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Par Dr. Bakary Sambe

Président, Timbuktu Institute - Centre africain d'études sur la paix

Fin avril 2025, Timbuktu Institute a publié un rapport intitulé « La menace du JNIM dans la zone des trois frontières du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal ». Cette publication scientifique, la première du genre et qui fait suite à plusieurs enquêtes de terrain menées dans l'est du Sénégal par les chercheurs de ce think tank de référence sur les questions de sécurité régionale, a suscité de nombreux débats sur les enjeux qu'elle soulève. La couverture médiatique du rapport s'était jusqu'à présent concentrée sur la vulnérabilité du Sénégal face à l'avancée des groupes terroristes en provenance de l'ouest du Mali. Dans cet article, le Dr Bakary Sambe, président de Timbuktu Institute, revient sur les facteurs de résilience qu'il suggère aux autorités sénégalaises et à leurs partenaires de renforcer dans un contexte régional volatile et plein de risques.

La région des trois frontières du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal est devenue un point névralgique stratégique pour le Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), un groupe terroriste qui cherche à étendre son influence au-delà du Mali. Bien que le Sénégal soit confronté à des vulnérabilités telles que des frontières poreuses, des défis socio-économiques et la propagation du salafisme, le pays possède des facteurs de résilience solides qui ont jusqu'à présent limité l'infiltration du JNIM. Il s'agit notamment d'une forte cohésion sociale, d'une modération religieuse largement répandue et de forces de sécurité compétentes. En renforçant ces atouts grâce à des politiques ciblées, le Sénégal peut consolider ses défenses contre l'expansion du JNIM, comme le souligne un récent rapport du Timbuktu Institute.

Les facteurs de résilience du Sénégal

  • La cohésion sociale comme bouclier culturel

Les diverses communautés ethniques et religieuses du Sénégal font preuve d'une cohésion sociale remarquable, qui constitue un rempart contre les tactiques de division du JNIM. Selon une enquête de l'Institut de Tombouctou réalisée en 2024, 75 % des habitants de la région de Kédougou attribuent la paix sociale du Sénégal à ses traditions culturelles, et seulement 13 % d'entre eux pensent que les tensions intercommunautaires pourraient pousser les individus à l'extrémisme violent. Les mariages mixtes et le respect mutuel entre des groupes tels que les Bassari, les Bédik et les Peul créent un bouclier culturel, reconnu par la désignation par l'UNESCO de certaines parties de Kédougou comme site du patrimoine mondial pour son modèle de coexistence pacifique. Contrairement au Mali et au Burkina Faso, où le JNIM a exploité les tensions entre les éleveurs et les groupes sédentaires, les relations intercommunautaires harmonieuses du Sénégal font qu'il est difficile pour le groupe de gagner du terrain.

 

  • Modération religieuse généralisée

L'adhésion du Sénégal aux enseignements islamiques modérés, en particulier ceux des confréries soufies, contrecarre l'idéologie salafiste radicale du JNIM. La majorité des Sénégalais, y compris ceux des régions frontalières comme Kédougou, Matam et Tambacounda, suivent des pratiques religieuses axées sur la communauté qui mettent l'accent sur l'amélioration de soi plutôt que sur des idéologies qui divisent. Seuls 4 % des habitants de ces régions connaissent quelqu'un qui partage les opinions extrémistes du JNIM, et les chefs religieux sont considérés comme des acteurs clés dans la prévention de la radicalisation, juste après le gouvernement. Bien que l'influence des soufis soit moins prononcée dans les zones frontalières orientales, l'absence de radicalisation généralisée et les efforts de collaboration des chefs religieux avec le gouvernement et les personnalités de la communauté renforcent la résilience.

 

  • Des forces de sécurité compétentes et professionnelles

Les forces de sécurité sénégalaises sont la pierre angulaire de la résilience du pays et se distinguent par leur professionnalisme, leur taille et leur expérience en matière de lutte contre l'insurrection. D'une taille comparable à celle des forces maliennes et nigériennes malgré une population et un territoire plus petits, elles bénéficient d'une formation spécialisée et d'une solide réputation de non-ingérence dans la vie politique. Leur expérience du conflit casamançais et des missions de maintien de la paix des Nations unies leur permet de contrer efficacement des menaces telles que le JNIM. Les relations positives entre civils et militaires renforcent encore leur efficacité, 55 % des habitants de la frontière orientale étant prêts à partager avec les forces de sécurité des informations sur les activités extrémistes. Des efforts récents, tels que l'établissement d'une base permanente à Goudiry et des patrouilles conjointes avec le Mali et la Mauritanie, témoignent d'un engagement proactif.

 

Stratégies de renforcement de la résilience

Pour contrer l'expansion du JNIM, le Sénégal doit s'appuyer sur ces facteurs de résilience grâce à des mesures stratégiques qui renforcent la sécurité, la sensibilisation des communautés et l'inclusion socio-économique. Le rapport du Timbuktu Institute propose plusieurs recommandations pour y parvenir :

  • Augmenter la présence sécuritaire dans les régions frontalières

Il est essentiel de renforcer la présence permanente des forces de sécurité le long de la Falémé et des principales routes transfrontalières, telles que celles près de Bakel et de Saraya. Si la base de Goudiry constitue un pas en avant, les opérations temporaires telles que Niokolo et Nawetan n'ont pas amélioré de manière significative la perception locale de la sécurité. Des bases permanentes permettraient le déploiement rapide d'unités spécialisées dans la lutte contre la contrebande et les économies illicites, qui sont les principales sources de financement du JNIM. Une présence accrue favoriserait également une meilleure collecte de renseignements grâce à des liens plus étroits avec les communautés locales, qui sont disposées à signaler les activités suspectes. Par exemple, les habitants de Guémédié se sont déclarés prêts à partager des informations sur des infiltrations potentielles, une opportunité que les forces de sécurité peuvent exploiter.

  • Renforcer la coopération transfrontalière

L'institutionnalisation de la coopération avec le Mali et la Mauritanie est essentielle pour perturber les réseaux transfrontaliers du JNIM. Le rapport met en évidence les bases logistiques du JNIM dans la région de Kayes au Mali et les points de passage non officiels le long de la Falémé, soulignant la nécessité de coordonner les efforts. Le Sénégal devrait développer les initiatives récentes, telles que les accords de coopération militaire de février 2025 avec le Mali et les patrouilles fluviales conjointes avec la Mauritanie, en créant des forces opérationnelles binationales et trinationales. Celles-ci devraient intégrer les capacités de l'armée, de la police et des services de renseignement afin de cibler les points d'approvisionnement et les réseaux de transport du JNIM. L'établissement de contacts et de processus désignés pour l'échange de renseignements permettra de réagir rapidement aux mouvements suspects, ce qui renforcera la sécurité de la région des trois frontières.

