RELIGIONS – Sophie Bava, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), fait partie des co-organisateurs du récent colloque sur le thème « Afrique(s) et radicalités religieuses ». Elle a construit au gré de ses recherches une anthropologie religieuse de la mobilité, en croisant les migrations africaines et les dynamiques religieuses issues des mobilités entre l’Afrique subsaharienne et le monde arabe. Liens entre migration et religion, radicalités globales et ancrages locaux, autant de questions qui se posent aujourd’hui avec acuité, et sur lesquelles elle apporte son éclairage.

HuffPost Maroc: Au moment où le Maroc souhaite devenir un pays d’immigration, le lien entre migration et religion n’a été que peu soulevé et examiné. Quels rôles peuvent jouer les migrations dans la création d’un marché et d’une offre religieuse?

Sophie Bava: Ce que l’on voit généralement dans les routes de la migration, ce sont les migrants qui s’accrochent aux barrières et veulent traverser la Méditerranée, alors qu’il y a une réalité d’ancrage au Maroc. Dans cet ancrage, la question religieuse constitue un bagage très important avec lequel arrive le migrant, qui s’intensifie lors de la migration. La religion prend de plus en plus de place.

Prenons l’exemple du Maroc, un pays musulman avec très peu d’églises. On constate que les églises qui avaient fermé vers la fin du Protectorat continuaient de vivoter avec des Français ou des Espagnols installés au Maroc. Dans les années 1980, on a eu des étudiants qui arrivaient d’Afrique subsaharienne, notamment d’Afrique de l’Ouest, qui est un espace plutôt musulman. Par la suite, il y a eu des gens d’Afrique centrale, qui étaient chrétiens. On ne parlait pas à l’époque de migrants, mais d’étudiants, ce qui confortait l’idée que le Maroc n’accueillait que des élites. Mais il y avait déjà beaucoup de migrants, qui avaient un niveau d’études assez élevé.

Ces gens sont restés au Maroc, et ont non seulement redynamisé ces églises historiques, mais ont aussi créé leurs propres églises, que l’on appelait églises de transit, églises de passage ou églises informelles. Cela posait des problématiques très intéressantes, celle de la mobilité notamment, mais aussi celle des pasteurs autoproclamés. Vu qu’il n’y avait plus assez de leaders religieux officiels sur le marché, il y a eu des gens qui, soit par leurs antécédents, soit parce qu’ils sont issus de familles religieuses, ont repris la casquette de pasteur – ou d’imam, dans les communautés musulmanes – même sans formation, pour gérer une communauté religieuse d’itinérants. Ce qu’on constatait, c’est qu’à mesure que les gens arrivaient, un marché religieux se créait.

Les églises historiques du Maroc, qu’il s’agisse de l’église catholique ou de l’église protestante, ne comprenaient pas ce qui leur arrivait, et ont pris un temps de réflexion, car il faut du temps pour former ou recruter de nouveaux pasteurs ou de nouveaux prêtres. Les églises ont, par la suite, dû s’adapter à ces nouveaux fidèles qui arrivaient. Dans l’autre sens, il y avait des églises qui s’installaient un peu partout, et des leaders religieux qui devaient se former sur le tas et qui adaptaient une théologie de et dans la migration.

Vingt ans après, toutes les églises historiques fonctionnent à l’heure actuelle à plein temps, voire débordent durant les cultes, et les églises de maison existent toujours. En 2011, il y a eu l’expulsion de pasteurs accusés de prosélytisme. On voit donc qu’il y a une méfiance qui existe, mais qui est une méfiance naturelle, née de la nécessité de contrôler ce qui se fait en matière religieuse dans un pays où, finalement, la question religieuse peut très vite déborder dans les conflits quotidiens liés à l’identité et à la place du migrant. Donc, ce contrôle est nécessaire dans le jeu.

Les migrations produisent des effets sociologiques durables. Par quel processus en vient-on à des changements des pratiques religieuses, ou du moins, à l’intégration de nouvelles pratiques religieuses au niveau local?

