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Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies, en partenariat avec la Fondation Rosa Luxembourg de Dakar, organise un atelier de restitution des résultats du projet de recherche sur les facteurs de radicalisation et la perception du terrorisme dans les zones frontalière du Sénégal et de la Mauritanie.
La cérémonie de présentation des résultats aura lieu le vendredi 04 mai 2018 à 10H à la Maison de la presse sur la corniche ouest, Dakar, en présence des représentants de l’Etat, des corps diplomatiques et sera l’occasion d'échanger sur la méthodologie de l'étude et les tendances générales afin de proposer des solutions pour contrer les risques de radicalisation violente chez les jeunes de ces localités.
L’objectif de cette coopération entre Timbuktu Institute et la Fondation Rosa Luxembourg était, notamment, de dégager des pistes pouvant aboutir à la formulation de recommandations opérationnelles susceptibles d’orienter les décideurs et les organisations régionales, sous régionales voire internationales, sur la nécessité de mettre en place des politiques prenant en compte de la question de la radicalisation des jeunes au regard des mutations géopolitiques que connaissent les pays du Sahel.
Sans s’écarter du respect du principe de la présomption d’innocence, du caractère purement individuel de la responsabilité pénale, ni anticiper sur la sentence à venir des magistrats de la cour criminelle qui siège à Dakar pour le procès de l'imam Aliou Badara NDao et ses compagnons, il apparait clairement à la lumière des débats et des interrogatoires des individus appelés à la barre, que l’extrémisme est désormais un ennemi incrusté dans la société sénégalaise. Il est reproché à cette personnalité et coaccusés, un chapelet de graves infractions parmi lesquelles notamment «l’association de malfaiteurs à objet terroriste».
Au Sénégal, les confréries d’inspiration soufie ont historiquement joué un rôle important dans la conception d’une pratique ouverte et tolérante d’un Islam préservant le fond originel d’une société qui garde sa spécificité tirée de la tradition des ancêtres.
Pour Bakary Sambe, fondateur de Tumbuctu Institute, un observatoire spécialisé sur la montée du radicalisme, par le site d’informations en ligne «Dakaractu», les révélations «de ce procès imposent au Sénégal un changement d’approche et de paradigme sécuritaire».
Il note que pendant des années, le pays «a eu la chance d’appartenir à la catégorie des Etats qui offraient encore la possibilité d’une approche prospective, mais il devait la saisir pour développer une vraie stratégie nationale de prévention en plus de la prise charge sécuritaire du phénomène.
Garder les frontières et équiper les forces de sécurité peut être une bonne démarche tant que le danger n’est pas susceptible de venir d’un ennemi diffus, insaisissable et peut être déjà a l’intérieur, le déni politique et social de cette réalité nous a menés à la situation présente et nous devons sortir de l’approche réactive». Le Dr Sambe ajoute qu’avec le procès en cours, «le mythe du Sénégalais naturellement non violent, qui a nourri notre déni national, s’est complètement effondré. Le terrorisme d’origine nationale dit «homegrown terrorism» exige des changements substantiels pour tous nos Etats, appelés à conforter la recherche intensifiée du renseignement tout en se souciant des droits humains».
Ainsi, les services de renseignement doivent opérer une véritable synthèse, un nouveau dosage entre les préoccupations liées à la sécurité intérieure et les nécessités de sécurité extérieure. Coordinateur de l’observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, Sambe est un précurseur dans le domaine des alertes sur le phénomène, avec la publication en 2013, du premier rapport du genre: «Paix et sécurité dans l’espace CEDEAO». Il a produit des travaux sous le titre: «Grand angle sur le radicalisme religieux et la menace terroriste au Sénégal», réalisé en collaboration avec l’Institut d’études et de sécurité (ISS), basé à Addis-Abeba, Nairobi, Pretoria et Dakar.
En 2015, Bakary Sambe a publié un ouvrage sous le titre «Boko Haram, du problème nigérian à la menace sous régionale».
Qualifiées d’alarmistes dans un passé récent, les alertes de ce spécialiste s'imposent désormais de par leur dramatique pertinence.