  • Mener des campagnes de sensibilisation avec les leaders communautaires

La sensibilisation à la menace du JNIM est cruciale, car un tiers des habitants de Kédougou, Matam et Tambacounda ne sont pas conscients de son impact potentiel, selon l'enquête de 2024 de Timbuktu Institute. Le gouvernement devrait s'associer aux chefs religieux, aux chefs traditionnels et aux autorités locales pour mener des campagnes mettant en évidence les tactiques violentes et l'intolérance du JNIM, en les opposant aux valeurs de tolérance et de cohésion du Sénégal. Dans les régions où l'influence des soufis est limitée, comme dans certaines parties de Kédougou et de Tambacounda, les chefs traditionnels et les acteurs réformistes peuvent jouer un rôle central. La formation de ces leaders aux stratégies de communication amplifiera la légitimité et la portée du gouvernement, favorisant une réponse collective de la communauté aux tentatives d'infiltration du JNIM.

  • Renforcer les programmes d'intégration socio-économique

Il est essentiel de s'attaquer aux vulnérabilités socio-économiques, en particulier au chômage et à la marginalisation, pour réduire l'attrait du JNIM. L'enquête du 2024 Timbuktu Institute identifie le chômage comme la principale raison (85%) pour laquelle des individus pourraient rejoindre des groupes extrémistes dans les régions frontalières. Le gouvernement devrait étendre des programmes tels que le PUMA et le PUDC afin d'améliorer l'infrastructure routière et de réduire l'isolement géographique à Kédougou et à Tambacounda. La formation professionnelle dans le domaine de l'agriculture durable et les programmes de microcrédit, tels que ceux de la Délégation générale à l'Entreprenariat Rapide (DER), peuvent permettre aux jeunes et aux femmes de s'émanciper, des groupes démographiques clés vulnérables au recrutement par le JNIM. En outre, la réglementation du secteur minier visant à garantir un accès équitable aux ressources permettra de répondre aux griefs formulés à l'encontre des entreprises étrangères, réduisant ainsi le risque de voir la JNIM exploiter le mécontentement local.

 

La résistance du Sénégal à l'expansion du JNIM repose sur sa forte cohésion sociale, sa modération religieuse et ses forces de sécurité professionnelles. En renforçant ces atouts par une présence sécuritaire accrue, une coopération transfrontalière renforcée, des campagnes de sensibilisation des communautés et des programmes d'intégration socio-économique, le Sénégal peut limiter davantage la capacité du JNIM à s'infiltrer sur son territoire. Ces mesures permettront non seulement de protéger la sécurité nationale, mais aussi de préserver le modèle d'harmonie culturelle et religieuse du pays, en veillant à ce que les tactiques de division du JNIM ne trouvent aucun point d'ancrage dans les régions frontalières du Sénégal.

 

 

Since the publication of the study ‘Menace du JNIM dans le zone de trois frontières du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal’ (Threat of JNIM in the tri-border area of Mali, Mauritania and Senegal), several people defending descent-based slavery or wishing to justify it on certain ‘cultural’ grounds have contacted us to ask that the part of the document referring to this practice from another era be removed from the document or put into perspective.

After these numerous unsuccessful attempts and pressures, the same people wanted to use the short interview given on Rfi in an unethical manner as so-called proof that the Gambana movement was linked to extremist movements, by trying to attribute such a thesis to this scientific report. This is both short-sighted and an attempt to combat and stigmatise, as in the recent past, a movement that courageously defends human dignity and human rights.

The Timbuktu Institute study in no way maintains that the Gambana movement is in any way linked to religious extremist movements, and we refute any allegations to that effect.

In order to continue to justify a practice as despicable as descent-based slavery, these feudal currents are seeking, through various manipulations of our report, to undermine the Timbuktu Institute and Gambana, whose credo it shares of guaranteeing human dignity and rejecting all practices that run counter to it.

After exchanges of clarification on the real content of the report with Gambana officials and supporters who fight daily for the noble cause of abolition, Timbuktu Institute also wishes to apologise for any misunderstanding that these anti-abolitionists and conservatives want to maintain and who seek to exploit our research aimed simply at exposing a practice that is reprehensible from every point of view and produces injustices and frustrations that are harmful to living together and social cohesion.

In order to raise awareness of this scourge, the Institute will be taking a closer interest in the issue of descent-based slavery through research and future scientific publications designed to alert decision-makers in the region and the international community to the danger posed by this practice and those who seek to justify or perpetuate it.

By Dr. Bakary Sambe

President, Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies

At the end of April 2025, Timbuktu Institute published a report entitled “The JNIM Threat in the three-border area of Mali, Mauritania and Senegal”. This scientific publication, the first of its kind and following a number of field surveys in eastern Senegal carried out by researchers from this leading think tank on regional security issues, raised a great deal of debate about the issues involved. Media coverage of the report had so far focused on Senegal's vulnerability to the advance of terrorist groups from western Mali. In this article, Dr. Bakary Sambe, President of the Timbuktu Institute, looks back at the resilience factors he suggests Senegalese authorities and their partners strengthen in a volatile regional context full of risks.

The tri-border region of Mali, Mauritania, and Senegal has emerged as a strategic hotspot for Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), a terrorist group seeking to expand its influence beyond Mali. While Senegal faces vulnerabilities such as porous borders, socio-economic challenges, and the spread of Salafism, the country possesses robust resilience factors that have so far limited JNIM’s infiltration. These include strong social cohesion, widespread religious moderation, and competent security forces. By reinforcing these strengths through targeted policies, Senegal can further fortify its defenses against JNIM’s expansion, as outlined in a recent Timbuktu Institute report.

