Le Président Issoufou Mahamadou arrive en tête du CEDEAO dans un contexte où la région est énormément inquiète par la menace terroriste et d'autres envies sécuritaires. "Et la nécessité d'une synergie des partenariat est ressentie aussi bien par les pays de la région que par leurs partenaires"

Selon Dr. Bakary Samb,  Directeur de Timbuktu Institute - Centre africain d'études sur la paix Qui a ouvert, récemment, un nouveau bureau à Niamey, «  La Présidence Issoufou devra traiter les grandes questions d'intérêt régional, de sécurité, au delà des orientations et des priorités distinctes de chaque organisation  ».

Pour ce spécialiste des réseaux transnationaux dans le Sahel,   joint par Niamey et les 2 Jours, le rôle des historiques et du Niger dans le G5 qu'il a beaucoup inspiré, sa place  stratégique dans la  sous-région lui permet d'uniformiser les positions et de rapprocher la CEDEAO du G5 Sahel

"Le dernier sommet extraordinaire de la CEDEAO à Ouagadougou était un nouvel élan vers une coopération plus soutenue entre les deux organisations, selon Bakary Sambe qui estime que même les partenaires internationaux du Sahel encourageraient une telle démarche comme le montre la derni_re rencontre des Envoyés spéciaux de l'UE au Sahel tenue récemment à Las Palmas dans l'enceinte de Casa Africa", analyse le directeur de Timbuktu Institute.

Pr. Moulaye Hassane- CNESS : « L’installation de Timbuktu Institute au Niger va mieux nous aider à comprendre et prévenir l’extrémisme violent »

 

Alors que le Sahel est fortement secoué par des attaques et conflits asymétriques d’une fréquence préoccupante, Timbuktu Institute-African Center For Peace Studies a procédé, lundi 14 octobre 2019, à l’ouverture de son nouveau Bureau à Niamey. La cérémonie de lancement  officiel des activités de l’antenne de ce Think Tank spécialisé dans la prévention des conflits et de l’extrémisme violent au Niger, a suscité un réel engouement et la participation de divers acteurs de haut niveau.

Par Mamadou Yaya BALDE (STAGIAIRE)

C’est dans un contexte sécuritaire sous-régional assez délétère que Timbuktu Institue-Africain Center For Peace Studies a pris  l’heureuse décision d’ouvrir un Bureau à Niamey, ce lundi 14 octobre 2019. En marge de cette cérémonie,  le Dr. Bakary Sambe, Directeur dudit institut  et M. Moulaye Hassane, enseignant-chercheur à l’Institut de Recherches en Sciences humaines de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, ont co-animé une conférence sur un thème d’une brûlante actualité libellé comme suit : « Lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent au Sahel : synergie des partenariats et renforcement de la résilience communautaire ».

Au cours de leurs communications respectives, Dr. Bakary Sambe, fondateur, depuis 2012, de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) et Pr. Moulaye Hassane, ancien ambassadeur du Niger en Arabie Saoudite ont tour à tour examiné la question de la lutte contre le terrorisme au Sahel.  D’où toute la pertinence et  le bien-fondé de cette nouvelle antenne de Timbuktu Institute à Niamey, venue à son heure.

A en croire le Dr. Bakary Sambe, le choix porté sur le Niger pour l’ouverture de ses bureaux est loin d’être fortuite : « A u regard de la dimension géopolitique et géostratégique du pays, je pense qu’il était important que notre bureau soit installé ici et qu’on puisse travailler avec tous les acteurs, aussi bien universitaires qu’académiques, sans oublier les décisionnaires et la communauté internationale qui donne une importance capitale au Niger dans le cadre de la lutte contre le terrorisme », a-t-il expliqué. Poursuivant, M. Sambe fait savoir que la vocation de cet institut c’est la recherche, la documentation afin de mieux formuler des recommandations utiles aux décideurs, aux pouvoirs publics ainsi qu’aux partenaires internationaux. « Nous allons faire beaucoup de recherche, du conseil et aussi de la formation avec le renforcement des capacités des décideurs mais aussi des acteurs de terrain qui travaillent sur la prévention », a-t-il poursuivi.