Globalement, le rite catholique est un peu le même partout, parce qu’il y a une hiérarchie religieuse qui le contrôle. En revanche, en dehors de la prière, beaucoup de choses ont fini par changer: il y a eu des groupes de chorale qui sont arrivés dans les églises catholiques, qui chantaient dans les dialectes locaux du Cameroun ou du Congo. Si le texte est le même, il y a eu des adaptations autour. Si la liturgie reste assez classique, il y a un ensemble de rituels qui ont changé. L’église a changé et s’est adaptée, idem pour le discours du prêtre ou de l’évêque.

Dans l’église protestante historique, on assiste à une adaptation encore plus visible. C’est le terrain qui va faire en sorte que les pasteurs s’adaptent à la nouvelle demande des fidèles en matière religieuse, et donc travailler sur une symbolique de l’exil qui fasse miroir à leurs parcours. Certains pasteurs ont quasiment construit une théologie de migration, qui essaie d’adapter des éléments culturels des pays d’où sont issus les migrants, tout en introduisant une logique qui est aussi celle du pays d’accueil, c’est-à-dire le Maroc, notamment au sujet de la place des migrants ici.

Parce que d’un autre côté, il y avait une autre théologie, dans les églises de maison – pas toutes, je tiens à préciser. Désireux d’avoir plus de fidèles, des pasteurs autoproclamés adoptaient un discours de croisade, disant que cette société ne veut pas de nous, que les musulmans ne nous aiment pas, que nous sommes là pour montrer que le christianisme existe. C’est une logique un peu plus guerrière, que l’on retrouve aussi dans des discours d’imams radicaux en Occident.

Donc, il y a des logiques plus radicales, et des logiques qui se sont composées en essayant de prendre en compte des éléments culturels des pays d’origine des fidèles, ainsi que des éléments du Maroc, et ont cherché à proposer un projet dans les cultes, qui est aussi bien un projet théologique qu’un projet de fidèle, qui a une route à faire et qui s’est arrêté au Maroc. Cette théologie vise plutôt à une pacification des rapports, puisqu’elle prône au contraire l’importance de l’interreligieux. Il s’agit d’une théologie ouverte, qui pose aussi la question de ce que peuvent questionner les migrations et la question de la pluralité religieuse, qui ne se pose pas que pour les migrants.

Les migrations peuvent-elles produire les mêmes effets sur le culte musulman, notamment le rite Tijani, qui est porteur d’un ensemble de pratiques comme le pèlerinage qui, peut-on dire, en posent déjà les bases?

Je pense que les confréries ont su gérer, depuis longtemps, la question de l’intégration des spécificités locales qu’amène le migrant, ainsi que l’importation de pratiques de différentes zaouias, et ont intégré ces spécificités culturelles, vu que les leaders des confréries sont des gens qui se déplacent beaucoup. Si l’on parle de la Tijanyya, les liens entre l’Afrique de l’Ouest et le Maroc n’ont jamais été coupés. Il y a toujours eu des circulations, tout comme il y a toujours eu un accueil de la Zaouia Tijanyya.

Les leaders religieux de la Tijanyya fassie ont eu des parcours de vie et d’apprentissage en Afrique de l’Ouest, et ont organisé des tournées. Inversement, les tijanes d’Afrique de l’ouest viennent fréquemment à Fès. Une circulation s’est toujours faite, ceci, en plus du fait que Fès est aussi une base entre l’Europe et l’Afrique. Les chefs religieux soufis ont toujours fait cela, vu que la mondialisation est déjà intégrée dans l’organisation même de la confrérie. Les fidèles ont une base qui pourra les accueillir où qu’ils soient. Ce modèle fonctionne plutôt bien, et les confréries ont toujours accompagné les migrations.

Mais la migration a aussi accéléré le processus de la mobilité religieuse. Le fait que les gens migrent fait revenir dans leurs pays d’origine d’autres problématiques, notamment celle liée à la pluralité religieuse. Le migrant rencontre sur son chemin d’autres formes d’islam, d’autres formes de christianisme, et revient donc avec de nouveaux ingrédients qui, parfois, sont introduits dans les Zaouias ou les églises du pays dont il est originaire. Vu qu’on est aujourd’hui dans une mobilité qui essaie d’être maîtrisée par le sécuritaire, on a toujours tendance à confondre la mobilité des gens avec la migration des discours radicaux. Ce qu’on oublie, c’est que les migrations permettent aussi la construction de discours qui, au contraire, sont plus dans la pluralité et l’interreligieux.

