à bout de l’insécurité, du fait de sa connaissance du terrain, du moins dans les mois qui ont suivi le coup d’Etat. L’armée est souvent considérée comme une source d’espoir pour ces jeunes qui n’ont connu que Blaise Compaoré, et Roch Marc Christian Kaboré, sans percevoir de réelle différence, entretenant un sentiment d’exclusion chez cette jeunesse qui représente la majorité de la population du Sahel ; elle compte pour deux tiers des habitants du Burkina Faso.
Au-delà des manifestations dans les rues, ou des drapeaux sont brandis, d’autres brûlés, le mécontentement des jeunes se fait aussi ressentir sur les plateformes des réseaux sociaux. En effet, ils s’investissent de plus en plus sur des médias et réseaux sociaux tels que Facebook, WhatsApp et ont accès à de nombreuses informations en ligne (quand bien même le doute plane sur la véracité de certaines). Les réseaux sociaux comme Facebook leur permettent aussi d’organiser leurs rassemblements, ou encore de créer des espaces d’échanges, comme le groupe On a tout compris. Si les modes de contestation ont évolué, les revendications ont, elles, des racines plus anciennes, et se fondent sur un sentiment d’injustice et de lassitude, mais aussi de désarroi face aux situations environnantes.
En 2011, le Burkina Faso était frappé par une vague de manifestations menées par des jeunes, contre le pouvoir en place, estimant qu’ils n’étaient pas assez écoutés par le gouvernement. Aujourd’hui, on a l’impression que si les jeunes manifestent, c’est avant tout pour soutenir les militaires. Plus particulièrement, les jeunes de la région du Nord se sont sentis abandonnés par leur gouvernement. L’insécurité qui règne dans la région reste la première préoccupation de la population et pourtant, les anciens gouvernements ne semblaient pas assouvir ce besoin. Les massacres de Inata et de Solhan ont constitué des points d’orgue, entraînant des protestations populaires intenses d’une population qui estimait que l’armée pourrait mieux gérer cette situation.
De plus, la jeunesse ne sait en quel avenir croire dans un contexte en perpétuelle dégradation depuis 2015. Au Mali, ils expliquent que le problème principal est le chômage, de même au Tchad, où 22% des jeunes de moins de 25 ans officiellement en sont victimes. D’autres s’en remettent à d’autres ressorts, tels que l’enrôlement au sein de groupes djihadistes qui garnissent leur rang de jeunes précaires.
En 2020, une communication de l’OTAN expliquait que ces difficultés auxquelles les jeunes étaient confrontés représentaient finalement une source d’insécurité pour les États. Selon la Banque mondiale, la part des jeunes qui ne sont ni en situation d'emploi, ni en études, ni en formation au Burkina Faso était de 41% en 2018 (population des 15-24 ans). Seulement 8% des jeunes burkinabés suivent un parcours en études supérieures, et beaucoup doivent se résoudre à exercer des métiers précaires dans le secteur informel.
L’ex-président Kaboré ne semble pas regretté par ces jeunes, car les changements qu’ils attendaient n’ont pas été au rendez-vous, comme l’ont montré les scènes de liesse qui ont suivi le coup d’État en janvier dernier. Cette démocratie par les urnes ne satisfait pas une jeunesse qui ne se sent pas du tout représentée par une gérontocratie atteinte du syndrome d’usure du pouvoir. Le mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration semble répondre à ces demandes, avec des stratégies qui diffèrent de celles de l’ex-président, comme la création de Comités locaux de dialogue, avec les membres des groupes armés. L’initiative a aussi pour objectif de réintégrer les jeunes qui auraient pu rejoindre ces groupes sans réelle conviction idéologique. En cela, la junte au pouvoir se veut novatrice malgré la forte dose de populisme qui surfe sur le ressentiment. De fait, l’association des jeunes à de tels régimes est plus compréhensible, a fortiori si l’on explore les causes de leur désarroi.