« Le Sénégal a eu, toutes ces années la chance d’appartenir à la catégorie de pays qui offraient encore la possibilité d’une approche prospective, mais il devait la saisir pour développer une vraie stratégie nationale de prévention en plus de la prise en charge sécuritaire du phénomène », réagit Dr. Bakary Sambe suite aux révélations du procès des « terroristes présumés en cours.
Pour lui, « garder les frontières et équiper les forces de sécurité peut-être une bonne démarche tant que le danger n’est pas susceptible de venir d’un ennemi diffus, insaisissable et peut-être déjà à l’intérieur ; le déni politique et social de cette réalité nous a menés à la situation présente et nous devons sortir de l’approche réactive ».
Il y a quelques années, ses thèses sur la menace djihadiste en Afrique de l’Ouest étaient souvent qualifiées d’«alarmistes » par ses pairs comme par les acteurs étatiques. Les derniers évènement semblent conforter le fait que le coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, Dr. Bakary Sambe a été, en fait, un « précurseur » dans ce domaine avec la publication dès 2013 du premier rapport « Paix et Sécurité dans l’espace CEDEAO » intitulé, « Grand angle sur le radicalisme religieux et la menace terroriste au Sénégal », réalisé avec l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS), basé à Addis Abeba, Dakar, Nairobi et Pretoria.
« Dans les différentes éditions du Forum de Dakar, souligne le Directeur de Timbuktu Institute, j’ai toujours appelé à nuancer les approches strictement sécuritaires pour appeler à une démarche holistique de ce phénomène en perpétuelle mutation et à ce que le Sénégal mette en place une vraie stratégie nationale de prévention distincte des opérations de lutte contre le terrorisme à proprement parler qui sont aussi nécessaire ».
Selon Dr. Sambe pour qui, avec ce procès « le mythe du sénégalais naturellement non violent » qui a nourri notre « déni national » s’est complètement effondré « le terrorisme d’origine nationale dit homegrown terrorism exige des changements substantiels pour tous nos Etats devant conforter la recherche intensifiée du renseignement tout en se souciant des droits humains »
« Il est sûr que cela demande des réformes des services de renseignement et un nouveau dosage entre préoccupations relevant de la sécurité intérieure et nécessités de sécurité extérieure », souligne Bakary Sambe. Car, rappelle t-il, « le problème de l’Etat de droit face à ce nouveau type de menace est qu’il est comptable du respect des principes démocratiques face à des individus ou groupes pour lesquels la démocratie peut être, paradoxalement, un moyen de tuer la démocratie et non une fin en soi ».
Revenant sur ses spécificités, Dr. Sambe précise que « ce phénomène qui doit alerter est d’autant plus complexe qu’il fait référence à l’action ou stratégies de des ressortissants s’attaquant à leur propre pays sans nécessairement posséder de liens visibles avec les revendications qui les animent mais en collusion avec des éléments extérieurs ».
Rappelons que Dr. Bakary Sambe, avait aussi publié un ouvrage sur « Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale » (Juillet, 2015) qui avait la particularité de partir des propres sources du mouvement avec une analyse des écrits du fondateurs du mouvement pour dit-il “diagnostiquer le mal à la racine, afin de rompre d’avec la vision strictement sécuritaire qui peine à donner des solutions ou résultats durables”. L’Institut qu’il dirige rend publique le 20 avril prochain une nouvelle étude sur les facteurs de radicalisation dans les zones frontalières du Sénégal et de la Mauritanie.
Au moment où le Directeur de Timbuktu Institute, le Dr. Bakary Sambe est en train d'intervenir à la 5e Conférence de l'Organisation des Gendarmeries africaines sur les stratégies de lutte contre le terrorisme en Afrique au King Fahd Palace présidée par Son Excellence Macky Sall, l'information nous parvient d'un cambriolage contre le Centre de recherche basé à Dakar.
L'Institut est connu pour ses différents travaux sur les questions de radicalisation et l'extrémisme violent dans les pays du Sahel. Timbuktu Institute a récemment publié un rapport sur "Terrorisme et justice pénale" mais aussi une étude sur les "stratégies salafistes sur Internet".
Pour rappel, le site Internet de l'institut avait déjà fait l'objet d'attaques informatiques en 2016.
