Timbuktu Institute

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Il n’y a pas de doute que les solutions militaires n’ont pas porté leurs fruits dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. La leçon afghane des Américains aurait dû amener la communauté internationale à se rendre à l’évidence : les kalachnikovs, seules, ne vaincront pas une idéologie ou ne régleront les problèmes structurels qui nourrissent la radicalisation des jeunes rejoignant Boko Haram ou encore l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).

Après plus de 15 années passées en Afghanistan, les Américains n’ont pas pu défaire les talibans, qui ont même fait des émules. L’opération française Serval a vécu le temps d’une libération spectaculaire des griffes des djihadistes des villes du nord du Mali, alors occupées, avec le mérite d’avoir, tout de même, empêché que le verrou de Konna ne cède et, ainsi, barrer la route de Bamako en janvier 2013 à des assaillants déterminés. Mais l’opération Barkhane est, aujourd’hui, incapable d’en finir avec les terroristes au nord du Mali, de même que dans les confins du Niger sur l’axe de tous les risques entre les confluences libyennes et les incertitudes sahélo-sahariennes.

Les groupes terroristes prospèrent dans le Sahel, arrivent à coordonner des actions, même de moyenne ampleur. Au même moment, dans une grande dispersion, on note une multiplicité des acteurs internationaux jusqu’au sein de la « famille » européenne dans laquelle l’Allemagne cherche, dorénavant, à devenir un acteur de premier plan, complètement sortie de sa timidité sahélienne et ouest-africaine.

Le terrorisme étend ses tentacules

Le front terroriste s’élargit aussi bien au Mali, devenu l’épicentre, que dans le reste de la région. Le centre du Mali devient la zone de toutes les tensions qui ont pu déborder jusque dans le Soum et l’Oudalan au Burkina Faso voisin. Dans une telle configuration où nombre d’analystes perdent leurs repères, on réalise, a posteriori, que les attaques de Ouagadougou, en août 2017 et mars 2018, avaient signé la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest. On se rend compte aussi que l’attentat de Grand Bassam (Côte d’Ivoire), en mars 2016, tel un avertissement, avait inauguré une nouvelle ère : celle de l’absurdité même de la prévision.

On ne peut plus nier que les solutions militaires sont un mal nécessaire pour endiguer la menace grandissante et soulager les pays sous haute pression sécuritaire. Mais, les expériences du passé, de même que les réalités quotidiennes des populations des zones frontalières, prouvent qu’elles ne sont ni vraiment efficaces encore moins durables.

En outre, elles inspirent et alimentent la propagande des groupes terroristes. Ces derniers sont conscients de la portée des manipulations de symboles sur les esprits surchauffés de populations en désarroi entre les mesures sécuritaires draconiennes qui tuent les économies locales et l’insécurité quotidienne au milieu d’impressionnants arsenaux militaires.

Et, malheureusement Abul Walid Al-Sahraoui, aujourd’hui tête pensante de l’État islamique au Grand Sahara, avait vu « juste » dès la fin de l’opération française Serval : finies stratégies globales et de coordination logistique complexe. Il avait théorisé la création et la multiplication des zones d’instabilité, l’instrumentalisation de l’ethnicité et des conflits intercommunautaires auxquels il fallait trouver de « simples » couvertures « islamiques ».

Selon lui, cela suffira pour, à coup sûr, à susciter l’intervention occidentale. Cette dernière demeure le meilleur argument de propagande du discours djihadiste qui sait si bien jouer de ses ratés et de ses éventuelles bavures nourrissant les pires frustrations nécessaires au recrutement de nouveaux combattants !

Le nouveau dilemme sahélien

La force conjointe du G5 Sahel aurait pu être une alternative à l’image d’un Sahel parsemé de bivouacs dont les couleurs renvoient au drapeau français ou de bases sur lesquelles flotte, discrètement, le drapeau américain. Mais son opérationnalisation bute sur le déficit de ressources malgré les nombreux engagements financiers, restés sans suite. La situation sécuritaire au Sahel appelle, nécessairement, à une reconsidération des paradigmes qui, jusqu’ici, ont guidé l’option strictement militaire qui a montré ses limites. D’ailleurs, l’Allemagne chercherait à faire son entrée en scène sur une corde raide qu’elle semblerait prendre par le bout du développement.

En plus d’une crise sahélienne qui s’aggrave, il y a aujourd’hui, un vrai conflit de perception du conflit avec un hiatus entre approches internationales globales et perceptions locales.

Il est temps de donner toute leur dignité de « solutions » aux possibilités et stratégies endogènes. L’enlisement sahélien qui se dessine pour l’option du « tout militaire » est doublé d’un dilemme. Ce nouveau dilemme sahélien réside ainsi dans la difficile position des États de la région et de leurs partenaires internationaux. Dans les solutions proposées pour lutter contre le terrorisme, on a presque perdu le sens des priorités. Nous en sommes arrivés à de profondes interrogations entre l’impératif de gestion des urgences sécuritaires et la nécessité d’un changement de paradigmes face à l’échec patent du « tout militaire ».

La stratégie des terroristes : intensifier les conflits intercommunautaires

Pendant que l’on s’interroge, les groupes terroristes redéfinissent leur stratégie en parasitant et en intensifiant les conflits intercommunautaires. Cette stratégie leur ouvre deux perspectives : la multiplication des zones d’instabilité dans la région et la pression sur la communauté internationale. Celle-ci en est réduite à des interventions militaires, elles-mêmes sources de radicalisation et alimentant la rhétorique djihadiste.

Les attaques similaires à celles de Yirgou Fulbé, dans la commune de Barsalogho, dans le centre-nord du Burkina Faso, tout début janvier 2019, vont, malheureusement, se multiplier et auront un impact certain dans les pays voisins après avoir replacé le centre du Mali au cœur de toutes les préoccupations. Le Burkina Faso est entré dans un cycle de violences attisées par des conflits intercommunautaires qui, au début, n’avaient rien de religieux mais plutôt une dimension silvo-agro-pastorale.

Pendant que les stratégies internationales non coordonnées se multiplient, les groupes terroristes arrivent à étendre leur champ d’action dans les pays de la région. Cet acharnement inédit sur le Burkina Faso vise à faire sauter le dernier verrou sahélien vers l’Afrique côtière.

Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour faciliter l’installation de l’État islamique au Grand Sahara, surtout au Burkina Faso, région tampon entre l’Afrique côtière et le Sahel, notamment dans des zones comme Gorom Gorom et Markoye, dans la province de l’Oudalan.

Une nouvelle grille de lecture s’impose

Mais le plus étonnant est que, dans l’évocation des faits au Sahel, les analystes des pays occidentaux sont restés emmurés dans le paradigme djihadiste avec un vocabulaire encore fleuri de termes comme « groupes islamistes », « nébuleuse djihadiste », « radicalisation ».

Or depuis un bon moment, il y a eu une hybridation de la menace et un glissement significatif vers des conflits de type intercommunautaire. Même dans la rhétorique des groupes terroristes, la dimension religieuse fait de plus en plus place à l’exacerbation des tensions communautaires.

On est passé, sans conteste, de l’ère d’un djihadisme idéologique avec un discours se nourrissant du référentiel religieux à une situation où les populations locales elles-mêmes évoquent du « banditisme », de la « criminalité ».

Les populations locales ont certainement réalisé, avant les « spécialistes » et les chercheurs qui en font leur objet d’étude, que la région est, subrepticement, entrée dans une ère qui, à défaut d’une qualification pour l’heure établie, annonce le post-djihadisme. 

Dr Bakary Sambe est enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. Il est également fondateur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, un centre de recherche qui privilégie des approches transdisciplinaires sur des questions liées au radicalisme religieux. Avec La Croix Africa, il analyse la situation sécuritaire dans le Sahel secoué par de récurrentes attaques terroristes.

La Croix Africa  : Comment analysez-vous les attaques terroristes dans les églises au Burkina Faso ?