Pour sa part, M. Hassane perçoit l’arrivée de cet institut comme une valeur ajoutée aux nombreux efforts  et actions qui se déploient dans le cadre de la prévention et de la lutte contre l’extrémisme violent. « Cet institut va nous nous aider à avoir une étude raffinée », espère-t-il.  L’ouverture de ce  Bureau de Timbuktu Institute  à Niamey, en République du Niger, a eu lieu en partenariat avec le média d’actualité nigérien ‘’Niamey et les 2  jours’’.

La pertinence du thème et le choix stratégique porté sur le Niger pour abriter ce nouveau Bureau a suscité un intérêt certain auprès de  nombreux acteurs  et organismes internationaux ayant pris part aux  fructueuses discussions de cette rencontre de haut niveau. Dans la salle, on pouvait  remarquer la présence des universitaires, diplomates, des représentants d’organismes internationaux, des hommes politiques, des personnalités du monde judiciaire, parmi lesquelles Madame Bintou Djibo, (Représentante Résidente du PNUD, Coordonnatrice résidente du Système des Nations Unies), leur Excellence, l'Ambassadeur du Sénégal au Niger, Oumar Maal, l'Ambassadeur d'Espagne (Ricardo Mor Sola), les Représentantes de l'Ambassade de France (Laurence Brattin, Conseillère politique et Delphine Laurore, SCAC) le Représentant de l'Ambassade des Etats-Unis le Représentant Résident de la JICA (Eihiko Obata), le Représentant de la coopération UK, le Représentant résident du FNUAP (Ismaila Mbengue), un Représentant du CICR, des Représentants de l'OIM, des Représentants de Mercy Corps, les Représentants de l'USAID, Dr Saliou Gaye Ndoye (CILSS), les Députés de la Commission de Défense et de Sécurité et de Sécurité de l'Assemblée Nationale du Niger, le Directeur Général du CMEN (Ibrahim Mamane), le Représentant du Président de la Cour des Comptes, des Enseignants et chercheurs de l'Université Abdou Moumouni de Niamey, le Représentant du recteur de l'Université de Diffa, les Représentants de la HACP, du CNESS, du Projet SDS (Secrétaire exécutif Lawali Ada), et de la Police Nationale du Niger.
Monsieur le procureur de la République de Niamey (Chaibou Samna), Monsieur le vice-Président du Tribunal de Grande Instance, Maman Aminou Koundy), Monsieur le vice-Président de la Cour d'Appel (Falalou Nassirou Sofo), du Représentant de Monsieur le Bâtonnier des Avocats

(Niamey et les 2 jours) - Suite au départ des forces françaises de la base nigérienne de Madama, mise « en sommeil », le débat s’est installé autour d’un certain désintérêt par rapport à la position stratégique que représente cette région du Niger aux portes de la Libye, où la situation sécuritaire s’est beaucoup détériorée ces derniers temps. D’autres analystes penchent aussi pour la thèse d’un « mauvais calcul » au regard de l’enjeu de la stabilisation du couloir sud-libyen traversant le Niger, avec toutes les incidences sur la circulation des groupes terroristes et des armes à travers le Sahel. Mais, pour Dr. Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute* basé, le récent redéploiement sur Gossi, au Mali, s’inscrit dans « la suite logique dans l’approche différenciée de l’armée française au Sahel à travers Barkhane ».

