Sacré-Coeur 3 – BP 15177 CP 10700 Dakar Fann – SENEGAL.
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In a study conducted by the Timbuktu Institute in Niger (Zinder Region) it has become apparent that young people often perceive the state as a repressive body. From this point of view, there is an ambiguous relationship between young people and the different branches of the state, including the security forces and the local administration, according to a survey in collaboration with International Organization for Migrations (IOM).
In fact many of the young people surveyed (42.1%) consider the State as a repressive body, and 21.1 per cent are indifferent to it; that is, they do not even know the role of the State. This culture of renunciation of the political order allows incivility in all its forms and encourages the proliferation of illegal and subversive practices. The State and political order distrust can be seen as a form of rejection exposing these young people, sometimes because of defiant motives, to extremist movements or those rejecting this type of order. Furthermore, the survey highlighted the fact that young people have relative knowledge and sometimes a positive view of terrorist organizations. This vision is all the more important if the state of mind of young people is considered in a perpetual search for role models and “heroes” who can reinforce their distrust of the political order.
Young people’s awareness of terrorist organizations operating in the Sahel is sometimes linked to the geographic proximity or to the available information through the media. The most popular extremist organizations are Boko Haram, considering the proximity to the area of intervention of this movement, the Movement for Unity and Jihad in West Africa (MUJAO), AQIM and Ansar Dine.20 Of the respondents, 260 (that is 87% of young people) declare having a good knowledge of Boko Haram and its political and religious agenda, while 17 per cent claim to know the MUJAO. The 12 per cent say the same for AQIM, while 2.3 per cent of respondents say they have a good knowledge of Ansar Dine.
Of course, it would be interesting to verify if this declared knowledge is in line with the reality of these movements and their modus operandi or rather a perception through the acts relayed by the media. The high rate of respondents claiming to know Boko Haram is naturally explained by the proximity of this group’s operations, and also by the widely broadcast regional news. Boko Haram is active in the Lake Chad Basin and neighbouring Nigeria, while the second MUJAO operates mainly in northern Tillabéri.
According to the understanding of the young people interviewed, these movements are often presented as defending a religious order or seeking to repair social injustices. Faced with the violent extremism phenomenon, these groups of young people often have fairly strong convictions, ranging from rejection to support the challenging of a system perceived as unfair. They therefore mistake the commitment to an extremist or violent movement with the defence of principles of “general interest”. The term general interest is to be understood, in this sense, as the real aspiration of the people, which would be different from what the policy of the State viewed as inadequate.
As a result, these movements arose from the contestation of the State and political authority, which were considered “unfair” to the point they had to replace it with other forms of organization that met their expectations and aspirations. Organized in formal structures, the young people met in Zinder do not have the same perceptions and attitudes about the many issues linked to violent extremism. This divergence of ideas and opinions offers the possibility of a better understanding of expectations and also of the perceptions from which actors build their reasoning and whether or not they can accept frameworks for dialogue or exchange.
Download Full report here : https://timbuktu-institute.org/images/youth_violence_extremism_zinder_niger.pdf
Zone contenant les pièces jointes
Enquête menée en décembre 2016 dans la ville de Zinder sous la Direction scientifique du Dr. Bakary Sambe, Directeur de Timbuktu Institute et coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, ce rapport de 86 pages sur la violence des jeunes et les enjeux de l’extrémisme à Zinder (Niger) offre des outils et des clefs pour mieux appréhender le phénomène du radicalisme religieux dans cette zone frontalière avec le Nord du Nigeria d’où sévit le groupe djihadiste Boko Haram. L’étude a été effectuée en collaboration avec l’Organisation internationale des Migrations (OIM) dans le cadre d’un projet appuyé par l’USAID ;
MAMADOU YAYA BALDE
Dans la ville de Zinder, nous révèle cette étude, les jeunes organisés en groupes informels appelés « fadas » ou « palais », sont identifiés comme des acteurs de la violence urbaine à Zinder. Parfois, ces groupes fonctionnent comme de véritables gangs et sont souvent liés à la délinquance, aux manifestations violentes, au trafic et à la consommation de la drogue.
La proximité de Zinder avec le Nord du Nigeria, les liens linguistiques, familiaux et ethniques ainsi que les importants flux commerciaux et de personnes existant entre les deux régions, posent la question de l’influence potentielle du groupe extrémiste Boko Haram sur la jeunesse de Zinder. Cette question est d’autant plus prégnante que des jeunes rapportent que des recruteurs du groupe Boko Haram ont approché les jeunes ‘’Fadas’’ et palais depuis 2012.
Finalement, les jeunes enquêtés pensent que les facteurs de l’extrémisme violent sont la pauvreté, l’exclusion sociale et l’injustice, mais affirment également que les leaders politiques et religieux jouent un rôle important dans l’endoctrinement et la manipulation les jeunes, notamment à travers des intéressements financiers.
S’agissant des recommandations pertinentes issues de cette étude, nous y reviendrons dans nos prochaines publications.
Le Rapport complet est disponible sur ce lien (Full report available here)
Français : https://timbuktu-institute.org/images/Youth-Violence-FR.PDF
English : https://timbuktu-institute.org/images/youth_violence_extremism_zinder_niger.pdf
Depuis le 13 février 2019, l’Algérie connait une effervescence sociale et politique sans précédent, et ce au moins depuis la fin des années 1980 et les émeutes d’Alger d’octobre 1988 qui s’étaient soldées par des victimes et une réforme constitutionnelle en 1989 concédée par le président Chadli Benjedid (1979-1992).
Il y a maintenant près de dix ans, alors qu’un parfum de « printemps » embaumait l’atmosphère et le paysage d’une infime partie du monde arabe à la fin de l’année 2010 courant 2011, l’Algérie, elle, restait, en apparence, plus « stoïque » face aux mobilisations populaires des voisins maghrébins. Non pas que sa population était complètement insensible ou indifférente à ce qui se passait d’extraordinaire au Maroc et surtout en Tunisie ; elle semblait comme plus dubitative, incrédule, tant elle en avait éprouvé les espérances déçues et le goût amer, quelque vingt ans auparavant, prise entre le marteau de la répression féroce de l’armée, des services de sécurité algériens, décidés à refermer au plus vite la courte parenthèse démocratique (1989-1991), et l’enclume des exactions terroristes de groupes islamistes radicaux qui fleurirent partout dans le pays à partir de ce moment-là.
En effet, le traumatisme de ce qui a été baptisée a posteriori « la décennie noire », à compter de l’interruption unilatérale du processus législatif de décembre 1991 qui préludait d’une écrasante victoire du Front Islamique du Salut (FIS), a été éminemment coûteux au plan politique, social, économique et humanitaire, avec près de 250 000 morts (sans compter les disparus et les blessés graves), ainsi que l’émergence d’une multiplicité de groupuscules et autres mouvements radicaux, tels que les Groupes Islamiques Armés (GIA), puis, plus tard, du GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), et, enfin, AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique). Ces événements constituèrent un véritable séisme moral et politique au sein de la société algérienne, avant que, difficilement, les plaies de la guerre civile se refermassent progressivement, mais non entièrement, suite à l’initiative de réconciliation nationale du président nouvellement élu, Abdelaziz Bouteflika, à partir de 1999. Ce fut alors l’adoption subséquente d’une loi dite « de concorde civile », le 08 juillet de l’année en question.
La fracture et la déchirure profondes liées aux conséquences tragiques de « la sale guerre » des années 1990, et à la mémoire traumatique qui en fut le résultat, ont indubitablement nourri et entretenu des réflexes pavloviens à l’égard de tout changement, fût-il désirable ou souhaité. En effet, la population algérienne pouvait être perçue, à tort ou à raison, comme résignée sur son sort, préférant le statu quo autoritariste aux mouvements protestataires à l’issue incertaine. C’était, a posteriori, clairement une erreur d’analyse, probablement inhérente aux approches par trop macrosociologiques.
Lénine (1870-1924) a parfaitement défini « la période révolutionnaire » ou la crise révolutionnaire qu’explicite un lecteur attentif, le philosophe Daniel Bensaïd, en la déclinant en trois points principaux[1] :
1/ « « Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du sommet, crise de la politique de la classe dominante ; […] que la base ne veuille plus vivre comme auparavant et que le sommet ne le puisse plus »
2/ « Aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées »
3/« Accentuation de l’activité des masses. »
Sans aller jusqu’à dire que l’Algérie réunit l’ensemble de tels ingrédients révolutionnaires, il est cependant possible d’affirmer que le pays, depuis cinq mois, traverseindubitablement une période révolutionnaire. Celle-ci s’est cristallisée, originellement, sur de vives protestations contre la candidature du futur-ex président A. Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Âgé de 81 ans, à la présidence depuis 1999, physiquement et intellectuellement diminué, il symbolisait dans sa chair l’impudence d’un régime en déshérence (mais tout de même résilient), d’un système politique à bout de souffle, et d’une classe politique totalement déconnectée de l’image négative, sinon de mépris, renvoyée à sa population. D’ailleurs, l’impotence d’Abdelaziz Bouteflika permettait, comme le rappelle à juste titre le chercheur Mohammed Hachemaoui, de (se) poser la question de savoir « qui gouverne (réellement) l’Algérie[2] ? », pour permettre une telle représentation présidentielle, profondément humiliante pour les Algériens d’Algérie et de l’étranger.
Le slogan, entonné pour la première fois à Bordj Bou Areridj (entre Sétif et Alger, soit au centre-nord du pays) par les manifestants opposés au cinquième mandat de Bouteflika, fut : « Pas de cinquième mandat ! » ou « Hors de question un cinquième mandat[3] ! ». S’ensuivirent plusieurs rendez-vous populaires, dépassant les clivages sociaux, ethniques et religieux, ce qui fait au demeurant la force du hirak (soulèvement). Le 16 février, une marche importante fut ainsi organisée à Kherrata (Béjaia), en Petite Kabylie, contre « le mandat de la honte ». Première différence remarquable avec les soulèvements populaires de 1988, la police ne tirera pas sur la foule et n’engagera pas de rapport de force avec les manifestants, craignant un bain de sang, et la circulation potentiellement préjudiciable pour l’Etat d’images de morts et de blessés en dehors des frontières nationales. Les manifestations vont par conséquent aller crescendo et à chaque fois un peu plus loin dans les revendications, sans doute aussi en raison de l’absence de réaction violente de la part de la police et des militaires.
Il n’y a toutefois pas « d’immaculée contestation », car nous aurions tort, en effet, de croire à un mouvement spontané, sans racines plus profondes, non pas pour invoquer on ne sait quelles fallacieuses manipulations[4] secrètes, mais pour énoncer le fait que, en contexte autoritaire notamment, une situation de crise liée apparemment à un événement particulier, purement conjoncturel,traduit en fait un malaise plus profond, plus ancien, plus structurel, in fine à la jonction du socio-économique et du politique.
En effet, le vendredi 22 février (les mobilisations le vendredi ne sont pas le fruit du hasard en contexte majoritairement musulman, car il s’agit, fût-ce pour des esprits laïques ou sécularistes, d’un jour particulier, voire un jour « saint » où beaucoup ne travaillent pas ; il est donc plus aisé de mobiliser à cette occasion). Ce sont « des dizaine de milliers d’Algériens qui manifestent dans une vingtaine de villes en réponse à un appel anonyme lancé sur Facebook contre le régime de Bouteflika et de sa famille[5] », notamment son frère, l’éminence grise de la présidence, Saïd Bouteflika. On voit combien les réseaux sociaux, sans être évidemment la cause suffisante des manifestations et de leur poursuite, restent néanmoins un instrument décisif dans la transmission d’informations, de la publication d’images et de témoignages, et, au fond, dans l’entretien d’un imaginaire contestataire.