La jeunesse malienne a, elle aussi, vécu pour une bonne partie avec la présence de la France, qui s’est investie militairement dans le pays depuis 10 ans. Subissant pour ceux dans les régions les plus difficiles du Nord, les attaques, elle ne voit souvent pas les changements concrets, ni même de potentielles externalités positives à cette présence. Plus que le chômage, les jeunes du Sahel n’ont pas non plus accès à des services de base, tels que l’eau, l’électricité ou la santé. Subissant de plein fouet l’exclusion socioéconomique et politique, ces jeunes se sont sentis victimes ; la corruption gâtant la sphère politique, non seulement alimentent la violence chez ces derniers, mais renforce plus encore leur rejet envers l’État, qu’ils ne voient plus comme un protecteur. Le directeur régional du Timbuktu Institute, Bakary Sambe, évoque souvent le paradoxe d’un État « répressif » assez présent et d’un État « protecteur » qui brille par son absence.
Mais ce sentiment est-il partagé par tous les jeunes sahéliens ? L’expérience Tchadienne défend la négative. Les manifestations de la jeunesse, à la fois réservoir électoral et engagée politiquement, se font, cette fois ci, contre la junte, la France et en faveur de la Russie (ce dernier point nous permet de les assimiler aux mouvements dans les autres pays de la région). La junte tchadienne, dirigée par Mahamat Idriss Déby, fils du feu président Idriss Déby Itno, est de plus en plus contestée par la population. Une manifestation s’est par exemple tenue le 14 mai, contre le retard pris par les négociations de Doha. La junte est accusée de vouloir se maintenir au pouvoir, avec l’appui de la France. C’est, donc, à la fois le pouvoir militaire qu’ils contestent, mais aussi la présence de l’ancienne puissance coloniale. L’un des mouvements d’opposition les plus actifs au Tchad aujourd’hui est la Coalition Wakit Tama, dont le leader a été arrêté récemment pour trouble à l’ordre public, entre autres.
Ainsi, on peut observer que la nouvelle junte, bien loin de rassurer les aspirations démocratiques des jeunes, l’étoufferait notamment par la restriction de l’espace d’expression libre. Depuis 2021, cette jeunesse manifeste, mais se retrouve souvent réprimée, des répressions par ailleurs dénoncées par Human Rights Watch. Cela étant dit, il y a parmi ces jeunes aussi, une partie qui soutient le gouvernement en place, qui peut, de fait, être instrumentalisée par le gouvernement. Par exemple, le site Tchad Infos a récemment présenté un article sur le comité des leaders des jeunes, qui prévoit d’organiser en août une journée de reconnaissance envers le Président du Conseil Militaire de Transition « pour sa politique de placement des jeunes dans les instances nationales et internationales de prise de décision ».
De même, au Mali, le 10 mai 2022, une marche a été organisée pour manifester, d’une part, contre les sanctions de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest contre le Mali, mais aussi, avant tout, pour demander un retour à l’ordre constitutionnel. Le dénominateur commun des manifestations au Tchad, au Mali et au Burkina Faso reste leur caractère antifrançais, d’où l’hostilité tchadienne envers les autorités en place. Le cas du Mali est le plus symptomatique d’une junte qui, à défaut de pouvoir apporter des réponses à une sorte demande sociale étouffée dans le discours populiste et la négation du droit à l’expression des voix contradictoires, cherche sa légitimité dans la contestation de la France, de la CEDEAO et de la communauté internationale. Avec la levée des sanctions de la CEDEAO et le départ de Barkhane, la nouvelle trouvaille de la junte malienne qui chercherait vraisemblablement à maintenir sa popularité jusqu’aux élections est de se réfugier dans la stratégie du « tout le monde contre le Mali », comme dit un jeune de la société civile.