Justement, puisque l’on parle de radicalisation, le discours actuel la dépeint comme une phénomène uniforme et global. Ne s’agirait-il pas plutôt d’une illusion d’optique due à la mobilité religieuse? Et les différentes formes de radicalité ont-elles un ancrage local, et des raisons identitaires et politiques?

En effet, ces formes de radicalités globales ont des ancrages locaux. La manière dont on en parle en Europe ne peut être la même qu’ici au Maroc, pas plus qu’en Afrique subsaharienne, puisque ces radicalités s’appuient sur des mythologies locales. Si, en effet, certains mouvements radicaux peuvent être coordonnés quand il y a des leaders et de grands moyens, il y a aussi beaucoup de petits mouvements qui arrivent par le bas, qui sont liés à des frustrations, ce qui est le cas de jeunes qui reviennent dans leur pays après avoir fait des études dans le monde arabe et qui ne trouvent pas de travail.

Ce qui revient toujours au premier plan, ce sont des histoires de luttes contre des dominations existantes, qu’il s’agisse de la domination coloniale ou de la domination de l’Occident, qui n’a pas donné sa place à l’islam. Ces radicalités viennent donc s’ancrer sur des histoires plus anciennes, sur des mythologies comme celle de Usman dan Fodio. Les mythologies vont appuyer toutes ces résistances, en puisant dans une histoire plus ancienne où, effectivement, il y a eu lutte par la religion contre des formes de domination. Cela a toujours existé, et la religion peut servir des causes et des luttes économiques ou politiques.

Dans la région du lac Tchad, ce sont des questions des matières premières qui vont faire que les gens soient dépossédés, et que la religion soit utilisée pour réclamer leurs droits, pour lutter contre des formes de domination, pour réclamer une place et une identité. Ce sont des causes qui peuvent se confondre par moments, dans un modèle de discours global, où l’on aurait l’impression qu’il n’y a qu’un seul leader, et des tas de petits phénomènes radicaux et d’organisations radicales, mais il y a vraiment des spécificités locales.

Pour essayer de comprendre comment s’est mise en place une organisation radicale et comment lutter contre cela, il faut essayer de comprendre aussi toutes les histoires locales comme le dit mon collègue Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute au Sénégal.

 

 

Source: http://www.huffpostmaghreb.com/

Loin de Tombouctou, Maiduguri ou Mogadiscio, cibles privilégiées du terrorisme en Afrique, des attentats ont frappé des zones du continent qu’on pensait moins exposées. Avec, à Bamako et Ouagadougou, le même constat glaçant. Les auteurs de ces attaques étaient de très jeunes hommes. Quasiment des adolescents.

En quelques mois, l’Afrique s’est rendu compte l’ampleur du phénomène. De Macky Sall à Alassane Ouattara en passant par Mahamadou Issoufou, les chefs d’État africains se sont emparés du sujet en évoquant tous l’importance de la prévention et des solutions « extra-militaires » contre le jihadisme.

Une prise de conscience salutaire mais tardive, juge Bakary Sambe, directeur de l’Observatoire des extrémismes et des conflits religieux en Afrique : « On fait comme si la région venait de découvrir ce que tout le monde appelle la ‘radicalisation’, alors que ce phénomène est le fruit d’un processus remontant aux années 70 ! C’est à ce moment que cette bataille a commencé, pas maintenant comme on l’entend souvent. »

Le chercheur estime qu’à cette époque, « un message religieux soutenu et financé par les pétromonarchies du Golfe s’est substitué au message des États, qui plus est en contradiction avec celui délivré par l’islam local. » Une lente évolution idéologique qui a débouché sur « un choc des systèmes religieux : l’islam d’obédience soufie enraciné en Afrique s’est retrouvé confronté au wahhabisme salafiste. »

Conséquence actuelle de ces évolutions, selon une source gouvernementale qui souhaite rester anonyme : entre vingt et trente Sénégalais auraient rejoint les rangs de l’État Islamique et d’AQMI. Et ce alors même que le pays demeure le symbole d’un islam progressiste et tolérant.

