Côte d’Ivoire : la menace sécuritaire doit-elle faire oublier le front interne de la réconciliation ? Spécial

Source : Météo Sahel et Afrique de l'Ouest

By timbuktu Institute

 

En trois ans, la Côte d’Ivoire a perdu trois fortes personnalités au cœur de l’appareil d’État et qui étaient même pressenties pour jouer un rôle politique plus important. Ces circonstances ont créé, en apparence, une sorte de « cohésion » au sein de l’élite au pouvoir pour rendre hommage aux défunts même si le deuil n’a pas pu apaiser le climat politique tendu présageant d’un choc inévitable des ambitions. En effet, la sphère politique ivoirienne reste très divisée depuis la crise post-électorale de 2010. 

 

A cette situation, s'ajoutent la troisième candidature à l'époque très décriée de l’actuel Président à la dernière élection autant contestée par l’opposition ainsi que les procédures judiciaires visant un certain nombre d’opposants et leurs proches. A côté des défis politiques à relever pour une cohésion nationale, la dégradation de la situation sécuritaire dans au Sahel vient hanter le sommeil des populations et de l’État. 

 

Le déplacement du curseur djihadiste vers les pays du Golfe de Guinée constitue un enjeu sécuritaire de taille pour le Bénin, le Ghana, le Togo mais aussi pour la Côte d’Ivoire. Déjà touchée par la furie terroriste en 2016 avec l’attaque de Grand- Bassam, le pays semble prendre la pleine mesure de la menace même si quelques attaques sporadiques sont notées dans le Nord, frontalier du Burkina Faso, pays pont entre le Sahel et les pays côtiers où la situation sécuritaire s’est fortement dégradée en plus d’une crise politique. Cette pression de la menace des groupes armées en Côte d’Ivoire commence à attiser des tensions communautaires dans un pays où les questions identitaires sont extrêmement sensibles.

 

La récente étude du Timbuktu Institute dans la région du Bounkani révélait déjà les vulnérabilités des populations frontalières et la porosité des frontières à laquelle s'ajoutent les plaies encore béantes du conflit politique qui risque de s'aggraver davantage à l'approche de 2025. Pendant ce temps, les préoccupations sécuritaires semblent supplanter l'impératif de réconciliation nationale et de renforcement d'une cohésion sociale mise à rude épreuve par les querelles politiques et les velléités constamment instrumentalisées.

 

Pour se préparer à la riposte contre la menace terroriste de plus en plus en plus pressante, le pays s’est doté d’une “académie internationale de lutte contre le terrorisme” en plus des militaires déployés dans le nord et participe à des opérations transfrontalières de sécurisation accompagnées par des initiatives préventives. Il est vrai qu'un plan de résilience est aujourd’hui en oeuvre dans le Nord pour réduire la vulnérabilité des jeunes susceptibles de sombrer dans l'extrémisme violent. Mais l'on semble dans cette stratégie négliger la dimension préventive en mettant en avant l'approche sécuritaire qui n'a pas donné de résultats à la mesure des investissements dans le cas du sahel.

 

A l’instar d’autres pays côtiers, la Côte d’Ivoire serait en train de reproduire les erreurs du Sahel par cette focalisation sur la dimension militaire d’une crise multidimensionnelle alors qu’ils avaient le temps de la prévention par une approche holistique s’attaquent aux causes structurelles du terrorisme au-delà des « symptômes » d’un mal beaucoup plus profond. Pour Dr. Dr. Bakary Sambe, « les germes de futurs conflits intercommunautaires dont les effets seront de loin plus désastreux que la menace terroriste elle-même sont déjà visibles dans ces pays du littoral ouest-africain par le jeu des stigmatisations productrices de frustrations ; une aubaine pour les groupes extrémistes violents »

 

Cependant, le risque pour la côte d’Ivoire n’est pas que terroriste dans la partie septentrionale mais celui du réveil des vieux démons sociopolitiques dans un contexte d’usure entamée du régime actuel qui n’a pas pu réaliser la promesse de l’inclusion socioéconomique et surtout de la cohésion et de la réconciliation nationales.