Senegal’s Resilience Factors

  • Social Cohesion as a Cultural Shield
    Senegal’s diverse ethnic and religious communities exhibit remarkable social cohesion, which acts as a bulwark against JNIM’s divisive tactics. According to a 2024 Timbuktu Institute survey, 75% of residents in the Kédougou region attribute Senegal’s social peace to its cultural traditions, with only 13% believing inter-community tensions could drive individuals toward violent extremism. Mixed marriages and mutual respect among groups like the Bassari, Bédik, and Peul create a cultural shield, recognized by UNESCO’s designation of parts of Kédougou as a World Heritage Site for its model of peaceful coexistence. Unlike in Mali and Burkina Faso, where JNIM has exploited tensions between herders and sedentary groups, Senegal’s harmonious inter-community relations make it difficult for the group to gain traction. 
  • Widespread Religious Moderation
    Senegal’s adherence to moderate Islamic teachings, particularly those of Sufi brotherhoods, counters JNIM’s radical Salafist ideology. The majority of Senegalese, including those in border regions like Kédougou, Matam, and Tambacounda, follow community-focused religious practices that emphasize self-improvement over divisive ideologies. Only 4% of residents in these regions know someone who shares JNIM’s extremist views, and religious leaders are seen as key actors in preventing radicalization, second only to the government. While Sufi influence is less pronounced in eastern border areas, the absence of widespread radicalization and the collaborative efforts of religious leaders with government and community figures bolster resilience.
  • Competent and Professional Security Forces
    Senegal’s security forces are a cornerstone of its resilience, distinguished by their professionalism, size, and counterinsurgency experience. Comparable in scale to Mali and Niger’s forces despite Senegal’s smaller population and territory, they benefit from specialized training and a strong reputation for non-interference in politics. Their experience in the Casamance conflict and UN peacekeeping missions equips them to counter threats like JNIM effectively. Positive civil-military relations further enhance their effectiveness, with 55% of eastern border residents willing to share information about extremist activities with security forces. Recent efforts, such as the establishment of a permanent base in Goudiry and joint patrols with Mali and Mauritania, demonstrate proactive engagement.

Strategies to Reinforce Resilience

To counter JNIM’s expansion, Senegal must build on these resilience factors through strategic measures that enhance security, community awareness, and socio-economic inclusion. The Timbuktu Institute report offers several recommendations to achieve this: 

  • Increase Security Presence in Border Regions
    Strengthening the permanent presence of security forces along the Falémé River and key cross-border routes, such as those near Bakel and Saraya, is critical. While the Goudiry base is a step forward, temporary operations like Niokolo and Nawetan have not significantly improved local perceptions of security. Permanent bases would enable rapid deployment of specialized units to combat smuggling and illicit economies, which are JNIM’s primary funding sources. Enhanced presence would also foster better intelligence-gathering through stronger ties with local communities, who are willing to report suspicious activities. For instance, residents in Guémédié have expressed readiness to share information about potential infiltrations, an opportunity security forces can leverage. 
  • Strengthen Cross-Border Cooperation
    Institutionalizing cooperation with Mali and Mauritania is essential to disrupt JNIM’s cross-border networks. The report highlights JNIM’s logistical bases in Mali’s Kayes region and unofficial crossings along the Falémé River, underscoring the need for coordinated efforts. Senegal should expand on recent initiatives, such as the February 2025 military cooperation agreements with Mali and joint river patrols with Mauritania, by creating binational and trinational task forces. These should integrate army, police, and intelligence capabilities to target JNIM’s supply points and transport networks. Establishing designated intelligence-sharing contacts and processes will ensure timely responses to suspicious movements, enhancing the tri-border region’s security. 
  • Conduct Awareness Campaigns with Community Leaders
    Raising awareness about JNIM’s threat is crucial, as a third of residents in Kédougou, Matam, and Tambacounda are unaware of its potential impact, per the 2024 Timbuktu Institute survey. The government should partner with religious leaders, traditional chiefs, and local authorities to conduct campaigns that highlight JNIM’s violent tactics and intolerance, contrasting them with Senegal’s values of tolerance and cohesion. In areas where Sufi influence is limited, such as parts of Kédougou and Tambacounda, traditional chiefs and reformist actors can play a pivotal role. Training these leaders in communication strategies will amplify the government’s legitimacy and reach, fostering a collective community response to JNIM’s infiltration attempts.
  • Strengthen Socio-Economic Integration Programs
    Addressing socio-economic vulnerabilities, particularly unemployment and marginalization, is vital to reducing JNIM’s appeal. The 2024 Timbuktu Institute survey identifies unemployment as the primary reason (85%) why individuals might join extremist groups in border regions. The government should expand programs like PUMA and PUDC to improve road infrastructure, reducing geographical isolation in Kédougou and Tambacounda. Vocational training in sustainable agriculture and micro-credit programs, such as those under the Delegation générale à l’Entreprenariat Rapide (DER), can empower youth and women, key demographics vulnerable to JNIM’s recruitment. Additionally, regulating the mining sector to ensure equitable access to resources will address grievances against foreign companies, reducing the risk of JNIM exploiting local discontent.

 Senegal’s resilience against JNIM’s expansion rests on its strong social cohesion, religious moderation, and professional security forces. By reinforcing these strengths through increased security presence, enhanced cross-border cooperation, community awareness campaigns, and socio-economic integration programs, Senegal can further limit JNIM’s ability to infiltrate its territory. These measures will not only protect national security but also preserve the country’s model of cultural and religious harmony, ensuring that JNIM’s divisive tactics find no foothold in Senegal’s border regions.

 

 

 Timbuktu Institute – Janvier 2025

 

Dans la récente étude menée par le Timbuktu Institute sur les perceptions locales des coopérations sécuritaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest et qui a couvert la Côte d’Ivoire, le Niger, le Sénégal et le Togo, une place importante a été accordée à la place des réseaux sociaux et de la guerre de l’information dans la « fabrique » des opinion publiques et des perceptions tenaces. Il est vrai que la reconfiguration de l’échiquier géopolitique mondial est désormais palpable. Dans ce contexte d’un nouveau « grand jeu », l’Afrique occupe une place importante. Ses problématiques sociales, politiques, économiques et sécuritaires sont manifestement au cœur d’enjeux globaux, amenant ainsi les grandes puissances à jouer des coudes, pour se positionner. Ainsi, le continent où les réseaux connaissent une percée fulgurante, devient un haut lieu de la guerre informationnelle, en l’occurrence dans le cadre de la coopération sécuritaire. Pour tenter de saisir ce qui s’y joue en ce sens, il est possible d’orienter la réflexion vers deux paramètres principaux. D’une part, par l’analyse des réseaux sociaux comme nouveaux moyens d’informations et d’influence sur la compréhension de l’actualité, puis en examinant les réseaux sociaux entre le marteau des signaux d’une guerre informationnelle et l’enclume d’acteurs favorisant la désinformation, d’autre part.