Au fur et à mesure des semaines, l’exemplarité des personnes et groupes mobilisés issus majoritairement de la société civile, de par leurs modes d’action éminemment pacifiques, a permis un de nouveaux ralliements, un approfondissement et une précision constants de la nature des demandes, au premier chef « l’Etat de droit ». Ce qui suppose, au moins de façon tacite, de repenser à nouveaux frais les mécanismes d’allocation du pouvoir politique et par conséquent de toucher au cœur de réacteur du régime prétorien en place depuis 1965.
Sous la pression de ce qu’il est convenu d’appeler quelquefois avec condescendance la rue, plusieurs faits et changements sont intervenus, apparemment anecdotiques/cosmétiques ou non : premier événement saillant, après que différentes strates de la société eurent rallié le mouvement général de contestation, à l’image des avocats, des juges, des lycéens, des syndicalistes, etc. : le lundi 11 mars, Ahmed Ouyahia, un des autres hommes forts du régime, présente sa démission en tant que Premier ministre, alors qu’il soutenait jusqu’au dernier moment la candidature d’A. Bouteflika ; le 26 mai 2019, il est renvoyé devant la cour suprême algérienne pour des soupçons de corruption ; le 12 juin suivant, il est à ce titre placé en détention provisoire et, depuis lors, incarcéré à la prison d’El-Harrach. Le mardi 26 mars, le chef d’état-major de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah (lui-même visé par les manifestants), en vertu de l’application de l’article 102 de la Constitution (en référence à « un état d’empêchement » du président), contraignait A. Bouteflika à quitter son poste, lequel en prit acte, en annonçant le 02 avril sa démission. L’armée, de concert avec la justice, en vue de faire redescendre le niveau et l’intensité des protestations, fait à dessein emprisonner des figures liées de près ou de loin au régime et à son fonctionnement clientéliste, en particulier des hommes d’affaires très riches ou des généraux impliqués dans la corruption. Cependant, comme le souligne le chercher Saïd Belguidoum, la corruption est tellement généralisée et structurelle, qu’elle impliquerait des jugements et emprisonnements encore plus importants et sans doute davantage retentissants si le processus devait être mené jusqu’à son terme[6].
Malgré la persistance des manifestations en Algérie et la demande de plus en plus aiguë d’un changement effectif de régime (c’est-à-dire des modes de distribution et d’affectation d’un pouvoir qui serait institué en des termes clairs et transparents), la hiérarchie militaire- qui reste à ce jour l’épine dorsale du régime malgré les rapports de force en son sein et le fait qu’elle vacille comme n’importe quel autre corps social, tient tête ; elle se contente jusqu’à présent de lâcher du lest, par petites doses, pour que, au fond, la contestation n’atteigne jamais les ressorts et rouages fondamentaux de l’édifice du « pouvoir réel », selon l’expression du politiste Lahouari Addi. Au fond, il s’agit de transformer à la marge, afin que rien (de fondamental) ne change…On pourrait filer la métaphore suivante pour décrire la situation du pouvoir en Algérie : les chefs de chantier ( soit la hiérarchie militaire et les élites politiques cooptées ou ralliées) s’adonnent à une espèce de ravalement de façade de l’édifice politique, formellement donc, sans que les intérieurs ne soient pour autant structurellement revus et corrigés; tout au plus, seuls quelques étages sont réfectionnés, en mettant aux arrêts telle ou telle personnalité économique ou politique, en vue de calmer les manifestants et la gronde croissante de plus en plus de segments de la société algérienne.
Enfin, on s’interroge souvent, et à juste titre, sur le rôle et l’attitude des islamistes (ou acteurs de l’islam politique) en périodes troublées, agitées, révolutionnaires. En parfaits conservateurs et défenseurs de l’ordre établi, surtout s’ils sont en situation de transactions collusives avec l’Etat et ses plus hauts représentants, ils se montrent par conséquent peu enclins à rejoindre la rue au risque de perdre le capital acquis par des années d’institutionnalisation, de compromis, voire de compromission avec les élites autoritaires. En Algérie, cette donne s’est amplement confirmée, le MSP (Mouvement pour la Société et la Paix), le principal pari islamiste légaliste ayant participé au gouvernement d’A. Bouteflika, restant dubitatif et en retrait tactique. De manière opportune, sinon opportuniste, des représentants du mouvement islamiste en question, à l’instar Abderrazak Makri, sont apparus dans des cortèges de manifestants, le 08 mars notamment ; ils furent conspués par la foule[7].
Même si le régime militaire tient bon, il ne faudrait pas céder à l’illusion ou le fantasme d’un deus ex machina, c’est-à-dire d’une hiérarchie toute puissante et exclusivement manipulatrice ; cette dernière reste elle-même soumise à des craquements ou conflits internes, à la manière de lire ou de répondre à l’effervescence populaire.
Il semblerait que la tenue des élections présidentielles ne soit possible, aux yeux des personnes et mouvements mobilisés, qu’à la condition qu’une refonte du système politique, des règles du jeu et un engagement réel et fondé des élites gouvernantes, civiles ou militaires, soit clairement envisagée. A ce jour, c’est la principale inconnue de l’équation algérienne.
Par Haoues Seniguer
Maître de conférences à Sciences Po Lyon
Chercheur au Laboratoire Triangle CNRS UMR 5206- Lyon
Au-delà de l’impression d’une primauté du sécuritaire sur le développement, imposée par le péril terroriste, le débat s’installe quant à la pertinence des choix ou de l’inversion des agendas avec une gêne partagée due à l’inefficacité des stratégies jusqu’ici adoptées. Pendant ce temps, des signaux inquiétants, comme l’émergence d’un discours désormais « décomplexé » visant à décrédibiliser la lutte contre le terrorisme, risquent de compromettre les concordances de vues entre la communauté internationale et les partenaires sahéliens fortement acculés par des oppositions et pressions internes.
Dr. Bakary Sambe
Dr. Bakary Sambe
Dans la région sahélienne, les tentatives de réintégration d’anciens combattants de Boko Haram au Niger ont, certes, donné le ton sur la nécessité assumée d’alternatives au tout-répressif à travers leur installation au camp de Goudoumaria (région de Diffa). Mais les difficultés et les complexités d’une expérience de DDRR sans accord de paix ont vite émergé, surtout dans le rapport avec les communautés locales, anciennement victimes, qui ne peuvent que difficilement se contenter de discours sur la réconciliation sans un processus mûri de justice transitionnelle.
Cependant, alors même que certains analystes prônent l’officialisation du dialogue avec les groupes qui sévissent dans la région, aucune différence n’est, aujourd’hui, faite entre les stratégies mondialistes de certains groupes (Al-Qaida) ; celles régionalistes fédératives avec la mobilisation des slogans rassembleurs contre « les puissances occidentales et leurs alliés corrompus » (EIGS, Al-Mourabitoune etc.) ; celles contestataires de l’ordre politique ; ou encore, celles s’appuyant sur des logiques communautaires et ethnico-religieuses (FLM, JNIM etc), sans parler du glissement vers le narco-criminel et le banditisme transnational.
Dans un tel contexte, la question du dialogue avec certains groupes nécessite forcément que l’on solde, au préalable, les incompréhensions autour des dispositions de la résolution 2058 - qui doit faire la différence entre groupes armés et autres terroristes. Celle-ci a d’ailleurs « fait son temps » en raison des mutations profondes de la violence et de l’extension des zones de conflits loin de l’épicentre malien à l’origine de sa mise en place.
De même, les quelques expériences de dialogue avec les groupes armés qui ont abouti à des accords encore fragiles (à l’instar du Nord du Mali) ont démontré à suffisance le lien étroit entre l’ouverture de pourparlers et l’inflation du nombre des interlocuteurs. Les conflits qui durent créant toujours une économie de guerre et des tensions autour du « partage » des prébendes et des privilèges.
L’autre grande question demeure celle de l’identification des probables médiateurs dont la posture de neutralité reconnue pourrait permettre un minimum de consensus autour de la table, dans un contexte où le déficit de confiance n’épargne pas les partenaires internationaux - déjà parties prenantes dans certains cas - et encore moins le leadership politique local dont le rejet de la gouvernance fait partie du problème. Les récentes manifestations contre l’installation du quartier général de la force conjointe du G5 Sahel à Bamako, ou encore la présence militaire des puissances occidentales sont autant de signes d’un malaise qui ne faciliterait pas un dialogue fructueux bien qu’inéluctable.
Enfin, au moment où, surtout au Mali, une certaine classe politique se défausse parfois - il est vrai- sur la communauté internationale en soulignant l’« inefficacité » des stratégies de stabilisation, tout en distillant un discours aux relents populistes sur des intentions non avouées de partition du pays, la question demeure des gages crédibles qu’il serait possible de donner aux populations locales alors que celles-ci sont tombées dans une certaine lassitude face à un conflit auquel elles ont fini par s’habituer.
Le site d'information en ligne Niamey et les 2 jours contribue, depuis le Niger, aux actions de sensibilisation sur les questions de paix et de sécurité et surtout de cohésion communautaire dans la région du Sahel.
"Se fondant sur une méthodologie rigoureuse de collecte, de traitement et de diffusion d'informations de qualité avec des reporters qui couvrent différents domaines, le média d'information basé à Niamey est devenu une référence dans le milieu des décideurs" soutient le directeur de Timbuktu Institute.
Depuis longtemps engagé auprès des organisations et structures travaillant dans le développement et l'humanitaire, ce site d'information spécialisé dans le traitement de l’information économique et de gestion publique, s'est toujours fait l'écho des initiatives novatrices en termes d'approche holistique des problèmes mais aussi des solutions alternatives qui font avancer les différents projets qu'il couvre.
Des questions de population, de santé maternelle et de la reproduction, du genre, en passant par la cohésion communautaire et le travail humanitaire, ce média en ligne accompagne efficacement la mise en œuvre des projets tout en restant dans son rôle critique avec la distance requise par l'objectivité et le recul journalistique.
"Les échanges que notre équipe de recherche a pu avoir avec le promoteur et éditeur de ce site d'information, désormais installé dans le paysage sahélien, ont permis de déceler la stratégie et la méthodologie adoptées par ce media devenu un acteur citoyen au sens d'un accompagnement et d'une implication désintéressés dans toutes les initiatives de paix et de cohésion sociale", réitère Bakary SAMBE
Récemment, dans le cadre d'un partenariat stratégique avec Timbuktu Institute, Niamey et Les 2 Jours a accompagné l'ouverture de son nouveau bureau au Niger avec une conférence sur le renforcement des résiliences communautaires. Lors de cette conférence, animée par le directeur de Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies et Pr. Moulaye HASSANE du CNESS*, en collaboration avec Monsieur Babacar CISSÉ, éditeur de Niamey et Les 2 Jours, les différents acteurs ont souligné et salué "le rôle constructif de ce site d'information en tant que relai essentiel des actions et des initiatives dans le cadre d'une participation citoyenne à la consolidation de la paix au Sahel"
Perçu comme un outil performant d'accompagnement des politiques publiques et des projets de développement", Niamey et Les 2 Jours est en train de se projeter sur des stratégies encore plus élaborées de sensibilisation sur diverses problématiques liées à la paix et à la sécurité, aux questions de population, à l'équité du genre, à l'accès à la justice et au développement durable, en mettant en exergue un instrument de plaidoyer à large échelle dénommée Synergy Advocacy.