Bakary Sambe : La stratégie des groupes terroristes, après l’opération Serval (1) a été d’actionner et d’intensifier des conflits intercommunautaires pour ensuite s’y greffer mais également d’attirer l’attention de la communauté internationale et éventuellement des interventions en multipliant les zones d’instabilité. Cela a très bien été théorisé par Abou Walid al-Sahraoui un terroriste qui sévit actuellement dans la région. Il est vrai que le Burkina Faso était, jusque-là, exemplaire en matière de cohésion sociale et religieuse. Il était aussi un pays phare en matière de dialogue interreligieux, les chrétiens étaient invités à des fêtes et célébrations musulmanes et vice versa.

Mais il y a eu une fracture au moment de la transition politique (2) avec, notamment la montée de certaines Églises évangéliques qui étaient très proches des cercles du pouvoir. Cette montée a fait que certaines catégories de la population, notamment les musulmans (majoritaires à près de 60 %) se sont sentis marginalisés dans la gestion du pouvoir de même que certains catholiques qui se plaignaient des avantages octroyés à ces Églises évangéliques proches des cercles du pouvoir durant cette transition.

Fin décembre 2018-début janvier 2019, une attaque terroriste à Yirgou, dans le nord du Burkina Faso, a provoqué des affrontements intercommunautaires. Faut-il craindre qu’un pareil schéma se reproduise dans la sous-région ?

Bakary Sambe  : Il est vrai que les attaques de Yirgou, dans la commune de Barsalogho, dans le centre-nord du Burkina Faso, ont marqué un tournant décisif. Durant les funérailles des victimes, on s’est rendu compte que des opérations de vengeance ont été organisées avec un bilan de 13 morts. Si l’on sait que ce qui se passe actuellement dans la région, notamment dans le centre du Mali, ne sera pas sans conséquence dans les pays voisins, on peut bien craindre que les représailles continuent ainsi que les opérations de vengeance. D’ailleurs, l’on peut noter que le Burkina Faso est entré dans un cycle de violences. Celles-ci sont attisées par des conflits intercommunautaires qui, au début, n’avaient rien de religieux. Ils avaient plutôt une dimension silvo-agro-pastorale mais ont été attisés et aggravés par les groupes terroristes qui veulent se greffer sur ces tensions intercommunautaires afin de déstabiliser les pays de la région, notamment le Burkina Faso qui est considéré comme le verrou vers l’Afrique côtière.

Les tensions intercommunautaires seraient donc sensiblement identiques à celles entre bergers fulani et paysans sédentaires au Nigeria ?

Bakary Sambe  : Si pour le Nigeria, notamment dans l’État du Plateau, ce sont les bergers fulanis (Peuls) qui sont accusés de s’attaquer aux paysans Béroms, dans le cas du Burkina Faso et du Mali, ce sont les paysans sédentaires qui s’affrontent souvent avec Peuls nomades. Mais comme déjà dit, aujourd’hui, le terrorisme va parasiter tous les conflits pour attiser les tensions et faciliter l’installation de l’État islamique au Grand Sahara, notamment au Burkina Faso qui est une zone charnière entre l’Afrique côtière et le Sahel. C’est en partie, l’explication des vives tensions dans des zones comme Gorom Gorom et Markoye, dans la province de l’Oudalan.

Comment analysez-vous la situation au Niger avec les attaques récurrentes contre les militaires ?

Bakary Sambe  : Le Niger fait partie des pays qui sont sous pression sécuritaire. Il doit faire face au terrorisme sur au moins deux fronts : dans le Sud avec Boko Haram et au nord avec les Mujao et autres groupes venant du Mali tout en craignant, à tout moment, un débordement du front sud libyen. Avec la défaite de l’État islamique en Syrie et en Irak, tous les regards se tournent, en effet, vers le sud libyen qui devient un refuge pour les terroristes. Le groupe d’Abou Walid al-Sahraoui cherche à s’étendre. Ne pouvant pas déborder vers le sud algérien – qui est le territoire de Belmokhtar ou de ses hommes – il tente d’étendre ses tentacules vers le Niger. Ce pays est, en effet, une zone de passage et de circulation des armes à partir du canal libyen vers les pays sahéliens.

On se rend compte que ces pays ciblés par des attaques sont, pour la plupart, membres du G5 Sahel. Cela prouve-t-il son inefficacité ?

Bakary Sambe  : Le G5 Sahel en soi, est une bonne initiative mais qui a besoin de soutien et donc de l’appui de la communauté internationale. Il faut l’appuyer mais aussi crédibiliser la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, alors que le terrorisme tend à s’étendre et à s’unifier, les partenaires internationaux sont en train de se disperser avec une multiplicité d’acteurs même au sein des Européens. Cela donne, malheureusement, aux populations l’impression qu’il y aurait d’autres agendas voire une compétition occidentale autour des ressources, ce qui décrédibilise de plus en plus la lutte contre le terrorisme. Il y a aujourd’hui un véritable dilemme sahélien ; entre la nécessité de gérer les urgences sécuritaires et la projection vers des solutions plus durables que le tout-militaire. La communauté internationale doit opérer une rupture paradigmatique : les groupes terroristes ont déjà réussi à transférer les hostilités dans les heurts intercommunautaires qui leur permettront de déstabiliser nos États. Ils sont déjà comme dans une situation de post-djihadisme alors que continuons à raisonner en termes de radicalisation du type religieux. le religieux n’est plus qu’un vernis, mais capable de mobiliser du sens et des symboles pour saper le vivre-ensemble.

Quelles solutions proposeriez-vous contre la menace terroriste dans le Sahel ?

Bakary Sambe : Pour une lutte efficace contre le terrorisme, il faut s’appuyer, certes, sur des solutions mais il ne faudrait pas négliger des alliés de taille : les populations locales dont la résilience doit être renforcée et les stratégies endogènes mises en valeur. Or les populations souffrent de plus en plus des contraintes et difficultés liées aux mesures sécuritaires draconiennes tout vivant de manière permanente en insécurité. Il faudrait donc d’une part une aide de la communauté internationale et d’autre part, la mise en place d’une politique sécuritaire inclusive mettant la population au cœur de la stratégie. L’on a malheureusement, jusque-là, privilégié le militaire détriment de la prévention. Et les alertes et restrictions sécuritaires des pays occidentaux font planer sur les États de la région la menace d’être catégorisés « pays pas sûr ». Hélas, cela les pousse à une politique du déni alors qu’ils pouvaient développer et assumer des politiques de prévention ; s’attaquer aux racines du problème au lieu de concentrer tous les efforts sur le militaire qui ne traite que des symptômes d’un mal beaucoup plus profond.

Pourquoi le Sahel est-il particulièrement visé par les attaques ?

Bakary Sambe  : Au regard des vastes étendues territoriales et des frontières poreuses comme celles Mali, celles du Niger et du Burkina Faso et aussi l’échec des terroristes en Irak et en Syrie, le Sahel risque d’être, pour les années à venir, une véritable base arrière des groupes terroristes. Malheureusement les attaques au Burkina Faso nous renseignent sur l’avenir du terrorisme qui tend à atteindre les pays côtiers.

Avec l’enlèvement de Français et le meurtre d’un guide béninois dans le parc de Pendjari au Bénin, faut-il craindre la percée des terroristes dans des zones jusque-là épargnées ?

Bakary Sambe  : Le Sahel constitue une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest où il y a une forte influence française. Plusieurs groupes ont proféré des menaces contre la France et ses alliés faisant d’elle une cible. Tout cela combiné explique l’acharnement de ces groupes qui en veulent également à la France et qui considèrent ces pays – notamment ceux du G5 Sahel – comme très liés à leur ancienne puissance coloniale.

Par ailleurs, on a vu dans le passé, des attaques dans d’autres pays loin de l’espace sahélo-saharien comme celles de Grand-Bassam… De fait, si le verrou burkinabè cédait, l’Afrique côtière serait menacée et là aussi, les groupes joueraient sur les conflits intercommunautaires et instrumentalisation de toute forme d’instabilité politique. Cela qui serait un risque énorme pour la région.

Recueilli par Lucie Sarr

(1) Offensive militaire lancée au Mali par l’armée française en janvier 2013 avec pour objectif de soutenir les troupes maliennes conte une offensive des groupes armés islamistes qui avaient pris le contrôle de l’Azawad, la partie nord du pays.