 

L’Afrique est devenue la cible de manœuvres propagandistes de la part d’individus et/ou de groupes divers qui s’inscrivent dans une quête accrue d’influence et d’intérêts géostratégiques. Les questions politiques et sécuritaires, déjà sensibles et préoccupantes, se trouvent en première ligne des manipulations désinformationnelles. Cette guerre des réseaux sociaux, jadis plus connue comme une tactique des armées, est devenue globale avec l’hyper-connectivité, et déplace le champ de bataille en transposant ainsi les conflits physiques dans l’espace virtuel. De plus, le schéma des confrontations ayant muté, plusieurs territoires se retrouvent au milieu de guerres dont elles ne sont ni la cause principale, ni un grand privilège. En effet, de plus en plus, les guerres classiques où deux antagonistes s’opposent directement, laissent le champ à des conflits à distance ou par « procuration ». Ce qui explique que certains conflits qui ont refait surface, notamment entre la Russie et l’Ukraine, ont eu des contrecoups ailleurs comme en Afrique.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, la communication a été libéralisée. La profusion des médias de diffusion et d’influenceurs entraîne une surexposition croissante à l’information, qu’elle soit professionnelle, publicitaire ou liée à l’actualité. Aujourd’hui, cette information s’échange, se relaie de manière informelle, permanente, intangible entre individus selon des flux complexes, sans traçabilité claire, sans émetteur centralisé. Le Sahel, de plus en plus instable sur les plans politique et sécuritaire, est vulnérable à ce phénomène que les frontières terrestres n’arrêtent guère. De nouveaux enjeux géostratégiques favorisés par le changement de régimes dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest et leurs désirs de rompre avec d’anciens partenaires internationaux, ont exacerbé les conflits d’intérêts et les luttes d’influences sur les réseaux sociaux et internet par les campagnes dites de désinformation.  Ainsi, peut se poser la question de savoir si les réseaux sociaux ne sont pas devenus une entrave aux actions des partenaires extérieurs.

Informer et fabriquer l’opinion : la place des réseaux sociaux

A la question « Par quels moyens vous informez-vous habituellement ? », 73% des personnes interrogées optent pour les réseaux sociaux (graphique 27). Les canaux classiques d’information (télévision, radio, presse) sont rudement concurrencés, voire supplantés par les réseaux sociaux. D’ailleurs, comme le souligne un ancien président de la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal, c’était par les médias traditionnels que nous informions les populations sur les questions sécuritaires. Depuis, tout a changé. Les réseaux sociaux sont désormais considérés comme le moyen d’information alternatif pour « échapper à la propagande d’État et des puissances dominantes » et à la restriction de la liberté d’information et d’opinion. L’ère des technologies de l’information et de la communication consacre non seulement une démocratisation de l’accès à l’information, mais aussi consolide les acquis en matière de liberté d’expression. C’est dans ce sillage que dans tous les pays de la zone à l’étude, les répondants sont majoritaires à affirmer de manière quasi harmonieuse que lesdits réseaux consolident la liberté d’expression  et l’éveil des consciences.

On assiste ainsi à une ère d’hyper-connectivité qui nécessite de gagner la bataille de l’information virtuelle pour pleinement peser dans ce nouveau marché de l’information. D’ailleurs, une écrasante majorité des répondants soutiennent que les réseaux sociaux influencent leur compréhension de l’actualité. Toutefois, il semble se dégager une prise de conscience quant à la prudence que requiert l’information relayée sur les réseaux sociaux en termes d’influence sur cette compréhension de l’actualité, si l’on s’en tient au pourcentage pensant le contraire. (graphique 29).

Aujourd’hui, avec l’avènement des réseaux sociaux, il y a beaucoup de désinformation, voire une guerre de positionnement pour promouvoir telle puissance étrangère ou telle autre. Dans ce sillage, un des membres actifs de la société civile interrogé au Sénégal confirme qu’il est possible « qu’on nous montre des vidéos où des photos disant que les partenaires étrangers sont en train de piller nos ressources, mais après vérification avec le fact-checking, on se rend compte après que c’est une fausse information ». Malgré cette prise de conscience des acteurs, les populations sénégalaises sont les plus enclines à être influencées par les réseaux sociaux par rapport à leur compréhension de l’actualité (41% de oui), comparé au reste de la zone à l’étude. La Côte d’Ivoire semble mieux saisir la nécessité de discernement entre moyen d’information et influence sur la compréhension de l’actualité politique. Curieusement, le Niger arrive en seconde position, derrière la Côte d'Ivoire (graphique 30).

Les populations sénégalaises sont les plus enclines à être influencées par les réseaux sociaux par rapport à leur compréhension de l’actualité (41% de oui), comparé au reste de la zone à l’étude. La Côte d’Ivoire semble mieux saisir la nécessité de discernement entre moyen d’information et influence sur la compréhension de l’actualité politique. Curieusement, le Niger arrive en seconde position, derrière la Côte d'Ivoire (graphique 30).

 

Les réseaux sociaux, hauts lieux de la guerre informationnelle et la désinformation

A la question « Avez-vous ressenti sur les réseaux sociaux les effets ou signaux d’une guerre d'information entre les partenaires étrangers dans votre pays ? », l’écrasante majorité (87%) a répondu par la négative. C’est seulement 13% des personnes interrogées qui ont affirmé avoir fait ce constat dans leurs pays respectifs. Comme le montre le graphique (graphique 31), il y a un énorme besoin de sensibilisation sur les enjeux de la désinformation qui ne semblent pas être saisis par les jeunes dans ces différents pays. Les tendances pays sont quasi identiques en termes de pourcentage qui avoisinent ou arrivent au seuil de 90% de non (graphique 32).

 

Les mêmes réponses sont relevées lors des entretiens individuels. A titre d’exemple, un Directeur exécutif d’un réseau de jeunes de la société civile en Côte d’ivoire affirme dans ce même sillage :  “Entre les puissances étrangères pas forcément (...). Ce que j’ai plutôt remarqué, ce sont des sujets très enflammés entre internautes au sujet de la guerre en Ukraine entre les pro-occidentaux et les pro-russes avec aussi le sujet des relations difficiles entre le Mali et la France par extension entre la Côte d’Ivoire et le Mali au sujet des 49 soldats ivoiriens. Ces sujets ont fait l’objet de ce qu’on pourrait qualifier de « guerre informationnelle » pas entre puissances étrangères mais entre internautes. Pendant ce temps, un acteur religieux, non moins étudiant en fin d’étude, d’attirer l’attention sur l’existence de la bataille informationnelle. Ainsi, soutient-il : « La guerre informationnelle est présente. Avec la présence des mercenaires de Wagner qui menacent la France dans son pré carré, chaque camp essaie de mener sa guerre informationnelle pour contrer l’hégémonie de l'autre. » Pour ce qui est du Togo, les mêmes tendances lourdes se dégagent, certains acteurs confirment l’inexistence de la guerre informationnelle, tout en soulignant l’influence d’autres pays : « Ça  ne  concerne  pas  notre  pays, c'est  surtout le  Mali  et  le  Burkina Faso ».

