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Dans le cadre des efforts de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour mieux comprendre les problématiques liées aux jeunes et dans le but d'accompagner les Etats et acteurs intervenant dans la région, une étude sur "Violence des jeunes et Enjeux de l'extrémisme violent à Zinder a été confiée à Timbuktu Institute en collaboration avec les chercheurs de l'Université de Zinder.  

Région la plus peuplée du Niger, Zinder fait face à une forte croissance démographique et doit donc répondre aux besoins grandissant d’une jeunesse représentant plus de 70% de la population de la région (Institut National de la Statistique [INS], 2015). Cette démographie, combinée à l’un des taux de scolarisation les plus bas du pays, entraîne une grave crise de l’emploi et la difficile insertion sociale d’une masse importante de jeunes adultes et adolescents à Zinder. A partir de 2010, la problématique de l’alternance politique au Niger a suscité de nombreux débats publics et a fait ressurgir les revendications sociales liées à ces problématiques. Dans la ville de Zinder, les jeunes se sont alors organisés en groupes informels pour pallier l’inexistence de cadres de socialisation et d’intégration de la part de l’Etat et des autorités. 

Ces groupes informels de jeunes, appelés « fadas » ou « palais », sont identifiés comme les principaux acteurs de la violence urbaine à Zinder. Ces groupes fonctionnent parfois comme de véritables gangs, et sont souvent liés à la délinquance, aux manifestations violentes, au trafic et à la consommation de drogues. Dès lors, la proximité de Zinder avec le nord du Nigéria, les liens linguistiques, familiaux et ethniques, ainsi que les importants flux commerciaux et de personnes existant entre les deux régions, posent la question de l’influence potentielle du groupe extrémiste Boko Haram, présent au Nord Nigéria, sur la jeunesse de Zinder. Cette question est d’autant plus prégnante que des jeunes rapportent que des recruteurs du groupe Boko Haram ont approché les jeunes des fadas et palais dès 2012. En outre, la ville de Zinder a récemment été marquée par des manifestations religieuses violentes qui ont entraîné la destruction d’édifices publics, de lieux de culte et de domiciles chrétiens, ainsi que des attaques contre des personnes chrétiennes ou perçues comme telles. L’objectif de la recherche est donc de voir s’il existe une corrélation entre la violence classique des jeunes et l’extrémisme violent à fondement religieux ou encore l’usage de la violence religieusement justifié ou motivé. 
 
En s’appuyant sur des entretiens individuels avec des jeunes des fadas et palais et des membres de la population locale, cette enquête révèle l’influence que l’idéologie extrémiste violente a sur les jeunes de Zinder. Ceux-ci acquièrent souvent une connaissance rudimentaire ou indirecte de l’islam, à travers des proches ou internet, et sont exposés à des messages religieux radicaux diffusés à travers les réseaux sociaux, échangés ou vendus sur CDs et clés USB sur les marchés locaux ou circulants à travers des réseaux informels. Les prêches régionaux, effectués par des leaders religieux charismatiques participent également à la diffusion d’une vision rigoriste voire violente de la religion. Les mosquées et écoles coraniques jouent également un rôle important dans la diffusion de ces idées, car on note un durcissement du discours religieux qui ne touche plus seulement les aspects cultuels. Ainsi, l’étude révèle que l’écoute de ces messages et prêches joue un rôle important dans la connaissance et l’attirance que les jeunes ont pour les actions de groupes extrémistes tels que Boko Haram. On note également qu’un nombre non négligeable de jeunes voit de manière positive ces actions, qu’ils justifient comme des actes de défiance envers un système jugé injuste, dans lequel les aspirations des populations ne sont pas prises en charge par des politiques étatiques jugées inadéquates. La violence est alors vue comme un moyen de pression et d’affirmation face à un Etat perçu comme simple entité répressive, et la religion comme seul instrument de régulation sociale. 
 