(2) Après la chute de l’ancien président Blaise Compaoré en octobre 2014, le Burkina Faso avait entamé une période de transition avec comme président Michel Kafando. Des élections présidentielles et législatives étaient prévues le 11 octobre 2015 mais le 16 septembre, des putschistes menés par le général Diendéré ont annoncé la destitution du président et la dissolution des instances de transition avant, finalement, de redonner le pouvoir à Michel Kafando. Après cette période d’instabilité, l’élection présidentielle a finalement eu lieu le 29 novembre 2015, dans un climat apaisé.

Timbuktu Institute  a procédé à la cérémonie de clôture du Programme intitulé : « OSC et
associations sportives du Sénégal pour une culture de la paix et contre la violence  » qui était
appuyé par l’Ambassade de France dans le cadre du dispositif PISCCA, le vendredi 31 mai à 9h à
la Maison de la Presse.
Dr Bakary Sambe, Directeur de l’Institut qui présidait la cérémonie a rappelé l’importance de ce
projet face à une jeunesse  en proie à la violence dans les milieux sportifs. « Les 8 supporters
morts lors de la finale de la coupe de la ligue du Sénégal, le 15 juillet 2017, au stade Demba Diop
 en sont une preuve tangible, » affirme t’il. Il en a aussi profité pour faire le bilan du projet qui est
satisfaisant vu les différentes activités qui ont été menées avec les populations et l’implication des
autorités impliquées. Pour rappel, l’objectif du projet était de faire coopérer les ASC et OSC afin
de mobiliser leurs cités pour la lutte contre la violence des jeunes et la promotion des valeurs
citoyennes dans plusieurs villes du Sénégal à savoir Mbour, Saint Louis, Thiès et Kaolack. Dr
Sambe a poursuivi en remerciant l’Ambassade de France au Sénégal représentée par  Monsieur
Luc Briard, sans laquelle le projet n’aurait pas eu lieu.
Monsieur Briard a, dans son discours, déclaré que le projet intitulé « OSC et associations
sportives du Sénégal pour une culture de la paix et contre la violence » entrait en droite ligne avec
les objectifs des Projets Innovants des Sociétés Civiles et Coalitions d’Acteurs  (PISCCA 2018)
financés par l’Ambassade de France.
Le représentant de l’Ambassade de France a aussi salué le choix d’une équipe de football
féminine parmi les bénéficiers du projet, car, dira t-il, les femmes sont sous-représentées dans le
football. Il en a profité  pour inviter les jeunes filles de l’école de football présente à assister
prochainement, à la projection de la Coupe du monde de football féminin à l’institut français de
Dakar. Le représentant du CEDEPS Monsieur Alioune Badara Sarr a trouvé  que le projet était
une belle opportunité pour « aider les jeunes à bouter la violence hors des stades ».
Le Directeur de Timbuktu Institute a, par la suite, présenté la Plateforme numérique « Non à la
Violence dans le Sport » qui dit-il sera fonctionnel au-delà du projet. Une étude sur la violence
dans le Sport, réalisée par Timbuktu Institute a aussi été dévoilée par Yague Samb, Responsable
du pôle Gestion des conflits de l’institut. Cette enquête révèle que la violence est beaucoup plus
présente dans les Navétanes que dans les autres sports. De même, Le nombre de victimes de
violence verbale est plus élevé que le nombre de victimes de violence physique. Une des
conclusions a été d’établir que les sportifs eux-mêmes n’étaient pas ceux qui pratiquaient la
violence mais des intrus et autres jeunes en dehors des équipes.
Khadidiatou Ngom, représentante des jeunes de Saint-Louis a lu « l’Appel des jeunes » qui se
voulait un manifeste contre la violence des jeunes et un dispositif à mettre en place par l’Etat
mais aussi une meilleure coopération entre les partenaires du Sénégal et la population pour que
cesse la violence dans le sport. Un jeune récipiendaire d’une école de football de Mbour a,
déclamé un poème sur la non-violence dans le sport, composé par la poétesse Mame Famew
Camara. La cérémonie s’est terminée par une distribution  de jeux de maillots et de bandes
dessinées aux jeunes des écoles de football venus y prendre part. Pour rappel, cette bande
dessinée est l’une des réalisations du projet PISCCA avec le soutien financier de l’Ambassade de
France à Dakar.

Les dernières attaques au Niger contre la prison de haute sécurité de Koutoukalé et l’embuscade de Tongo Tongo, dans l’ouest du Niger, seraient le signe d’une « réelle volonté d’implantation à long terme au Sahel de l’État islamique au Grand Sahara ». Telle est l’analyse du Dr. Bakary Sambe qui pense qu’Al-Sahraoui s’y préparait depuis la fin de l’opération Serval bien avant même la défaite de Daech sur les fronts syrien et irakien. 

« Les cibles ont une valeur symbolique et le choix de Tongo Tongo n’est pas neutre, qui est comme une piqûre de rappel au même endroit où quatre soldats américains et cinq militaires nigériens étaient déjà tombés dans une embuscade en 2017 », souligne le Dr. Bakary Sambe.

Pour lui, « Abul Walid avait donné le ton depuis la fin de l’opération Serval et semble jouer actuellement sur deux tableaux : créer des zones d’instabilité en attisant les heurts inter communautaires et garder le flambeau du djihadisme qui semblait perdre de sa vigueur face à la mutation des conflits au Sahel suite au transfert de la violence sur les conflits locaux et à dimension communautaire », explique toujours le directeur de Timbuktu Institute. 

Malgré les différentes positions des experts sur un « Sud libyen sanctuaire du djihadisme », selon Bakary Sambe, « la défection de Daech en Syrie et en Irak impose incontestablement un redéploiement et de nouvelles zones de convergence des groupes». 

Soutenant que « pour l’heure, il est tout à fait exclu toute idée un repli dans le Sud algérien, territoire bien marqué  des hommes de Belmokhtar », le spécialiste des réseaux transnationaux dans le Sahel est d’avis que « le Sahel à partir du Kawar nigérien avec ses grandes étendues difficilement maîtrisables, est comme le nouvel espace visé par Abul Walid Al-Sahraoui ». 

Solon le directeur de Timbuktu Institute, ces attaques ont lieu à un moment assez « critique »  où « les stratégies de la communauté internationale en matière de lutte contre le terrorisme semblent battre de l’aile et installer le doute surtout chez les populations locales des zones frontalières qui subissent les contrecoups des mesures sécuritaires draconiennes tout en vivant dans l’insécurité ». 

« Au moment où les attaques au Burkina Faso restent souvent sans revendication, celles de Koutoukalé et de Tongo Tongo au Niger ont été vite brandies comme un signal fort de l’EIGS d’un retour vers les actions de grande envergure », explique Bakary Sambe. 

Mbour, 12 mai (APS) - L’universitaire sénégalais Bakary Sambe a invité dimanche à Mbour les confréries musulmanes sénégalaises à saisir les opportunités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour renforcer l’éducation et la formation des jeunes en vue de mieux répondre à la quête de sens de cette catégorie de la population.

M. Sambe, fondateur et directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies où il coordonne l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, introduisait une communication à l’occasion de la 22e édition de "l’Université du ramadan" du "Dahiratoul Moustarchidine Wal Moustarchidaty" de la capitale de la Petite-Côte.
 
"Le Sénégal a beaucoup de ressources spirituelles et culturelles qui peuvent nourrir la quête de sens de ses jeunes, mais les confréries devront également saisir cette chance énorme des nouvelles technologies, en s’y intégrant parfaitement, pour que nos enfants ne soient pas manipulés par d’autres offres", a déclaré l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis.
 
Le conférencier, traitant du du thème "Le Coran et les questions de l’heure", fait observer "un grand marché" existe, dans lequel circule à travers le monde les biens symboliques, culturels et philosophiques. 
 