Pour Babacar CISSÉ, "cette structure cherche à consolider le rôle citoyen de Niamey et Les 2 Jours dans un contexte sahélien où l'approche inclusive des problèmes et des enjeux régionaux est devenue une impérieuse nécessité". Dans cette optique, un accord de partenariat vient d'être signé avec nombre d'organisations actives sur le terrain nigérien mais aussi dans toute l'Afrique de l'Ouest.
Mamadou Yaya Baldé
*Média d’actualité en ligne sur l’Économie et la Gestion publique au Niger et dans la zone UEMOA : www.niameyetles2jours.com
*CNESS : Centre National d’Etudes Stratégiques et de Sécurités (CNESS), un outil d’aide à la décision, créé en Janvier 2015. Il est rattaché au cabinet civil de la Présidence de la République du Niger et se veut un cadre permanent de réflexion, d’analyse et de production autonome de connaissance sur les enjeux sécuritaires et stratégiques au plan national et international.
Au Sénégal, l’enseignement religieux fait partie du processus d’islamisation massive du pays. Ce ne sont pas les multiples conquêtes des Almoravides et des tribus berbères du Sahara qui firent de l’islam la religion des 95% de sénégalais[1]. Ces conquérants qui opérèrent dans la région à partir du XI ème siècle, avec des actions diverses poursuivies jusqu’au XVI ème, n’ont pas pénétré au cœur du pays et leur entreprise prosélytique, par le biais du commerce, n’a touché que certaines couches de la population comme les grands commerçants, les élites lettrées et les princes. Ca Da Mosto, un voyageur portugais qui sillonna le Sénégal de 1455 à 1457 faisait mention de la présences de quelques Arabes dans la cour du Djoloff[2] enseignant l’arabe et l’islam aux princes du royaume.
C’est ce mode d’islamisation par l’enseignement religieux et la formation spirituelle qui sera à l’origine de l’expansion de la « religion du prophète » qui petit à petit détrônera celle des ancêtres. Face à un système éducatif imposé à ses débuts, inauguré par des autorités coloniales dont l’un des soucis premiers était l’assimilation de l’indigène, les chefs confrériques ont développé l’enseignement religieux comme rempart contre ce que Cheikh Hamidou Kane appelle « l’école nouvelle ».
Ainsi des écoles coraniques appelées « daara » en wolof, vont être créées à l’image des madâris (pluriel de madrasah) du Maghreb. On peut même dire que la méthode utilisée par ces écoles fut calquée sur le modèle des mosquées-écoles comme elles se présentent aujourd’hui dans certaines cités religieuses du Maroc, notamment Fès. Il faut dire que la confrérie Tijâniyya entrée très tôt au Sénégal par le biais des échanges entre les deux rives du Sahara a largement contribué à l’adoption de telles méthodes comme facette parmi tant d’autres de l’énorme influence culturelle du Maroc en Afrique noire musulmane. Certainement, le voisinage avec la Mauritanie et surtout le bilâd Shinqît, prolongement du modèle religieux et culturel marocain, sera un élément non négligeable pour saisir la similitude prononcée entre les deux systèmes d’éducation.
Depuis la fin des années 1970, de nouvelles écoles se sont créées. Leur objectif initial fut de moderniser l’enseignement de l’islam et de l’arabe. Dans un premier temps, ce fut pour pallier à la méconnaissance du français chez les arabisants. Elles portèrent ainsi le nom d’écoles « franco-arabes » avec un enseignement obligatoire de la langue officielle du pays. Les pays arabes ayant développé une coopération culturelle avec le jeune Etat indépendant offrirent, alors, des bourses d’études dans les plus grandes universités du Machrek (Azhar, Médine etc.). Dans les pays arabes on les orientera systématiquement dans les études littéraires et théologiques en les considérant comme de futurs imâms ou du‘ât, devant islamiser leur société d’origine. Il faut rappeler qu’il y a eu (et encore aujourd’hui), une vieille croyance à une mission d’islamisation de l’Afrique noire par ce biais surtout dans les conceptions saoudiennees des relations arabo-africaines où le continent noir est vu comme un éternel « maillon faible » de la « ‘Umma ». On parlait même d’un devoir de secours de « peuples musulmans » menacés par la « christianisation » ou l’«occidentalisation » culturelle.
A leur retour au bercail, les anciens étudiants se regroupent dans le cadre d’associations puis de syndicats afin de promouvoir et de défendre l’enseignement de l’arabe, leur seul débouché pour entrer dans la vie active. Leur formation étant essentiellement religieuse, la contestation du système qui ne leur fait pas de place se fera sous la bannière de l’islam et de ses « valeurs ». Ainsi au modèle d’éducation laïc de l’Etat sénégalais, les « arabisants » vont opposer ce qu’ils appellent « l’éducation islamique » qui ne peut passer, selon eux, que par l’enseignement de l’arabe et de l’islam. Ayant noué des relations, au cours de leur formation, avec des organisations islamiques et des partenaires privés dans les pays arabes, les arabisants sont aidés par ces derniers pour la construction de nouvelles écoles où l’enseignement dispensé s’inscrit en faux avec l’enseignement traditionnel, coranique, aux nets penchants soufis. Ces partenaires, en même temps qu’ils contribuent financièrement, orientent les méthodes et les contenus de l’enseignement. L’Etat sénégalais se retrouve, de ce fait, dans une posture inconfortable : comment affirmer sa souveraineté dans un domaine aussi fondamental que l’éducation tout en cédant à quelques exigences des arabisants pour ménager la susceptibilité des pays arabes « amis », pourvoyeurs de pétrodollars dans le contexte économique des années 1970 ? La lutte des arabisants en plus de ces incidences politiques internes tend à devenir, en même temps, un enjeu de politique extérieure et va au-delà de la simple question linguistique qu’elle posait au départ. Elle est traversée, entre autres par les problématiques de la laïcité de l’Etat, du modèle éducatif « « importé et de l’insertion économique et sociale d’une élite « frustrée ». I- Ecoles coranique : méthodes, techniques et supports pédagogiques :
L’élève (taalibé, en wolof, de l’arabe tâlib) entre, généralement, dans ces écoles à partir de l’âge de cinq ans et commence par la mémorisation du coran dont les versets sont écrits sur des planchettes en bois appelées alluwah en wolof (de l’arabe al-lawh). L’encre utilisé à cet effet est fabriqué à partir du carbone qui se dépose sur les marmites recueillis par les enfants eux-mêmes pendant leurs heures de pose et généralement le mercredi après-midi. Cette poudre est ensuite mélangé à l’eau avec une certaine maîtrise des doses. Pour faciliter la fixation de l’encre sur les planchettes de bois, on y rajoute de la gomme arabique. Une telle technique traditionnelle est certainement empruntée à la Mauritanie où nombre de cheikhs sénégalais sont allés étudier avant de fonder leurs propres écoles.
Mais l’innovation fut de donner des noms wolofs ou peuls à certaines lettres de l’alphabet arabe afin d’éviter les confusions phonétiques ou graphiques. Ce procédé fut utilisé surtout en ce qui est des lettres dites mu‘jamah (avec des points) et autres sons gutturaux inexistants dans le système phonétique des langues sénégalaises. On sait que le fameux « g » (comme dans Guennoun, un kâf et trois points au dessus) présent l’écriture au Maghreb et absent, à notre connaissance, du système graphique au Machrek, fut très tôt adopté et s’intégrait parfaitement dans la phonétique wolof.
Rappelons, à cet effet, que les lettres arabes ont permis la transcription première des langues africaines comme le wolof, le peul ou encore le Mandingue avant d’être remplacées par les caractères latins après l’intrusion coloniale. On peut dire que ce fut une erreur monumentale d’autant plus que la population musulmane était tentée de rejeter tout ce qui s’apparentait aux langues européennes, ainsi assimilées à la culture de l’occupant et donc au christianisme[3] dans son imaginaire.
L’étape de la mémorisation du Coran est la plus dure pour les disciples. La rigueur des marabouts enseignants s’accentue durant cette période qui va généralement de cinq à dix ans bien qu’il existe des cas particuliers où certains élèves mettent deux ans pour connaître parfaitement l’ensemble des sourates du Coran. Cheikh Hamidou Kane, dans son roman l’Aventure Ambiguë, nous donne une certaine idée de l’attention particulière que les marabouts accordaient à la prononciation et aux règles de récitation, en ces termes : « ce jour-là, Thierno l’avait encore battu. Cependant Samba Diallo savait son verset simplement sa langue lui avait fourché ». Ce cycle peut durer jusqu’à l’adolescence. C’est ensuite que le disciple se consacre à l’études des savoirs religieux et de la langue arabe. Visant, avant tout, à former « les futurs imams », cet enseignement accordait une place importante au fiqh. Le petit livre inachevé d’Al-Akhdarî servait d’initiation à cette discipline. Viennent ensuite celui d’Al- ‘Ashmâwi suivi de la Muqaddimat al-‘Izziya.
L’étude de la Risâla d’Ibn Abî Zayd al-Qayrawânî constitue une phase importante car beaucoup d’élèves, notamment âgés, mettaient un terme à leurs études et retournaient dans leurs villages d’origine tandis que d’autres, ayant plus de dispositions, continuaient avec le Mukhtasar de al-Khalîl. A partir du choix méthodologique et des supports pédagogiques nous pouvons remarquer, non seulement, l’influence maghrébine mais aussi l’orientation malikite de cet enseignement. C’est ce qu’a voulu souligner Mouhammmed Bamba Ndiaye, de manière succinte, en ces termes : « l’islam sénégalais est de rite malikite, sunite et à orientation soufie »[4]. Pour ce qui est de l’exégèse et de l’interprétation du texte coranique, le Tafsîr des frères Al-Jalâlayni est la livre élu. Les autres classiques du tafsîr comme Ibn Kathîr sont, néanmoins, connus. Mais les oulémas sénégalais ont une grande préférence pour cet ouvrage caractérisé par l’orientation soufie de ses interprétations et surtout la fréquence des Qisas (épilogues de la vie des prophètes ainsi que leurs miracles) proche de leur imaginaire religieux[5]. Les Mu’allaqât ainsi que les Maqâmât d’Abu-l-Qâsim Al-Harîri sont étudiées en littérature. D’ailleurs ces deux ouvrages ont fortement marqué le style des premiers grands cheikhs sénégalais que ce soit en prose ou en poésie.
Après la mémorisation du Coran, la poursuite ou l’arrêt des études était en fonction des dispositions propres à chaque élève ou disciple.
A titre d’exemple là où certains disciples se limitaient à des études purement religieuses basées sur le fiqh, d’autres étaient initiés au Mantiq (logique) et au Kalâm (Théologie). Le fameux Sullam ainsi que les écrits d’Al-Sanûsî étaient des manuels prisés dans ces domaines. On le voit bien, cette méthode d’enseignement exigeait une bonne capacité de mémorisation. C’est, certainement, ce qui faisait de certains ouvrages en vers tels que la Milhat al-I’râb et l’Alfiyya d’Ibn Mâlik des références incontournables en grammaire. Il n’est pas rare dans certains « foyers ardents » de l’enseignement religieux du Sénégal de rencontrer des gens qui les connaissent, encore aujourd’hui, de mémoire ! Les chefs confrériques vont s’appuyer sur les écoles coraniques pour diffuser leurs modèles. Les détracteurs d’un tel système lui reprochent d’ailleurs son orientation soufie qui serait, selon eux, à la base de ses « archaïsmes » décriés.