La Gendarmerie a été alertée et ses éléments sont attendus sur les lieux d'un moment à l'autre, nous informe un chercheur de l'Institut.
Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies, en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer de Dakar, organise le mercredi 28 Mars 2018 à partir de 9 heures un séminaire sous régional sur le thème: « L’espace religieux sahélien face aux mutations géopolitiques ».
Cette rencontre de haut niveau, qui aura lieu au siège de la Fondation Adenauer,Stèle Mermoz Route de la Pyrotechnie à Dakar, réunira des chercheurs de divers horizons, la société civile, des représentants des Etats, des acteurs religieux, des diplomates, des universitaires, etc. autour d’une réflexion sur ces thématiques stratégiques.
L’objectif de cette rencontre, qui réunira des experts et chercheurs du Mali, du Niger et du Sénégal, est de dégager des pistes pouvant aboutir à la formulation de recommandations opérationnelles susceptibles d’orienter les décideurs et les organisations régionales, sous régionales et internationales, sur la nécessité de mettre en place des politiques allant dans le sens d’une meilleure prise en compte de la question religieuse au regard des mutations géopolitiques que connaissent les pays du Sahel.
Région la plus peuplée du Niger, Zinder fait face à une forte croissance démographique et doit donc répondre aux besoins grandissant d’une jeunesse représentant plus de 70% de la population de la région (Institut National de la Statistique [INS], 2015). Cette démographie, combinée à l’un des taux de scolarisation les plus bas du pays, entraîne une grave crise de l’emploi et la difficile insertion sociale d’une masse importante de jeunes adultes et adolescents à Zinder. A partir de 2010, la problématique de l’alternance politique au Niger a suscité de nombreux débats publics et a fait ressurgir les revendications sociales liées à ces problématiques. Dans la ville de Zinder, les jeunes se sont alors organisés en groupes informels pour pallier l’inexistence de cadres de socialisation et d’intégration de la part de l’Etat et des autorités.
Timbuktu Institute vous invite à la cérémonie de lancement et de dédicace du livre "Moi, musulman, je n'ai pas à me justifier" de Dr Seydi Diamil Niane
pour voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=XkJGUpbG_sA&feature=youtu.be
In a recent opinion article published in Jeune Afrique(n°2979), the Director of the Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies Dr. Bakary Sambe examines the "archaeology of the security crisis in the Sahel", showing that the deeper origins of the crisis can be traced back not only to the careless policies of the 1990s imposed on Sahelian countries, but also as a result of the international community’s 40 years delay to intervene in the regionsince the droughts of the 1970s. Dr. Sambe touches on the idea of preventive solutions through education while highlighting the incoherencies that must be avoided in order to not repeat the mistakes of the past. Here is in extenso his opinion piece titled : "AK-47s never defeated the ideologues."
An eminent religious leader from the Sahel confided in me that to get at the real causes of radicalization one must consider the combination of “the arrogance of the unjust and the ignorance of those who see themselves as victims”. Indeed, the international community was forty years too late to respond to the networks they are currently fighting against: ever since the droughts of the 1970s, neither Europe nor the United States, who were at that time stuck in the throes of the oil crisis, could help us. Those who could lend us a helping hand exported petrol, petrodollars and… ideologies. Then the international community came down hard in the 1990s with policies of structural adjustment demanding that borrower countries follow the path of liberalism by investing as little as possible in education, health, and social programming, while the exporters of ideologies were building madrasas in the Sahel and implanting so-called “Islamic” NGOs – which replaced the state and delegitimized the new missionaries of democracy.
At the start of February, Dakar welcomed the International Partnership for Education. But I would have liked to remind MackySall, Emmanuel Macron, and even Rihanna that many Sahelian countries still suffer from a duality, or better yet a split of the educational system, with the “official” francophone school on one side and a multitude of Qur’anic schools on the other. TheseSahelian states lack an understanding of what’s at stake because of this dynamic, and have never integrated this shock dimension of religious models and citizens by the education bias into the global framework of security policy.
Terrorism emerged in the middle of this space after being viewed, for many years, as a far-off and unlikely phenomenon, and its unpredictable character did not leave room for upstream strategies. Conversely, terrorism demanded a reactive approach. Confronted with this level of urgency, the countries of the Sahel and their international partners were only able to respond via asecurity-based approach as illustrated by the Operation Serval. And while it must be recognized that the Operation did manage to stop the jihadists on their way to Bamako, the result was the strictly security-based conception of a phenomenon that requires a holistic approach.