"Si notre offre d’un islam pacifique, de sécurité et dialogue n’est pas positionné sur ce marché-là, nos enfants vont consommer d’autres offres. Et c’est ce qu’on a vu au Mali et ailleurs’’, a dit Bakary Sambe, considéré comme l’un des plus grands spécialistes du militantisme islamique et des réseaux transnationaux dans le Sahel.
 
L’islam "n’a pas à craindre la modernité, parce qu’étant intemporel et universel", a-t-il soutenu, estimant que "quelle que soit la modernité qu’on puisse amener à un musulman, il doit la considérer comme faisant partie de son patrimoine qui était perdu".
 
Selon lui, le prophète Mouhammed enseigne que "la sagesse, c’est comme un perdu du musulman ; il la récupère partout où il la trouve".
 
"La modernité ne saurait déranger l’islam, parce que l’islam est capable d’assimiler cette modernité, parce que lui-même est source de modernité, notamment en philosophie, dans les sciences les plus pointues, en chimie, en mathématiques", a-t-il insisté. 
 
Il affirme que c’est seulement pendant les moments où "l’islam est entré dans une forme de crise identitaire qu’il a commencé à avoir peur de la modernité", avant d’évoquer les problèmes sécuritaires auxquels l’Afrique de l’Ouest.
 
Le chercheur est ainsi revenu sur la genèse de ces crises qui sont en train de perturber plusieurs pays, au Mali, au Burkina Faso et au Nigeria par exemple, insistant sur la nécessité de travailler à faire en sorte que le Sénégal soit préservé de ce fléau.
 
 
Il relève que "les symboles religieux sont manipulés pour des motifs politiques, avec ce qu’on présente comme le djihad, la guerre sainte, etc., c’est toujours pour des intérêts économiques, avec des gens qui se drapent du manteau de la religion, alors que leurs objectifs initiaux n’ont rien à voir avec l’islam qui est contre toute forme de violence".
 
Il a convoqué les enseignements du défunt khalife général des tidjanes Serigne Cheikh Ahmeth Tidiane Sy Al Makhtoum, pour démontrer qu’il est possible, pour un musulman, "d’être dans son temps et de prendre toutes ces questions-là à bras-le-corps à partir de la lumière du Coran, de la Sunna et de l’héritage islamique".
 
"On n’a jamais pu tuer une idéologie par une kalachnikov’’, a indiqué Bakary Sambe, selon qui les "problèmes sociaux" doivent être réglés "par la médiation et la concertation".
 
Le Sénégal, assure-t-il, a "les ressorts culturels suffisants" pour "surmonter toutes les crises si on s’appuyait sur l’esprit de dialogue qui a toujours été prôné et qui fait du Sénégal un pays stable".
 
ADE/BK

Au Sénégal, l’annonce de l’interdiction du voile par une école chrétienne a suscité de vives réactions, menaçant la cohésion interreligieuse. Spécialistes de religions au Sénégal, Penda Mbow et Bakary Sambe examinent pour Sputnik les enjeux de cette affaire dans un pays où elles sont vécues comme un ciment social et un rempart contre l’extrémisme.

Il n’y a pas qu’en France que les débats sur le voile islamique cristallisent des tensions identitaires et religieuses. Le Sénégal connaît une nouvelle affaire en la matière, alors que le pays est souvent cité comme l’un des modèles les plus réussis dans le monde de coexistence religieuse pacifique.
Selon des estimations officielles, il compterait entre 94% et 95% de musulmans et plus de 4% de chrétiens, le reste étant adeptes de religions traditionnelles. Dans la plupart des familles, les membres appartiennent à des confessions, confréries ou courants religieux différents.

Face à la virulence de certains propos, «je suis peinée par mon pays, qui était un modèle de coexistence religieuse pacifique, à telle enseigne que le premier Président de la République [Léopold Sédar Senghor, ndlr] fut un chrétien soutenu par des chefs religieux musulmans. On ne pouvait pas rêver mieux en ce qui concerne la laïcité d’un État», a affirmé à Sputnik Mme Mbow, elle-même musulmane.

«L’affaire du voile» a commencé à défrayer la chronique au début du mois de mai 2019 à travers des posts sur les réseaux sociaux. Dans la nuit du 1er mai, une internaute sénégalaise partage sur Twitter la photo d’un e-mail transmis, selon elle, à sa mère par l’Institution Sainte Jeanne d’Arc (ISJA), une école privée catholique sous tutelle de la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny.

Cette congrégation «a décidé de statuer sur la tenue autorisée pour les élèves de l’ISJA; celle-ci se composera à partir de la rentrée de septembre 2019 de l’uniforme habituel, avec une tête découverte, aussi bien pour les filles que pour les garçons», peut-on lire dans ce courrier, signé de Rayanna Tall, la directrice de l’établissement.

Commentaire de l’internaute cocotte @binetou__ accompagnant la photo: «C’est juste scandaleux. Les sœurs n’ont qu’à retirer leur voile, elles aussi». Elle précise y avoir étudié et avoir porté le foulard pendant l’année de son baccalauréat.

 

Depuis, la polémique s’est installée. Les opinions s’expriment sur les réseaux sociaux, dans les médias, les discussions entre collègues, les transports en commun. Certains soutiennent l’ISJA, d’autres dénoncent sa décision, estimant qu’elle porte atteinte à la liberté des musulmans qui remplissent largement ses classes, dans un pays où ils sont par ailleurs largement majoritaires. D’autres encore énoncent des positions plus nuancées, mais semblent moins nombreux.

Pour Penda Mbow, cette polémique pose la question de la laïcité, «un enjeu extrêmement important pour les minorités et les femmes au Sénégal».

Cette affaire «nous remet dans le débat: la laïcité de l’école qui, de plus en plus, est remise en question; la neutralité de l’école comme espace d’instruction et d’éducation; et le fait aussi que, petit à petit, le modèle islamiste sur le plan politique est en train de gagner du terrain» au Sénégal, affirme Mme Mbow, précisant: «Que des adultes se voilent, c’est leur choix, mais il faut soustraire les enfants à ces combats d’adultes!».

Pour cette universitaire qui apparaît toujours en public la tête ceinte d’un foulard, l’école est le lieu de la neutralité, où tout le monde est citoyen.

 

«Il n’y a pas de différence de race, de sexe, de religion; on est là pour étudier, connaître, être instruit. Malheureusement, aujourd’hui, l’école est devenue aussi un champ de lutte des identités», insiste-t-elle.

La controverse a pris de l’ampleur avec un communiqué signé de Mamadou Talla, le ministre de l’Éducation nationale, daté du 3 mai.

«Le ministère de l’Éducation nationale constate, depuis quelques années, que des actes discriminatoires d’ordre socioculturel se manifestent de plus en plus dans l’espace scolaire», écrit M. Talla. «Cette situation n’est pas conforme à la Constitution du Sénégal» qui déclare la laïcité de la République et prône le respect de «toutes les croyances», estime-t-il, évoquant d’autres textes légaux, mais sans citer une seule fois nommément l’ISJA.

 

Source : fr.sputniknews.com

L’objectif du Groupe dans le contexte de crise généralisée de l’Education est de donner à la réflexion sur ce secteur une dimension prospective (sur le moyen et long terme), plus profonde que la recherche de solutions segmentées et cloisonnées

 

Qui sommes nous ? 

Un Groupe de Réflexion sur l’Education au Sénégal (GRES) composé de personnalités et d’expertises  diverses issues de l’Université Cheikh Anta Diop et de l’Université Gaston Berger de Saint Louis, de la société civile, du monde diplomatique. : 

QUEL EST NOTRE OBJECTIF ? 

L’objectif du Groupe dans le contexte de crise généralisée de l’Education est de donner à la réflexion sur ce secteur une dimension prospective (sur le moyen et long terme), plus profonde que la recherche de solutions segmentées et cloisonnées aux manifestations de cette crise que sont les grèves, contestations et revendications intermittentes de l’élémentaire au supérieur, de l’enseignement classique aux daaras. 

Une analyse sans complaisance par une approche systémique de l’Education au Sénégal

Après une analyse approfondie à partir d’introductions et de présentations d’articles et de travaux des différents collègues, le GRES a établi plusieurs idées fortes qui doivent structurer toute réflexion stratégique et prospective sur la question. 