Les écoles coraniques étaient de hauts lieux d’échanges intellectuels. Il arrivait que des disciples de différentes régions et daara-s du pays, aux itinéraires divers, se rejoignaient dans un centre plus spécialisé sur un domaine précis de connaissance. C’était plus une question d’hommes, de spécialisation que de méthode. Certains cheikhs tels que Serigne Hady Touré[6], par exemple, étaient connus pour leur compétence incontestée dans des domaines aussi spécialisés que l’astronomie, la géométrie ou d’autres disciplines non directement liées au savoir religieux. Mais elles servaient à l’édification des mosquées et l’orientation vers la qibla, en direction de la Mecque. Les écoles coraniques, contrairement ce que pensent ses détracteurs, n’étaient pas de simples lieux de mémorisation du « livre saint » des musulmans. Au XIX ème siècle et même jusqu’au milieu du XX ème on comptait au Sénégal de grands centres d’enseignement d’une importance comparable, proportionnellement, à celle de Cairouan ou de Fès, au Maghreb. Nous pouvons citer, à cet égard, celui de Pire Goureye, qui fut un passage obligé pour tous ceux qui ont marqué l’histoire religieuse du Sénégal comme El Hadji Omar Tall. Les principales références des savoirs religieux, toutes confréries confondues, ont séjourné dans cette ville phare, véritable université qui sera victime d’un incendie « programmé » par les troupes françaises de Pinet-Laprade.
Les cheikhs confrériques qui assuraient cet enseignement ont eu un souci de décentralisation pour diverses raisons. C’est ce qui a contribué, par la suite, au foisonnement des écoles coraniques à l’intérieur du pays. Déjà, le nombre de disciples allant de plus en plus croissant, ils avaient initié un système de tutorat où les plus anciens et, éventuellement, plus avancés dans les études encadraient les nouveaux élèves. Mais, eu égard, au contexte politique difficile de l’époque marqué par une surveillance étroite des autorités coloniales, empêchant le déplacement des marabouts, il fut adoptée toute une stratégie de contournement. Conformément au système pyramidal, les disciples ayant parachevé leurs études allaient fonder de nouvelles daaras dans leurs provinces d’origine, perpétuant ainsi l’enseignement du cheikh[7] tout en évitant les grands regroupements attirant la suspicion des colons.
On pourrait, sans exagération, dire que cette stratégie est calquée sur la manière dont les confréries se sont propagées avec l’aide des muqaddams éparpillés dans les différentes régions.
Le cas d’El hadji Malick Sy, appartenant à la confrérie Tijâniyya pourrait servir, ici, d’illustration. Réalisant que ses déplacements, dans l’Afrique Occidentale Française (AOF) pourrait éveiller la suspicion du Gouvernement Général, El Hadj Malick préféra, envoyer, ses disciples après leur formation, dans plusieurs pays de la sous-région : El Hadj Amadou Bouya le représentera en Côte d’Ivoire, El Hadj Madior Diongue au Congo, Sérigne Ndary Mbaye au Gabon, El Hadj Babacar Dieng en Centrafrique et El Hadj Abdou Ndiaye[8] à Bamako. Selon le porte-parole de la famille Sy, Sérigne Abdou Azîz, « Maodo[9] avait envoyé tous ces muqaddam de la Tijâniyya en leur demandant d’aller « faire un sacrifice » en continuant son oeuvre d’éducation spirituelle »[10]. La revue égyptienne Al-Azhar, dans une présentation d’El Hadj Malick Sy et de son oeuvre soutient que « grâce à lui, l’Islam a connu son épanouissement dans ce pays [Sénégal] en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya, et, poursuit la revue, il a aussi formé de brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du pays telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité »[11]
Il faut signaler que cet enseignement vivement critiqué, aujourd’hui, par la nouvelle génération d’arabisants pour ses archaïsmes certains a su donner au pays ses plus grands érudits qui n’ont, à certains égards, rien à envier aux diplômés de nos universités modernes.
De toute façon, l’enseignement religieux a toujours été le sujet d’un débat opposant les « Anciens » et les « modernes » mais aussi, à travers l’histoire du pays, un enjeu politico-religieux majeur. Nous reviendrons sur la politique coloniale en matière d’éducation ainsi que ses objectifs affichés de contrecarrer l’expansion de l’islam par ces écoles coraniques[12].
Simplement, il faudra retenir que cet imaginaire d’un pouvoir politique hostile au développement de ce qui, dans le langage politique des associations islamiques sénégalais, est désigné sous l’expression d’enseignement arabo-islamique, est constant et omniprésent.
En effet, depuis les années 1950, il y a eu de grands projets de construction d’instituts d’enseignement religieux dont la langue de travail est l’arabe afin de suppléer aux écoles publiques de l’Etat. Ces instituts sont édifiés grâce à l’aide de certains pays arabes comme l’Arabie Saoudite ou les autres monarchies pétrolières. Ils sont contrôlés par les associations ou mouvements islamiques qui ont du mal à être reconnus dans leur rôle.
Ce problème est au centre d’un débat ou conflit politico-religieux latent entre les politiques et les arabisants, ces nouvelles « élites frustrées » ayant acquis une formation supérieure dans les pays arabes dans une langue qui n’est pas celle de l’Etat et de ses institutions.
Nous nous limiterons, dans cette étude, à la contestation du modèle éducatif institutionnel de la part des associations islamiques et à une analyse du discours qu’elles tiennent à son égard.
Pour ce faire, nous nous appuierons sur un travail de terrain récemment mené au Sénégal auprès d’acteurs associatifs et responsables de mouvements islamiques locaux[13].
II- Des écoles coraniques aux instituts « franco-arabes » : L’éducation comme enjeu politico-religieux au Sénégal :
Toutes les associations islamiques déclarent, dans leurs objectifs, un souci prononcé pour l’éducation. Elles sont constituées par d’anciens étudiants sénégalais des universités arabes. Cependant, derrière leur lutte pour plus de reconnaissance de l’enseignement de l’arabe et de l’islam, pointe, entre autres, un souci d’insertion professionnelle et sociale. Issus de ce même enseignement, ces anciens étudiants des facultés de théologie et de langue arabe du Maghreb comme du Machre ne peuvent s’insérer dans aucun autre secteur de l’économie ; la langue de travail étant le français.
La promotion de la langue arabe est, en plus de la dimension symbolique voire religieuse, est une question de survie et d’affirmation d’une identité. Les associations islamiques essayent de faire de l’enseignement de l’arabe et de sa reconnaissance leur cheval de bataille.
C’est autour de cet enseignement que les arabisants construisent et entretiennent une conflictualité avec l’Etat, considéré comme « impie » parce que laïc, hostile car ayant adopté la langue du colonisateur de culture « chrétienne ». Ces deux dernières données sont primordiales pour comprendre le discours produits et les attitudes adoptés à l’égard de l’Etat et surtout de sa politique éducative
L’enseignement de l’arabe et de l’islam est la principale activité des associations islamiques à côté des actions sociales. Dans ces associations, on reproche, à l’Etat de mener une politique éducative « non conforme aux voeux des populations », qui n’a « aucune orientation islamique ou spirituelle ». C’est l’avis de la plupart des leaders islamiques comme M. D[14]. de l’Organisation pour l’action islamique OAI qui déplore : « d’une manière générale l’éducation prônée par l’Etat est vide de tout programme spirituel. [...] elle n’est pas orientée selon les préoccupations des citoyens »[15].
A- Islamisation de la contestation du modèle éducatif étatique :
La critique de cette politique éducative appuyée, principalement, sur sa non religiosité, essaye, en outre, de s’armer d’autres arguments en dehors du motif initial de son rejet. Le thème de la non adéquation avec les besoins réels est parfois emprunté par les associations au registre de la contestation sociale globale.
C’est une manière de s’approprier cette contestation en y ajoutant une dimension religieuse, parfois plus apte que toutes les idéologies à susciter l’adhésion. On part d’une critique axée sur la non religiosité pour aboutir à des considérations d’ordre général afin d’inscrire la revendication d’une éducation « religieuse » dans le cadre global d’une contestation qui dépasse largement les seules associations et leurs militants.
Ainsi, les associations islamiques, de manière subtile arrivent à créer le lien entre leurs revendications propres et celles émanant du reste de la société, véhiculée par le biais des formations politiques ou syndicales. En plus, le thème de l’éducation se prête, plus que beaucoup d’autres, à cette manipulation dans un pays ou il est parmi les nombreux secteurs névralgiques.
L’Organisation pour l’Action Islamique (OAI), par exemple, tente d’inscrire cette contestation dans le cadre d’un malaise général avec ses pendants sociaux : « on peut dire qu’elle (éducation) est sans valeur. Aujourd’hui, il y a beaucoup de diplômés qui chôment », conclut un de ses responsables, après un long plaidoyer pour l’éducation « islamique » généralisée. La non conformité de la politique éducative gouvernementale aux « exigences islamiques » que déplorent les associations poussent certains mouvements parmi les plus radicaux à lui dénier toute légitimité. Pour ces militants, il n’est pas explicable de vouloir inculquer une éducation à orientation laïque à des « enfants de musulmans dans un pays islamique ».
Les termes utilisés dans ce discours contestataire prennent tout leur sens dans un contexte de conflit permanent avec l’Etat.
Le discours des militants associatifs est doublement efficace. Sur le plan intérieur, il s’insère dans le cadre d’une contestation de l’action publique. De plus, il constitue le pilier de leur argumentaire pour les requêtes formulées en direction du monde arabe en vue du financement de « projets éducatifs ». Afin de convaincre les partenaires du monde arabe à leur apporter un soutien financier, les associations islamiques mettent en avant l’argument selon lequel l’enseignement « islamique » ou « arabo-islamique », selon les formulations, est délaissé par les pouvoirs publics d’un pays à majorité musulmane. Les partenaires, se considérant comme des missionnaires de l’islam, ayant le devoir de venir en aide aux musulmans « persécutés » du monde, financent des projets éducatifs afin de « promouvoir » l’enseignement de l’arabe et de l’islam.
Cette présentation un peu simpliste de la situation de l’islam au Sénégal est un thème récurrent dans le discours islamiste et on ne peut compter les organes de presse arabes qui en font l’écho. Cette presse présente les musulmans d’Afrique comme victimes d’une ségrégation dans leurs propres pays où le pouvoir politique réel leur échapperait et qu’ils seraient sous la domination d’Etats plus sensibles aux demandes de minorités religieuses (chrétiennes, dans leur entendement), tenant, par le biais de lobbies locaux ou étrangers, les reines du pouvoir.
Ainsi, pour les associations, ce sont ces minorités et ces lobbies qui influent sur l’action étatique et empêchent, par cette influence, l’implication des pouvoirs publics dans la promotion de l’enseignement « arabo-islamique ».
Les groupes qu’ils dénoncent seraient même derrière le caractère laïc de l’Etat et de ses institutions et donc de sa politique éducative considérée par les militants associatifs comme aux antipodes de l’islam. Cette politique éducative serait même une facette du combat que ces « forces » mènent contre la religion musulmane. M. Ndour[16] soutient : « En d’autres termes, la notion d’éducation, au regard de l’Etat sénégalais, signifie tout ce qui est contraire à l’éducation islamique qui est la seule vraie éducation ».