A Zinder, où les obédiences religieuses sont variées, on note ainsi la montée du courant salafiste izala, qui s’oppose à l’islam traditionnel du Niger, plus proche des courants soufis et malékites. D’autre part, l’attrait des jeunes pour ces pratiques et interprétations rigoristes de l’islam peut s’expliquer comme une forme de construction de soi, une affirmation identitaire et une quête de sens pour des jeunes confrontés à la précarité, le manque d’opportunités socio-économiques, et la marginalisation. Les jeunes enquêtés viennent en effet de quartiers réputés violents et stigmatisés comme tels, où les infrastructures de base manquent et vers lesquels des populations marginalisées (lépreux, handicapés, personnes sourdes ou aveugles…) ont été déplacées. La majorité d’entre eux sont au chômage, ou ont des emplois saisonniers, et dépendent de l’assistance alimentaire et financière de leur famille. Le chômage et la précarité des jeunes de palais et fadas de Zinder écartent donc une grande partie d’entre eux des schémas classiques de réalisation de soi et de reconnaissance sociale, les rendant vulnérables au recrutement de groupes extrémistes. 
 
L’adhésion à des courants rigoristes leur permet aussi de se définir à contre-courant de l’héritage religieux de leurs parents et du reste de la société, et donc de se construire une identité personnelle originale. Enfin, ces jeunes participent souvent à l’économie parallèle de leurs quartiers, à travers le trafic de drogues, la prostitution, ou le vol. Pour certain de ces jeunes délinquants, la justification religieuse vient légitimer socialement une violence pénalement condamnable. En devenant des « défenseurs » des valeurs et des causes religieuses, ils peuvent ainsi acquérir une certaine reconnaissance sociale. 
 
Télécharger le rapport complet ici : 
 

Timbuktu Institute vous invite à la cérémonie de lancement et de dédicace du livre "Moi, musulman, je n'ai pas à me justifier" de Dr Seydi Diamil Niane

pour voir la vidéo :  https://www.youtube.com/watch?v=XkJGUpbG_sA&feature=youtu.be

In a recent opinion article published in Jeune Afrique(n°2979), the Director of the Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies Dr. Bakary Sambe examines the "archaeology of the security crisis in the Sahel", showing that the deeper origins of the crisis can be traced back not only to the careless policies of the 1990s imposed on Sahelian countries, but also as a result of the international community’s 40 years delay to intervene in the regionsince the droughts of the 1970s. Dr. Sambe touches on the idea of preventive solutions through education while highlighting the incoherencies that must be avoided in order to not repeat the mistakes of the past. Here is in extenso his opinion piece titled : "AK-47s never defeated the ideologues."

 

An eminent religious leader from the Sahel confided in me that to get at the real causes of radicalization one must consider the combination of “the arrogance of the unjust and the ignorance of those who see themselves as victims”. Indeed, the international community was forty years too late to respond to the networks they are currently fighting against: ever since the droughts of the 1970s, neither Europe nor the United States, who were at that time stuck in the throes of the oil crisis, could help us. Those who could lend us a helping hand exported petrol, petrodollars and… ideologies. Then the international community came down hard in the 1990s with policies of structural adjustment demanding that borrower countries follow the path of liberalism by investing as little as possible in education, health, and social programming, while the exporters of ideologies were building madrasas in the Sahel and implanting so-called “Islamic” NGOs – which replaced the state and delegitimized the new missionaries of democracy.

At the start of February, Dakar welcomed the International Partnership for Education. But I would have liked to remind MackySall, Emmanuel Macron, and even Rihanna that many Sahelian countries still suffer from a duality, or better yet a split of the educational system, with the “official” francophone school on one side and a multitude of Qur’anic schools on the other. TheseSahelian states lack an understanding of what’s at stake because of this dynamic, and have never integrated this shock dimension of religious models and citizens by the education bias into the global framework of security policy.

Terrorism emerged in the middle of this space after being viewed, for many years, as a far-off and unlikely phenomenon, and its unpredictable character did not leave room for upstream strategies. Conversely, terrorism demanded a reactive approach. Confronted with this level of urgency, the countries of the Sahel and their international partners were only able to respond via asecurity-based approach as illustrated by the Operation Serval. And while it must be recognized that the Operation did manage to stop the jihadists on their way to Bamako, the result was the strictly security-based conception of a phenomenon that requires a holistic approach.