QUEL EST L’ETAT DES LIEUX ?

L’école sénégalaise en crise de modèle, de contenu et de finalité

L’école sénégalaise dans sa globalité ne se donne pas d’orientations stratégiques répondant à un modèle partagé par la société sénégalaise et les acteurs qui l’animent. Plus de 30 ans après les Etats généraux de l’éducation, il n’en reste pas grand-chose en termes de choix réalisé, tenu et évalué. 

Aujourd’hui, le passage à une éducation de masse pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement provenant des injonctions et paradigmes des institutions multilatérales et dépendant de leurs financements dans un contexte de crise économique et de manque de moyens a suscité plus d’interrogations que de résultats.

Les interrogations 

♣️ Quel est finalement le modèle d’éducation sénégalais et son fil conducteur? 

♣️ Quels sont ses objectifs ? 

♣️ Quels sont les continuités à entretenir et les ruptures justifiées à faire ? 

♣️ Quelles normes minimales de qualité au-delà des chiffres maquillés ou pas ? 

♣️ Faut-il préserver la possibilité de former une élite et comment ?

L’école sénégalaise reste également marquée par l’extrême dispersion et la coexistence de différents modèles d’école (de plus en plus nombreux) sans sens commun, ni principe directeur.

Les différents modèles d’école au Sénégal 

♣️ école dite « française »

♣️ école dite « franco-arabe », privée et publique

♣️ école coranique (elle-même de différents types)

- daara tarbiyya

- daaras modernes

- daaras qui se prétendent tels, sans contrôle

♣️ écoles communautaires de base

♣️ écoles privées confessionnelles catholiques

♣️ réseaux, croissant, d’écoles étrangères

♣️ cases des tout petits

♣️ maisons de l’outil

♣️ Enseignement technique et professionnel

Par ailleurs, une grande partie de la population reste réticente à l’école dite française et les réponses sont encore incomplètes et peu satisfaisantes. Plus globalement, l’école incarne beaucoup moins qu’avant les valeurs sociales et citoyennes et les Sénégalais ont perdu foi dans le sens de l’école comme ascenseur social. 

Si les chiffres sont avancés positivement quant à l’atteinte d’objectifs quantitatifs, le consensus est général concernant la baisse grave de la qualité et l’inadaptation des curricula. 

L’inversement de l’image de l’école publique porteuse de qualité devant l’école privée désormais sans grève et garantissant les standards et les minimas de quantum horaire est désormais une réalité. Dans ce contexte, les initiatives privées se multiplient de la maternelle à l’université, de l’école laïque, catholique, franco arabe, bilingue, turc (yavuz selim), iranienne (IMI), aux écoles musulmanes moyen-orientales, etc. Se mettent ainsi en place parallèlement plusieurs systèmes d’éducation forgés de l’extérieur, avec des conceptions différentes. 

S’y ajoute le vaste secteur dit informel qui compte des milliers d’écoles coraniques allant des daaras structurés permanents aux daaras où la mendicité prime sur l’enseignement. 

Toutes ces écoles rendent compte de l’inégale prise en charge par l’Etat et la perte de contrôle sur le domaine le plus stratégique de l’avenir de notre nation. Au demeurant, l’école continue à discriminer les enfants (classes pléthoriques ou moyennement remplies, répartition inégale de la formation informatique, des enseignants de qualité, privés contre public, enseignement laic contre enseignement religieux, médersas musulmanes contre daaras, etc.) et est paradoxalement une fabrique d’injustice et d’inégalités dans les chances de réussite entre Sénégalais. 

De manière générale, les réformes qui sont faites dans le sens d’intégrer l’arabe, le religieux et les langues nationales pour répondre à la demande d’une école plus « sénégalaise » constituent des tactiques pour gagner de nouveaux publics et non des choix stratégiques d’enseignement et d’éducation adossés à un projet de société global. L’école d’aujourd’hui marquée par une dispersion extrême reflète et renforce une désintégration des référentiels traditionnels endogènes, sur le fondem.

De l’historicité et de l’ancrage de l’éducation religieuse au Sénégal 

Le Sénégal est un pays à plus de 95% de musulmans et à presque 100% de croyants. Les ordres d’enseignement chrétiens sont proportionnellement bien représentés dans l’espace de l’offre éducationnelle avec une image saine et ouverte, malgré quelques insuffisances et leur dynamisme n’est plus à démontrer. 

L'éducation islamique qui est une constante dans les sociétés musulmanes sénégalaises a a contrario, un déficit de reconnaissance, de respect et de structuration. Pourtant l'instruction est une obligation et l'accomplissement du rituel est fortement lié à un ensemble de règles que le musulman doit respecter, en collectivités ou en intimité. 

Pr Abdoul Aziz Kébé

Pr Penda Mbow

Dr Fatou Kiné Camara

Dr Cheikh Guèye 

Dr Bakary Samb

Dr Souleymane Gomis

 

Source: www.seneplus.com

Deux touristes français sont portés disparus depuis une semaine alors qu’il visitait le parc de la Pendjari au nord du Bénin. Leur guide a été tué et la thèse de la prise d’otages est privilégiée

En l’absence de revendication, les sources sécuritaires privilégient la piste de l’enlèvement par une cellule terroriste après la disparition de deux touristes français depuis mercredi dernier alors qu’ils réalisaient un safari dans le nord du Bénin. Dans une vidéo du 29 avril attribuée à Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique appelle les « franchises » malienne et burkinabé de Daech à intensifier les frappes contre la « France croisée » et ses alliés africains.

 
 
 

Une semaine après avoir quitté leur hôtel de la réserve de la Pendjari pour un safari dans un 4x4 Toyota blanc, deux touristes français sont toujours portés disparus. Leur guide béninois a été retrouvé mort. Certaines sources sécuritaires estiment que les Français sont désormais des otages déjà au Mali ou en voie de transfert vers ce pays. La réserve animalière de 4 700 km2 au nord Bénin, où ils auraient été enlevés, touche les parcs de l’Arly et du W à cheval sur le Burkina Faso et le Niger. Le groupe djihadiste de l’Etat islamique au Grand Sahara (EGIS) est actif dans cette région, plus souvent du côté burkinabé. Il a noué des alliances avec des locaux ayant fait leurs classes religieuses au Mali.

Le Bénin avait été jusqu’alors épargné par les attaques terroristes. Mais cette menace s’est rapprochée des pays côtiers depuis deux ans. Le président togolais Faure Gnassingbé a annoncé fin avril le démantèlement de plusieurs cellules terroristes au nord de son territoire. Deux mois avant, quatre douaniers burkinabés et un prêtre espagnol ont été assassinés au Burkina Faso peu après avoir traversé la frontière togolaise. Ils revenaient d’une réunion à Lomé. Les forces de sécurité de la région vivent dans la crainte. Elles ont multiplié les réunions avec leurs voisins afin d’éviter les attaques à grande échelle comme à Grand Bassam, non loin d’Abidjan, en 2016. Les services de renseignement maliens ont arrêté, début décembre, quatre jihadistes soupçonnés de préparer des attentats en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Mali.

Depuis l’année dernière, de nouvelles cellules terroristes se sont implantées au sud-est du Burkina, contraignant les autorités a déclaré l’état d’urgence

Le 8 novembre dernier, le terroriste touareg malien Iyad Ag Ghali, l’Algérien Djamel Okacha et le prédicateur radical peul Amadou Koufa ont appelé à « poursuivre le jihad » dans plusieurs pays (Sénégal, Mali, Niger, Bénin, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Nigeria, Ghana et Cameroun). « Cette vidéo fait écho à l’extension des groupes jihadistes actifs au Burkina Faso à de nouveaux espaces, à la menace croissante qu’ils exercent sur les pays du golfe de Guinée », explique Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More, dans une note récente sur la menace djihadiste dans cette région.