The failure of purely military solutions is an irrefutable reality. One simply cannot expect AK-47s to dismantle an ideology. The Americans stayed for more than fifteen years in Afghanistan and the Taliban still has not left. Serval made it through, replaced by Barkhane, which is incapable of finishing off the terrorists in the north of Mali. Armed groups prosper there and the front has expanded towards the center of the country with the Liberation Front of Macina overflowing into Burkina Faso.
Military solutions are certainly a necessary evil to contain the growing threat, but they are neither efficient nor sustainable. In fact, they have served as inspiration for jihadists! Global strategies and risky coordinative games are no longer needed: it is sufficient to create zones of instability and label all sorts of conflicts “Islamic” to generate Western intervention which, with their blunders and miscalculations, will nourish frustrations and revolts – an ideal breeding ground for recruiting new combatants.
We have become a real international community: rich countries or poor countries, Africa or Europe, we have this vulnerability in common. Gao, Maiduguri orTazalit are as exposed as Paris, Brussels or Miami. What happens in our tropics also concerns the powerful members of the Security Council and it is urgent to find collaborative solutions. Yet, there is a gap between global approaches, recommended by our international partners, and local perceptions. It is time to give possible endogenous solutions the dignity they deserve. Five years ago, I expressed to officials of the European Commission that in some of our villages the purchase of an older-model tank costs more than the construction of a school. We are presented with two choices: to prevent terrorism today via education and social justice or to prepare ourselves, militarily, to intervene indefinitely and continuously tomorrow, without a guarantee for success and with the risk of reproducing the causes of the evil we are fighting against.
(Source JeuneAfrique n° 2979)
Parmi les personnalités qui avaient plaidé pour l'instauration d'un baccalauréat sénégalais unifié pour les arabophones et leur accès à l'ENA afin de "corriger une injustice faite à cette élite qui a toute sa place dans la République", Bakary Sambe revient sur les "dangers d'un système éducatif dual dont une bonne partie échappe à l'Etat avec des curricula non conformes à notre propre projet de société ou imposés de l'étranger que ce soit d'Occident comme d'Orient."
Joint par notre rédaction depuis Las Palmas où il donnait une conférence sur le djihadisme en Afrique à l'invitation de Casa Africa, une institution de diplomatie publique espagnole, Bakary Sambe se dit " inquiet sur l'avenir de notre système éducatif " au moment où la crise scolaire est à son paroxysme.
Pour le directeur de l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (Timbuktu Institute), " On va droit dans le mur si un sursaut ne venait pas à sauver notre école pleine de paradoxes et d'inégalités criantes. "
Pour Bakary Sambe, " le paradoxe sénégalais est que nous ambitionnons de construire un modèle de citoyenneté avec des outils de socialisation différents et parfois même conflictuels. Notre pays ne peut s'assurer d'une stabilité durable sans corriger les injustices inhérentes à son système éducatif surtout à l'égard de notre élite arabophone. Des efforts sont faits certes, mais la question de fond reste entière : la dualité de notre système éducatif est porteuse de germes de contestation politique sous couvert d'un militantisme du type religieux. "
" Les régimes successifs se sont toujours contentés de se passer la chaude patate éducative qui risque de brûler, tôt ou tard, notre contrat social tant vanté partout. Noublions pas que Boko Haram est parti d'un problème éducatif ", préviendra Bakary Sambe.
Selon le chercheur au Centre d'études des religions de l'UGB (UFR CRAC), " l'éducation est la priorité des priorités et il ne faudrait pas que notre pays rate le coche de l'émergence pour des erreurs d'arbitrage. J'avais dit, il y a quelques jours que le seul dialogue constructif qui vaille et qui est d'une extrême urgence est celui que le Président Macky Sall devrait avoir avec les enseignants et la famille éducative ", insistera t-il.