Interrogé par le site d’informations Niamey et les deux jours, ce spécialiste des réseaux transnationaux dans le Sahel et expert auprès des pays de la région sur leurs stratégies de prévention l’extrémisme violent, revient, dans cette interview, sur la nouvelle dynamique sécuritaire ainsi que les choix stratégiques qui, selon lui, expliqueraient un tel redéploiement. Mais Sambe soutient, arguments à l’appui, que le renforcement d’une approche civilo-militaire aiderait Barkhane à atténuer les incompréhensions autour d’une force qui a eu le mérite de stabiliser ces vastes zones et d’apporter un soutien précieux au Niger et aux pays de la région dans la lutte contre le terrorisme.

« Il ne suffit pas de gagner seulement la guerre contre les terroristes, il faut aussi gagner la paix avec les populations locales.»

 

Niamey et les 2 Jours : Barkhane est-elle une opération militaire de plus dans le Sahel ? Comment l’analysez-vous ?

Bakary Sambe : L’opération Barkhane, devenue opérationnelle en août 2014, était comme la suite de Serval déclenchée en janvier 2013, en réponse à la demande en aide du gouvernement malien suite à l’avancée inquiétante des groupes djihadistes sur la route de Konna. Cette force dont la mission est différente de Serval, a la particularité d’opérer aussi en dehors du Mali, couvrant d’autres pays avec un quartier général à Ndjaména, au Tchad. Il est vrai que ces dernières années ses effectifs sont passés de 3000 hommes à ses débuts à 4500 courant 2018, avec des troupes au sol qui ont enregistré environ une quinzaine de pertes dans leurs rangs. Cette force dont les missions peuvent être parfois floues pour certaines populations, est caractérisée par sa mobilité et l’importance stratégique des vastes étendues qu’elle couvre. Quelles que soient les questions que peuvent soulever ses interventions, leur pertinence et leur efficacité, la présence de Barkhane joue un rôle multiple : dissuasif, préventif et opérationnel avec de nombreux succès parfois peu mis en exergue, mais déterminants dans la lutte contre le terrorisme dans la région…

N2J : Mais justement, selon vous, comment, dans une telle situation sécuritaire, expliquer le départ d’un point aussi stratégique que la base de Madama au Niger ?

BS : Madama était ce qu’on appelle une base avancée, qui a été un poste de commandement tripartite (français, nigérien, tchadien). On se souvient de l’opération Mangouste en 2014. Cette base se situait à 340 km au Nord de Dirkou, avec comme vocation principale le renseignement, du moins à l’origine. C’était une sorte de filtre stratégique aux portes de la Libye, contre la descente des groupes terroristes vers le Sahel à partir du Niger via la région d’Agadez, vaste comme deux fois la France, au plus fort de la crise qui perdure encore en Libye. Il est vrai qu’à l’époque, on avait beaucoup évoqué les tentatives d’Abul Walid Al-Sahraoui qui était à la recherche d’un espace de déploiement, tout en excluant l’option du Sud algérien, domaine où ont régné pendant longtemps un certain Belmokhtar et ses hommes. Dans une telle configuration, le Niger, dans sa partie frontalière avec la Libye, représentait une priorité stratégique voire un véritable enjeu de sécurisation de la région dans son ensemble. Je ne dis pas que le Niger a perdu en importance stratégique, mais il a dû y avoir d’autres impératifs qui ont fait basculer le centre de gravité vers le Liptako et le Gourma…

N2J : Barkhane se chercherait-il, donc, ou il y a, selon vous, un véritable cadre logique qui en guiderait l’action ?