La guerre de l’information, plus précisément la désinformation, impacte la perception de l’action des partenaires extérieurs en matière de lutte contre le terrorisme. En effet, on note, de plus en plus, la circulation de messages mettant en cause la sincérité de la France dans la lutte contre le terrorisme. Dans l’opinion publique et surtout à travers les réseaux sociaux, il est, ouvertement défendu que la France soutient, par moment, des terroristes pour justifier d’une présence militaire lui donnant la possibilité d’exploiter illégalement les ressources des zones en crise. Ce qui, dans les perceptions, justifierait les résultats mitigés de son action et légitimerait la volonté de certains pays, comme le Mali et le Burkina Faso, de se libérer des accords de défense signés avec ce pays. Des thèses qui restent favorables à l’influence de la Russie de pousser ses pions dans ce qui était jusque-là considéré comme le pré-carré français. De même, une affirmation assez révélatrice d’un climat délétère a été relevée au Niger où un acteur de la société civile s’est fendu d’un commentaire : « Par la désinformation on arrive souvent à accuser les partenaires occidentaux de fournir des armes et de la logistique aux terroristes ». Ces différentes tendances montrent que certaines informations ternissant l’image de partenaires extérieurs classiques tendent à devenir virales et méritent une attention particulière.

Pour toutes ces raisons, la question relative aux acteurs de la désinformation sur les plateformes virtuelles en Afrique de l’Ouest et au Sahel a été prise en charge dans le cadre de l’enquête. Les réponses placent les médias et les « influenceurs » en tête parmi les principaux vecteurs. Les médias en seraient les principaux responsables (47%), suivis de très près des influenceurs (44%) et de loin des activistes (28%). Ici, l'influenceur est perçu comme une personne qui utilise les réseaux sociaux, les blogs, les vidéos et autres moyens de communication sur le web pour diffuser ses opinions auprès des internautes et qui est capable d'influencer ces derniers en modifiant leurs modes de consommation, alors que l’activiste désigne une personne qui s'attache à une cause politique, économique, environnementale ou sociale et qui milite intensément pour la défendre à travers la publication sur les réseaux sociaux des opinions en vue de parvenir au changement économique, politique, environnemental ou social souhaité au sein de la société[1]. Les gouvernements, groupes extrémistes violents et seulement en dernière position les partenaires étrangers, jouent également le rôle d’acteurs dans la désinformation qui monte au crescendo (graphique 33).

Ce résultat montre que la désinformation résulterait d’une chaîne dont chacun des maillons précités joue un rôle. Autrement dit, la responsabilité est partagée entre acteurs locaux non institutionnels, pouvoirs publics et partenaires extérieurs. Toujours par rapport à la même question, chaque pays cite principalement un acteur. Pendant que les Sénégalais pointent du doigt les médias en tant qu’acteurs principaux de la désinformation (48%), au Togo on pense qu’il s’agit plutôt des « influenceurs » (37%), pendant qu’en Côte d’ivoire on indexe plus les « activistes » (36%). Le Niger, se distingue là encore du reste de la zone d’étude où les répondants pointent du doigt les partenaires étrangers (10%)

En somme, l’utilisation des réseaux sociaux n’est pas sans défis. Même si on ne peut nier ses avantages en termes de démocratisation de l’accès aux informations, nombre de risques sont liés aux différents usages des réseaux sociaux qui font d’ailleurs l’objet de politique de régulation. Déjà en 2019, un communiqué de Facebook déclarait avoir supprimé des centaines de comptes, de pages, d’événements et de groupes de son réseau social et d’Instagram pour motif de diffusion de fausses informations politiques. Le Sénégal, la Tunisie, l’Angola, le Niger et le Togo ont été parmi les cibles de cette opération. L’étude s’est déroulée dans un contexte où on parlait d’un sentiment anti-français qui se serait développé, notamment au Mali où des relations diplomatiques ont été rompues et de plus en plus au Niger où des drapeaux tricolores ont été brûlés. Chez l’un, le retrait des forces armées françaises est effectif et chez l’autre, l’exigence de ce retrait était déjà l’une des principales doléances de la société civile.

 

 

Cet article est une version reprise et adaptée de certaines conclusions du rapport intitulé « Sahel - Afrique de l'Ouest : Les coopérations sécuritaires et de développement à l’épreuve des perceptions locales », publié par le Timbuktu Institute, le 16 janvier 2025.

 

 

 

 

Timbuktu Institute - January 2025

 

As Dr. Bakary Sambe, Regional Director of the Timbuktu Institute,often reminds us, “since misinformation is a structural problem, it logically requires equally structural responses that take into account local specificities to avoid cultural bias in the development of solutions”. So, while it's important to combat misinformation in its current manifestations, it's also essential to find solutions to the root causes of the scourge. As part of its efforts to promote local solutions and approaches to combating misinformation, the Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies continues to give a voice to local players and civil society organizations, with the aim of encouraging the emergence of local, endogenous initiatives to combat this phenomenon. This week, the Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies spoke to journalist and founding member of the Chad Bloggers Association, Emmanuel Deuh'b, who believes that media education must be integrated as a priority from the earliest stages of the school curriculum.

 

What are the main vectors of misinformation in Chad, particularly in the context of the security crisis?

In 2019, around 5% of Chadians were connected to social networks. Today in 2024, this rate has increased significantly because, among other things, the price of the internet connection has dropped considerably. And when the number of Internet users increases, it goes without saying that the abuses associated with Internet use are also likely to increase. In recent years, there's been a lot of information clutter. When we talk about misinformation, we're talking about disinformation proper, i.e. information manipulated to mislead people. There's also misinformation, which has the same purpose, but refers more to when information is based on fact, but is deliberately exaggerated by its disseminator. Then there's misinformation, which this time consists of sharing false information, but without knowing it, i.e. without necessarily intending to deceive. This latter form is the most prevalent in Chad, because most people who share false information do so unknowingly, since the general public is not very familiar with the subject of misinformation. Having said that, there aren't many people who intentionally fabricate false information, because we're still an embryonic country in digital terms. On the other hand, until recently, Chad was the only country in the Sahel with a particularly strong French military presence. Over the past few years, this situation has created an information war between France and Russia, resulting in the circulation of a considerable amount of false information.

What role do local media, community leaders and state authorities play in combating misinformation?