Au regard des différents éléments présentés précédemment, nous pouvons nous interroger sur la nature du soutien des jeunes en faveur des juntes. Est-ce réellement la junte qui est défendue, ou l’ancien système dénoncé ? De plus, le discours populiste qui a gagné même les rangs des intellectuels et de la société civile semble étouffer la grogne des déçus et des jeunes qui commencent à perdre leur optimisme d’avant. Il est vrai que les déclarations à consonance nationaliste et « pro-junte », sont finalement toujours accompagnées d’une dénonciation du système précédent et du monde occidental, notamment la France. On le voit au Tchad, où un régime considéré comme soutenu par la France, est, au contraire, vivement dénoncé. Certains manifestants vont même jusqu’à rêver d’un scénario intégrant la « solution russe » pour marquer la rupture définitive avec « l’ancien-nouveau système ».
Ce phénomène est d’autant plus présent à Bamako, où, aux premiers mois de la junte, les manifestants, encouragés voire appelés par le gouvernement, demandent une transition de cinq ans et s’opposent aux sanctions de la CEDEAO (manifestations du 14 janvier, avant la suspension des sanctions). Aujourd’hui le débat au sein de la jeunesse commence à être très tranché entre les soutiens inconditionnels de la junte et des jeunes activistes que l’engouement pour les bérets n’a pas fait perdre l’envie de démocratie.
Si le pouvoir dénoncée par la CEDÉAO, ou par l’internationale et qualifiée d’illégitime, les jeunes maliens ne la perçoivent pas forcément ainsi. Leur légitimité ne vient pas des urnes certes, mais c’est comme si les jeunes estimaient leurs intérêts mieux représentés par ces hommes en treillis et au pouvoir. Mais ces manifestations ne sont pas sans risques d’être instrumentalisées, récupérées par le pouvoir à Bamako si l’on sait que la junte, ne pouvant plus évoquer ni « l’invasion occidentale » ni les sanctions de la CEDEAO cherchera, dans le discours « populiste » et souverainiste, d’autres moyens de faire durer sa popularité. Le Tchad permet de créer 5000 emplois au sein de la fonction publique pour les jeunes en 2022, mais ce sont des promesses auxquelles la jeunesse semble ne croire que peu. Les réseaux sociaux sont devenus le nouveau refuge de cette grogne montante lorsque la répression ne laisse pas de marge aux jeunes opposants.
Pour conclure, nous pouvons nous demander si l’expression des jeunes dans la rue ne serait pas surtout un témoin de leur manque de représentation dans la sphère politique, et d’un manque d’intégration aux processus décisionnels, pour des questions qui les concernent au premier chef et au quotidien. Une jeune figure de la société civile malienne disait lors d’une réunion organisée par les Nations unies en décembre à Dakar que « les jeunes ne veulent plus être inscrits au cœur des politiques publiques, ils veulent, pour les questions qui les concernent, les concevoir et les mener ». Il est clair que d’après ces dernières évolutions dans la région, non seulement les politiques devraient-elles prendre en compte les problématiques touchant les jeunes, qui rappelons-le, constitue la majeure partie de leur population, mais leurs voix devraient être aussi bien représentées qu’entendues.
Avec l’appui financier de l’Union Européenne, la Ligue bissau-guinéenne des droits de l’Homme et l’Institut Marquis de Valle Flor veulent mettre en place un observatoire pour la Paix. Pour Dr. Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, cette initiative s’inscrit dans la logique de « valorisation des initiatives et solutions endogènes est d’une grande pertinence au regard du contexte sociopolitique et de l’environnement sécuritaire régional ». Dans cet entretien télévisé accordé à la chaîne de télévision panafricaine Medi1TV, le chercheur sénégalais consacre sa chronique hebdomadaire à cet « instrument qui permettra à la Ligue des droits de l’Homme et à l’Institut Marquis Valle de Flor de poursuivre, dans le cadre de leur approche inclusive, leur action au service de la paix et du vivre ensemble en Guinée Bissau ; ce pays qui préside actuellement la CEDEAO ». Depuis Bissau où il facilite une session de renforcement des capacités de l’équipe du Projet devant mettre en place cet Observatoire…
Dr. Bakary Sambe, le Timbuktu Institute appuie actuellement en Guinée Bissau la mise en place d'un Observatoire pour la paix une initiative de IMVF Institut Marquis de Valle Flor, de la ligue bissau-guinéenne des droits de l'homme avec l'appui de l'union européenne. Quel est le sens d'une telle initiative dans ce pays d'Afrique de l'ouest une région qui fait face à des défis multidimensionnels?