« On est en train de se transformer sans s’en rendre compte »

Premier secteur pointé du doigt en matière d’extrémisme sur le continent, l’éducation religieuse, dans les mosquées mais aussi les écoles coraniques.

Au Niger, la militante Maimou Wali rappelle qu’il existe 60 000 écoles coraniques selon la dernière étude réalisée en la matière il y a dix ans, « soit beaucoup plus que d’écoles publiques ! » Si elle ne conteste pas le rôle éducatif que ces structures assurent depuis des décennies, elle déplore une évolution de fond du discours tenu dans certains de ces établissements : « Le problème ne date pas d’hier, tout a commencé il y a une dizaine d’années. J’ai vu les mouvements religieux musulmans de plus en plus exigeants et rigoureux se multiplier. »

Ces injonctions ont des conséquences bien visibles aujourd’hui : « Les jeunes n’apprennent plus à lire ou écrire, ils apprennent simplement par cœur le Coran. Ils abandonnent les activités culturelles, les autres distractions, et les filles portent le voile intégral. » Comme elle le confesse avec un brin d’impuissance, Maimou Wali a du mal à expliquer cette tendance : « Chez nous, personne ne comprend comment c’est venu. Cela a un impact sur tout le monde, même nous on pense qu’on est en train de bien pratiquer la religion. C’est là où on se dit qu’on est en train de se transformer sans s’en rendre compte. »

Maimou Wali lutte contre cette lame de fond avec ses armes. C’est-à-dire les moyens du bord : un manuel, qu’elle a contribué à rédiger, qui reprend certains hadiths, destiné à « renvoyer les jeunes au véritable message du livre. »

Au Sénégal en revanche, les daaras, les écoles coraniques locales, sont considérées comme un rempart toujours efficace contre la radicalisation. Mame Mbaye Niang, ministre de la Jeunesse, de l’Emploi et de la construction citoyenne sénégalais, est lui-même issu d’une daara, et défend ces institutions avec conviction : « Les daaras sont contrôlées par des maisons religieuses reconnues et respectées. Elles s’inspirent de Cheickh Amadou Bamba et du mouridisme, de la Tijaniyya… Elles ne peuvent pas radicaliser. Elles restent conformes au soufisme, au don de soi à la communauté, c’est une sensibilité qui ne peut pas s’accommoder de violence. Mais cela ne signifie pas qu’il ne faille pas veiller. »

Un discours officiel démenti par un travailleur social qui souhaite rester anonyme pour dénoncer et expliquer la frilosité des pouvoirs publics sur le dossier : « Le problème chez nous, c’est que les confréries ont un vrai poids politique, c’est pourquoi il est difficile pour l’État de venir mettre le nez dans les affaires des religieux. »

Vernis religieux

En revanche, tous s’accordent pour dire que l’islam est plus le catalyseur du mal-être de la jeunesse que sa cause profonde. Amadou Koïta, ministre malien de la Jeunesse et de la construction citoyenne, résume bien le problème actuel rencontré sur le continent en général et dans son pays en particulier : « Deux études de l’Institut de Recherche et de Sécurité ont montré qu’au Mali, les jeunes qui ont été déradicalisés avaient rejoint ce mouvement soit pour des raisons économiques, soit pour protéger leur familles en l’absence de l’État. »

Bakary Sambe partage cette analyse, qu’il affine en dressant une typologie fidèle aux inquiétudes de la jeunesse africaine : « Le jeune de Boko Haram de Maiduguri est dans la logique du rejet de l’État, le Shebab somalien dans une logique de survie économique, le peul du Macina dans une recherche de protection et de sécurité et le jeune Sénégalais médecin qui part en Libye est dans une logique de contestation, de quête de sens. Tout dépend du contexte et des trajectoires, mais on retrouve à chaque fois l’absence de perspective d’avenir à l’origine de l’engagement radical. »

L’Afrique tout entière est donc lancée dans une contre-offensive d’envergure. Militairement, le Commissaire de l’Union Africaine à la Paix et à la Sécurité Smaïl Chergui assure d’ailleurs que les opérations engagées en ce moment ou celle qu’il annonce être en projet au Nord-Mali permettront le retour de 2 500 à 5 000 jeunes impliqués dans des réseaux terroristes.