The failure of purely military solutions is an irrefutable reality. One simply cannot expect AK-47s to dismantle an ideology. The Americans stayed for more than fifteen years in Afghanistan and the Taliban still has not left. Serval made it through, replaced by Barkhane, which is incapable of finishing off the terrorists in the north of Mali. Armed groups prosper there and the front has expanded towards the center of the country with the Liberation Front of Macina overflowing into Burkina Faso.

Military solutions are certainly a necessary evil to contain the growing threat, but they are neither efficient nor sustainable. In fact, they have served as inspiration for jihadists! Global strategies and risky coordinative games are no longer needed: it is sufficient to create zones of instability and label all sorts of conflicts “Islamic” to generate Western intervention which, with their blunders and miscalculations, will nourish frustrations and revolts – an ideal breeding ground for recruiting new combatants.

We have become a real international community: rich countries or poor countries, Africa or Europe, we have this vulnerability in common. Gao, Maiduguri orTazalit are as exposed as Paris, Brussels or Miami. What happens in our tropics also concerns the powerful members of the Security Council and it is urgent to find collaborative solutions. Yet, there is a gap between global approaches, recommended by our international partners, and local perceptions. It is time to give possible endogenous solutions the dignity they deserve. Five years ago, I expressed to officials of the European Commission that in some of our villages the purchase of an older-model tank costs more than the construction of a school. We are presented with two choices: to prevent terrorism today via education and social justice or to prepare ourselves, militarily, to intervene indefinitely and continuously tomorrow, without a guarantee for success and with the risk of reproducing the causes of the evil we are fighting against. 

(Source JeuneAfrique n° 2979)

Parmi les personnalités qui avaient plaidé pour l'instauration d'un baccalauréat sénégalais unifié pour les arabophones et leur accès à l'ENA afin de "corriger une injustice faite à cette élite qui a toute sa place dans la République", Bakary Sambe revient sur les "dangers d'un système éducatif dual dont une bonne partie échappe à l'Etat avec des curricula non conformes à notre propre projet de société ou imposés de l'étranger que ce soit d'Occident comme d'Orient." 

Joint par notre rédaction depuis Las Palmas où il donnait une conférence sur le djihadisme en Afrique à l'invitation de Casa Africa, une institution de diplomatie publique espagnole, Bakary Sambe se dit " inquiet sur l'avenir de notre système éducatif " au moment où la crise scolaire est à son paroxysme. 

Pour le directeur de l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (Timbuktu Institute), " On va droit dans le mur si un sursaut ne venait pas à sauver notre école pleine de paradoxes et d'inégalités criantes. "  

Pour Bakary Sambe,  " le paradoxe sénégalais est que nous ambitionnons de construire un modèle de citoyenneté avec des outils de socialisation différents et parfois même conflictuels. Notre pays ne peut s'assurer d'une stabilité durable sans corriger les injustices inhérentes à son système éducatif surtout à l'égard de notre élite arabophone. Des efforts sont faits certes, mais la question de fond reste entière : la dualité de notre système éducatif est porteuse de germes de contestation politique sous couvert d'un militantisme du type religieux. " 
" Les régimes successifs se sont toujours contentés de se passer la chaude patate éducative qui risque de brûler, tôt ou tard, notre contrat social tant vanté partout. Noublions pas que Boko Haram est parti d'un problème éducatif ", préviendra Bakary Sambe. 

Selon le chercheur au Centre d'études des religions de l'UGB (UFR CRAC), " l'éducation est la priorité des priorités et il ne faudrait pas que notre pays rate le coche de l'émergence pour des erreurs d'arbitrage. J'avais dit, il y a quelques jours que le seul dialogue constructif qui vaille et qui est d'une extrême urgence est celui que le Président Macky Sall devrait avoir avec les enseignants et la famille éducative ", insistera t-il.

Entre les réformistes et les « gardiens » français de la Tradition islamique, le moins qu’on puisse dire est que l’atmosphère n’est pas tout-à-fait paisible. Mais paradoxal que cela puisse paraître, je trouve que c’est une bonne nouvelle. Les idées s’affrontent. Les certitudes tombent et l’avenir de l’audace intellectuelle dans le champ islamique français est prometteur.