BS : Tout d’abord, je crois que l’opération Barkhane entrait dans le cadre de l’approche différenciée de la France au Sahel. Si Serval avait pour mission initiale d’éviter que le verrou stratégique de Konna ne sautât ; ce qui ouvrirait la route sur Bamako et peut-être plus loin au Sud, Barkhane pourrait être analysée sous l’angle d’une mission de sécurisation durable et de lutte accélérée contre le terrorisme au regard des urgences sécuritaires. Ensuite, la base de Madama servait d’avant-poste et de verrou afin de parer aux dangers à partir du Sud Libyen longtemps considéré – à tort ou à raison - comme le nouveau refuge naturel des groupes terroristes, surtout à l’amorce de la déroute de Daech en Irak et en Syrie. Maintenant, avec la multiplication des zones d’instabilité telle que théorisée par Al-Sahraoui, juste après Serval, des priorités semblent se signaler autour des frontières communes entre le Burkina Faso, le Mali mais aussi le Niger. On peut même dire que l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) est devenu une réalité dans cette zone avec l’accélération des attaques entre les environs de Gorom-Gorom et Markoye, mais aussi le Niger et le Mali (Liptako Gourma) et l’acharnement sur le Burkina Fasso, comme le verrou à casser pour atteindre l’Afrique côtière.

N2J : Mais pourquoi seulement maintenant, alors que les risques restent élevés dans tout le Sahel ?

BS : N’oublions pas que l’insécurité est aussi présente, par exemple, aux environs du département d’Ayerou (région de Tillabéri) avec des attaques qui se multiplient. Il doit être opérationnellement plus simple d’intervenir dans cette zone à partir du Liptako tout en couvrant les régions stratégiques aux alentours de Gao, au Mali, mais aussi des zones fragilisés autour d’Aribinda et de Dori au Burkina Faso. Il ne faut pas, non plus, oublier le caractère vital du contrôle de cette vaste zone carrefour sous la boucle du Niger, avec cette route faisant la jonction entre Bamako et Gao qu’est le Gourma et qui s’étend sur les trois départements maliens de Mopti (Centre), Tombouctou et Gao. Loin de négliger la sécurité du Niger, ce redéploiement de Barkhane me semble plutôt un positionnement stratégique sur le nouveau carrefour des menaces transnationales au Sahel, qui concerne aussi ce pays.

N2J : On dirait aussi que Barkhane a, encore, beaucoup de défis à relever notamment en termes d’image et d’une bonne compréhension de ses missions dans la région …

BS : Vous savez la complexité de la mission de forces comme Barkhane réside dans le fait qu’il ne suffit pas de gagner seulement la guerre contre les terroristes, il faut aussi gagner la paix avec les populations locales. Même après avoir relevé les défis sécuritaires, le retour à la paix dans un pays comme le Mali rudement touché par une crise qui perdure va nécessiter un long processus. Il faudrait anticiper et se projeter dans l’avenir. Il me semble que Barkhane avait expérimenté des actions civilo-militaires en participant à l’amélioration de la vie des populations partageant ses points d’eau comme les éléments de la force tentent aujourd’hui de sécuriser les activités économiques dans la zone Gossi où les habitants des localités avoisinantes avaient coutume de tenir des marchés hebdomadaires. Je pense que tout effort dans le sens de rétablir progressivement les bases d’une vie sociale, publique, économique, toute initiative pour répondre aux nombreuses urgences dans les zones d’intervention seraient en faveur d’une meilleure perception de la présence de Barkhane par les populations locales. Il sera important, à cet effet, de multiplier ces actions civilo-militaires afin d’assister et de faciliter la projection des populations vers l’avenir dans ces zones meurtries par les conflits. En fait, il faudrait agir de sorte que les actions entreprises dans le cadre de l’amélioration des conditions de vie de la force soient en même temps bénéfiques et profitables aux acteurs locaux comme les populations, les ONG actives dans la zone et même les acteurs locaux. En d’autres termes, la présence de Barkhane, en plus des opérations de sécurisation, doit participer à recréer les conditions d’une vie plus décente des populations qui ont tendance à subir l’impact des conditions draconiennes de sécurité tout en ayant le sentiment de vivre dans l’insécurité. Cette forme de conquête des cœurs pourraient améliorer et rendre plus positives les perceptions développées sur Barkhane dans la région où son rôle est jugé assez constructif. L’action de cette force qui, selon les observateurs, assure des missions essentielles, devrait, à mon sens, être accompagnée par un véritable travail de communication pour être mieux comprise. C’est dans sa relation quotidienne avec les populations locales que Barkhane devrait corriger certaines incompréhensions.