I think they play a lesser role. The reality is that there aren't many players involved in the fight against misinformation in Chad - I may be one of the pioneers. However, organizations like the digital hub Wenaklabs have put strategies in place to combat misinformation. Apart from that, few entities exist in this area. It has to be said that local authorities are not really involved in the fight against misinformation. There's ANCISE (Agence Nationale de Sécurité Informatique et de la Certification Électronique), a kind of digital police force that exists with laws and texts, but their applicability remains unclear, not to mention the fact that it doesn't really invest in campaigns to combat disinformation. That's why I'm personally trying to approach certain officials and authorities, with the aim of convincing them of the need to take action as state regulators in this fight. As it happens, however, they don't have the resources to implement their policies, which makes it difficult to put these ideas into practice. As far as I'm concerned, since there's a real lack of resources, I'm in the process of setting up a structure that will make it easier to understand the issues surrounding disinformation.

How does misinformation impact on security crisis management and social cohesion, particularly in vulnerable areas?

An example from two years ago, during the events of October 20, 2022, when anti-government demonstrations were harshly repressed, is particularly telling. During this period, there was a lot of false information circulating about the fact that in Chad, there is an old feud between the Muslim-majority North and the Christian-majority South, which has its roots in the Chadian civil war (1965-1979). In the process, ill-intentioned people took advantage of the troubled situation to rekindle the flame of war, claiming that people in the South were massacring Muslims, when in fact these were images from the Central African Republic. During this period, with the Chad bloggers' association, we were in the middle of a training session, which was a godsend for quickly re-establishing the truth. Similarly, during the previous presidential election, a lot of fake news circulated, but we tried to mitigate its impact in real time.

What local solutions could be put in place to effectively combat misinformation?

The first step is to focus on media education, starting in primary school. A lot of training is given to young people and students, but we tend to forget about teachers. Teachers are essential, as they are in direct daily contact with pupils. This all-encompassing approach will help raise awareness and combat the problem at grassroots level. In addition, we need to make the authorities aware of the importance of combating misinformation, which is a global phenomenon with harmful consequences for democracy. As the primary actors in democratic health, governments should be taking this fight seriously, but unfortunately they are not. What's needed, therefore, is effective awareness-raising among the relevant authorities, so that they invest, finance and take up the fight against disinformation head-on. Finally, journalists also need media education. In 2024, I trained hundreds of journalists on misinformation, but I don't think that's enough, because they still need effective and appropriate tools.

 

Interview by Kensio Akpo, Media Team, Strategic Watch, Timbuktu Institute

 

Timbuktu Institute – Janvier 2025

 

Comme le rappelle souvent Dr. Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, « la désinformation étant une problématique structurelle, elle exige en toute logique des réponses tout aussi structurelles prenant en compte les spécificités locales pour éviter des biais culturels dans l’élaboration des solutions ». Ainsi, tout en la combattant dans ses manifestations actuelles, il est essentiel d’y apporter également des solutions aux racines du fléau. Dans le cadre de son action de promotion des solutions et approches locales de lutte contre la désinformation, Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies continue de donner la parole aux acteurs locaux et organisations de la société civile dans le but de faire émerger des initiatives locales et endogènes contre ce phénomène. C’est dans ce cadre que le Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies s’est entretenu, cette semaine, avec le journaliste et membre fondateur de l'Association des blogueurs du Tchad, Emmanuel Deuh’b, qui estime que l’éducation aux médias doit être intégrée comme une priorité dès les premières étapes du cursus scolaire.

 

Quels sont les principaux vecteurs de désinformation au Tchad, notamment dans le contexte de la crise sécuritaire ?

En 2019, nous étions environ 5% de Tchadiens connectés sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui en 2024, ce taux a augmenté de manière significative parce qu’entre autres, le prix de la connexion internet a considérablement diminué. Et lorsque le nombre d’internautes augmente, il va de soi que les dérives liées à l’utilisation d’internet sont aussi portées connaître une augmentation. Ces dernières années, il y a eu beaucoup de désordre informationnel. Lorsqu’on parle de désinformation, il y a la désinformation proprement dite, c’est-à-dire l’information manipulée dans le but de tromper les gens. Il y aussi la mal-information qui a le même but, mais qui fait plus référence à lorsqu’une information se repose un fait, mais est volontairement exagérée par son diffuseur. Ensuite, la mésinformation qui consiste cette fois-ci à partager de fausses informations, mais sans le savoir c’est-à-dire sans avoir nécessairement l’intention de tromper. Cette dernière forme est la plus présente au Tchad parce que la plupart des gens qui partagent de fausses informations le font sans le savoir parce que les populations n’ont pas de manière générale une connaissance assez poussée de la thématique de la thématique de la désinformation. Cela dit, les personnes qui fabriquent intentionnellement des fausses informations ne sont pas nombreuses car nous sommes par ailleurs, un pays encore embryonnaire sur le plan digital. D’un autre côté, le Tchad, en tout jusqu’à récemment, est resté le seul pays du Sahel où la présence militaire française est restée particulièrement affirmée. Cette situation a créé depuis quelques années, une guerre informationnelle entre la France et la Russie, occasionnant ainsi dans ce cadre, une circulation non-négligeable de nombreuses fausses informations.

Quels rôles jouent les médias locaux, les leaders communautaires et les autorités étatiques dans la lutte contre la désinformation ?

J’estime que ce rôle est moindre. La réalité est qu’il n’existe pas beaucoup d’acteurs engagés dans la lutte contre la désinformation au Tchad, j’en suis peut-être l’un des pionniers. Toutefois, des organisations comme le Hub digital Wenaklabs a mis des stratégies en place pour lutter contre la désinformation. En dehors de cela, peu d’entités existent à ce propos. Il faut dire que les autorités locales ne se sont pas vraiment impliquées dans la lutte contre la désinformation. Il y a l'ANCISE (l'Agence Nationale de Sécurité Informatique et de la Certification Électronique), une sorte de police numérique qui existe avec des lois et textes mais leur applicabilité demeure floue, en plus du fait qu’elle ne s’investit pas réellement dans des campagnes de lutte contre la désinformation. C’est pour cela j’essaie, à titre personnel, de me rapprocher de certains responsables et autorités, dans le but de les convaincre de la nécessité d’initier des actions en tant que régulateurs étatiques dans cette lutte. Seulement, il se trouve qu’ils ne disposent pas de moyens pour leurs politiques, ce qui fait que les velléités à ce sujet ont du mal à être matérialisées. Pour ma part, vu qu’il y a un réel manque, je suis en train de chercher à mettre sur pied une structure qui permettra de vulgariser davantage la thématique et les enjeux de la désinformation.

Comment la désinformation impacte-t-elle la gestion de la crise sécuritaire et la cohésion sociale, en particulier dans les zones vulnérables ?

