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En Afrique et plus particulièrement au Sahel, les périodes électorales sont des moments de tensions et de crispations généralisées ,et ce, dans un contexte de désinformation, les risques s’avèrent accrus. C’est le sens de ce séminaire organisé par le Timbuktu Institute en partenariat avec Meta, le 27 février dernier à Dakar, sur le thème : « Enjeux de la désinformation et défis de la cohésion sociale et de la démocratie au Sahel ». Modérés par le directeur du CESTI, Mamadou Ndiaye, les échanges ont permis d’une part, de mettre l’accent sur les menaces de la désinformation sur la stabilité, et d’insister sur la nécessité d’une promotion du fact-checking et de l’éducation aux médias d’autre part. Bref une plus grande responsabilisation des médias et des citoyens qui deviennent à la fois consommateurs et producteurs d’informations à l’heure des réseaux sociaux.
La sous-région vit un « paradoxe », estime d’emblée le directeur du Timbuktu Institute, Bakary Sambe. Observant que les jeunes dans les années 90 qui se battaient pour la démocratisation sont aujourd’hui dans les foules accueillant en héros les nouveaux acteurs qui arrivent au pouvoir par la force, il se demande « si un désenchantement démocratique ne peut pas expliquer le fait que les ex-combattants de la liberté ovationnent aujourd’hui ceux qui arrivent au pouvoir de manière non-démocratique. » Dans son ouvrage « Ill Winds », le politologue américain Larry Diamond propose un diagnostic de ce qu’il conçoit comme les vents défavorables à la démocratie au nombre desquels : « l’insouciance américaine », la « colère russe » et « l’ambition chinoise ». Toutefois pour le directeur du Timbuktu Institute, il faudrait ajouter un quatrième paramètre, qui concerne « les inconséquences des puissances occidentales mais aussi des pouvoir locaux qui ont dévoyé la démocratie ».
Ce dévoiement de la démocratie, entre autres regrette-t-il, « a transformé les élections censées être des moments de célébration et de fête démocratique, en des moments d’angoisse et de risque ». Conséquence, dans ces moments de crispation marqués par un contexte concurrentiel, « apparaît une jungle numérique, où ceux qui maîtrisent la technicité peuvent avoir le dessus sur ceux qui s’accommodent des règles de l’éthique, la manipulation de l’information devient un enjeu crucial où des armées numériques produisent des campagnes de désinformation, voire d’harcèlement à l’endroit de personnages politiques », ajoute-t-il. Entre 2002 et 2014 en Afrique subsaharienne, alerte-t-il, « les périodes électorales ont fait plus de 5000 morts. C’est-à-dire donc qu’elles sont aussi critiques que les nouvelles menaces frontalières ou environnementales.» Face à un flux inédit d’informations rendant difficile le discernement ayant conduit à une « infobésité », la nouvelle guerre froide informationnelle dans la sous-région amplifie les théories du complot qui pullulent désormais, d’autant plus que « ce sont certains Etats eux-mêmes qui s’adonnent parfois à la désinformation et aussi, la socialisation politique se fait aussi par Internet, le statut politique ou la popularité d’un leader devenant une affaire de nombre clics et de followers », pointe-t-il.
Désinformation et guerre informationnelle, nouvelle boîte de Pandore ?
Pour Abdourahamane Dicko, enseignant-chercheur à l'Université de Zinder (Niger), « il faut partir du principe que la question de la désinformation doit être analysée à travers son caractère multidimensionnel. » Dans la mesure où, estime-t-il, « l’Etat nigérien a failli en créant une peur collective autour de la liberté d’expression. Désormais, non seulement la socialisation politique se fait sous le prisme de l’appartenance ethnolinguistique, des communautés – en l’occurrence peule – sont étiquetées comme sympathisantes des djihadistes ». Cette situation exacerbée par une désinformation généralisée, alerte-t-il, constitue un terreau fertile pour la prolifération des conflits intercommunautaires au Sahel. Précisant qu’il importe de contextualiser le phénomène de la désinformation, le nigérien, chercheur associé au Timbuktu Institute propose le terme de « coaching politics dans une situation où la désinformation est sciemment fabriquée et diffusée, l’Etat participe à sa vulgarisation. »
Face à ce trouble du champ informationnel, le journaliste d’investigation béninois Ignace Sossou, préconise d’observer « une éthique d’utilisation des réseaux sociaux », qui est à la fois attentive aux opportunités et aux tares de ces plateformes. Selon lui, dans un contexte « de libéralisation de l’espace médiatique avec la prolifération des médias privés et influenceurs qui sont des antichambres de la désinformation, le devoir du journaliste est de systématiquement aller plus loin dans sa démarche. » En d’autres termes, s’armant d’éthique et de déontologie, le journaliste doit pouvoir ressortir le bon grain de l’ivraie des réseaux, tout en gardant un réflexe : celui du fact-checking. « Il urge d’aller vers la démocratisation du fact-checking, qui ne doit plus être considéré comme un outil réservé au monde des médias, mais enseignable à tout le monde et en particulier aux jeunes, de manière à cultiver leur esprit critique », recommande le formateur en fact-checking.
