De la question "Peulh" au Sahel : faut-il rester dans le tabou ?

Sur la question du terorisme, Dr. Bakary Sambe rappelle dans cette interview qu’ “il est très difficile de vaincre ou de tuer une idéologie avec une kalachnikov” . Il rappelle qu’à la fin de l’opération Serval, il y a un acteur très important qui à l’époque était moins connu, Abul Walîd Al Sahrawi, qui écrit un document qui disait que la France avec Serval pensait que les terroristes étaient vaincus “mais nous ne sommes pas vaincus. On a éliminé certains de nos hommes, mais nous avons maintenant de la chance de prospérer parce que maintenant, on n’a plus besoin de faire de l’idéologie, de la prédication. Nous attendons seulement  qu'il y ait des zones de conflits communautaires qui se déclenchent, et nous on mettra un habillage islamique pour recruter le plus grand nombre de personnes”

Pour le Directeur du Timbuktu institute, “C’est ce qui s’est passé dans le centre du Mali avec des Peulhs et d’autres bergers qui sont dans le pastoralisme (et qui) souffraient de l’insécurité, du vol de bétails”

D’après son analyse , des membres de ces groupes “sont allés apprendre à manier les armes chez les gens d' AQMI et finalement leurs revendications qui étaient sociales, socioéconomiques et politiques autour des pâturages, des bourgoutières, s’étaient transformées en une revendication religieuse». Et voilà qu’une population marginalisée, en l'occurrence, les peulhs et d’autres qui avaient des activités pastorales se sont soulevées”. 

Il pousuit en rappelant qu’on a observé le même phénomène au Burkina Faso avec Mallam Dicko, qui “a réuni auprès de lui des jeunes frustrés en mal de repères, et on a vu aussi au centre du Mali, lorsque l’Etat malien, incapable de lutter contre le terrorisme, a instrumentalisé des milices d’auto-défense pour assurer la sécurité. Et à ces milices-là, Dan Ambassagu avec des éléments dogons entre autres, on leur dit qu’ill faut lutte contre le terrorisme, en stigmatisant des peulhs pris pour être ces terroristes. Selon Bakary Sambe c’est ainsi, entre autres facteurs, qu’on a créé ou attisé des conflits intercommunautaires interminables.”

Toujours, selon le coordonnateur de l’observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, “On trouve les mêmes types de conflits au Burkina Faso, au Mali et dans la région de Tillabéry au Niger. Ce qui est en jeu, rappelle t-il, ce n’est pas la religion en tant que telle mais, surtout, la manipulation des symboles religieux pour des motifs politiques, identitaires, économiques etc.” Et, poursuit-il, “ cela va dans un large spectre de mouvements qui, aujourd’hui, au nom d’une prétendue religiosité, sont en train de perpétrer des actes ignobles”

Et au directeur régional du Timbuktu d’alerter avant de proposer des pistes de sortie d’une crise qu’il ne faut pas laisser empirer :  “ Aujourd’hui si on ne prend pas en compte l’émergence de cette nouvelle question autour des pasteurs principalement des pongs, on risque d’avoir d’autres problèmes dans le futur.  Je pense qu’on peut accorder les mêmes facilités en termes de dialogue avec les Touaregs et d’autres à cette communauté-là, au lieu de leur opposer toujours, la violence ou la répression”

pour ce qui est des racines d’un tel conflit et de la stigmatisation de cette communauté, Dr. Sambe en rappelle la dimension historico-politique: “ Mais je pense que le mal vient de plus loin. Pendant l’époque coloniale, il y avait un certain ostracisme à l’égard de ces populations et les Etats postcoloniaux ont hérité de ces pratiques dans certains pays. Et une telle situation a créé ce malaise-là de cette population qui n’arrive pas à s’insérer ou se faire accepter dûment dans l’Etat-nation”

Revenant sur la nécessité de changer de paradigme notamment dans les zones frontalières, où il faudra expérimenter dès maintenant d’autres approches basées sur le dialogue civilo-militaire et intercommunautaire, Dr. Bakary Sambe attire l’attention sur ce qu’il appelle un “paradoxe” entre la présence militaire et l’insécurité : “Aujourd’hui, c’est un problème récurrent qu’on trouve dans toutes les zones frontalières où il y a un véritable paradoxe. Les populations transfrontalières vivent sous le coup de mesures sécuritaires draconiennes avec des présences militaires renforcées, mais sont dans un profond sentiment d’insécurité. Et ce paradoxe là, il faut le relever”.

 

Propos recueillis et adaptés à partir d’une interview lors du forum de Dakar, par la chaîne youtube Geopolitix

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Dernière modification le mardi, 04 janvier 2022 17:28
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