Présents à l’origine au nord du Mali, les groupes jihadistes, sous pression des soldats français de Barkhane, ont progressivement migré vers le centre du pays, devenu le principal théâtre des violences. Ils ont ensuite établi de nouvelles antennes à l’ouest et au nord du Burkina, notamment dans la région des trois frontières (Mali, Burkina, Niger), en surfant sur les frustrations de la jeunesse peule et rimaïbé. Les premières attaques remontent à 2015 et 2016, année où Ibrahim Malam Dicko a fondé le groupe Ansaroul islam. Depuis l’année dernière, de nouvelles cellules terroristes se sont implantées au sud-est du Burkina, contraignant les autorités a déclaré l’état d’urgence, en janvier 2019, dans 14 provinces frontalières et a fermé de nombreuses écoles publiques.

Plusieurs opérations, auxquelles les forces françaises ont participé dans les régions frontalières du Mali et du Niger, n’ont pas permis d’éradiquer complètement ces cellules. En mars dernier, l’opération Otapuanu de l’armée burkinabé a toutefois neutralisé un nombre important de combattants de la région de l’Est dont leur chef, Omarou Diallo, alias Diaw Oumarou. « C’est une grosse prise, explique un diplomate français. Il s’est mis à table et a balancé les recruteurs, les logisticiens, des complices et des chefs de cellules affiliés à des groupes terroristes de l’EIGS, du Front de libération du Macina, d’Ansaroul islam. » A la suite de cet interrogatoire, le ministère de la Sécurité a publié une liste de 247 personnes recherchées.

« Les groupes terroristes coopèrent étroitement sur le terrain au moment où la communauté internationale se disperse avec une multiplication des stratégies et des acteurs »

. « Les terroristes veulent casser le verrou burkinabé qui est la dernière barrière pour accéder aux pays côtiers », explique Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute. Le chercheur voit la main d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui, chef de l’EIGS, derrière le dernier enlèvement des Français. « Depuis l’opération Serval en 2013, al-Sahraoui a changé de doctrine en ne menant plus d’actions frontales mais en multipliant les zones d’instabilité confiées à des commandements très décentralisés, précise-t-il. Les autres groupes ont une action plus locale. »

Les premiers agissements des groupes jihadistes dans les pays côtiers datent du milieu des années 2010. « Dans le parc transfrontalier du W, des combattants originaires du Mali auraient mené en 2014-2015 une reconnaissance en poussant jusqu’au Bénin, souligne Antonin Tisseron. De même, en 2015, plusieurs membres actifs d’une cellule du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM, filiale d’Aqmi) dans la forêt de Sama, à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Mali, étaient arrêtés, sans pour autant que les survivants cessent leurs activités. Ce sont d’ailleurs des membres de cette unité qui seraient à l’origine de l’enlèvement d’une none colombienne dans la région de Sikasso au Mali en février 2017, et qui ont été arrêtés à côté de Koutiala le 6 décembre 2018. »

Les Etats du golfe de Guinée présentent certaines fragilités propices à l’installation des groupes djihadistes à l’approche d’échéances électorales cruciales qui devraient mobiliser l’attention des dirigeants sur les enjeux politiques : tensions partisanes, communautaires, religieuses ; conflits entre éleveurs et agriculteurs ; violences des forces armées ; frustration des jeunes à l’égard d’aînés et des autorités traditionnelles qui monopolisent le pouvoir ; inégalités socio-économiques ; montée du christianisme évangélique et du salafisme... Le port du voile se généralise au nord Bénin, dans des villes comme Djougou. Au Ghana, une étude récente s’inquiète de la légitimation des activités jihadistes par les populations dans le quartier de Madina, à Accra. « On assiste aussi à une radicalisation dans certaines mosquées ivoiriennes », confie un expert de l’Union africaine.

« Les groupes terroristes coopèrent étroitement sur le terrain au moment où la communauté internationale se disperse avec une multiplication des stratégies et des acteurs, conclut Bakary Sambe. Les pays côtiers doivent absolument valoriser les stratégies de résilience communautaire, accentuer le travail de prévention, renforcer la coopération entre leurs services de sécurité, faire de la prospective et rompre avec la culture du déni où le terrorisme est vu comme un phénomène importé. » Ces pays doivent aussi sortir de la logique du tout-sécuritaire, ne pas miser que sur la sociabilité des confréries religieuses soufies pour apaiser les tensions et, pire, déléguer la gestion de la sécurité à des milices locales qui, dans la pratique, perpètrent de nombreuses exactions et appliquent une justice expéditive.

Par Dr. Bakary SAMBE Enseignant-Chercheur au centre d’Etude des Religions (CER) UGB

Par un simple communiqué, le Ministère de l’Education nationale a voulu mettre fin à une polémique d’une extrême sensibilité en insistant sur des dispositions réglementaires. Mais le problème est plus profond et, au fond, plus sérieux. C’est ce qui a expliqué la passion qui a entouré le traitement médiatique de cette affaire. Encore temporairement étouffée, mais, comme d’habitude, rien n’est presque réglé dans le cadre d’une solution durable. L’affaire va s’oublier le temps que réapparaisse un autre symptôme du vrai mal qu’on ne prend jamais ni le temps encore moins le courage de soigner. Je suis persuadé que cette « affaire » est loin de connaître son épilogue !

C’est un fait triste mais il faudrait en convenir ! Il y a, dans notre pays, deux questions fondamentales que chaque régime laisse au suivant telle une patate chaude par manque de courage politique mais aussi pour des calculs électoralistes alors qu’il s’agit d’un enjeu énorme pour l’avenir du Sénégal : la question de la dualité de notre système éducatif et celle de la gouvernance du religieux. Dans leur majorité, tou régimes confondus, les réformes constitutionnelles n’ont, généralement, concerné, depuis notre indépendance, que des questions liées à la conquête, la gestion ou la conservation du pouvoir politique. Des questions sociales essentielles sont toujours renvoyées aux calendes grecques. En fait, nous sommes dans un pays où les dirigeants successifs ont toujours tenu un discours exprimant publiquement mais superficiellement le désir de construction d’une Nation, mais sans se soucier du ciment national : un système éducatif unifié inculquant les mêmes valeurs à tous enfants d’un pays qu’il instruit de manière égalitaire quelque soit la langue d’enseignement et quelle que soit leur religion.

Sur une question de voile dans une école catholique, les opinions les plus contradictoires se sont exprimées dans les médias sénégalais et les réseaux sociaux pendant une semaine. Malgré le désintérêt que l’on pourrait avoir pour les faits divers et les polémiques entourant cette affaire, il faudrait quand même apporter quelques précisions qui me semblent de taille afin de montrer, à l’instar de la gouvernance qui pose problème, les inconséquences de la presque totalité des positions prises par les différents acteurs.

1-     De ceux qui demandent à l’école catholique de respecter le principe de la liberté religieuse peu seraient prêts à accepter une fille non voilée dans une école islamique à plus forte raison d’un garçon portant une croix, simplement intéressé par l’enseignement et non la pratique religieuse comme il est le cas pour ces enfants de musulmans admis dans des écoles catholiques.

2-     De ceux qui demandent à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de ne pas « nuire à la cohésion sociale »  par l’application de son règlement intérieur, presque personne n’a jamais défendu le droit des catholiques à avoir des lieux de culte partout où ils le désirent sur l’étendue du territoire de la République.

3-     De ceux qui s’offusquent qu’une école privée reconnue par l’Etat sénégalais et régie par ses lois refuse à un enfant de la République « l’exercice de son culte », beaucoup ont été contre les propositions de l’Etat pour la modernisation des écoles coraniques ou introduire des enseignements du programme de l’Education nationale dans le cursus de leurs écoles privées.

4-     Enfin, nombreux parmi ceux qui, derrière cette affaire, disent défendre les « daaras » ont leurs enfants dans les écoles publiques, privées laïques ou confessionnelles en français. Seulement, ils affichent, publiquement, pour souci de commodité idéologique et communautaire, un semblant de rejet d’une école sénégalaise qu’ils considèrent comme « occidentale » et qui serait encore sous l’emprise de la « langue et du modèle du colon » tout en y envoyant leurs enfants y compris dans les prestigieuses universités occidentales européennes ou encore Nord américaines.