*Timbuktu Institute, basé à Dakar, annonce l’ouverture prochaine d’un bureau à Niamey, au Niger.

 

Propos recueillis par Babacar Cissé

Le Débat BBC Afrique-Africa Radio, 52 minutes pour comprendre l'Afrique et ses changements, vus d'ici et de là-bas.

Deux journalistes passent en revue les événements de la semaine avec un invité au cœur de l'actualité.

Cette semaine, notre invité est Dr. Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies basé à Dakar et à Niamey

 

 

Pour écouter le Debat :Le Débat BBC Afrique - Dr Bakary Sambe

Source: https://www.bbc.com

La tempête semble encore passée et les choses rentrées dans la normalité avec la réadmission des filles voilées à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc. Mais pour le Dr. Bakary Sambe,  directeur de Timbuktu Institute, cette affaire est « loin d’être vidée » d’autant plus que « l’Etat sénégalais n’a jamais cherché à résoudre définitivement la question plus générale de l’enseignement privé confessionnel avec une réglementation claire, égalitaire et définitive ».

 

Selon cet enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions  (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis « il y a bien eu une différence entre la gestion précipitée de cette crise au mois de mai, à ses débuts, et l’attitude finalement plus souple de l’Etat du Sénégal qui a heureusement cherché le dialogue. L’Etat ne pouvait pas imposer à une institution catholique une règle à laquelle il a fait de multiples exceptions ailleurs en fonction du rapport de force et des logiques électoralistes».

 

Pour le Dr. Sambe, par ailleurs, coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA), « l’embarras de l’Etat s’explique par sa faiblesse et ses inconséquences dans la gestion des questions religieuses dans un pays où, concernant le religieux, les autorités politiques ont multiplié les exceptions sans avoir jamais voulu définir des règles ». 

Se disant perplexe, le Dr. Sambe estime que « le calme est revenu, juste le temps d’une nouvelle affaire qu’on se précipitera d’étouffer avant de passer la patate chaude au prochain régime ; c’est ainsi, malheureusement, la recette politique depuis les indépendances »

 

« Notre Etat continuera toujours à être embarrassé par de telles questions tant qu’il ne réglera pas définitivement le statut de l’enseignement privé confessionnel ou apparenté par une législation claire et cohérente au lieu de rester sur des fuites en avant successives pour une question éminemment stratégique comme l’éducation », alerte l’auteur des « Contestations islamisées »,  (Ed. Afrikana, Montréal, Octobre 2018)

 

Selon ce chercheur spécialiste des rapports entre politique et religion, « cette affaire qui est loin de se tasser a aussi été un exutoire des crispations et frustrations accumulées : des organisations musulmanes qui y projetaient des revendications non satisfaites d’une plus grande reconnaissance de l’enseignement islamique aux divers mouvements catholiques qui ont montré les signes d’une communauté dans ses derniers retranchements ».

 

« Il va falloir, tôt ou tard, s’attaquer à cette brûlante question de la dualité du système éducatif sénégalais qui veut modeler des citoyens mais sans le ciment national d’une école uniformisée même avec une diversité des langues d’enseignement qui peut être une richesse », soutient Dr. Bakary Sambe.

Convaincu qu’un « règlement définitif » est nécessaire pour éviter les « crises à répétition », le directeur du Timbuktu Institute en conclut que « la question éducative reste l’une des plus grandes vulnérabilités de notre pays comme cette crise l’a montré avec des signaux évidents de crispations, mais aussi de faiblesse d’une cohésion sociale tant vantée et qui, à chaque occasion, étale ses limites de même que ses inconséquences constamment refoulées... »

Où va la Tunisie ? Comment les enjeux de cette élection présidentielle sont vus d’Afrique subsaharienne ? Quel avenir pour les réformes sociales et politiques entamées depuis la révolution ? La démocratie tunisienne est-elle encore assez enracinée au point de donner des gages pour des transitions paisibles ? Les interrogations se multiplient alors que la crainte d’errements politiques, de compromissions « décomplexées » avec les islamistes inquiètent, de plus en plus, la société civile et les franges progressistes du pays..