Entre les réformistes et les « gardiens » français de la Tradition islamique, le moins qu’on puisse dire est que l’atmosphère n’est pas tout-à-fait paisible. Mais paradoxal que cela puisse paraître, je trouve que c’est une bonne nouvelle. Les idées s’affrontent. Les certitudes tombent et l’avenir de l’audace intellectuelle dans le champ islamique français est prometteur.
Commençons par le commencement. Une aspiration à la réforme de l’islam pour être à la hauteur de la modernité occidentale ne date pas d’aujourd’hui. C’est au milieu du XIXe siècle que des leaders musulmans égyptiens, après un bref passage à Paris, ont commencé à se questionner sur la responsabilité de l’islam dans le retard du « monde musulman » par rapport à l’Occident. Parmi ces figures, nous pourrons citer Rifā’at Tahtāwī (m.1873), Djamal al-Dîn al-Afghânî (m.1897), Muhammad ‘Abduh (m.1905) ainsi que Rachid Rida (m.1935) qui, d’après les historiens de ce courant de l’islam qui prit le nom de harakat al-islah (mouvement pour la réforme), a été le trait d’union entre les idées progressistes de ses prédécesseurs et le courant hanbalo-wahhabite saoudien. Du côté algérien, des figures comme Ben Bâdîs (m.1940) et Malek Bennabi ont aussi contribué aux tentatives de réforme. Au début des années 1950, est née l’Union Culturelle Musulmane en Afrique Occidentale Française dans le but de réformer les pratiques de l’islam dans les régions ouest-africaines.
En Europe aussi des voix s’élèvent depuis des années. De la Réforme Radicale de Tariq Ramadan au Plaidoyer pour un islam apolitique de Mohamed Louizi en passant par L’islam sans soumission d’Abdennour Bidar, Rouvrir les portes de l’islam d’Omero Marongiu-Perria, L’islam sera spirituel ou ne sera plus d’Éric Geoffroy ou l’injonction de Mohamed Bejrafil à rentrer « au XXIe siècle » dans son L’islam de France – L’an I, etc., les plumes parlent pour « rendre l’islam à la hauteur de la modernité intellectuelle. »
Mais ce n’est pas tâche facile. En face, les Gardiens du Temple se mobilisent pour la préservation de « la tradition » en puisant dans l’œuvre de leur maître à penser : René Guénon. Celui même qui, d’après l’un de ses adeptes, « aurait fait tomber les idoles de la modernité. » En France, deux figures incarnent aujourd’hui cette tendance : Sofiane Meziani et Slimane Rezki.
Dans de nombreuses productions écrite et audiovisuelle, ces derniers se sont attaqués à ceux qui, parmi leurs coreligionnaires, aspirent à la réforme de l’islam en allant, parfois, jusqu’à les traiter de « collabos. » Mot lourd de sens et porteur d’histoire !
Pour les voix de ce courant, l’islam est la manifestation de « la Tradition primordiale » dans ce cycle cosmique. Par conséquent, c’est à l’islam d’être un remède pour la modernité et non pas l’inverse (on se référera à Orient et Occident de René Guénon). Ainsi, pour eux, la démocratie, l’humanisme et les acquis des sciences humaines et sociales, ne sont que des vanités humaines qui ne méritent aucune attention (On se référera à La Crise du Monde Moderne et Au Règne de la Quantité de René Guénon).
Cependant, en dehors de dédouaner l’islam de toute responsabilité et de placer le croyant dans un confort intellectuel, où légendes et mythes se mélangent, je ne pense pas que cette façon de penser la religion et la modernité soit à la hauteur des défis actuels.
De l’autre côté, l’une des voix réformistes appelle, de manière provocante, à ‘‘euthanasier la tradition musulmane hégémonique’’. Sa pensée pourrait être résumée dans la citation suivante : « Et si Daesh avait raison lorsqu'il prétend appliquer de manière stricte les dispositions de la Charia, telles qu'elles ont été codifiées dans le droit musulman classique ? L’idée, affirmée de manière aussi abrupte, peut paraître assez saugrenue. C'est pourtant la conclusion à laquelle je suis parvenu au terme d'une recherche sur ses références doctrinales, en comparaison avec la vaste production du droit musulman. [1]» D’après lui, le malheur qui nous frappe quotidiennement, contrairement à ce que les musulmans affirment dans leur majorité, a bien quelque chose à voir, non pas avec le Coran, mais avec tout le corpus juridique qui porte une vision totalisante du monde. C’est ce qu’il appelle « le paradigme hégémonique » dont il nous invite à sortir en rompant avec la fidélité aux anciens.