Sur ce dernier point, l’inconséquence frise l’hypocrisie et fait que, finalement, la discrimination contre les élèves de l’école coranique tant décriée n’est, finalement, pas le seul fait de l’Etat mais de certains de ses propres acteurs qui en soustraient leurs propres enfants dès qu’ils en ont les moyens.

Bien que, pour la « cohésion sociale » l’Institution Jeanne d’Arc se doive d’intégrer les réalités socioreligieuses du Sénégal, il serait, toutefois, injuste de lui demander de supporter, seule, tous les efforts d’adaptation en taisant le caractère non religieusement contraignant pour les musulmans d’envoyer leurs enfants à l’école catholique. Cette dernière, comme celle islamique, a ses règles, ses objectifs et orientations clairement déclinés dans le projet d’établissement qu’elle n’a jamais imposé non plus à aucun parent musulman ou même chrétien.

C’est-à-dire qu’au-delà de la simple question du voile, cette affaire a été piégée par des sous-entendus et des non-dits. Elle a été un exutoire pour beaucoup d’acteurs impliqués. Derrière la levée de bouclier, il y a la revendication égalitariste d’une obligation de l’Etat à subventionner l’école coranique au même titre que le privé catholique dont les effectifs – faudrait-il le rappeler- sont composés en majorité d’enfants musulmans. C’est-à-dire que, contrairement au simplisme idéologique mettant en avant la subvention étatique au bénéfice  des écoles catholiques dans un pays à majorité musulmane, l’Etat sénégalais, en réalité ne fait qu’appuyer financièrement un enseignement laïc dispensé à des enfants de musulmans largement majoritaires dans les écoles catholiques.

5-     Certains, voulant « régler ses comptes » à l’Etat, soit dans le cadre leur opposition au projet de modernisation des daaras ou la volonté de réglementer les écoles coraniques prennent le débat en otage politique et en profitent pour agiter la dénonciation de l’injustice et des droits offerts à une « minorité » qui, à leurs yeux, en abuserait. C’est là la source du malentendu savamment entretenu par des idéologues et qu’il serait important de lever pour de bon : les Sénégalais chrétiens –l’ordre me semble important- ne sont pas une minorité au sens de dhimmi, mais des citoyens à part entière d’une République qu’ils partagent avec tous et avec tous les droits.

 

6-     Mais d’autres encore, à l’attitude plus pernicieuse, se sont vite engouffrés dans la brèche pour mieux affirmer leur revendication du refus du système éducatif sénégalais et de son projet tout simplement parce qu’en réalité, ils en ont un autre : user de l’éducation pour la réalisation de projets idéologiques sur lesquels nous sommes revenus assez souvent ces dernières années. Ces mêmes acteurs plus visibles et un peu trop audibles lorsqu’il s’agit des droits des uns que quand ceux d’autres sont menacés, savent pertinemment ce qu’ils font et leur projet est clair. Ils le déroulent en violant les règles et principes qu’ils veulent que l’on n’applique qu’aux autres. Eux, peuvent bien fermer leurs écoles à une fille non voilée et leurs mosquées aux pratiques cultuelles même de musulmans d’eux différents. Accepter un non musulman ? La question ne saurait effleurer ! Quelle simpliste et sélective interprétation de la « liberté religieuse » qu’ils brandissent telle une épée de Damoclès au dessus de leurs concitoyens catholiques ! Mais, « celui qui n’a qu’un marteau dans la tête verra toujours tous les problèmes du monde sous forme de clous ! », dit un de nos proverbes qui a fini par voyager très loin.

La communauté musulmane qui a toujours vécu en toute harmonie avec nos compatriotes chrétiens et d’autres religions devrait, au même titre que l’Institution Jeanne d’Arc, penser les conditions toujours possibles d’un dialogue constructif avec les responsables de l’enseignement catholique et se départir des positions extrémistes de tous bords.

C’est déjà un échec sénégalais que cette affaire soit tranchée par un communiqué d’un Ministère évoquant des principes qu’il n’applique pas du tout à d’autres communautés avec lesquelles, au nom de compromis et de compromissions, il négocie depuis l’indépendance, parfois, au mépris même de ses prérogatives régaliennes. Au lieu d’un sens du discernement et de la mesure, c’est cela qu’on appelle un système de deux poids deux mesures dans la précipitation et la volonté d’évacuer une question qui dévoile des inconséquences longtemps traînées !

Il faudrait, cependant, saluer la position première du Cadre Unitaire de l’islam au Sénégal et ses efforts auxquels je me suis beaucoup associé ces dernières années depuis un premier cas similaire et que nous avons conjointement réglé par la médiation.

De la même manière, dans leur sagesse habituelle, des membres du clergé catholique comme Mgr André Guèye de Thiès, ont fait preuve de grande responsabilité. C’est sur ce sens d’une responsabilité partagée de la paix sociale et de l’entente cordiale qu’il faudrait miser pour sortir de cette crise. Le Sénégal en a traversé d’autres et les a surpassées !

Le système éducatif sénégalais tente, néanmoins, de se perfectionner et intègre, à doses homéopathiques, des réformes, certes, importantes mais parcellaires. La prise en charge des demandes éducatives des familles comme l’introduction de l’enseignement religieux mais aussi l’organisation et la reconnaissance d’un baccalauréat arabe permettant l’accès à l’université public sont des efforts à saluer.

Mais, il n’y a pas de schéma directeur vers l’unification définitive du système dans le respect de la diversité de ses demandes et des attentes de ses acteurs. Et, sans se voiler la face, on voit nettement que ces réformes ne vont pas au même rythme que celles constitutionnelles et politiques pour lesquelles auxquelles nos députés sont si habituées et en procédure d’urgence surtout lorsque les majorités sont si confortables.

Pourtant, des réflexions profondes auxquelles, avec une modeste contribution, j’ai eu l’honneur de prendre part aux côtés de collègues et amis comme Pr. Abdoul Aziz Kébé, Penda Mbow, Cheikh Guèye (Enda), Fatou Kiné Camara et Souleryame Gomis, avaient été engagées par des acteurs sénégalais du monde académique comme de la société civile et les conclusions versées dans le cadre du débat des Assises.

Mais, notre pays a continué de faire le pari inconséquent de vouloir consolider une Nation par le biais d’un système éclaté en envoyant ses enfants soit à l’école « française » ou « arabe » à défaut d’une école « sénégalaise » en tant que conjugaison de nos héritages négro-africains, arabo-islamiques, francophones et d’autres. Il a ouvert ce système à tous les pays, à toutes les offres, sans prendre la responsabilité d’en avoir la totale emprise. La raison n’est pas un déficit de capacités et de compétences mais une absence de vision et surtout d’un nécessaire courage politique.

Il est sûr que, lorsqu’un Etat croit qu’il peut régler les problèmes aussi sérieux en empruntant des bricolages circonstanciels sous couvert d’un consensus mou permettant de remettre toujours à plus tard la décision politique tranchée et juste, on en arrive à de telles situations où les fuites en avant produisent toujours des solutions à reculons.

C’est cela qui a mené à une situation où un débat sur un fichu morceau de tissu devant envelopper ou non la tête d’une apprenante soit source d’autant de polémiques. Notre pays vit aujourd’hui le même paradoxe que tous les autres Etats laïcs qui se trouvent devant la nécessité paradoxale de gérer le religieux au regard de ses enjeux. Pourtant le modèle sénégalais avait offert des champs de possibilités qui auraient même pu inspirer d’autres avec lequel nous partageons le fait d’être laïc mais pas de la même manière, au regards des circonstances historiques différentes.

Tant que l’Etat ne prendra pas la question éducative comme une problématique cruciale car traversant le vivre-ensemble et la cohésion sociale nous ne sortirons pas de telles contradictions et de telles inconséquences qui inspirent le bricolage à la place d’une véritable gouvernance.

En Juin 2010 dans une tribune intitulée « Les arabisants sénégalais ; une contre-élite à l’heure des changements politiques », nous recommandions la mise en place d’une grande direction de l’enseignement privé confessionnel avec des sous-directions musulmanes, catholiques, protestantes et autres. Un tel dispositif permettra de régler en grande partie la question de l’inégal accès au financement étatique pour toutes les écoles privées appliquant le programme de l’Education nationale quelles qu’en soit la langue d’enseignement et l’orientation en matière d’éducation religieuse.