Commençons par le commencement. Une aspiration à la réforme de l’islam pour être à la hauteur de la modernité occidentale ne date pas d’aujourd’hui. C’est au milieu du XIXe siècle que des leaders musulmans égyptiens, après un bref passage à Paris, ont commencé à se questionner sur la responsabilité de l’islam dans le retard du « monde musulman » par rapport à l’Occident. Parmi ces figures, nous pourrons citer Rifā’at Tahtāwī (m.1873), Djamal al-Dîn al-Afghânî (m.1897), Muhammad ‘Abduh (m.1905) ainsi que Rachid Rida (m.1935) qui, d’après les historiens de ce courant de l’islam qui prit le nom de harakat al-islah (mouvement pour la réforme), a été le trait d’union entre les idées progressistes de ses prédécesseurs et le courant hanbalo-wahhabite saoudien. Du côté algérien, des figures comme Ben Bâdîs (m.1940) et Malek Bennabi ont aussi contribué aux tentatives de réforme. Au début des années 1950, est née l’Union Culturelle Musulmane en Afrique Occidentale Française dans le but de réformer les pratiques de l’islam dans les régions ouest-africaines.

En Europe aussi des voix s’élèvent depuis des années. De la Réforme Radicale de Tariq Ramadan au Plaidoyer pour un islam apolitique de Mohamed Louizi en passant par L’islam sans soumission d’Abdennour Bidar, Rouvrir les portes de l’islam d’Omero Marongiu-Perria, L’islam sera spirituel ou ne sera plus d’Éric Geoffroy ou l’injonction de Mohamed Bejrafil à rentrer « au XXIe  siècle » dans son L’islam de France – L’an I, etc., les plumes parlent pour « rendre l’islam à la hauteur de la modernité intellectuelle. »

Mais ce n’est pas tâche facile. En face, les Gardiens du Temple se mobilisent pour la préservation de « la tradition » en puisant dans l’œuvre de leur maître à penser : René Guénon. Celui même qui, d’après l’un de ses adeptes, « aurait fait tomber les idoles de la modernité. » En France, deux figures incarnent aujourd’hui cette tendance : Sofiane Meziani et Slimane Rezki.

Dans de nombreuses productions écrite et audiovisuelle, ces derniers se sont attaqués à ceux qui, parmi leurs coreligionnaires, aspirent à la réforme de l’islam en allant, parfois, jusqu’à les traiter de « collabos. » Mot lourd de sens et porteur d’histoire !

Pour les voix de ce courant, l’islam est la manifestation de « la Tradition primordiale » dans ce cycle cosmique. Par conséquent, c’est à l’islam d’être un remède pour la modernité et non pas l’inverse (on se référera à Orient et Occident de René Guénon). Ainsi, pour eux, la démocratie, l’humanisme et les acquis des sciences humaines et sociales, ne sont que des vanités humaines qui ne méritent aucune attention (On se référera à La Crise du Monde Moderne et Au Règne de la Quantité de René Guénon).

Cependant, en dehors de dédouaner l’islam de toute responsabilité et de placer le croyant dans un confort intellectuel, où légendes et mythes se mélangent, je ne pense pas que cette façon de penser la religion et la modernité soit à la hauteur des défis actuels.

De l’autre côté, l’une des voix réformistes appelle, de manière provocante, à ‘‘euthanasier la tradition musulmane hégémonique’’. Sa pensée pourrait être résumée dans la citation suivante : « Et si Daesh avait raison lorsqu'il prétend appliquer de manière stricte les dispositions de la Charia, telles qu'elles ont été codifiées dans le droit musulman classique ? L’idée, affirmée de manière aussi abrupte, peut paraître assez saugrenue. C'est pourtant la conclusion à laquelle je suis parvenu au terme d'une recherche sur ses références doctrinales, en comparaison avec la vaste production du droit musulman. [1]» D’après lui, le malheur qui nous frappe quotidiennement, contrairement à ce que les musulmans affirment dans leur majorité, a bien quelque chose à voir, non pas avec le Coran, mais avec tout le corpus juridique qui porte une vision totalisante du monde. C’est ce qu’il appelle « le paradigme hégémonique » dont il nous invite à sortir en rompant avec la fidélité aux anciens.