Comme vous l’avez dit, la sous-région fait face à des défis multidimensionnels. Et puis la Guinée Bissau est un pays qui a récemment connu des conflits récurrents et s’est engagée dans un processus de réconciliation et de stabilisation politique des institutions. C’est un pays dont la stabilité est un enjeu sécuritaire dans la sous-région, notamment, pour ses voisins immédiats comme le Sénégal, la République de Guinée et d’autres. Aujourd’hui, avec la transnationalité des phénomènes d’insécurités et de défis régionaux, la Guinée Bissau à travers sa société civile, notamment, la Ligue bissau-guinéenne appuyée par l’Institut Marquis de Valle Flor (IMVF) avec ce financement de l’Union européenne essaye de mettre en place un instrument. Un instrument qui participe au dialogue politique, qui anticipe sur les facteurs de conflictualité mais aussi un instrument qui tente de proposer des solutions en s’inspirant de ce que la société civile propose comme solution, dans le cadre d’une co-construction des solutions.
Dans son ambition, cet Observatoire pour la paix semble être un véritable outil de dialogue et de consolidation du vivre ensemble. Comment cet instrument si innovant va s'impliquer dans le contexte sociopolitique actuel de la Guinée Bissau ?
Vous savez, l’Institut Marquis de Valle Flor et la Ligue bissau-guinéenne des droits de l’Homme ont une très grande expérience de travail communautaire en Guinée Bissau. Dans le cas de l’IMVF, c’est dans les domaines de la santé, du développement et du renforcement de la société civile. Compte tenu de la fragilité de l’État guinéen due à la fréquente instabilité politique, la Ligue guinéenne des droits de l’Homme joue un rôle décisif. Aujourd’hui, surtout, dans la protection de la communauté dans des situations policières, sociales les plus diverses. Mais aussi avec beaucoup d’activités à l’intérieur du pays sur le vivre ensemble, en capitalisant sur les capacités de mobilisation et d’ancrage social de la Ligue et sa couverture territoriale. Sa connaissance du terrain bissau-guinéen mérite les efforts de stabilisation, de dialogue et de réconciliation.
Vous évoquez souvent face aux partenaires internationaux de l'Afrique la nécessité d'accorder la dignité de solutions aux initiatives endogènes. Quel est alors le symbole derrière la volonté de IMVF et de l'Union européenne de soutenir la société civile pour l'opérationnalisation de cet Observatoire pour la paix en Guinée Bissau?
L’opérationnalisation de cet Observatoire est d’un enjeu crucial. Si nous regardons les pays de la région, nous avons trois typologies. Les pays largement atteints par des phénomènes de violence extrémiste. La typologie des pays qui sont sous pression. La Guinée Bissau se trouve sous cette problématique de l’extrémisme violent et dans la troisième catégorie de pays qui peuvent encore développer une approche prospective et préventive. Dans ce cas de figure, je crois, qu’il est important de réfléchir autour de cet observatoire pour la paix. Le Timbuktu Institute contribue dans la formation et le renforcement de capacités pour donner un contenu réel à cet observatoire, des orientations et identifier les axes prioritaires de travail pour que la Guinée Bissau puisse saisir cette chance dans la prévention. En plus, des instabilités qu’on connaît, ce pays puisse profiter de ce moment-là afin de développer des outils de veille et d’anticipation pour préserver la paix sociale et la stabilité dont ce pays a tant besoin.