L'auto-immolation par le feu du jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi en fin 2010[1], a constitué l’élément déclencheur du soulèvement populaire contre le régime de Ben Ali, ainsi que l’avènement inattendu du printemps arabe. En effet, partant d’un divorce avec un régime dictatorial, en passant par lachute de Ben Ali, la révolution tunisienne a fait souffler le vent de  la démocratie dans le pays, et ouvrant ainsi la porte aux pays du Maghreb et même du Moyen-Orient. Le retour sur la scène politique de Beji Caïd Essebsi[2], illustre homme politique et avocat tunisien pour occuper le poste de premier ministre et assurer la transition démocratique marquait le début d’une nouvelle ère pour la Tunisie.

D’ailleurs, il va créer son propre parti, le Nidaa Tounes[3] et ainsi devenir le premier président tunisien élu démocratiquement au suffrage universel en 2014. Sous Ben Ali, un climat de crainte gagnait le quotidien des tunisiens avec une presse muselée, une liberté d’opinion bafouée, des opposants politiques emprisonnés, une instabilité constitutionnelle qui sont entre autres des ingrédients de la dictature. Au lendemain de l’insurrection de 2011, si les tunisiens savourent la liberté, le gouvernement lui, fait face à de nouveaux défis notamment l’apaisement du climat politique, la satisfaction des urgences sociales, le cas du chômage, bref rebâtir le pays.

Autrement dit, pour prendre en charge les exigences sociales, motifs de soulèvement populaire, le nouveau gouvernement va s’inscrire dans une logique de mener une réforme institutionnelle qui marquera le début d’une nouvelle époque avec une volonté de prise en charge des préoccupations des populations. Et c’est dans ce sillage qu’une nouvelle Constitution[4] a été adopté afin d’apaiser le climat politique et de fonder un Etat de droit, même si la demande en termes d’emploi des jeunes reste pressante.

La disparition de Béji Caid Essebsi, dont le mandat était presque fini, intervint dans un contexte où la Tunisie se trouvait dans une posture de reconstruction avec de nouvelles réformes qui sont engagées. Le décès du président tunisien a ainsi, bouleversé malgré une transition plus ou moins réussie qui a placé le chef du parlement et actuel président intérimaire Mohamed Ennaceur dans une situation de leadership inattendu. Il a dû occuper le fauteuil présidentiel jusqu’à la fin du mandat comme le prévoyait la Constitution en ces termes : « En cas de vacance provisoire de la fonction de Président de la République pour des motifs qui rendent impossible la délégation de ses pouvoirs, la Cour constitutionnelle se réunit sans délai et constate la vacance provisoire, le Chef du Gouvernement remplace le Président de la République. La durée de la vacance provisoire ne peut excéder soixante jours. Si la vacance provisoire excède les soixante jours ou en cas de présentation par le Président de la République de sa démission écrite au Président de la Cour constitutionnelle, de décès ou d’incapacité permanente ou pour tout autre motif de vacance définitive, la Cour constitutionnelle se réunit sans délai, constate la vacance définitive et en informe le Président de l’Assemblée des représentants du peuple qui est sans délai investi des fonctions de Président de la République par intérim, pour une période de quarante-cinq jours au moins et de quatre-vingt-dix jours au plus ».

C’est dans ce contexte inédit dans son histoire que la Tunisie organise des élections présidentielles et se trouver un dirigeant pour les cinq prochaines années. Dès lors, les tunisiens sont appelés aux urnes ce 15 septembre avec une pléthore de candidatures consacrant le multipartisme dans ce pays tout en interrogeant sur la pertinence des différentes offres politiques. Deux figures connues de la vie politique tunisienne, le Premier ministre Youssef Chahed[5], et le président intérimaire de l’Assemblée Nationale en l’occurrence Abdelfattah Mourou[6] sont très attendues.