B- Arguments, stéréotypes et construction d’une conflictualité : le choc des « modèles »
Le fondement de cette conception de l’action éducative de l’Etat se trouve dans l’idée que ce système d’enseignement est légué par la colonisation française. Cette dernière considérée comme « un des premiers ennemis de l’islam » est, selon M. Ndour, « le prolongement du modèle occidental », l’éternel rival, dans la conception islamiste, de celui islamique ou « arabo-islamique ».
La question de l’enseignement religieux ou celui de l’arabe se double d’une autre problématique : celle d’un conflit de modèles ou de valeurs. Tout en dénonçant caractère laïc de l’enseignement public au Sénégal, les associations combattent, en même temps, ce qu’elles appellent les « valeurs occidentales importées ».
Elles veulent aussi lui opposer un autre modèle provenant du monde arabo-mususlman. Est-ce le rejet d’une domination « culturelle » pour en accepter une autre ou une bien la dernière est-elle inconsciemment incorporée dans le système de valeurs local par le biais de l’islamisation ? En tout cas cette attitude complexe est une constante dans le discours de l’islamisme sénégalais et de ses acteurs.
Ainsi, ce n’est pas seulement un système éducatif et son contenu, une pédagogie ou une politique éducative mais les valeurs qui lui seraient « inhérentes » qui sont remises en cause.
Le constat sévère de M. Lô, du mouvement al-Falâh[17] est révélateur de cette attitude plus qu’hostile : « l’Etat sénégalais a hérité de sa politique éducative. C’est un échec total ». Pour lui il y a, en même temps une « importation de valeurs » à l’origine d’une « déviation des jeunes musulmans du pays du modèle islamique » que son mouvement tente de « restaurer ». C’est de ce point de vue que l’aide des partenaires arabes est perçue comme participant à la promotion de l’islam et de ses valeurs en terre africaine.
N’oublions pas que le discours et la vision des associations s’inscrivent dans une perspective de « conscientisation » des détenteurs de pétrodollars, « bailleurs de l’islam », comme communément appelés.
Dans cette configuration, les « frères en islam » ont comme devoir religieux de venir en aide aux associations dans un pays où le « modèle islamique » est, à leurs yeux, dominé par un autre : celui laïc ou impie dans leur conception.
Selon certains responsables comme M. Lô, il y’aurait un « vieux complot » occidental à la base de toutes les initiatives visant à affaiblir l’islam et à combattre son modèle dans le monde islamique même par des stratégies d’homogénéisation culturelle appuyée sur le principe laïc et son pendant moderniste. Il met dans ce registre tous les « concepts nouveaux » ou « maquillés » comme il ironise.
Dans cet ordre d’idées, en parlant de la mondialisation comme support de cette domination culturelle, M. Lô n’admet pas qu’on parle de rupture mais plutôt d’un « nouveau visage ». Il explique, d’ailleurs, le « mal d’orientation » des jeunes musulmans du pays par cette vague de la mondialisation culturelle en ces termes : « Maintenant on nous parle de mondialisation. La mondialisation est quelque chose qui date de longtemps sous l’égide de l’Occident. Ils ont tout fait pour que l’Amérique imprime ses marques au reste du monde. Et maintenant on est dans un pays où les jeunes sont perdus ».
De la même manière, le mouvement Al-Falâh essaye de trouver à « l’échec de la politique éducative » de l’Etat, une explication liée en grande partie, selon lui selon lui, à sa non-conformité aux « préceptes de l’islam ». Il soutient que pour les mêmes raisons, il y a une grande contradiction entre son niveau actuel et l’état du monde contemporain : « ce qui est bizarre est que l’Education régresse au Sénégal alors qu’on est dans un monde de communication », soutient-il.
La volonté des associations à s’approprier la contestation du mal d’éducation se lit dans les critiques portées à l’égard du système et de la politique éducatifs. Il faut, cependant, noter que leur argumentation, fortement orientée, veut tout ramener à des questions plus ou moins liées à l’islam et au modèle laïc de l’Etat sénégalais.
L’« exclusion de l’islam » du champ éducatif est, selon les militants associatifs « islamiques », la principale cause de son « retard » et de son « improductivité sociale ». Les associations suggèrent et exigent toutes l’introduction de l’enseignement religieux dans le système scolaire lorsqu’elles ne demandent pas que l’Etat délègue certains volets éducatifs, comme la morale, aux associations islamiques bénéficiant, seules, de la légitimité religieuse. « L’enseignement religieux, soutient, Seydi Alioune Boye[18], doit être introduit à l’école ou bien l’Etat soutient les associations islamiques qui s’en occupent ».
L’Emir de la Jamâ’atu ‘ibâdu rahmân, quant à lui, ne voit pas d’alternative au modèle d’enseignement islamique proposé par les associations car toutes les autres politiques se sont, selon lui, soldées par un échec. Pour lui, il est incompréhensible que les pouvoirs publics s’y opposent car « l’éducation laïque prônée par l’Etat est un échec ».
Depuis l’arrivée du Président Wade en mars 2000, l’enseignement religieux est introduit dans les écoles publiques sénégalaises. Néanmoins, la suspicion d’un Etat anti-islamique perdure et les associations se considèrent comme seules détentrices des solutions qui s’imposent.
En d’autres termes toutes les initiatives étatiques dans ce domaine sont restées vaines et que les associations seraient plus aptes à conduire toute politique y afférant. « Même les Etats généraux sur l’éducation religieuse n’ont abouti à aucun résultat » soutient un militant islamique de la région de Dakar, avant de conclure : « la demande de l’introduction de l’enseignement religieux [dans le système éducatif] est légitime d’autant plus que c’est une revendication de tous les musulmans ».
De plus en plus d’écoles dites franco-arabes sont, ainsi, créées afin de se constituer en alternative au système éducatif laïc, ne répondant pas, selon les associations islamiques, aux réelles préoccupations des musulmans qui représenteraient 95 % de la population sénégalaise[19]. Pour ces associations c’étaitt une manière, d’enseigner la religion et en même temps permettre aux élèves d’acquérir les bases de la langue officielle –le français – dont la maîtrise, seule, aide à accéder au terrain de compétition féroce qu’est le marché du travail.
Dans cette lutte pour la défense de l’enseignement de la langue arabe et de l’islam, les associations islamiques tentent, non seulement, de sensibiliser la population locale, mais visent, aussi, à atteindre d’autres pays « musulmans », notamment arabes. En plus de son efficacité pour attirer des financements étrangers, cette stratégie cherche à mettre l’Etat devant ses « contradictions » et face à ses partenaires arabes chez lesquels il veut maintenir intact son image de pays « arabophile ».
La construction d’une conflictualité autour de la langue arabe et de sa promotion sera facilitée par les antécédents historiques liés à cette vieille revendication. Partant de l’assimilation de l’Etat sénégalais moderne à un legs colonial, les associations islamiques vont entretenir l’idée selon laquelle ses dirigeants seraient hostiles à l’enseignement de l’arabe et donc de l’islam.
Il est vrai que ce passé colonial, constamment revisité et réinterprété, selon les enjeux pour y puiser des arguments ou expliquer les conflits contemporains, est propice pour fournir les bases d’une telle construction.
En effet, pour comprendre les subtilités de ces constructions argumentaires ainsi que la position inconfortable des pouvoirs publics, décrits comme les héritiers des « anciens maîtres », il serait utile de rappeler les origines du conflit.
Les différentes dispositions réglementaires qui ont régi cet enseignement montrent le rapport conflictuel qu’ont entretenus acteurs « islamiques », promoteurs et « défenseurs de la langue arabe », et autorités politiques et ce, depuis l’époque coloniale.
Pour les associations islamiques, actives dans l’enseignement de l’arabe, l’Etat représente la principale entrave au plein épanouissement de celui-ci. Dans leur argumentation, ils essayent de rattacher les faits à l’époque coloniale du Sénégal. C’est là un point de repère historique essentiel dans l’analyse des rapports tumultueux et complexes entre politique et religion au Sénégal.
D’une manière générale, jusqu’aux dernières ruptures, la situation présente de l’islam et des ses rapports avec le pouvoir politique est un héritage direct de cette période de l’histoire du pays.
L’argumentation des arabisants met en avant le paradoxe selon lequel la supériorité numérique des musulmans dans le pays n’a pas joué en leur faveur dans le domaine de la formation et de l’éducation institutionnelle. Dans ses Lumières sur le Sénégal, Mouhamadou Bamba Ndiaye de la Jamâ ‘at ‘Ibâd al-Rahmân, évoque ce « paradoxe » en guise d’introduction à ses réflexions « critiques » sur l’« enseignement arabo-islamique » et ses difficultés.
Il faut toujours garder à l’esprit que ces mouvements considèrent l’instauration de l’enseignement laïc, dit « français », institutionnalisé comme relevant d’une volonté d’affaiblissement, de négation de l’islam et de l’ « identité musulmane du pays », selon leur expression.
Mouhamadou Bamba Ndiaye soutient, exagérément, que l’enseignement laïc a comme objectif majeur de pousser la majorité musulmane du pays à « l’apostasie ou, du moins, tente d’en faire des musulmans ne connaissant de l’islam que le nom, ne faisant pas la distinction entre le licite et l’illicite »[20].
Il poursuit, en rattachant ce fait à l’« œuvre » de la colonisation qui, selon lui, a « dépouillé les musulmans de leur identité musulmane ».[21]
Pour l’ex-militant de la Jamâ ‘a, ce furent les mêmes raisons qui conduisirent les autorités coloniales françaises à persécuter des oulémas et cheikhs et à mettre sur pied des règles dont le seul but sera de « barrer la route à tout développement de l’enseignement arabo-islamique ».
Ces arguments seront porteurs lorsqu’il s’agira, pour les mouvements islamiques, de présenter leur projet de promotion de la langue arabe, auprès de leurs financiers du monde arabe.
Le procédé est omniprésent dans la construction du discours idéologico-politique. Il faut, en fait, savoir problématiser et ériger les situations en défis. Ensuite, les stratégies à adopter fluctueront en fonction des enjeux et des situations. Ce n’est qu’un simple problème de gestion, politiquement rentable, de passions et de symboles rassembleurs.
La publication du Livre blanc sur l’enseignement de l’arabe par le Syndicat des enseignants en langue arabe, obéira à la même logique en replaçant la question dans le contexte conflictuel dans lequel se sont trouvés l’islam et la colonisation française dans l’Afrique de l’Ouest de la fin du XIXème et du début du XX ème siècle.
S’appuyant sur cette dualité ou opposition, le Livre Blanc s’appuie sur des constructions du type idéologique en faisant une lecture utilitariste de l’histoire réelle, en ces termes : « Quand les colons firent irruption au Sénégal, ils y trouvèrent un peuple foncièrement musulman et par voie de conséquence l’enseignement religieux était source de préoccupation dans presque tout le terroir. Face à cette réalité, les colons entreprirent un grand nombre de ruses voire de contraintes pour barrer la route à l’expansion de l’enseignement arabo-islamique ».[22]
Il est vrai que le Gouverneur français le Général Louis Faidherbe (1854), dans le cadre des réformes de sa politique générale de la colonie, avait entrepris une « restructuration de l’enseignement arabo-islamique ».
Un arrête, pris par lui, visa à définir les conditions d’ouverture d’écoles enseignant l’arabe et les préceptes de l’islam. L’arrêté, publié le 22 juin 1857, stipulait en substance : « l’ouverture d’une école arabe coranique est désormais assujettie à une autorisation délivrée par les autorités coloniales françaises ».