Source : Météo Sahel et Afrique de l'Ouest by Timbuktu Institute
Les derniers développements sociopolitiques au Tchad mettent en exergue des défis liés à l’instabilité. En témoigne, à la date du 24 mai, un massacre qui a eu lieu dans un site aurifère à Kouri Bougoudi entre deux communautés tchadiennes. D’après le mouvement rebelle, le Front pour l’alternance et de la concorde du Tchad, le bilan serait de 200 morts et 500 blessés. Ainsi, le gouvernement de transition a envoyé une délégation sur place, afin de mettre en place des moyens de renforcer la sécurité dans cette zone. Ces violences interviennent alors que les acteurs majeurs du pays sont à Doha dans le cadre d’un pré dialogue pour mettre fin au gouvernement de transition et parvenir à la stabilisation du pays.
L’instabilité dont souffre le Tchad n’est pas un phénomène isolé par rapport à la situation générale au Sahel. La léthargie du G5 Sahel est en partie une conséquence des crises que traversent les pays qui le composent, en plus des défis structurels inhérents à l’organisation. Trois de ces cinq pays sont en transition et les problèmes de politique intérieure semblent prendre le dessus sur la coopération sous régionale. Ainsi, depuis environ un an, à la suite du décès du Président Idriss Déby, son fils, Mahamat Idriss Déby, est au pouvoir au Tchad. Le président de la transition avait alors promis d’établir un dialogue entre la junte, les groupes armées et l’opposition afin d’organiser des élections démocratiques dans un délai de 18 mois. Cependant, cette discussion tarde à se matérialiser. Un tel retard serait la conséquence des prolongations du pré-dialogue organisé à Doha. Le Qatar étant médiateur dans ces négociations, 200 délégués, dont 25 représentants du pouvoir tchadien, et les représentants d’une cinquantaine de groupes politico-militaires, s’y sont rassemblés, depuis désormais deux mois, pour poser les termes d’un dialogue démocratique.
Les différents groupes concernés par les négociations se rejetant réciproquement la responsabilité du retard dans les négociations, les pourparlers semblent être au point mort et la situation de crise s’intensifie en s'inscrivant dans la durée.
En effet, le 14 mai, une manifestation a été organisée à N’Djamena pour exprimer le mécontentement de la population suite au retard pris dans les négociations, accusant la junte de vouloir se maintenir au pouvoir, qui plus est, avec le soutien de la France. D’où la manifestation dénonçant l’influence occidentale et particulièrement la présence de l’armée française dans le cadre de l’opération Barkhane.
Les violences dans les manifestations se multiplient et concernent désormais tous les partis et protagonistes. En effet, pour le Mouvement Patriotique du Salut, elles sont le résultat du mécontentement d’une minorité de la population se sentant exclue des négociations, pendant que d’autres estiment qu’il s’agit uniquement d’un élément révélateur du désarroi de la population face à la politique de la junte qui serait sous forte influence française.
In fine, une telle situation instable dans le pays constitue un obstacle majeur au déroulement harmonieux des négociations à Doha dont les résultats semblent déjà décevoir.
Le Professeur Mohamed-Chérif Ferjani alertait, déjà en novembre 2021, comme pour anticiper sur la situation politique actuelle, quand il soutenait que : « la vision de Kais Saïed de la démocratie représentative et son hostilité par rapport aux partis politiques nous rappellent beaucoup celles de Carl Schmitt ». Les derniers développements sur la scène politique tunisienne semblent, aujourd’hui, lui donner raison.
En effet, depuis que le Président Kaïs Saied a dévoilé le projet de nouvelle Constitution en Tunisie, les voix sont nombreuses, au sein de la société civile comme de la classe politique, à s’élever pour dénoncer ce que l’auteur de « Néolibéralisme et révolution conservatrice » (Edition Nirvana, 2021) appelle ici « une dérive autoritaire ».