Mais l’autre candidature surprenante dans cette course à la présidentielle sera l'avocat Mounir Baatour[7] qui se présente ouvertement comme homosexuel et défenseur du droit des gays. Elle ne sera pas finalement retenue, car l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections en Tunisie (ISIE)[8] ne validera que 26 candidatures sur 97.

Toutefois, cette course à la présidentielle va aussi se distinguer avec la participation de deux femmes qui témoignent, ces dernières années, d’une plus grande reconnaissance d’un rôle féminin sur l’espace politique et dans les institutions publiques.

Un détour historique pour apprécier la position de la Tunisie sur la question du droit des femmes nous amènera à comprendre que cette évolution qui tranche d’avec la situation dans les autres pays arabes sera encore plus prononcée dans les années à venir.

Cette place de la femme dans la société tunisienne pourrait être sujette à double interprétation. D’abord, vouloir apporter une touche de modernité en responsabilisant la femme et lui octroyer plus de liberté mais aussi une ligne de démarcation vis-à-vis du monde arabe où la la reconnaissance des droits de la femme reste limitée. Ensuite, on sait qu’au regard de la situation internationale, l’image que renvoie le pays compte beaucoup et que différents organismes internationaux apprécient la mise en évidence du rôle féminin dans les affaires des institutions publiques. Il faut aussi rappeler que la Tunisie se distingué par l’émergence sur la scène publique de fortes personnalités féministes –comme Raja Benslama - qui ont même pu investir le champ de l’interprétation des textes religieux afin de lutter contre les lectures islamistes qui brident l’évolution de la société comme dans d’autres pays arabes et musulmans.

Mais, c’est avec la nouvelle constitution adoptée le 26 janvier 2014 que ce rôle féminin sera encore mieux pris en compte avec l’octroi de plus reconnaissance des droits à travers d’abord son article 21[9] qui proclame l'égalité entre les citoyens et citoyennes devant la loi sans aucune discrimination, ensuite, l'article 34[10] garantit la représentativité des femmes dans les assemblées élues.

Si l’essence du printemps arabe était de rompre avec l’autoritarisme, la dictature, pour permettre aux populations d’épouser le modèle démocratique, la Tunisie semble le seul pays à avoir préservé les acquis issus des révolutions, même si elle rencontre certains problèmes notamment, une économie moins compétitive, ainsi qu’une forte demande sociale qui constituent des défis auxquels le prochain président devra faire face pour réaliser les rêves de progrès. De son côté, le parti islamiste Ennahda qui continué à tisser sa toile bien au-delà des couches paupérisées et des militants originels, présente officiellement un candidat mais aborde cette présidentielle quelque peu divisé.

De fortes personnalités de la société civile avec un passé militant assez marqué à gauche expriment encore des craintes quant à l’attitude de certains hommes politiques qui, pour des raisons électoralistes, n’hésiteront pas à répondre aux sirènes des islamistes au prix de « liaisons dangereuses » pour l’avenir de la démocratie en Tunisie. Au même moment les formations progressistes sont plongées dans de profondes divisions, des querelles de chapelles qui les ont considérablement affaiblies au point que l’universitaire tunisien, Mohamed-Chérif Ferjani, estime qu’à cette veille de présidentielle décisive la gauche « perd complètement la boussole[11] »

Mamadou SOW, stagiaire, Observatoire Africain du Maghreb et du Moyen-Orient, Dakar (Sénégal)

 

 



[1]https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Bouazizi consulté le 27 Août 2019 à 10h 15 minutes

[2]https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9ji_Ca%C3%AFd_Essebsi consulté le 27 Août à 10h 25minutes