Selon ces dispositions, le candidat, futur enseignant dans une école coranique doit remplir certaines conditions et subir un examen. En plus, un certificat de bonne conduite à obtenir des mains des autorités coloniales est requis. Ce certificat de bonne conduite n’avait d’autre but que de disqualifier les éventuels « subversifs » à l’« ordre colonial ».
En somme, neuf décrets furent publiés, à ce sujet, entre 1854 et 1910, par les différents gouvernements qui se succédèrent de Faidherbe à Camille Guy.
A partir de ce fait historique, les milieux arabisants et/ou « islamistes », considèrent le système colonial comme étant à l’origine de tous les maux dont souffre l’enseignement arabo-islamique ou arabo-musulman, comme ils se plaisent à le qualifier.
D’ailleurs, le Syndicat des Enseignants Arabes n’hésitera pas à y revenir très fréquemment. « Ainsi, note t-il, si nous jetons davantage un regard dans l’histoire, nous comprendrons à juste titre, que la colonisation n’a lésiné sur les moyens pour enrayer l’enseignement arabo-islamique »[23].
Les conditions qu’exigeait l’Administration coloniale étaient difficiles à réunir. Cette législation à outrance, aussi, finissait par refléter une certaine hostilité à l’enseignement qu’elle voulait réglementer. Elle poussa les concernés à passer outre toutes ces règles qu’ils trouvèrent inacceptables et finirent par s’y opposer. C’est ce que remarque ici, dans le Livre Blanc, le Syndicat des enseignants arabes, en ces termes : « Les musulmans s’étaient constitués en bloc homogène mais vigilant face aux grands moyens dont disposait le colon et finalement la foi triompha d’autant plus que le colon ne réussit jamais à appliquer sa politique de déstabilisation de l’enseignement arabo-islamique. D’ailleurs, les maîtres d’écoles coraniques de la campagne ont toujours montré leur hostilité aux arrêtés coloniaux et, même, certains cheikhs des grandes villes, à l’instar de Saint-Louis[24], continueront à dispenser l’enseignement de l’arabe et des sciences islamiques sans se soucier outre mesure de l’intransigeance du colon »[25].
La réglementation commençait à peser lourd et enlevait aux différents arrêtés tout caractère objectif. A titre d’exemple, l’arrêté du 22 juin 1857 comportait, outre les conditions citées plus haut, d’autres nombreuses dispositions qui ne faisaient que verser davantage dans l’excès et l’intransigeance.
Certains décrets exigeaient, par exemple, que le requérant pour l’ouverture d’une école coranique pût justifier qu’il était de la ville de Saint-Louis et qu’il y eût résidé pendant au moins sept ans !
En plus, comme en attestent plusieurs correspondances dans les Archives Nationales du Sénégal, un rapport mensuel devait être remis au Gouverneur français afin de prouver sa loyauté à l’Administration coloniale.
Si nous insistons sur ces faits, c’est pour mieux faire comprendre l’attitude que les arabisants eurent à l’égard des autorités politiques, de l’enseignement institutionnel en français et la manière dont l’enseignement de l’arabe et de l’islam servira d’argument lorsqu’il s’agira de séduire les partenaires du monde arabe pourvoyeurs de pétrodollars.
Comme il faut, de toute manière, intéresser les financiers au « conflit », pour les pousser à le financer, les mouvements islamiques firent de l’enseignement de l’arabe et de l’islam leur cheval de bataille contre l’Etat laïc et son système éducatif considéré par certains milieux comme étant aux antipodes de leur religion. C’est pourquoi, dans leur argumentation, les arabisants puisent, de l’histoire, d’innombrables images fortes de ce duel islam/colonisation afin de conforter certains axes de leur thèmes favoris qui alimentent leur discours idéologico-politique.
Dans cette configuration, il faut toujours un ennemi extérieur pour renforcer la cohésion interne du groupe et des défis pour entretenir le conflit. L’attitude très subjective des représentants de l’Administration coloniale leur fournit de la matière.
Pour les « défenseurs de la langue arabe », l’Administration coloniale, avec son penchant assimilationiste, était inséparable de la « mission » originelle de l’Eglise catholique, qui, il est vrai, de temps à autre, prêtait main forte à la première.
Les autorités coloniales n’hésitèrent pas, parfois, à tomber dans la partialité, très loin de la neutralité et de des principes laïcs professés par les républicains en Métropole.
Au moment où la neutralité religieuse qui avoisinait un certain « laïcisme », était en vigueur dans la France de la IIIème République, les autorités coloniales s’offraient les bons offices de l’Eglise catholique et s’alliaient des marabouts ou s’appuyaient sur les uns contre les autres.[26]
Mouhamadou Bamba Ndiaye, nous rappelle, à juste titre, que l’Administration coloniale exigeait des maîtres d’écoles coraniques d’envoyer leurs élèves de plus de douze ans, suivre les cours du soir en français dispensés par la Mission catholique.[27]
D’autres règles furent ajoutées à cet arsenal juridique. Il y eut, par exemple, un arrêté stipulant qu’il était désormais interdit aux écoles coraniques d’accepter des élèves âgés de 6 à 15 ans aux heures d’ouvertures des « écoles françaises ». Si l’on sait qu’au début de la scolarité, l’enseignement public était confié aux missionnaires catholiques, on comprend mieux l’hostilité des chefs religieux à ces dispositions réglementaires et à l’école française qu’ils n’ont jamais conçue comme véritablement laïque.
Pour eux, il s’agit une tentative d’immixtion de l’Etat laïc dans les affaires religieuses en déclarant une guerre ouverte à une forme d’enseignement religieux et laissant libre cours à d’autres.
Plus tard, d’autres moyens seront mis en œuvre pour favoriser l’enseignement du français au détriment de l’arabe. Une aide financière était accordée aux seuls maîtres d’écoles coraniques acceptant d’enseigner le français quelques heures par semaine.
Puis, à l’initiative des autorités françaises, sera créée l’Ecole des Fils de Chefs, des Interprètes et des Otages à Saint-Louis, capitale du Sénégal colonial mais aussi ville phare de l’islam depuis ses contacts avec les armées Almoravides, au Moyen-Âge.
L’Ecole des Fils de Chefs aura pour mission de former les élites lettrées des cercles religieux et traditionnels Ceddo (lire tieddo en wolof) afin d’en faire le noyau indigène de l’Administration coloniale.
Rappelons que, dans le cadre des efforts conciliants de Faidherbe d’établissement de meilleurs rapports avec l’islam, on y enseignait l’arabe et le fiqh pour former des cadis « bien encadrés », servant, plus tard, d’auxiliaires dans les tribunaux indigènes.
Le fait essentiel qui résultera de cette politique était que, désormais, la maîtrise du français, devenait un gage de réussite sociale et constituait, de ce fait, un atout majeur dans toute l’Afrique noire.
Cet atout sera d’autant plus consistant que même les cercles religieux et traditionnels s’en saisiront. La politique de Faidherbe prouvera, de ce fait, son efficacité car visant, en premier lieu, les deux catégories ayant le plus farouchement combattu la colonisation française au Sénégal.
L’« école française » attirera de plus en plus d’« indigènes » au détriment de l’école coranique où l’enseignement, en arabe, ne permettait pas d’accéder aux métiers les plus valorisants d’alors : postiers, interprètes, garde de cercle, tirailleurs sénégalais ou, au plus, chef de canton, sans pouvoir réel.
L’« école nouvelle » recrutant, aussi, dans les cercles religieux, privera l’islam sénégalais de voix prédicatives capables de se faire entendre. Mais, comme le soutient un personnage de l’Aventure Ambiguë, il fallait, désormais, aller « apprendre chez eux (les Français) l’art de lier le bois au bois et l’art de vaincre sans avoir raison »[28].
Mouhamadou Bamba Ndiaye impute, à ce phénomène, la situation de « faiblesse des musulmans » dans un pays où ils sont majoritaires et où la langue de leur livre sacré ne permet pas une ascension sociale. Selon lui, c’est à cause de l’« Ecole Nouvelle »[29] que « les musulmans se trouvent aujourd’hui dans une situation « affligeante » dans un pays où ils représentent environ 95%( ?) et où ils ne sont que d’un faible poids ».
Il établit, ainsi, un parallèle avec les autres composantes religieuses de la société sénégalaise, notamment les chrétiens qui, selon lui, « sont moins de 5% et ont la main mise sur les centres (de décisions) stratégiques, soit dans l’armée, l’enseignement, la radio et la télévision ».
On peut, aisément, remarquer que Ndiaye a du foncer les traits dans ce tableau socio-politique du Sénégal. Mais ce qui importe le plus, ici, c’est le raccourci emprunté, constamment, pour arriver à convaincre en misant sur le caractère symbolique voire sacralisé de la langue du Coran.
Il faut savoir que l’étude présentée par Mouhamadou Bamba Ndiaye, dans ses Lumières sur le Sénégal, s’adresse, essentiellement à deux publics bien définis. Cet ouvrage, publié exclusivement dans un arabe soutenu, cible, en même temps, les arabisants constituant l’essentiel des militants des associations islamiques et les partenaires financiers du monde arabe qui vont s’émouvoir de la « piteuse situation » des « frères en religion » et, donc, « obligés » de leur fournir l’aide nécessaire.
D’ailleurs, pour toucher la sensibilité des partenaires wahhabites – les plus généreux -, Ndiaye conclura, de manière ramassée, par une critique au système des confréries soufies, pourtant, plus représentatives de la réalité islamique au Sénégal[30].
Au même titre que l’école française, quelques lignes plus haut, il leur impute les raisons de la « faiblesse des musulmans »[31], pour ce qu’elles sont, selon lui, à l’origine de leur division en plusieurs obédiences.
On pourrait dire que cette démarche est commune à toutes les associations islamiques, leur « combat » étant nourri par l’enjeu que représente l’enseignement de l’arabe et de l’islam. Elles sont conscientes de l’efficacité d’une telle démarche.
Il suffit, en fait, de critiquer, d’attaquer le système confrérique et d’implorer le soutien des « frères en religion » appelés à aider une communauté musulmane à la fois majoritaire et « victimisée ». C’est ce qui permet aux partenaires arabes, Etats, organisations, comme individualités, se sentant investis d’une mission prédicatrice, de mobiliser des fonds en leur faveur.
L’enjeu culturel et politique que représente l’enseignement de l’arabe et ses promoteurs pour les autorités successives du pays ne perdra en rien sa portée.
Déjà, avant l’indépendance, l’enseignement de l’arabe et de l’islam a toujours été au centre des préoccupations – sécuritaires – de l’Administration coloniale, comme nous l’avons évoqué. Son enjeu politique, proprement dit, ne fera que s’accentuer par la suite.
Rappelons que lors des rudes batailles électoralistes qui opposèrent Lamine Guèye à Ngalandou Diouf, respectivement, en1924 et 1927, cet enseignement était au cœur des débats politiques et des promesses des deux candidats au Parlement français.
D’ailleurs, pour respecter leurs promesses, certains hommes politiques locaux, se sont efforcés d’introduire l’arabe comme langue vivante dans le système éducatif étatique, au niveau du secondaire, et ce, en pleine période coloniale.
L’introduction de l’arabe ainsi que sa place dans le système éducatif constitueront, pour longtemps, le cheval de bataille des mouvements islamiques. On peut dire que l’enjeu est resté tel quel après l’indépendance.