Certaines de ces recommandations de l’époque que les « arabisants » avaient repris dans un mémorandum présenté aux candidats à la présidentielle de 2012 avaient abouti à la création du baccalauréat arabe et la réouverture d’une section arabisante à l’ENA pour permettre à tous les enfants de ce pays à pouvoir le servir sans discrimination. Des acteurs politiques du pouvoir comme de l’opposition se sont, depuis, inspirés de telles recommandations dans leurs discours ou programmes électoraux. Mais il reste à régler la question de fond : comment traiter définitivement de cette dualité du système éducatif avec des mesures fermes mais pédagogiques afin que l’école ne soit plus, dans ce pays, un sujet de division ou le terrain de confrontation des contradictions de notre société en mutation et en questionnement ?

Cette polémique autour du voile « islamique » dans une école « catholique » n’est qu’un des nombreux problèmes qui commencent à dévoiler les failles d’un système éducatif dont la réforme exige la plus grande concertation. La violence de certains propos et le caractère trop passionné du débat qui a vite viré à la polémique stérile et porteuse de risques sont dus au fait qu’il a été un exutoire pour certains exprimant très mal les maux d’un système à revoir.

En tout état de cause, ce n’est que le début d’une longue série d’autres polémiques qui tourneront toujours autour du religieux, de la famille, de l’école que, malheureusement, certains, à défaut d’un débat national ouvert et inclusif, n’hésiteront point à l’instrumentaliser à des réflexes identitaires. Un tel jeu ne fera que l’affaire des extrêmes de toutes natures dans un contexte sous-régional lourd de risques et d’incertitudes.

Pour éviter une telle situation, l’Etat doit refaire de l’éducation une prérogative nationale qu’il réglemente, gère et oriente en toute souveraineté malgré la nécessité d’une régulière et large concertation comme dans le cadre des Assises de l’Education dont les conclusions ne doivent plus rester lettre morte. L’essentiel de la réflexion est déjà produite. Ne font plus défaut que le courage et la volonté politiques.

Consultante à l’Institute for Statecraft and Governance à Londres et au Timbuktu Institute de Dakar, Fatima Lahnait est historienne et enseignante en région parisienne. Après plusieurs travaux sur l’intégration des jeunes d’origine maghrébine en Europe et les femmes djihadistes, elle publie l’ouvrage Pasionarias pour dresser le portrait de militantes politiques armées qui ont marqué les 100 dernières années.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

L’idée a germé à partir des attentats de 2015 à Paris, lorsque des femmes ont été impliquées au sein du groupe terroriste qui a commis ces attaques. Dans ce cadre, j’ai beaucoup été sollicitée par les journalistes et par les médias pour commenter cette implication des femmes dans les mouvements djihadistes, car cela surprend les voir engagées dans des mouvements armés et avoir recours à cette violence.

Cependant, il faut savoir que l’engagement des femmes dans les mouvements armés est une vieille réalité autant que leur recours elles-mêmes à la violence politique. On a toujours eu du mal à l’accepter, ce qui m’a toujours intriguée. Il ne faut pas le considérer comme un phénomène nouveau, comme l’ont fait certains médias depuis 2015. Ce qui m’a intéressée est donc de connaître à travers l’histoire ces femmes qui se sont engagées dans la violence au nom d’une cause qu’elles considèrent comme juste, quitte à sortir du cadre normatif dans lequel leurs sociétés les assignent.

Ce livre tente donc d’apporter un éclairage, à travers le portrait de douze femmes, concernant leurs rôles et leurs places dans le cadre de mouvements ou de conflits armés. Elles ont fait partie d’armées de libération, de révolutions ou de résistants qui ont porté les armes et qui ont défié le regard de tout un monde où l’on assimile automatiquement ces actes à des hommes.

Sur quels critères vous êtes-vous basée pour sélectionner les personnalités qu’on retrouve dans votre ouvrage ?

D’abord, j’ai beaucoup lu sur le sujet puisqu’il y avait la jonction entre l’engagement dans un mouvement politique conduisant à un engagement vers une violence. Je me suis rendue compte que pour la plupart des femmes, des idées féministes viendront se juxtaposer à leurs idéaux. C’est là où il a été important pour moi d’éclairer les facteurs qui ont impliqué ces femmes à devenir des auteurs d’actes violents et comment vont-elles et ont-elles voulu transgresser les normes, tout en tentant d’imposer une égalité des genres sur le terrain de l’action.

J’ai également évoqué un point commun à ces femmes selon lequel il faut avoir véritablement foi en sa cause pour s’engager jusqu’à recourir à la violence. Je me suis dit que je n’allais pas me restreindre au sujet du moment où l’on parle beaucoup de djihadisme et de mouvements terroristes islamistes. J’ai préféré prendre du recul. L’engagement, qu’il soit pour les hommes ou pour les femmes, ne relève pas que des groupes extrémistes religieux. Il porte sur différents contextes et cas que l’on ne peut pas réduire à cela.

J’ai voulu donc élargir cette vision en menant des recherches sur différents mouvements. J’ai veillé à avoir une variété et une diversité géographique en incluant des portraits de femmes ayant vécu ces 100 dernières années en Afrique, en Amérique, en Europe et dans différents pays.

On a beaucoup parlé de l’engagement des femmes palestiniennes j’ai voulu montrer qu’après 1948, leur mouvement était laïc. Toutes les femmes ont eu foi en leur cause. J’ai été intéressée de voir chez ces femmes un passage de la foi en la cause à la foi religieuse qui se superposera à la cause initiale. Au début des années 2000, des mouvements vont effectivement adopter des revendications religieuses pour légitimer notamment l’action kamikaze.

J’ai intégré par ailleurs une seule femme jihadiste avec laquelle le livre se termine, tout comme j’ai portraitisé une femme qui s’est engagé au Ku Klux Klan. Il ne nous appartient pas de porter des jugements sur leurs engagements mais de comparer les sources et d’éclairer ce parcours personnel au-delà des idéologies, en lien avec le contexte dans lequel ces femmes vivent.

Avez-vous trouvé des difficultés à documenter la vie de ces personnalités ?

La période de recherche a été longue car je devais croiser plusieurs sources, en essayant d’être la plus impartiale et objective possible, tout en m’adaptant aux supports dans différents langues. J’ai également côtoyé des femmes engagées dans des mouvements extrémistes islamistes, mais je n’ai pas voulu inclure ces parcours, n’apportant pas une véritable valeur ajoutée au livre dans la mesure où je n’ai pas souhaité n’être que dans du contemporain et sans recul nécessaire.

Sur 12 portraits, j’ai tenté par ailleurs de représenter 12 engagements différents tout en montrant qu’elles étaient très lucides et clairvoyantes dans le cadre de la défense de leurs causes politiques, et c’est là où je souligne que le titre du livre n’est pas employé dans une connotation péjorative mais exprime l’engagent fervent de ces femmes.

Pensez-vous qu’un long travail reste à faire pour tirer de l’oubli les femmes qui ont marqué l’histoire ?

Certainement. Pour avoir un éclairage correct quant au rôle et à la place des femmes, il reste beaucoup à faire, ne serait-ce que par exemple, lorsqu’on aborde la thématique des femmes et des violences. Bien évidemment, nous en restons avant tout des victimes, que ce soit dans les conflits armés ou dans les violences conjugales et domestiques.

Cependant, les femmes peuvent aussi être actrices de la violence pour une cause politique à laquelle elles croient durement. Les femmes ont des opinions qu’elles défendent parce qu’elles font une réflexion préalable et pas parce qu’elles seraient sous l’emprise d’un homme qui l’y pousserait. Ce sont ces femmes-là qui m’ont intéressées à travers l’histoire et cet ouvrage est une contribution pour lever le voile sur cette question, bien qu’il reste beaucoup encore à exhumer pour expliquer ces engagements, dans une démarche d’empathie mais sans sympathie.