Au Mali toujours, le gouvernement a lancé un programme « école et résilience » pour redonner aux 3 000 jeunes arrachés à l’extrémisme l’envie de faire société. Mais souvent, les moyens manquent, les idées aussi. Car « déradicaliser », selon l’expression consacrée, n’est pas chose aisée. Un peu partout sur le continent, les initiatives fleurissent. Bakary Sambe et son institut Timbuktu ont par exemple lancé le programme « Educating for peace », destiné à prévenir les risques de radicalisation dans deux lycées de Thiès, au Sénégal.

Un autre spécialiste du secteur évoque son projet, encore au stade expérimental : « L’idée, c’est de se servir de leurs réseaux, de leur faire relire le Coran sous un autre angle pour qu’ils comprennent qu’ils ont un rôle à jouer pour éviter à d’autres jeunes de tomber dans le même piège. À partir du moment où tu retrouves une utilité sociale, une estime de toi et une reconnaissance, tu sors du cercle vicieux. C’est ce qui se passe avec ces jeunes. »

Dans cette optique, que Bakary Sambe préfère qualifier « d’auto-réhabilitation » des jeunes, l’ Afrique a néanmoins un atout, selon le chercheur : la force de ses communautés, beaucoup plus vivaces et structurées qu’en Europe par exemple. À ses yeux, ces structures sociales sont les premières armes dont doivent se servir les sociétés du continent : « Elles offrent des cadres de sociabilisation pour une auto-réhabilitation des jeunes. Par là, j’entends qu’il faut partir d’eux, les valoriser. C’est en partant de ces micro-initiatives que la dynamique pourra s’inverser un jour. » Et le plus tôt sera le mieux.

 

Source: Jeune Afrique

Ibn Taymiya, surnommé Cheikh al-Islâm, son nom pourrait faire peur à ceux qui ne le connaissent pas suffisamment. Le Cheikh al-islâm connait des détracteurs et de la part de certains soufis, et de la part des islamophobes autoproclamés spécialistes de l’islam.

Les amoureux du soufisme, la Voie intérieure de l’islam, pour reprendre l’expression d’Éric Geoffroyle prennent pour un détracteur de la Voie ; d’autres le considèrent comme étant le théoricien principal des terroristes qui se réclame de la religion musulmane. Comment expliquer cela ?  La plupart des salafistes et wahhabites le citent parmi leurs références principales.  Lorsqu’on lit les ouvrages visant à excommunier les soufis, à attaquer la pensée de la sainteté muhammadienne, il est très facile, voire trop facile, de tomber sur le nom d’Ibn Taymiya, considéré comme celui qui a montré la face, soi-disant, non islamique du soufisme.

Mais qui était vraiment cet homme ? Était-il un anti-soufisme ? Ou bien critiquait-il tout simplement certaines réflexions et doctrines qu’il jugeait hétérodoxes ? En tout état de cause, la prudence s’impose quand il s’agit de parler d’Ibn Taymiya.

Si nous ne voulons pas aller au-delà des dires qu’on lui attribue, et si nous n’allons pas directement analyser son œuvre, nous risquons de le prendre pour un combattant du soufisme dans son essence même. Mais si nous nous référons à ses écrits, et aux témoignages de ses contemporains, notamment à ceux de son disciple Ibn Qayyyim al-Jawziyya, nous constaterons qu’Ibn Taymiya n’était rien d’autre qu’un soufi. Certains chercheurs vont même jusqu’à lui attribuer une filiation Qadirite[1]. Ayant reçu une initiation de sa Voie, Ibn Taymiya va même préciser « qu’il n’ya entre ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî et lui que deux intermédiaires.[2] » Dans ce qui suit, nous proposons de relater des témoignages de son disciple, cité supra, pour montrer que Cheikh al-Islam était un soufi, trahi par l’interprétation wahhabite, et que si le soufisme est une hétérodoxie, Ibn Taymiya n’était rien d’autre qu’un simple hétérodoxe.