La démarche est séduisante. Mais dire qu’il faut sortir du « paradigme hégémonique » ne suffit pas. Une fois euthanasier la Tradition, il faut proposer autre chose que le public qu’on est censé cibler pourrait bien accepter. Et ça, je pense que notre ami Omero Marongiu-Perria le reconnaîtra, c’est le travail de plusieurs générations. Et le temps presse.
Face à ces deux blocs radicalement opposés, une autre voie est possible. C’est celle que j’ai appelée « un islam retrouvé. » L’idée est très simple. Au lieu de jeter aux poubelles toute la « tradition hégémonique » ou de répéter aveuglement les dires de René Guénon, il s’agira de mettre au centre de nos actions toute la spiritualité, l’amour et l’humanisme dont le Coran est porteur.
Comme je le dis dans un autre texte[2], « En islam, l’homme est considéré comme le réceptacle du souffle divin. Le récit d’Adam est clair à ce sujet. Lorsque Dieu décida de créer le premier homme, il s’adressa aux anges : « Lorsque Je l’aurai façonné et que J’y aurai insufflé de Mon esprit, alors prosternez-vous devant lui ». « Ce verset, dira Tierno Bokar, maître spirituel d’Amadou Hampâté Bâ, implique que chaque descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’Esprit de Dieu. Comment donc oserions-nous mépriser un réceptacle qui contient une parcelle de l’Esprit de Dieu ? »
L’islam retrouvé est celui qui met l’amour de Dieu au centre de toutes nos actions. Or, rien n’est plus contradictoire que de prétendre à l’amour divin tout en méprisant un être qu’Il a Lui-même créé. Peu importe que cet être soit du règne animal, végétal, humain ou minéral. S’il fait partie du règne humain, importera peu qu’il partage avec nous la même foi ou non. Voilà ce que j’entends par « un islam retrouvé. » Une troisième voie qui pourrait apaiser les cœurs et tranquilliser les esprits.
[1] Omero Marongiu-Perria, Rouvrir les portes de l’islam, Atlande, 2017, p.15.
[2] Voir notre Moi, musulman, je n’ai pas à me justifier, Paris, Eyrolles, 2017.
Le Haut conseil Islamique du Mali (HCIM) a été créé en Janvier 2002 afin de servir d’interlocuteur censé assurer l’interface entre l’Etat et la population musulmane malienne. Cette instance est présidée par l’Imam Mahmoud Dicko depuis 2008. Il est originaire de la région de Tombouctou et se réclame du courant dit « sunnite » (comme s’auto-désignent en général les tenants de la mouvance wahhabite).
Il y a, en fait, un flou conceptuel délibérément entretenu dans cette appellation (sunnite) car la plupart des acteurs islamiques au Mali s’identifient au sunnisme sauf les partisans de Choula Haidara appartenant au chiisme très minoritaire dans le pays.
Mais cela relève d’une stratégie de mainmise et de monopole de ce qui serait l’islam « orthodoxe » considérant les autres courants de l’islam comme relevant d’innovations (bid’a) et pratiquant la religion avec des « impuretés » que la mouvance wahhabite se devrait d’assainir.
Le premier vice-président; Chérif Ousmane Madani Haidara, guide spirituel de l’association Ançar Dine (à différencier du mouvement djihadiste d’Iyad Ag Aly), se réclame de l’Islam Malékite, l’école théologico-juridique de l’écrasante majorité des maliens malgré l’emprise des salafistes wahhabites sur le Haut Conseil islamique..
Mahmoud Dicko engage le HCIM dans le débat politique dès 2009 en parvenant à bloquer la promulgation de la loi sur le code de la famille auquel il impose 49 modifications qui seraient adoptées en 2011[1].Cette immixtion dans les affaires politiques prend alors effet dans la crise malienne de 2012 où il y aurait joué le rôle de médiateur entre l’Etat et des mouvements islamistes commeAnçar Dine d’Iyad Ag Ghali. De telles interférences font partie des contradictions notées dans les rapports entre politique et religion au Mali malgré la laïcité proclamée de l’institution étatique.