La démarche est séduisante. Mais dire qu’il faut sortir du « paradigme hégémonique » ne suffit pas. Une fois euthanasier la Tradition, il faut proposer autre chose que le public qu’on est censé cibler pourrait bien accepter. Et ça, je pense que notre ami Omero Marongiu-Perria le reconnaîtra, c’est le travail de plusieurs générations. Et le temps presse.

Face à ces deux blocs radicalement opposés, une autre voie est possible. C’est celle que j’ai appelée « un islam retrouvé. » L’idée est très simple. Au lieu de jeter aux poubelles toute la « tradition hégémonique » ou de répéter aveuglement les dires de René Guénon, il s’agira de mettre au centre de nos actions  toute la spiritualité, l’amour et l’humanisme dont le Coran est porteur.

Comme je le dis dans un autre texte[2], «  En islam, l’homme est considéré comme le réceptacle du souffle divin. Le récit d’Adam est clair à ce sujet. Lorsque Dieu décida de créer le premier homme, il s’adressa aux anges : « Lorsque Je l’aurai façonné et que J’y aurai insufflé de Mon esprit, alors prosternez-vous devant lui ». « Ce verset, dira Tierno Bokar, maître spirituel d’Amadou Hampâté Bâ, implique que chaque descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’Esprit de Dieu. Comment donc oserions-nous mépriser un réceptacle qui contient une parcelle de l’Esprit de Dieu ? »

L’islam retrouvé est celui qui met l’amour de Dieu au centre de toutes nos actions. Or, rien n’est plus contradictoire que de prétendre à l’amour divin tout en méprisant un être qu’Il a Lui-même créé. Peu importe que cet être soit du règne animal, végétal, humain ou minéral. S’il fait partie du règne humain, importera peu qu’il partage avec nous la même foi ou non. Voilà ce que j’entends par « un islam retrouvé. » Une troisième voie qui pourrait apaiser les cœurs et tranquilliser les esprits.

 

[1] Omero Marongiu-Perria, Rouvrir les portes de l’islam, Atlande, 2017, p.15.

[2] Voir notre Moi, musulman, je n’ai pas à me justifier, Paris, Eyrolles, 2017.

Le Haut conseil Islamique du Mali (HCIM) a été créé en Janvier 2002 afin de servir d’interlocuteur censé assurer l’interface entre l’Etat et la population musulmane malienne. Cette instance est présidée par l’Imam Mahmoud Dicko depuis 2008. Il est originaire de la région de Tombouctou et se réclame du courant dit « sunnite » (comme s’auto-désignent en général les tenants de la mouvance wahhabite).

Il y a, en fait, un flou conceptuel délibérément entretenu dans cette appellation (sunnite) car la plupart des acteurs islamiques au Mali s’identifient au sunnisme sauf les partisans de Choula Haidara appartenant au chiisme très minoritaire dans le pays.

Mais cela relève d’une stratégie de mainmise et de monopole de ce qui serait l’islam « orthodoxe » considérant les autres courants de l’islam comme relevant d’innovations (bid’a) et pratiquant la religion avec des « impuretés » que la mouvance wahhabite se devrait d’assainir.

Le premier vice-président; Chérif Ousmane Madani Haidara, guide spirituel de l’association Ançar Dine (à différencier du mouvement djihadiste d’Iyad Ag Aly), se réclame de l’Islam Malékite, l’école théologico-juridique de l’écrasante majorité des maliens malgré l’emprise des salafistes wahhabites sur le Haut Conseil islamique..

Mahmoud Dicko engage le HCIM dans le débat politique dès 2009 en parvenant à bloquer la promulgation de la loi sur le code de la famille auquel il impose 49 modifications qui seraient adoptées en 2011[1].Cette immixtion dans les affaires politiques prend alors effet dans la crise malienne de 2012 où il y aurait joué le rôle de médiateur entre l’Etat et des mouvements islamistes commeAnçar Dine d’Iyad Ag Ghali. De telles interférences font partie des contradictions notées dans les rapports entre politique et religion au Mali malgré la laïcité proclamée de l’institution étatique.