Ses alertes furent nombreuses ces dernières années pour maintenir intactes la vigilance et la mobilisation des « forces sociales ». Mais, dans cette tribune largement relayée au sein de la société civile tunisienne et des médias, le chercheur et intellectuel tunisien connu pour son engagement pour les droits humains et la démocratie depuis l’indépendance, Professeur Mohamed-Chérif FERJANI, par ailleurs Président du Haut Conseil du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, alerte sur ce qu’il qualifie de « situation burlesque » qui « donne un nouveau tournant à la tragi-comédie que vit la Tunisie depuis la fin du règne de la dictature mafieuse de Ben Ali »
Timbuktu Institute publie, ci-dessous, in extenso cette tribune qui semble rappeler que les acquis démocratiques ne sont jamais définitifs sans ce à quoi appelle aujourd’hui, le Professeur Ferjani à savoir « une mobilisation la plus large des forces sociales et politiques attachées à la démocratie et aux objectifs de la révolution »
« Le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution s’est terminé par deux coups de théâtre, moins de quatre semaines avant le référendum prévu pour son rejet ou son adoption :
- le camouflet que Kaïs Saied a infligé aux commissions mises en place par lui-même pour lui proposer un projet dans ce sens, en jetant à la poubelle le fruit de leur travail pour publier son propre projet de constitution,
- puis le désaveu opposé par Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh, les principaux rédacteurs du projet refusé par Kaïs Saied, en publiant leur projet et en dénonçant l’attitude du président à leur égard et à l’égard de leur commission.
Cette situation burlesque donne un nouveau tournant à la tragi-comédie que vit la Tunisie depuis la fin du règne de la dictature mafieuse de Ben Ali. Après une décennie marquée par l’amateurisme, l’incompétence, la corruption, le terrorisme et la volonté des islamistes d’imposer leur projet, transformant le pays et les deniers de l’Etat en butin spolié par leur confrérie et ses alliés, Kaïs Saied a profité du rejet des islamistes pour poursuivre le démantèlement de l’Etat et de ses acquis afin d’instaurer une nouvelle dictature mariant populisme et nationalisme conservateur instrumentalisant à sa façon la religion.
Les deux coups de théâtre de ce début du mois de juillet 2022, moins d’un an après le coup de force de Kaïs Saied conduisant par la suite à la suspension de la constitution de 2014 et à la dissolution du parlement et de toutes les institutions pouvant limiter son projet de réunir entre ses mains tous les pouvoirs, montrent, à ceux qui en doutent encore, que le Chef de l’Etat est déterminé à aller jusqu’au bout, et par tous les moyens, pour réaliser ce qu’il avait annoncé depuis son « entrée par effraction » en politique, selon l’expression de Hamadi Rédissi.
J’ai attiré à plusieurs reprises l’attention sur le danger de son projet et sur les similitudes qu’il présente avec les conceptions du juriste conservateur Carl Schmitt qui avait défendu le fascisme et servi le nazisme, avant de devenir une référence pour les populismes rejetant l’Etat de droit et la démocratie représentative. Son projet de constitution, et sa volonté de ne tenir aucun compte de tout avis qui n’est pas totalement conforme à ce qu’il veut, même quand il vient de ses plus proches collaborateurs et de ceux qui l’ont servi à l’instar de Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh, montrent qu’il est déterminé à imposer son projet quel que soit le résultat du référendum : Ce n’est ni une erreur ni un hasard si son décret prévoit l’entrée en vigueur de sa constitution dès la proclamation des résultats du référendum par l’ISIE qui est à sa solde. Même si le NON l’emporte, il n’en tiendra pas compte.
Il me semble que cette mascarade n’a que trop duré et qu’il faudra y mettre fin avant le 25 juillet 2022. Pour cela, tout doit être fait pour obliger Kaïs Saied à faire marche arrière avant le référendum. Ce qui a été fait en 2013, - à moitié, et ce fut une erreur –, pour mettre fin au règne de la Troïka et de l’aventure de la constituante, doit servir d’exemple et de leçon à ce qui doit être fait aujourd’hui, en urgence.
La mobilisation la plus large des forces sociales et politiques attachées à la démocratie et aux objectifs de la révolution – société civile, organisations nationales (dont surtout l’UGTT et l’UTICA), partis politiques s’opposant au projet de Kaïs Saied tout en refusant le retour à l’avant 25 juillet 2021 et à l’avant 2011 -, doit déboucher rapidement sur la multiplications des actions et des pressions pour arrêter à temps une mascarade qui a déjà coûté trop cher au pays ».