Dans la mesure où la désinformation est un défi tentaculaire, Tidiani Togola, spécialiste Civic-Tech au Mali, estime qu’il faudrait mettre sur pied « une stratégie bâtie autour de l’éducation aux médias et la littératie numérique ». Cette stratégie doit participer d’une « approche holistique prenant en compte chercheurs, gouvernements, société civile, utilisateurs, dans le but d’engager les plateformes à mieux identifier les contextes locaux. ». Pour lui, étant donné que le Sahel est « gangrené par des tensions sociales où l’on assiste à une industrialisation de la désinformation, » il serait judicieux pour les plateformes de « s’engager dans des partenariats locaux, pour accompagner les initiatives de lutte et de recherches sur la désinformation non seulement par la promotion du fact-checking et ce même dans les programmes scolaires, mais aussi par des campagnes de sensibilisation en langues locales ». Tout ceci, pourrait participer de manière durable, à assainir l’environnement des réseaux sociaux au Sahel.
L’éducation aux médias, une boussole vers plus de stabilité ?
« L’éducation aux médias et à l’information est une offre mais aussi une demande », affirme Yacine Diagne, enseignante-chercheuse au CESTI. Mais malheureusement déplore-t-elle, « le système scolaire engorgé ne s’y prête pas, d’autant plus qu’en Afrique, l’éducation est submergée et les enseignants ne peuvent pas répondre aux missions qu’on leur demande. » Parce que pire que la désinformation, elle observe un « désordre informationnel mêlant insidieusement désinformation-malinformation-mésinformation où on ne peut pas attendre des pouvoirs publics qui répriment, qu’ils fassent la promotion de l’éducation aux médias. » Pour ce faire, la spécialiste des médias suggère une « éducation à l’africaine, en passant par les communautés locales, à la base ».
Bakary Sambe abonde dans le même sens, en rappelant que « l’éducation est une arme de construction massive de citoyenneté. » Il poursuit : « La démocratisation de l’accès à l’information et sa diffusion nous impose un nouveau type d’éducation. Aujourd’hui chacun est à la fois émetteur et consommateur d’informations. C’est pour cela qu’il faut revenir à plus d’éthique démocratique dans l’utilisation des médias, sans oublier la part des Etats, car c’est parfois l’absence de démocratie qui fertilise le terreau à la désinformation. »
Selon Valdez Onanina, rédacteur en chef d’Africa Check, le « fact-checking est en réalité consubstantiel au travail de journaliste. Le fait est que, si aujourd’hui l’on en parle autant, c’est que le travail journalistique est mal fait. » À un participant qui juge que les réseaux sociaux sont devenus des « décharges publiques », il trouve qu’une telle attitude d’esprit pourrait s’agir d’une réflexion contre-productive. « Il faut accepter le fait que les réseaux sociaux occupent considérablement l’espace public. Ce serait donc jouer contre nous même que de s’en éloigner, déjà qu’on est en retard sur la digitalisation et en plus la désinformation sert maintenant desidéologiques et économiques, on a pu le voir avec le Story Killers », explique-t'il.
L’engagement de Meta dans la lutte contre la désinformation au Sahel
La Responsable des politiques publiques de Meta pour l'Afrique francophone, Olivia Tchamba, a rappelé leur approche en matière de lutte contre la désinformation en insistant sur l’existence des standards de la communauté dans le cadre de l’utilisation des plateformes chez Meta pour mieux démontrer l’authenticité des contenus. Les fausses informations virales, susceptibles de causer des dommages physiques ou autres ne sont donc pas autorisées par la plateforme.
C’est ainsi que, dans une approche plus inclusive et dans le but de trouver un juste équilibre entre la question de la liberté d’expression et la capacité à donner aux utilisateurs la liberté de créer des communautés et d’échanger sur ce qui les intéressent, Meta s’associe à une catégorie d’acteurs qui ont la capacité à vérifier un contenu. Il s’agit entre autres de la collaboration avec des journalistes à travers le programme d’incubation et de mentorat de vérification des faits «NoFalseNewsZone», déroulé dans cinq pays : Côte d’Ivoire, Cameroun, Mali, Burkina Faso et Niger, qui vise à soutenir les médias locaux dans la lutte contre la désinformation, mais également, dans une démarche plus holistique, de l’Alphabétisation numérique pour aider les utilisateurs à comprendre comment tirer parti de tous les avantages qu’offre le numérique.
De manière générale, Olivia Tchamba a rappelé la mise en place par Meta d’un certain nombre de Programmes au Sénégal, en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays du Sahel notamment la caravane d’alphabétisation numérique à travers le programme « Mon univers digital » dont le but est d’aider l’utilisateur à avoir une meilleure connaissance en matière de recherche, d’analyse critique de l’information pour une utilisation plus judicieuse et responsable de la plateforme. En outre, Meta a lancé « une campagne de sensibilisation sur les réseaux sociaux et à la radio, sur la désinformation et la lutte contre les discours haineux en ligne, dans le cadre de l’élection présidentielle. L’objectif principal étant de montrer le bien-fondé et l’intérêt de la participation des jeunes au processus électoral », espère Olivia Tchamba.
Source : Timbuktu Institute – Mars 2024