Au sein de cette sphère religieuse hétérogène, on comptait déjà en 2012 plus de 146 associations et organisations islamiques au Mali[2]. Cette multiplicité des mouvances religieuses est diversement appréciée selon les acteurs. Elle est perçue comme une richesse par les uns qui y voient les signes d’un champ islamique dynamique tandis que d’autres l’appréhendent comme un danger notamment en ce qui est du regain de rivalités et de conflits qui opposent les différents courants

Lors d’une étude sur les femmes et l’extrémisme au Mali, une équipe Timbuktu Institute a pu se rendre à une université islamique de Bamako où une partie des entretiens semi-directifs a été réalisée.

Elle a été créée en 2012 dans le but de former des lauréats avec des qualifications et des compétences qui s’adaptent à l’évolution technologique malgré son orientation profondément religieuse et son inscription dans la doctrine salafiste de l’islam. Cette université relève d’une ONG dont les financements parviennent principalement des pays du Golfe persique. (L’université du Sahel compte à son sein 529 étudiantes et étudiants[3]. En 2014, le nombre d’étudiantes était de 34 selon le site web abamako, à défaut d’autres sources sur le fonctionnement de cette institution au centre de la stratégie dite de « ré-islamisation » de la société malienne)= A supprimer pour des raisons déontologiques.

Lors de la cérémonie de sortie de la 3ème promotion de cette université et à laquelle notre équipe a pu assister, nous avons eu l’occasion de feuilleter les mémoires de fin d’études (en arabe) de certains lauréats. Deux d’entre-eux ont particulièrement attiré notre attention: « l’application de la sharia: entre ignorance et négligence » et «  une étude appliquée sur le rôle de la musique comme facteur de délinquance des jeunes dans les clubs de jeunesse à Bamako ». Les idées défendues par de telles thèses sont bien proches des idées du courant dit “réformiste”, autre appellation euphémique du salafisme wahhabite dans la plupart des pays du Sahel.

Dans le centre de recherches et d’études africaines (MABDAA[4], Markaz al-Buhûthwa al-drâsâât al-ifrîqiyya) dont le siège se situe aussi à l’ONG al Farouk, et qui a été créé en 2013, nous nous sommes entretenusavec un haut responsable du centre. Celui-ci nous a expliqué qu’il cible les élites arabophones et francophonesafin qu’elles vienent fréquemment assister à leurs conférences. Il a également salué le leadership du président du HCIM et pense qu’il est « un acteur principal dans cette visibilité de la religion dans l’espace public ».

Des données importantes, révélées par l’étude préliminaire menée à l’époque au Mali, sont, aussi, à considérer afin de mieux saisir les principales contradictions qui traversent une société malienne en proie à la crise politico-sécuritaire et qui s’interroge sur l’avenir même des institutions. Ainsi, (84%) de la population féminine interrogée pensent que le système laïc doit être conservé au Mali contre (12%) qui estiment qu’il est très possible d’appliquer la sharia dans le pays.

Ces différentes opinions traduisent bien la volonté populaire d’une séparation entre les deux sphères politique et religieuse.

Mais une telle volonté n’a pu bénéficier d’un engagement politique pour une évolution positive de la situation des femmes dont les droits n’ont pas connu d’avancées depuis 2012. Est-ce dû à la trop forte pression électoraliste des mouvances religieuses depuis l’initiative Sabati 2012 lors des dernières présidentielles.

 

 

[1] Hubert Ledoux, « Que se passe t-il au conseil islamique ? », https://revuedepressecorens.wordpress.com/2012/10/29/que-ce-passe-t-il-au-haut-conseil-islamique-du-mali/, octobre 2012.

[2] Gilles Holder, Chérif Ousmane Madani Haidara et l’association islamique Ançar Dine, Éditions de l’EHESS « Cahiers d’études africaines »,N 206-207, 2012.

[3] Le nombre des étudiants figure sur le texte du discours prononcé par le recteur de l’université lors de la cérémonie de sortie de la 3ème promotion le 26 novembre 2016.

[4] - Mabdaa, signfie aussi « principe » en arabe littéral/

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