Au sein de cette sphère religieuse hétérogène, on comptait déjà en 2012 plus de 146 associations et organisations islamiques au Mali[2]. Cette multiplicité des mouvances religieuses est diversement appréciée selon les acteurs. Elle est perçue comme une richesse par les uns qui y voient les signes d’un champ islamique dynamique tandis que d’autres l’appréhendent comme un danger notamment en ce qui est du regain de rivalités et de conflits qui opposent les différents courants
Lors d’une étude sur les femmes et l’extrémisme au Mali, une équipe Timbuktu Institute a pu se rendre à une université islamique de Bamako où une partie des entretiens semi-directifs a été réalisée.
Elle a été créée en 2012 dans le but de former des lauréats avec des qualifications et des compétences qui s’adaptent à l’évolution technologique malgré son orientation profondément religieuse et son inscription dans la doctrine salafiste de l’islam. Cette université relève d’une ONG dont les financements parviennent principalement des pays du Golfe persique. (L’université du Sahel compte à son sein 529 étudiantes et étudiants[3]. En 2014, le nombre d’étudiantes était de 34 selon le site web abamako, à défaut d’autres sources sur le fonctionnement de cette institution au centre de la stratégie dite de « ré-islamisation » de la société malienne)= A supprimer pour des raisons déontologiques.
Lors de la cérémonie de sortie de la 3ème promotion de cette université et à laquelle notre équipe a pu assister, nous avons eu l’occasion de feuilleter les mémoires de fin d’études (en arabe) de certains lauréats. Deux d’entre-eux ont particulièrement attiré notre attention: « l’application de la sharia: entre ignorance et négligence » et « une étude appliquée sur le rôle de la musique comme facteur de délinquance des jeunes dans les clubs de jeunesse à Bamako ». Les idées défendues par de telles thèses sont bien proches des idées du courant dit “réformiste”, autre appellation euphémique du salafisme wahhabite dans la plupart des pays du Sahel.
Dans le centre de recherches et d’études africaines (MABDAA[4], Markaz al-Buhûthwa al-drâsâât al-ifrîqiyya) dont le siège se situe aussi à l’ONG al Farouk, et qui a été créé en 2013, nous nous sommes entretenusavec un haut responsable du centre. Celui-ci nous a expliqué qu’il cible les élites arabophones et francophonesafin qu’elles vienent fréquemment assister à leurs conférences. Il a également salué le leadership du président du HCIM et pense qu’il est « un acteur principal dans cette visibilité de la religion dans l’espace public ».
Des données importantes, révélées par l’étude préliminaire menée à l’époque au Mali, sont, aussi, à considérer afin de mieux saisir les principales contradictions qui traversent une société malienne en proie à la crise politico-sécuritaire et qui s’interroge sur l’avenir même des institutions. Ainsi, (84%) de la population féminine interrogée pensent que le système laïc doit être conservé au Mali contre (12%) qui estiment qu’il est très possible d’appliquer la sharia dans le pays.
Ces différentes opinions traduisent bien la volonté populaire d’une séparation entre les deux sphères politique et religieuse.
Mais une telle volonté n’a pu bénéficier d’un engagement politique pour une évolution positive de la situation des femmes dont les droits n’ont pas connu d’avancées depuis 2012. Est-ce dû à la trop forte pression électoraliste des mouvances religieuses depuis l’initiative Sabati 2012 lors des dernières présidentielles.
[1] Hubert Ledoux, « Que se passe t-il au conseil islamique ? », https://revuedepressecorens.wordpress.com/2012/10/29/que-ce-passe-t-il-au-haut-conseil-islamique-du-mali/, octobre 2012.
[2] Gilles Holder, Chérif Ousmane Madani Haidara et l’association islamique Ançar Dine, Éditions de l’EHESS « Cahiers d’études africaines »,N 206-207, 2012.
[3] Le nombre des étudiants figure sur le texte du discours prononcé par le recteur de l’université lors de la cérémonie de sortie de la 3ème promotion le 26 novembre 2016.
[4] - Mabdaa, signfie aussi « principe » en arabe littéral/