Les amoureux du soufisme (surtout les akbariens) risquent de le compter parmi leurs ennemis, ceci, en raison de son hostilité « à la doctrine de ‘‘ l’Unicité de l’Être’’ ‘‘ wahdat al-wujûd’’ [3]»  qui se manifeste dans la pensée de plusieurs soufis ; mais aussi, et surtout, à cause de sa lutte contre le culte des saints. D’autres (notamment les tijânes) vont le condamner à cause de son livre intitulé al-furqân bayna awliyâ’ al-Rahmân wa awliya’ al-shaytân, dans lequel, il réfute l’idée d’une clôture de la sainteté muhammadienne, et celle de l’existence d’une personne ayant la fonction du Sceau (al-khatm).

Mais mis à part ces divergences doctrinales, Cheikh al-islâm, était un homme spirituel, et pas un des moindres. Il avait atteint la Station de la firâsa (un terme que je préfère garder en arabe).  A propos de cette Station, le Prophète (paix et bénédiction sur lui) disait, dans un hadîth rapporté, entre autres, par Tirmîdhî, Bukhârî, Tabarânî, Bayhaqî et Suyûtî : « méfiez-vous de la firâsa du Croyant car il regarde par la Lumière Divine ».  Pour expliquer cette Station spirituelle, Qushayrî rapporte une phrase d’Al-Kattânî, selon laquelle, « la firâsa consiste à avoir la Certitude (yaqîn) et à contempler l’invisible (mu‘âyanat al-ghayb)[4]. »

Pour donner la preuve de notre affirmation concernant la firâsa d’Ibn Taymiya, nous allons laisser la parole à son disciple majeur, Ibn al-Qayyim al-Jawziyya.

« J’ai vu de la firâsa de Cheikh al-Islam Ibn Taymiya, que la Miséricorde divine soit sur lui, des choses extraordinaires ; est beaucoup plus merveilleux ce que je n’ai pas vu. Il (Ibn Taymiya) avait prédit, à l’an 699 (de l’hégire bien-sûr), que les Tatars allaient envahir le Levant (Shâm), alors que ces derniers n’avaient même pas encore l’intention de le faire.

A l’an 702, alors que les Tatars étaient en route pour Shâm, Ibn Taymiya dit aux hommes que la victoire sera pour les musulmans.  Il affirma ceci en jurant sur Allah plus de soixante-dix fois, après quoi, quelqu’un lui dit : dis Incha Allah. Incha Allah répondit-il, mais pour confirmer ma prédication (tahqîqan), non en guise de condition (lâ ta‘lîqan). 

Les hommes ne pouvant s’empêcher de critiquer le Cheikh, Ibn Taymiya leur calma avec cette phrase : Dieu a écrit sur la Tablette Préservée (Lawh al-mahfûz) que les Tatars seront battus cette fois-ci par les musulmans »

« Lorsqu’Il partit en Égypte, dit Ibn al-Qayyim, les gens voulaient le tuer. Pour lui sauver la vie, ses disciples vinrent le voir. Alors, le Cheikh les rassura que cela ne se produira jamais, en jurant sur Allah.  Seras-tu prisonnier alors ? Questionnèrent ses disciples. Oui répondit-il. Et ceci va durer, puis je sortirai pour parler aux hommes. »

« Il (Ibn Taymiya) m’a (Ibn Qayyim) dit une fois : lorsque mes compagnons, ainsi que d’autres personnes, viennent me voir, je vois en eux des choses dont je n’oserais jamais leur faire part ».

« Plus d’une fois, dit Ibn Qayyim, le Maitre m’a révélé des choses que je cachais au plus profond de moi, et pourtant je n’en avais jamais parlé à qui que ce soit. Il m’a également informé sur beaucoup de choses qui devaient se produire dans l’avenir sans préciser leurs temps de déroulement. J’en ai vu quelques unes, et suis à l’attente des autres ».

Ibn Al-Qayyim conclut en avouant que ce qu’il a vu du Maitre, n’était rien par rapport à ce que les autres compagnons d’Ibn Taymiya avaient constaté.[5]

Considérer Ibn Taymiya comme le détracteur du soufisme par excellence, est, à notre avis, un des plus grands abus intellectuels qu’a connu le monde musulman. Il est évident qu’il n’a pas validé tous les aspects du soufisme, comme la plupart des soufis d’ailleurs. Mais ces divergences doivent, pour moi, être intégrées dans le cadre de l’éthique du désaccord (Adab al-Ikhtilâf). 

