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Dans cet extrait d’une Interview accordée au New African Magazine (Mai-juin-juillet) qui offre un espace de débats et d’échanges aux experts et chercheurs du continent sur les grandes problématiques africaines internationales, Dr. Bakary Sambe revient sur la nécessité d’aller au-delà des solutions militaires et insiste sur la nécessité d’un changement de paradigmes dans la lutte contre le terrorisme. Déplorant que dans de nombreux pays du Sahel, il y a encore une grande confusion, dans les politiques publiques de sécurité, entre le contre-terrorisme et prévention et lutte contre l’extrémisme violent, le Directeur de Timbuktu Institute appelle à une approche holistique de la crise sahélienne qui nécessite des stratégies inclusives s’attaquant aux « racines du mal » au lieu de rester obnubilés par les « symptômes » malgré les urgences sécuritaires. Il accorde aussi une large place à l’autonomisation des jeunes comme des femmes en tant qu’actrices de paix loin des schémas qui les confinent dans la victimisation.
Les moyens de la prévention contre le radicalisme extrême risquent d’avoir l’effet d’une épée dans l’eau. Comment faut-il s’attaquer efficacement à cette problématique de fond?
Deux choix s’offrent à nous et à nos Etats : prévenir l’extrémisme violent dès maintenant par l’investissement dans l’éducation et la justice sociale en s’attaquant aux causes structurelles des frustrations qui nourrissent le djihadisme ou attendre les attaques qui n’épargnent personne, ni aucun pays pour intervenir militairement, indéfiniment et inefficacement avec grand risque de reproduire les causes du mal que l’on cherche à combattre. L’Europe et l’Afrique ont un destin commun. Nous sommes devenus une même communauté internationale, celle des vulnérables. De manière égalitaire nous le sommes aussi bien à Gao, dans l’Oudalan burkinabé qu’à Paris, Londres ou Bruxelles. C’est dans ce sens que des stratégies inclusives doivent être conjointement bâties pour une approche holistique du phénomène de l’extrémisme, loin des solutions conjoncturelles et strictement militaires qui ont montré leurs limites en Afghanistan, au Nord Mali comme dans le Bassin du Lac Tchad.
L’approche militaire et sécuritaire semblent l’emporter largement la logique de bon sens. Celle de traiter le mal à la racine: trouver des réponses à la pauvreté, la précarité et l’injustice qui frappent une frange de la population dans les pays du Sahel. Aveuglement, impuissance...?
Tant que l’arrogance des injustes ne cessera pas, l’ignorance de ceux qui se sentent comme victimes alimentera les rhétoriques les plus violentes pour paraphraser un important leader religieux du Sahel. J’ai coutume de dire que, jamais dans l’histoire, une kalachnikov n’a jamais tué une idéologie. L’approche militaire est, certes, nécessaire pour contenir la menace dans certaines circonstances mais elle ne la fera jamais disparaître ; elle risque même d’être contreproductive. De récentes études au Mali ont mis en exergue la mauvaise perception de la MINUSMA comme de Barkhane au sein de la population et de la classe politique. Le Président Buhari promettait d’en finir avec Boko Haram en décembre 2016, il a été contraint de négocier avec la secte extrémiste. Les conditions socioéconomiques de la marginalisation et de la paupérisation au Nord du Nigeria sont restées intactes. La racine du mal se trouve dans les inconséquences des politiques développées par nos pays ou promues par une communauté internationale négligeant le regard anthropologique et l’autocritique après quarante ans d’absence qui ont profité aux vendeurs d’illusions et au salafisme. Il s’agit moins d’une impuissance que d’une absence de volonté ou du moins de vision prospective. Le phénomène terroriste a inauguré l’ère de l’action sous la pression sans prise en compte de la vision des partenaires du Sud. Sur la question sahélienne, il y a aujourd’hui une faille énorme, un vrai hiatus, entre l’approche internationale et les perceptions locales. Il est temps d’arriver à une coordination des actions des puissances occidentales et, entre-elles et les initiatives locales, pour éviter un futur conflit de perception des conflits au Sahel.
Entre terrain et travail de conceptualisation... vous êtes en mesure de nous préciser la « bonne méthode » pour approcher ce sujet crucial pour la stabilité des pays de la région sahélienne...
Le propre du terrorisme est d’être une longue chaîne dont chaque maillon pris individuellement peut ne pas être répréhensible ou punissable par la loi. Nous n’agissons généralement qu’au bout de la chaîne et de manière tardive et inefficace. Nos pays ont légiféré par réaction et agissent sous la pression de la menace. Il est très courant dans le dialogue avec les autorités étatiques qu’elles confondent contre-terrorisme et une véritable stratégie de prévention de l’extrémisme violent qui fait défaut pour l’heure. Face à la complexité d’un phénomène qui n’a même pas de définition consensuelle, nos Etats se complaisent dans la réaction sécuritaire qui donne bonne conscience d’agir et néglige les impératifs de développement équitable et de justice sociale. Le G5 Sahel peut être un outil performant si nous arrivons à lui donner du contenu au-delà du militaire en relevant son niveau de contribution dans le développement et la résilience. Un changement de paradigme et d’approche s’impose. Et ce n’est pas un hasard que la stratégie des Nations Unies soit revue dans son articulation en identifiant des priorités-clés comme la croissance inclusive et équitable ; les services publics, y compris l'accès aux services de base, la gouvernance et la primauté du droit ; le climat et l'énergie ; l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes. La seule lueur d’espoir que j’entrevois dans toutes ces initiatives constructives est la grande volonté d’implication des femmes dans la lutte contre l’extrémisme et la réduction de leur vulnérabilité qui passera forcément par leur pleine autonomisation notamment économique.
Dr. Bakary Sambe est Directeur du Timbuktu Institute (Dakar) et coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, politologue professeur Centre d’étude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal). Il a accompagné la mise en place de la CellRad au sien du G5 Sahel et suit aujourd’hui les processus de mise en place de stratégies nationales de lutte contre l’extrémisme violent dans le cadre du Projet Partenariats pour la paix de l’USAID (P4P) en Afrique de l’Ouest.