Par la suite, les associations vont défendre l’enseignement de l’arabe et sa place dans le cadre d’organisations syndicales qui recrutent parmi les arabisants ; leur base traditionnelle.
La lutte des arabisants a une double signification : une revendication sociale à l’intérieur et un signal fort renvoyé aux partenaires étrangers. Sur le plan intérieur, elle est la revendication d’une prépondérance musulmane devant, selon, eux se refléter sur l’institutionnel telle que ressentie de manière informelle. Selon eux, cette prépondérance doit s’affirmer, malgré le caractère laïc de l’Etat difficilement acceptable, au regard de la supériorité numérique des musulmans dans le pays qu’ils mettent toujours en avant.
Sur le plan international, le combat pour le « respect de la langue arabe » est un symbole de l’attachement de ces mouvements à la « communauté musulmane supra-nationale ».
En effet, pour les mouvements islamiques, la langue arabe reste le seul moyen de maintenir le « cordon solide », al- ‘urwat al-wu×qâ, qui lie les arabes et les non-arabes, dans le cadre de la foi partagée.
L’autorité politique, aussi, saisit l’opportunité pour en faire profiter son image internationale. En prêtant une grande attention à cette demande intérieure formulée par les associations d’arabisants lorsque les circonstances le permettent, l’Etat pratique, lui aussi, un double jeu. Il s’efforce de ne pas frustrer la majorité musulmane du pays que les associations islamiques – contre toute réalité – tentent de représenter malgré leur profond attachement au confrérisme.
L’Etat prend, ainsi, le soin de traiter publiquement, avec égard, la langue arabe et l’enseignement religieux. En outre, par cette politique, l’Etat sénégalais essaye de soigner ses rapports avec le monde arabe et surtout avec les pays pourvoyeurs de pétrodollars.
La médiatisation officielle de l’action des associations islamiques et la multiplication des inaugurations (ou inaugurashow comme se plaisent à les qualifier la presse satirique) de mosquées et d’instituts islamiques sert à donner, à l’étranger, l’image d’un Etat soucieux du développement de l’islam donc en bon terme avec le monde arabe qui en serait le défenseur.
Il est, toutefois, important de souligner, au regard de l’inséparabilité de la langue arabe et de l’islam, dans les perceptions, que l’appréciation intérieure et extérieure de telles actions peuvent différer.
Certains Etats arabes financent, aussi, des projets pour la promotion de la langue arabe conformément à l’idéologie de l’arabisme et du nationalisme arabe. Ce même geste peut être présenté par l’Etat sénégalais, lors des inaugurations (écoles, centres culturels) comme une œuvre de promotion islamique, de sa part, en tenant compte de l’image que la masse des musulmans se fait de la langue arabe. Ils en tirent ainsi, un profit politique à l’intérieur tout en satisfaisant la demande extérieure de leurs partenaires.
Le Centre Culturel Saddam Hussein à Dakar, peut être cité en exemple. Ce projet entièrement financé par l’Etat irakien se déclarant baasiste a été confié, par l’Etat, à la Fédération des Associations Islamiques au Sénégal.
Le choix porté sur la F.A.I.S. était bien réfléchi parce que ce mouvement regroupe plusieurs associations d’arabisants et/ou islamiques tout en étant dirigée par des membres influents des milieux confrériques, porteurs de millions de voix lors des fréquentes consultations électorales.
Toute la politique « musulmane » de l’Etat sénégalais sera orienté par ces enjeux. On pourrait dire que ce n’est pas par une réelle prise en compte des mouvements islamiques, moins influents politiquement que les confréries, ses alliés traditionnels, que l’Etat prêtait une si grande attention à l’enseignement de l’arabe.
Le plus important, pour lui, était de ne pas aller à l’encontre de la majorité musulmane pour qui, la langue arabe revêtait un caractère sacré vu le mythe de l’inséparabilité évoqué plus haut.
Les rapports que l’Etat entretient avec les Mouvements islamiques, défenseurs de la langue arabe et de l’enseignement religieux, sont fluctuants.
Les associations, de leur côté, auront des positions ambivalentes à l’égard du pouvoir politique selon les enjeux de leur lutte.
L’enseignement de l’arabe et de l’islam peut s’avérer un élément important dans l’analyse des rapports entre le Sénégal et le monde arabe. En plus de sa portée symbolique, son enseignement et sa promotion font appel à différents acteurs internes mais, aussi, internationaux pour son soutien et son financement.
De simple question d’insertion ou de reconnaissance sociale d’une catégorie de l’élite locale, l’enseignement de l’arabe constitue, ainsi, un enjeu politique interne et externe.
Les associations islamiques, en plus de la « mission » dont elles se sont investies pour la défense de cet enseignement, s’érigent, de ce fait, en intermédiaires -pas toujours désirables – entre l’Etat sénégalais et le monde arabe. C’est pour cela que leurs actions et modes de fonctionnement mériteraient une étude approfondie en ce qu’elles constituent la pièce maîtresse du schéma des relations informelles entre le Sénégal et ses partenaires arabes du Machrek. La manière dont les associations islamiques peuvent orienter, suivre ou contourner la politique arabe du pays est intéressant à plus d’un titre.
Accordant une certaine importance aux acteurs ordinaires, négligés par les théoriciens des relations internationales, l’étude me menée dans le cadre de notre thèse s’est penchée sur l’impact réels de ceux-ci, par un travail d’analyse et d’investigation sur le terrain.
Il nous semble qu’il serait incomplet de vouloir étudier les rapports entre le Sénégal et le monde arabe sans une prise en compte de ces acteurs que sont les arabisants et leurs différents mouvements islamiques. L’enjeu même des rapports arabo-sénégalais est inséparable de celui entourant la « lutte des arabisants » dans ses multiples dimensions.
Le Sénégal comptait plusieurs associations islamiques, avant même son indépendance, en 1960. Ces dernières, comme nous l’avons vu, étaient déjà présentes sur le terrain du combat pour l’introduction de l’enseignement de l’arabe dans le système éducatif institutionnel.
Elles jouèrent sur l’impact de la langue arabe dans le domaine religieux, pour faire plier les autorités politiques. Par cette action ponctuée de protestations et de différentes mobilisations, une plus grande attention allait être accordée à l’enseignement de l’arabe et l’enjeu qu’il représentait dans ce pays..
Contrairement à la thèse des mouvements islamiques, les chefs religieux confrériques, forts de leur influence auprès de la majorité musulmane du pays, d’obédience soufie, vont jouer un rôle important en faveur de la reconnaissance officielle de l’enseignement religieux basé sur la langue arabe.
Ces guides religieux mèneront la lutte pour la promotion de l’enseignement religieux et de l’arabe, dans une parfaite collaboration avec les associations islamiques réformistes. La forte symbolique de la langue qu’on voulait défendre et promouvoir était à ce prix malgré les divergences idéologiques.
Toutefois, il faut signaler que ces deux prétendants à la représentation des musulmans du pays s’affrontent très souvent en l’absence de projets et de visions communs; les associations islamiques étant anti-confrériques, dans leur majorité, du moins dans leur discours.
C’est dans cet anti-confrérisme circonstanciel que les associations islamiques puisent, d’ailleurs, les éléments nécessaires pour convaincre certains partenaires financiers comme les organisation d’orientation wahhabite.
Elles savent, cependant, les ménager lorsqu’ elles peuvent être utiles lors des combats politiques ou des confrontations avec l’autorité publique.
Pour ne pas donner l’impression de prendre partie dans cet affrontement opposant ses alliés électoraux et les relais de sa politique étrangère, l’Etat sénégalais, adopte une attitude modérée. Il ne peut et ne veut ni perdre l’appui des confréries pourvoyeurs de voix aux différentes élections, ni paraître anti-islamique aux yeux des partenaires arabes s’il négligeait les associations islamiques locales en relation avec eux. Ses positions ne peuvent être que mesurées.
Historiquement, ce sont les confréries qui ont été à l’origine de l’islamisation en profondeur du pays depuis le XIX ème siècle et ont, même, donné aux mouvements islamiques leurs premiers dirigeants. Devant un aussi grand enjeu que la promotion de la langue du coran, les deux rivaux ont besoin de sceller une « union sacrée ».
Pour justifier une telle alliance « contre-nature » auprès des financiers wahhabites, les associations islamiques, eurent recours à l’argument d’une éternelle nécessité de faire bloc contre l’ennemi commun, au-delà des obédiences et des appartenances subsidiaires.
On peut lire une telle justification dans le fameux Livre blanc sur l’enseignement de l’arabe au Sénégal,: « Certes une telle réussite (dans le combat) ne pourrait s’opérer qu’avec l’aval des chefs religieux qui par leurs efforts constants ont contribué également à l’expansion de la langue arabe et surtout des sciences islamiques à travers le pays compte tenu de l’intransigeance des détracteurs de la langue »[32]
L’enseignement de l’arabe pose des problèmes de plusieurs ordres à l’Etat sénégalais. Dépositaire d’un héritage « encombrant » en se substituant au système colonial, cette question qui l’oppose aux mouvements islamiques ne pourrait être simple à résoudre.
Dans la vision de ses contestataires, l’Etat souffre de la « tare », de porter l’étiquette d’ennemi de l’islam. Il devra, donc, faire face à nombre d’interpellations de la part de ses gouvernés. Les associations islamiques reprochent, à l’Etat sénégalais, son caractère laïc légué par la colonisation. Les confréries, de leur côté, peuvent lui opposer, selon les circonstances, leur force mobilisatrice, vu le nombre important de leurs disciples.
Dans sa politique intérieure, l’Etat, doit, en conséquence, se plier à ces exigences aussi bien en numéraire qu’en symbolique. Cependant sur le plan international, vis à vis des pays arabes partenaires, il veut se montrer islamophile et même prêt à soutenir les « causes islamiques » ou interprétés comme tels comme la question palestinienne confondue avec celle d’Al-Quds (Jérusalem) ou de la Mosquée Al-’AqÒâ, dans l’imaginaire populaire.
La volonté apparente du gouvernement sénégalais de soutenir ces causes serait contradictoire à toute restriction, de sa part, à l’égard de l’enseignement religieux ou de ses promoteurs.
Dans leur lutte, les mouvements islamiques sont, donc, conscients de ces contraintes internes et externes de l’« adversaire » étatique et sauront en faire un avantage considérable en jouant plusieurs cartes selon les enjeux en place. Il est, en ce sens, très difficile d’évaluer ou d’interpréter, à juste titre, les différentes facettes de la politique adoptée par le gouvernement sénégalais sur cette question.
Il y a toujours une imbrication des dimensions nationale et internationale. Il est vrai qu’on ne peut plus penser que la politique internationale soit l’apanage de l’Etat. Depuis très longtemps, d’autres acteurs l’ont fortement concurrencé et lui ont disputé son monopole. Comme il est très difficile de saisir le fonctionnement des relations internationales par l’analyse des seules structures étatiques et diplomatiques officielles, il faudrait de plus en plus, prendre en compte les acteurs dits informels.
Marcel Merle, dans sa Sociologie des relations internationales, s’inscrivait, déjà, dans cette perspective où il soutint : « ce qu’il est convenu d’appeler « diplomatie » ne constitue, le plus souvent, que la partie visible de l’iceberg. Les spéculations qui se complaisent dans l’étude des configurations de forces et des manœuvres diplomatico-stratégiques ne saisissent que l’apparence des choses »[33]. Il poursuit en appelant à une prise en compte des nouvelles réalités qui bousculent les schémas de la politique institutionnelle, en ces termes : « les intérêts et les croyances s’inscrivent de plus en plus difficilement dans les limites du cadre territorial offert par l’Etat »[34]
En effet, en s’impliquant dans la promotion de l’arabe, l’Etat sénégalais essaye de satisfaire une demande interne formulée par la majorité de ses gouvernés ou, du moins, leurs représentants déclarés. Il se donne, en même temps, l’image d’un serviteur de l’islam au regard des détenteurs de pétrodollars qui veulent se présenter, pour diverses raisons, les prédicateurs internationaux.