Un exemple survenu il y a deux ans, pendant les événements du 20 octobre 2022 où des manifestations contre le pouvoir ont été durement réprimées, est particulièrement parlant. En effet, durant cette période, il y avait eu beaucoup de fausses informations qui circulaient sur le fait qu’au Tchad, il existe une vieille querelle entre le Nord à majorité musulmane et le Sud à majorité chrétienne, qui prend ses sources dans la guerre civile tchadienne (1965-1979). Ce faisant, des personnes mal intentionnées ont profité de la situation de trouble pour rallumer cette flamme belliqueuse, prétendant qu’au Sud, des gens massacreraient des musulmans alors que c’était des images provenant de la Centrafrique. Pendant cette période, avec l’association de blogueurs du Tchad, nous étions en pleine session de formation, ce qui a été une aubaine pour rapidement rétablir la vérité. De même, lors de la précédente présidentielle, nombre de fake news ont circulé, mais nous avions essayé d’atténuer en temps réel, leur portée.

Quelles approches de solutions locales pourraient être mises en place pour lutter efficacement contre la désinformation ?

Il faut commencer par mettre l’accent sur l’éducation aux médias, dès les classes de primaires. Beaucoup de formations sont effectuées à l’endroit des jeunes et étudiants, mais l’on a tendance à oublier la catégorie des enseignants. Ces derniers sont essentiels dans la mesure où ils sont au contact direct et quotidien des élèves. Cette approche globale permettra une sensibilisation et une lutte à la base. En outre, il faut faire prendre conscience aux autorités de l’importance de la lutte contre la désinformation parce que celle-ci est un phénomène mondial qui a des conséquences nuisibles sur la démocratie. En tant que premiers acteurs de la santé démocratique, les États qui devraient prendre cette lutte au sérieux, ne le font malheureusement pas. Il faut donc une sensibilisation efficace à l’égard des  autorités compétentes pour qu’elles s’investissent, financent et prennent à bras le corps, la lutte contre la désinformation. Pour finir, les journalistes ont aussi besoin de cette éducation aux médias. En 2024, j’ai formé des centaines de journalistes sur la désinformation mais j’estime que cela n’est pas suffisant parce qu’ils ont encore besoin d’outils efficaces et appropriés.

 

Interview réalisée par Kensio Akpo, Équipe média, Veille stratégique, Timbuktu Institute

 

 

Timbuktu Institute - November 2024

 

The Nigerian army, through its Chief of Staff, General Oluyede, has declared that it is facing a new armed movement called Lukurawa. The movement, which has its roots in the north-west of the country and is described as “highly equipped”, has already carried out incursions into the states of Sokoto and Kebbi, bordering neighboring Niger. In fact, as part of the strategy to combat this group, the Army Chief of Staff this week visited the localities of Illela and Tangaza, border towns with Niger, from which the new group has been operating for some time.

The Lukurawa group is described as a terrorist organization that reported in the local governments of Gudu and Tangaza in Sokoto from across the border in the Republic of Niger around October 2018, with around 200 jihadists. With, for the time being total vagueness over the leadership of the movement, they are believed to be affiliated to Al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM) although there is no explicit claim. After much cross-checking, the Lukurawa group's name is probably a Hausa adaptation of the French word for “recruits”, according to some north-westerners.

 Ideological background?

According to the perception of Muslim communities in northern Nigeria, Lukurawa adheres to extremist ideologies akin to the “Khawârij”, expressing the idea of dissidence from the politico-religious order. Ideologically, this perception refers to the revolts and dissidences following the battle of Siffîn (657 AD), when a sort of “third way” emerged, giving rise to a sect that subsequently claimed to be neither mainstream Sunnism nor Shi'ism. Care should be taken with this “Khawârij” label, which is also sometimes subjectively applied to any movement opposing the dominant political order in various countries.

Indeed, six years ago, the inhabitants of certain regions of Sokoto State raised concerns about the suspicious activities of a group of herdsmen from Mali and Niger, who were operating in the surrounding forests. Lakurawa is said to be affiliated with jihadists in the Sahel, with some media reporting a link between the group and the Islamic State (Daesh), and some analysts suggesting, without evidence, ramifications as far afield as Mali.

Recruitment and anchoring strategy

A persistent controversy has arisen over the possibilities of anchoring or even connivance between Lukurawa's elements and local populations, in a context of suspicion over the role of local governments and certain communities in the North-West. Testimonies point to the systematic use of local languages in preaching. In addition, the group is beginning to impose rules and taxes on the communities under their influence, under the pretext of providing protection services to these populations in the fight against other armed or terrorist groups operating in the territory. The first elements of Lakurawa identified by sources numbered less than 50 members.

The group currently numbers between 200 and 300 members, men aged between 18 and 35 from Mali, Chad, Libya, Niger and Burkina Faso. The group has also launched a local recruitment process among young people in the Sokoto region, using financial incentives of up to 1 million Naira to attract them, in addition to ideological influence.

First assaults reported

On November 8, 2024, Lukurawa launched its first assault in Kebbi state, north-west Nigeria, in the Augie government zone, against civilian populations in an attempt to seize their cattle. The population seems to have resisted, leading to clashes in which several people were killed. These clashes between Lukurawa and members of the local community resulted in at least 15 deaths, with casualties among the ranks of the jihadist entity.

Sign of the failure of the fight against terrorist groups?

The emergence and development of this new group highlights the deficits in security management in Nigeria, as well as the responses of government and partners in the fight against violent extremism, particularly in rural and border areas. They also highlight local populations' loss of confidence in the State's ability to protect their lives and property. Among security experts and even within the army, a heated debate is already being raised about the fact that a movement can have been operating for at least six years in this part of Nigeria without its abuses being duly combated or publicized. This debate is taking place at a time when the finger is being pointed at local governments, as well as at the denounced “failings” of the intelligence services.

 

 

From June 11 to 13 in Ziguinchor, the United Nations Development Program (UNDP) in Senegal and the Ministry of Youth, Sports and Culture, organized the Launch of National Consultations on the "Youth Peace and Security" agenda stemming from United Nations Security Council Resolution 2250 (2015). This meeting, which brought together representatives from the 14 regions (from) civil society and associative movements, researchers and various technical and financial partners, aims to promote the inclusion, commitment and active participation of young people in peacebuilding and conflict resolution.

By adopting a National Action Plan by December 2024, Senegal will become the third African country, after Nigeria and the Democratic Republic of Congo, to domesticate the international legal framework represented by Resolution 2250. To achieve this, a roadmap was unanimously adopted by the participants in the Consultations, who also pledged to be ambassadors of this resolution, seeking peace and security, as declared by the Minister of Youth, Sports and Culture, Madame Khady Diene Gaye, who came to preside over the opening ceremony of this activity. For the Minister, "these consultations open up a wide window of opportunity to learn the tools for building peace, preventing violent extremism and protecting young people by encouraging their participation in the peace process".