Source : Météo Sahel et Afrique de l'Ouest
By timbuktu Institute
En trois ans, la Côte d’Ivoire a perdu trois fortes personnalités au cœur de l’appareil d’État et qui étaient même pressenties pour jouer un rôle politique plus important. Ces circonstances ont créé, en apparence, une sorte de « cohésion » au sein de l’élite au pouvoir pour rendre hommage aux défunts même si le deuil n’a pas pu apaiser le climat politique tendu présageant d’un choc inévitable des ambitions. En effet, la sphère politique ivoirienne reste très divisée depuis la crise post-électorale de 2010.
A cette situation, s'ajoutent la troisième candidature à l'époque très décriée de l’actuel Président à la dernière élection autant contestée par l’opposition ainsi que les procédures judiciaires visant un certain nombre d’opposants et leurs proches. A côté des défis politiques à relever pour une cohésion nationale, la dégradation de la situation sécuritaire dans au Sahel vient hanter le sommeil des populations et de l’État.
Le déplacement du curseur djihadiste vers les pays du Golfe de Guinée constitue un enjeu sécuritaire de taille pour le Bénin, le Ghana, le Togo mais aussi pour la Côte d’Ivoire. Déjà touchée par la furie terroriste en 2016 avec l’attaque de Grand- Bassam, le pays semble prendre la pleine mesure de la menace même si quelques attaques sporadiques sont notées dans le Nord, frontalier du Burkina Faso, pays pont entre le Sahel et les pays côtiers où la situation sécuritaire s’est fortement dégradée en plus d’une crise politique. Cette pression de la menace des groupes armées en Côte d’Ivoire commence à attiser des tensions communautaires dans un pays où les questions identitaires sont extrêmement sensibles.
La récente étude du Timbuktu Institute dans la région du Bounkani révélait déjà les vulnérabilités des populations frontalières et la porosité des frontières à laquelle s'ajoutent les plaies encore béantes du conflit politique qui risque de s'aggraver davantage à l'approche de 2025. Pendant ce temps, les préoccupations sécuritaires semblent supplanter l'impératif de réconciliation nationale et de renforcement d'une cohésion sociale mise à rude épreuve par les querelles politiques et les velléités constamment instrumentalisées.
Pour se préparer à la riposte contre la menace terroriste de plus en plus en plus pressante, le pays s’est doté d’une “académie internationale de lutte contre le terrorisme” en plus des militaires déployés dans le nord et participe à des opérations transfrontalières de sécurisation accompagnées par des initiatives préventives. Il est vrai qu'un plan de résilience est aujourd’hui en oeuvre dans le Nord pour réduire la vulnérabilité des jeunes susceptibles de sombrer dans l'extrémisme violent. Mais l'on semble dans cette stratégie négliger la dimension préventive en mettant en avant l'approche sécuritaire qui n'a pas donné de résultats à la mesure des investissements dans le cas du sahel.
A l’instar d’autres pays côtiers, la Côte d’Ivoire serait en train de reproduire les erreurs du Sahel par cette focalisation sur la dimension militaire d’une crise multidimensionnelle alors qu’ils avaient le temps de la prévention par une approche holistique s’attaquent aux causes structurelles du terrorisme au-delà des « symptômes » d’un mal beaucoup plus profond. Pour Dr. Dr. Bakary Sambe, « les germes de futurs conflits intercommunautaires dont les effets seront de loin plus désastreux que la menace terroriste elle-même sont déjà visibles dans ces pays du littoral ouest-africain par le jeu des stigmatisations productrices de frustrations ; une aubaine pour les groupes extrémistes violents »
Cependant, le risque pour la côte d’Ivoire n’est pas que terroriste dans la partie septentrionale mais celui du réveil des vieux démons sociopolitiques dans un contexte d’usure entamée du régime actuel qui n’a pas pu réaliser la promesse de l’inclusion socioéconomique et surtout de la cohésion et de la réconciliation nationales.