Ibn Taymiya, comme tous les soufis, a mené un combat pour éloigner du soufisme tout ce qu’il jugeait hétérodoxe. Les autres Cheikhs n’ont pas fait autre chose. Ce sont ces divergences qui font la beauté de notre religion, qui n’a jamais été dogmatique comme le veulent faire comprendre ceux qui se réfèrent aujourd’hui à Ibn Taymiya tout en le citant hors contexte. La divergence des savants, disait-on autrefois, est une source de miséricorde.

            Seydi Diamil NIANE

Il est un constat que l’approche strictement sécuritaire n’a pas produit des résultats à la mesure des investissements et des efforts déployés par les Etats et la communauté internationale bien qu’il soit admis, par exemple, que les solutions militaires bien que conjoncturelles ont pu stopper les djihadistes et fait éviter des déploiements à grande échelle qui multiplieraient les zones d’instabilité sur le continent. Cependant, la militarisation à outrance est aussi décriée comme porteuse de germes de radicalisation à moyen et long termes tel que ce fut le cas au Moyen-Orient. Malgré des avancées notamment dans le containment des groupes djihadistes, les opérations militaires n’ont jamais pu empêcher le phénomène de radicalisation.

Au Mali, malgré la présence militaire au Nord les fronts djihadistes prolifèrent notamment au Centre dans le contexte d’un dangereux cap vers le Sud. Les frontières maliennes constituant de ce fait un problème pour tous ses voisins (Ouagadougou, Grand Bassam etc). De plus, les groupes djihadistes ont changé de modus operandi, depuis l’expérience Afghane, ne visant plus des stratégies globales mais saisissant toujours les opportunités qu’offre le parasitage des conflits afin de leur donner un habillage islamique pour attirer les puissances occidentales dans le « piège » de l’intervention voire de l’interventionnisme. Les bavures et ratés de telles opérations sont des gages sûres pour les groupes terroristes de maintenir l’élan de l’élan de l’engagement de jeunes ayant accumulés les frustrations et faisant face à de rudes conditions socio-économiques. Les interventions militaires étrangères alimentent du coup la rhétorique des recruteurs en vue de la légitimattion religieuses du « Djihad » contre « l’envahisseur ». Dans une telle configuration, il s’avère important de diversifier les approches en donnant à la prévention toute sa place dans les différents dispositifs.

En restant fermés aux autres possibilités qu’offre la prévention, on risque de perdre de vue des éléments essentiels pouvant alimenter une stratégie globale et durable contre l’extrémisme violent. Les communautés religieuses elles-mêmes ont développés des résiliences dites communautaires qu’il serait important de soutenir en vue de stratégies endogènes que les populations s’approprient plus facilement comparées à celles émanant de l’ « extérieur » souvent conçues par les destinataires comme imposées aux Etats. Ces derniers se trouvent ainsi dans une situation inconfortable devant concilier les impératifs de la coopération internationale de lutte et les contraintes politiques internes.

Pourtant, les Etats devraient urgemment agir sur les orientations éducatives, les programmes favorisant une plus grande inclusion des laissés pour compte pour éviter un plus grand émiettement des structures sociales. Au regard de son enjeu et de sa corrélation avec l’expansion des idéologies djihadistes ou violentes, la question éducative mériteraient plus d’interventionnisme en faisant de la prévention par la socialisation le socle de la lutte contre les radicalismes religieux et l’extrémisme violent dans les décennies à venir.

La lutte contre le terrorisme, en amont, avec des politiques de prévention par l’éducation, le renforcement des capacités, la résorption des inégalités et la promotion d’espaces de socialisation alternatifs au tout-religieux et aux surenchères ethnico-confessionnelles paraîtrait plus efficace et durable que ces formes de guerres asymétriques qui, généralement, surviennent bien après que les groupes terroristes se soient redéployées dans de nouvelles zones de non-droit pour menacer à nouveau des Etats fragilisés. En tout état de cause, et dans une démarche préventive et prospective, une réflexion sérieuse devrait être menée autour des questions de fond toutes relatives à la prévention et à la lutte contre la radicalisation de manière générale, parmi lesquelles :

– Comment valoriser les stratégies endogènes (bottom-up) en s’appuyant sur les initiatives locales issues de la société civile et des structures traditionnelles dont l’argumentaire fait sens auprès des populations ciblées ?