Taking part in these National Consultations, several researchers stressed the need to prevent conflict by raising awareness and involving young people as key players. With this in mind, Mr. Bocar Guiro, Researcher at the Timbuktu Institute, reviewed some of the Think Tank's initiatives, such as the Program "Building and strengthening resilience in an unstable regional environment, what roles and place for young people and women? "held in Kédougou and Ziguinchor in 2020, a seminar-debate in border areas, "Dakar Peace conversations" in 2021, Citizen Conversations in 2022, a series of discussions on "Young people and the media: entre engagement et responsabilité citoyenne" conducted in the coastal areas of Guédiawaye and Mbour, and the border areas of Rosso-Sénégal, Fogny (Gambia) and Matam, seminar-debates in Tambacounda, Saint-Louis, Sédhiou and Mbour, on "preventing political violence".

Moreover, aware of the importance of research in identifying security challenges and threats, the Timbuktu Institute's groundbreaking report on the factors behind youth radicalization in 2016 helped to raise real awareness of the phenomena of radicalization, violent extremism and terrorism, scourges that continue to undermine the Sahel and the West African region. It is therefore notable that the Timbuktu Institute understood very early on the urgency and necessity of placing young people at the beginning and end of any peace process, as recommended by Resolution 2250. For his part, the UNDP representative, Luc Gnonlonfoun, did not fail to point out that "lasting peace is built in prevention and in the creation of economic opportunities for young people".

One of the highlights of these three days of reflection was the reading of the Declaration of the Youth, Peace and Security agenda in Senegal, by the young people, materializing their firm commitment to work for peace and security throughout the country, and beyond. The Declaration, based on the five pillars of the Resolution - Participation, Protection, Prevention, Partnership, Disengagement and Reintegration - calls on "national and local public authorities, as well as non-state actors, to redouble their efforts to meet Senegal's national and international commitments under the Youth, Peace and Security Agenda".

Following the launch of the National Consultations in Ziguinchor, other meetings are planned to gather the opinions of young people and other sections of society in the localities.

Du 11 au 13 juin à Ziguinchor, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) au Sénégal et le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, ont organisé le Lancement des Consultations Nationale sur l’agenda « Jeunesse Paix et Sécurité » issu de la Résolution 2250 (2015) du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Cette rencontre qui a réuni des représentants des 14 régions (issus) de la société civile et des mouvements associatifs, des chercheurs et divers partenaires techniques et financiers, vise à promouvoir l’inclusion, l’engagement et la participation active des jeunes dans la consolidation de la paix et la résolution de conflits.

Dès lors, l’adoption d’un Plan d’Action National d’ici décembre 2024, permettra au Sénégal d’être le troisième État africain à domestiquer ce cadre juridique international qu’est la Résolution 2250, après le  Nigeria et la République Démocratique du Congo. Pour ce faire, une feuille de route a été adoptée à l’unanimité par les participants aux Consultations qui se sont aussi engagés à être des ambassadeurs de cette résolution, recherchant la paix et la sécurité, comme déclaré par la Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, Madame Khady Diene Gaye, venue présider la cérémonie d’ouverture de cette activité. Pour la Ministre, “ces consultations ouvrent une large période d’apprentissage des outils de construction de la paix, de prévention de l’extrémisme violent et de protection des jeunes en favorisant leur participation au processus de paix”.

Prenant part à ces Consultations Nationales, plusieurs chercheurs ont rappelé la nécessité de la prévention des conflits par la sensibilisation et l’implication des jeunes comme acteurs privilégiés. C’est dans cette logique que Monsieur Bocar Guiro, Chercheur au Timbuktu Institute, est revenu sur quelques initiatives du Think tank, comme le Programme "Construire et renforcer la résilience dans un environnement régional instable, quels rôles et place pour les jeunes et les femmes ?" déroulé à Kédougou et à Ziguinchor en 2020, un séminaire-débat dans les zones frontalières, "Dakar Peace conversations" en 2021, les Conversations citoyennes en 2022, une série de discussions sur "Jeunes et Médias : entre engagement et responsabilité citoyenne" menée dans les zones côtières de Guédiawaye et Mbour, et les zones frontalières de Rosso-Sénégal, Fogny (Gambie) et Matam, des séminaires-débats à Tambacounda, à Saint-Louis, à Sédhiou et à Mbour, sur "la prévention des violences politiques". En outre, conscient de l’importance de la recherche pour l’identification des défis et des menaces sécuritaires, le rapport inédit du Timbuktu Institute sur les facteurs de radicalisation des jeunes, en 2016, a participé à une réelle prise de conscience des phénomènes de radicalisation, de l’extrémisme violent et du terrorisme, des fléaux qui continuent de fragiliser le Sahel et la région ouest africaine. Il est donc notable que le Timbuktu Institute a très tôt compris l’urgence et la nécessité de placer les jeunes au début et à la fin de tout processus de paix, comme le recommande la Résolution 2250. Pour sa part, le représentant du PNUD, Luc Gnonlonfoun, n’a pas manqué de rappeler que “ la paix durable se construit dans la prévention et dans la création d’opportunités économiques pour les jeunes”.

Ces trois jours de réflexion ont été sanctionnés, entre autres, par la lecture de la Déclaration de l’agenda Jeunesse, Paix et Sécurité au Sénégal, par les jeunes, matérialisant leur ferme engagement à œuvrer pour la paix et la sécurité sur l’ensemble du territoire, et au-delà. Cette Déclaration, se fondant sur les cinq piliers de la Résolution que sont la Participation, la Protection, la Prévention, le Partenariat, le Désengagement et la Réintégration, invite “les autorités publiques nationales, locales, les acteurs non étatiques à redoubler d’efforts pour le respect des engagements nationaux et internationaux souscrits par le Sénégal en lien avec l’Agenda Jeunesse Paix et Sécurité”.

A terme du  lancement des Consultations nationales à Ziguinchor, d’autres rendez-vous sont attendus pour recueillir les avis des jeunes et d’autres pans de la société au niveau des localités.

According to the regional director of the Timbuktu Institute, at a seminar on Tuesday on "the consequences of disinformation in the Sahel", Senegal, which is also a victim of this scourge, particularly during election periods, must pay attention and develop mechanisms to eradicate it.

"Our country needs to be vigilant about the development of platforms, but also about the control of information. What's more, it needs to show resilience in the face of misinformation and its consequences for young people, who are more connected than ever. We are consumers of information, but we are also transmitters of information".

he recalls.

Source : www.dakaractu.com

 

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