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Dans un entretien accordé au quotidien national « Le Soleil », Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute- African Center for Peace Studies, soutient que le choix porté sur la Mauritanie pour la première visite officielle du président Bassirou Diomaye Faye est « logique et diplomatiquement pertinent. »
Le Président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye a effectué sa première visite à l’internationale en Mauritanie le jeudi 18 avril dernier. Comment expliquez-vous ce choix porté sur ce pays voisin pour sa première visite officielle en tant que Chef de l’Etat ?
Le choix de la Mauritanie pour une première sortie à l’international du Président Bassirou Diomaye Faye peut se passer de toute explication car logique et diplomatiquement pertinent. Vous savez, s’agissant des relations sénégalo-mauritaniennes, certains diplomates parlent souvent d’un même peuple dans deux États frères. Ces relations qui sont, tout d’abord, humaines plongent leurs racines dans l’histoire profonde commune avant même l’existence internationale des deux pays. Il est historiquement établi que le Trarza, mais aussi, le Guidimakha, entre autres, ont constitué un continuum socioculturel et humain à l’origine de brassages et d’infinies interactions expliquant mieux que tout autre facteur, la nature durable des rapports entre le Sénégal et la Mauritanie. Les relations diplomatiques se sont sans cesse renforcées et ont connu un regain d’intensification avec les récentes découvertes d’hydrocarbures qui instaurent de fait une autre communauté de destin en plus des rapports historiques dans un contexte géopolitique complexe et une reconfiguration des relations et des rapports internationaux. L’actuelle présidence mauritanienne de l’Union africaine faisant suite à celle des Comores après celle du Sénégal devra, d’ailleurs, s’inscrire dans cette même lignée d’une meilleure affirmation de la place d’une Afrique changeant de statut dans un contexte inédit où le basculement géopolitique de notre continent vers quelque bloc que ce soit pourrait durablement impacter les rapports de force au niveau international. L’arrivée à la tête du Sénégal d’un Président appartenant à une nouvelle génération consciente de la nécessité d’un meilleur positionnement panafricain coïncidant avec la présidence mauritanienne de l’Union africaine, devrait aider à réaffirmer ce besoin de synergie dans la défense des intérêts économiques et géostratégiques du continent. Le Président Ghazouani qui était d’ailleurs parmi les chefs d’États présents lors de l’investiture de Bassirou Diomaye Faye n’est pas sans une grande conscience de cette nécessité historique d’un shift panafricain n'excluant pas l’ouverture au monde mais profondément enraciné dans la défense des intérêts du continent.
Quels sont les enjeux, sécuritaires, politiques et économiques de cette visite ?
Il est clair qu’on ne peut occulter le caractère stratégique d’une telle visite dans un contexte sahélien et ouest-africain en profonde mutation et faisant face aux plus grands défis sécuritaires avec la menace terroriste qui ne connaît plus de frontières. Il y a, aussi, la reconfiguration des alliances au niveau sous-régionale et le nouveau rôle qui se dessine pour le Sénégal de renforcer tout en consolidant et, au besoin, faisant évoluer l’intégration sous-régionale et africaine. La coopération sécuritaire entre les deux pays qui s’est même décentralisée avec l’implication des administrations territoriales et locales devra être renforcée parce qu’il y va d’une forme de sécurité commune qui s’impose désormais aux deux pays. La stratégie d’insistance et de harcèlement de la part des groupes terroristes par défaut de possibilité d’ancrage logistique réel sur le territoire, les attaques mineures sporadiques depuis la Forêt de Wagadou à travers la région voisine de Kayes de même que les tentatives d’infiltration depuis la zone de Melga - commune de Djelegou, Cercle de Kayes- sur le continuum du Guidimakha liant la Mauritanie, le Sénégal et le Mali et menant vers Sélibabi et Bakel sont des signaux assez suffisants pour le renforcement voire l’intensification de la coopération sécuritaire. Sur ce plan les deux pays sont appelés à échanger leurs bonnes pratiques avec l’expérience mauritanienne en matière de contre-terrorisme mais aussi celle sénégalaise dans la prévention jusqu’ici efficace et le renforcement de la résilience à travers une approche mixte intégrant les dimensions sécurité humaine par le désenclavement infrastructurel et la sécurisation des régions exposées de même que la pleine implication des communautés locales. En plus de la proximité socioculturelle, les deux pays ont tout à gagner dans une synergie renforcée en s’appuyant sur leurs leviers pertinents et surtout la mutualisation de leurs capacités.
Quels sont les leviers sur lesquels les deux chefs d’Etat doivent s’appuyer pour consolider davantage leurs relations bilatérales ?
Les deux chefs d'État semblent avoir longuement discuté du projet commun sur le gisement de gaz naturel Grand Tortue Ahmeyim (GTA), à leur frontière maritime, développé par le Britannique BP avec l'Américain Kosmos Energy, la Société mauritanienne des hydrocarbures (SMH) et la société publique sénégalaise Petrosen. Rien que ce projet structurant de coopération économique illustre parfaitement la nature hyper-stratégque de la relation entre les deux pays. Cette visite a été d’un enjeu fondamental et un choix pertinent dans le contexte actuel mais la coopération mériterait d’être creusée et poursuivie avec une plus grande approche prospective constante. La stratégie apaisante adoptée dans la gestion commune du bloc Grande Tortue Ahmeyim, a été la moins conflictuelle, conforme à la nature de nos relations et garante de stabilité permettant, ainsi, une exploitation sereine et durable de la ressource par les deux pays concernés. Notre pays semble bien s’être bien préparé avec tous les dispositifs mis en place dans cette perspective. C’est pourquoi, le Sénégal pourrait s’inscrire dans une double stratégie de co-efficacité et de coopération renforcée avec la Mauritanie dans le cadre de la mutualisation des capacités notamment en appuyant la formation des cadres et gestionnaires mauritaniens de la ressource gazière vitale pour nos deux pays avec les possibilités qu’offre l’Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG). Il serait même possible d’envisager une facilitation d’accès à l’INPG aux privés mauritaniens dans leur diversité comme aux cadres du secteur public de ce pays ami. Il y a, en plus, un véritable socle à cette coopération scientifique avec une longue tradition d’échanges universitaires perpétuée par des générations de hauts cadres mauritaniens qui ont été formés au Sénégal y compris parmi le leadership politique et économique actuel.