– Dans quelle mesure, pourrait-on s’inspirer des méthodes de résiliences communautaires développées par les communautés religieuses, elles-mêmes, dans le cadre de la sensibilisation en partant de la notion pertinente de « culture de la paix » dont se réclament les différentes confessions ?

– Dans quelle mesure l’expérience des femmes et des organisations féminines pourrait-elle être profitable à la prévention et la lutte contre l’extrémisme qu’elles ont affrontées dès les années 80- 9O lorsqu’il constituait déjà une menace pour leurs droits avant de devenir, plus tard, un enjeu sécuritaire ?

– Comment, en collaboration avec les chercheurs et universitaires, intégrer la dimension anthropologique dans la prévention du radicalisme pour mettre efficacement à profit les ressources culturelles africaines en termes de médiation et de socialisation alternative ?

– Comment renforcer les dispositifs régionaux existant comme la Cellule de prévention de l’extrémisme violent au sein du G5 Sahel, la redynamiser pour lui donner plus de réalité sur le terrain afin que les structures de base se l’approprient pleinement avec des projets concrets ?

– Enfin, comment, à travers une réflexion globale s’accorder sur un cadre commun de références et terminologique en matière de prévention et de lutte contre l’extrémisme si l’on sait qu’au concept de « dé-radicalisation » certains acteurs et communautés africains préfèrent la notion d’auto-réhabilitation par inclusion sociale ?

Par Dr. Bakary Sambe, Directeur du Timbuktu Institute (Dakar), Enseignant, Coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique – Chercheur au Centre d’étude des religions, Université Gaston Berger- Saint-Louis (Sénégal)

Les chefs religieux et les organisations religieuses ont pour responsabilité de contribuer à des sociétés pacifiques et la communauté internationale doit les soutenir dans leurs activités quotidiennes, a déclaré lundi un haut responsable des Nations Unies.
 
Les chefs religieux « ont pour responsabilité de contribuer à la construction de sociétés pacifiques, inclusives et capables de résister aux conflits, à l’extrémisme violent et aux atrocités », a déclaré le Conseiller spécial de l’ONU pour la prévention du génocide et la responsabilité de protéger, Adama Dieng, lors d’un symposium sur « Le rôle de la religion et des organisations religieuses dans les affaires internationales », au siège de l’ONU à New York.
 
Le Bureau de M. Dieng est l’un des organisateurs de ce symposium, aux côtés du Groupe de travail inter-agences des Nations Unies pour les relations avec les organisations confessionnelles et le Comité des ONG religieuses à l’ONU. Cette année, l’accent est mis sur une paix juste, inclusive et durable.
 
M. Dieng, qui est actuellement à Doha pour une réunion sur la responsabilité de protéger, a prononcé son discours dans un message vidéo. Il a déclaré que la responsabilité première de créer une paix durable reposait sur les États qui doivent promouvoir les valeurs de la diversité et gérer la diversité de manière constructive. Il a toutefois estimé que la « collaboration » avec les chefs religieux restait essentielle.
 
« Ils peuvent influencer un grand nombre de personnes », a déclaré M. Dieng, ajoutant que ces chefs religieux « fournissent un soutien lors des situations d’urgence, répondent aux besoins des communautés marginalisées, traitent les griefs dès qu’ils émergent et défendent les droits de leurs communautés ».
 
L’année dernière, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2282 (2016) qui appelle à une approche globale en matière de la justice transitionnelle et de reddition de comptes pour consolider la paix, réduire la pauvreté et empêcher les pays de replonger dans des conflits.
 
Dans son message vidéo, M. Dieng a discuté de son travail récent avec les chefs religieux sur le Plan d’action de Fès sur le rôle des chefs religieux pour prévenir l’incitation à la violence qui pourrait conduire à des atrocités. Les premiers éléments du Plan ont été adoptés à Fès, au Maroc en 2015.
 
Selon M. Dieng, ce plan sera lancé à New York au cours du premier trimestre de cette année, suivi de réunions sur sa mise en œuvre.