L’Etat est conscient de l’interdépendance entre les données de la politique intérieure et celles des relations internationales. Ce fait s’impose de plus en plus dans le contexte international actuel où la mondialisation n’est pas simplement économique.
Il est vrai que cette notion d’interdépendance entre les affaires du dedans et celles du dehors, n’est pas nouvelle mais ne fait que resurgir, le contexte international aidant.
Déjà chez les marxistes, de manière plus radicale, on considérait la politique extérieure comme un simple reflet de la politique intérieure, celui de la lutte des classes. Selon l’analyse marxiste, la disparition de la conflictualité entre les classes » à l’intérieur signifie l’apaisement entre toutes les nations qui seraient parvenues à ce stade .
Marcel Merle cite, à ce propos, Claude Cheysson qui soutient « Il n’y a plus d’affaires étrangères. Il y a une traduction extérieure des politiques intérieures, il y a une capacité d’expansion vers l’extérieur de ce qui constitue les priorités intérieures »[35]. Alexis de Tocqueville, dans son analyse du fonctionnement des démocraties où l’opinion publique a un grand impact, disait qu’elles « ne résolvaient guère les affaires du dehors que par les raisons du dedans »[36].
Dans l’impossibilité de parler encore de primat de la politique extérieure sur la politique intérieure et vice versa, les théories dites de la dépendance semblent mieux convenir à notre terrain.
Pour éviter certaines exagérations de la dimension internationale du politique pour lesquelles « par un effet de contamination, la politique intérieure se trouverait absorbée et dominée par la politique étrangère »,[37] nous parlerons plutôt d’interdépendance ou d’interaction ou, comme le suggère Marcel Merle, de « compénétration des champs d’activité ». Dans ce cas, Marcel Merle serait, même, proche de James N. Rosenau avec son concept de linkage ou le jeu d’interaction de faits politiques aussi bien internes qu’externes.
Comme nous le rappelle Marcel Merle, « si les digues qu’étaient les frontières se fissurent, si les écluses que les diplomates manoeuvraient avec précaution sont déréglées, alors les plans d’eau se confondent, les courants se mélangent et les contours des bassins juxtaposés s’estompent »[38].
Ainsi, l’attitude de l’Etat sénégalais dans sa politique arabe répond à une nécessité d’équilibre et d’une bonne maîtrise de la chose politique dans ses deux dimensions interne et externe. « C’est de l’équilibre entre les affaires du dehors et du dedans que dépendent le sort des Etats-nations et, à travers eux, l’avenir du système international » conclut Merle[39].
Il faudra, toujours, prendre en compte cette double dimension de la « politique musulmane » du Sénégal. « Bien que de constitution laïque, soutient Khadim Mbacké, l’Etat sénégalais reconnaît qu’en réalité la majorité de sa population est musulmane, que l’enseignement de l’arabe est une nécessité qu’il se doit d’organiser et de gérer »[40]. Ces propos de Khadim Mbacké reflète l’état d’esprit dans lequel les associations islamiques, en général, conçoivent leur lutte.
Néanmoins, il est important de comprendre que derrière cette lutte acharnée pour la promotion de la langue du coran, se cache un autre combat ; celui visant l’insertion socio-professionnelle des sénégalais formés en langue arabe.
L’introduction de l’arabe dans le système éducatif, outre son côté strictement symbolique obéissait, aussi, à une logique socio-économique. Autrement dit, l’essentiel des militants des associations islamiques sont formés en langue arabe dans différents domaines de spécialités bien que prédominent les disciplines religieuses. En voulant s’insérer dans un pays où le français est la langue officielle et de travail, les arabisants ont, par rapport à leurs collègues francophones, le désavantage d’être formé dans un système différent. C’est ce qui en fait une certaine élite frustrée, dépositaire de connaissances « modernes » mais inapte à s’insérer dans les circuits socio-économiques.
Conscient de ce mobile implicite de la revendication arabisante au-delà de sa portée religieuse, l’Etat, adoptera une politique qui s’articulera autour de séries de recrutements successives et progressives d’enseignants de la langue arabe.
Ainsi, en introduisant, l’arabe dans le système éducatif, l’Etat fait d’une pierre deux coups. Il affiche une volonté de donner à la langue du coran la place qui lui revient dans une société à dominante musulmane et crée, en même temps, une possibilité d’insérer ses arabisants afin d’en atténuer la victimisation.
Mais ces efforts d’insertion largement insuffisants, ne pourront endiguer la pressante vague contestataire caractéristique de cette élite de « seconde zone » .
Leur combat se poursuivra dans le cadre des associations islamiques dont ils sont la composante essentielle. La question de l’enseignement de l’arabe ou de l’islam sera toujours maintenue au centre de cette lutte des arabisants sachant qu’il représente un double enjeu interne et externe.
La langue arabe est celle du livre auquel se référent les musulmans et qui régit différents aspects de leur vie quotidienne, selon les lectures et les interprétations des protagonistes.
L’enseignement de cette langue, dans le contexte sénégalais, ne s’est jamais détaché de celui des préceptes de la religion musulmane. Nous ne reviendrons pas, de ce fait, sur l’amalgame, quelques fois volontaire, autour des dénominations « école arabe » et « école coranique ».
En plus de l’utilisation des caractères arabes dans les premières transcriptions des langues ouest-africaines, celle du coran a profité de son aura de religiosité et est devenu donc sacré au même titre le message que le message religieux transmis.
Pour retracer l’histoire de l’introduction de l’enseignement de la langue arabe au Sénégal et en Afrique noire, le rédacteur du Livre blanc emprunte le raccourci de l’« inséparabilité » de la langue arabe du message religieux en ces termes : « les précurseurs de l’islam au Sénégal se mirent, de vive foi, à étudier le Coran, source principale de l’enseignement islamique ; les principes fondamentaux de la religion que sont la pureté, la prière, le jeûne, la zakât, le pèlerinage, le divorce et d’autres transactions administratives, commerciales et sociales »[41] .
Tout au long de ce Livre blanc, les auteurs ont utilisé l’expression « enseignement arabo-islamique », appellation plus qu’efficace pour « populariser » leur revendication, dans un pays à plus de 90 % de musulmans. Par sa relation congénitale avec l’islam, la langue arabe y devient, au gré des enjeux, une des composantes identitaires. Le livre blanc dont il sera tant de fois question, doit, par ailleurs, être replacé dans son contexte.
Dans sa Constitution, le Sénégal, est une république laïque où l’enseignement public se dispense en français, langue de communication officielle et de l’administration. Mais la promotion de la langue arabe et de son enseignement se fera sous la bannière de l’islam. C’est une manière de reposer l’éternelle question du « conflit de cultures » entre le système colonial dont l’Etat actuel est considéré comme l’héritier et l’islam comme manière de vivre et ensemble de pratiques sociales. C’est ce qui fait de l’enseignement de l’arabe un enjeu culturel, voire identitaire et forcément politique.
Tout au long de la lutte entre l’Etat sénégalais et les associations islamiques, ces dernières, protectrices et promotrices de la langue arabe ont fait valoir son caractère sacré, religieux, afin de pouvoir susciter l’adhésion des « masses musulmanes » du pays à leur cause. Dans le contexte du Sénégal à dominante musulmane, une telle stratégie leur confère une forte légitimité populaire comme défenseur d’une langue sacrée ou sacralisée par la religion dont elle est vecteur.
L’Etat, soucieux de l’impact de plusieurs forces socio-politiques internes, prend, ainsi, en compte les revendications des mouvements islamiques, dans ses différentes décisions.
Traitant des problèmes dont souffre l’enseignement de l’arabe au Sénégal, le Livre blanc passe en revue ceux d’ordre pédagogique et matériel, mais s’empressera, surtout, de plonger au cœur de l’antagonisme réel ou construit « colonisation/islam », « Etat laïc/société musulmane ».
On pourrait penser que les promoteurs de cet enseignement qui cherchent encore à gagner en reconnaissance ont compris son enjeu symbolique. La sacralisation de la langue du Coran dans un pays à majorité musulmane est pour eux une source féconde dans laquelle ils puisent des arguments. L’Etat, en perpétuelle recherche de soutiens de la part des oulémas et des guides confrériques éprouvent beaucoup de mal sur ce terrain glissant où il ne cesse d’être invité par cette partie de l’élite sénégalaise souffrant de sa méconnaissance de la langue de l’ancien colonisateur.
Cette problématique jalonne notre étude et se présente comme une donnée fondamentale des rapports arabo-africains, de l’islam et de l’Occident tel que cela se présente au niveau des perceptions et, quelques fois, des imaginaires.
Derrière cette problématique presque fantasmatique, se cache l’enjeu politique et/ou stratégique des relations entre l’Etat et les acteurs religieux. En effet lorsque les arabisants soulèvent les problèmes liés au manque de reconnaissance de l’enseignement de l’arabe, ils remettent aussi à l’ordre du jour le vieux dilemme de la double acculturation (colonisation, islamisation). Il est, en effet, déploré dans ce Livre blanc, entre autres : « l’insuffisance de contact direct avec des Arabes de souches pour un bain linguistique d’autant plus que l’arabe est la langue par laquelle le Coran fut révélé et ce sont les Arabes qui exportèrent la religion musulmane »[42].
Une telle remarque fait allusion à la politique coloniale de la III ème République française. Les autorités d’alors avaient pris des mesures visant à limiter, sinon décourager, les contacts entre les deux rives du Sahara que l’appartenance commune des peuples à l’islam a voulu transformer en une « mer intérieure ».
Ainsi, on trouve la question de ce que les arabisant appellent l’« identité musulmane perdue » au centre de ces revendications. L’argumentation fluctuante selon les enjeux et les rapports de force oscillera toujours entre islamisation de la contestation, pour plus d’efficacité, et la quête d’une reconnaissance sur la base d’une acquisition de savoirs islamiques avec le statut qui devait être, selon les arabisants, celui des dépositaires de la langue sacrée ou sacralisée du Coran dans un pays à forte majorité musulmane.
CONCLUSION
La dimension politique qui entoure l’enseignement de l’arabe et des savoirs islamiques, dès le début de l’ère coloniale en Afrique de l’Ouest, n’a pas aidé à dépassionner son approche.
Aujourd’hui, encore, persistent des zones d’ombres sur cette phase de l’histoire de l’islam au Sénégal. Les Archives Nationales du Sénégal renferment des éléments très intéressants à ce propos et qui nous ont permis de faire des recoupements entre les témoignages des acteurs, certaines perceptions et la réalité historique.
L’enseignement de l’arabe et de l’islam qui lui était corollaire vont être surveillés et suivis avec beaucoup de suspicion. Tout un arsenal juridique fut déployé en vue d’encadrer cet enseignement et d’en restreindre l’expansion. Cette méthode partit d’une idée centrale : celle de l’Administration coloniale à considérer l’islam comme un danger perpétuel menaçant la stabilité des colonies françaises en Afrique de l’Ouest. Il y eut une crainte persistante à voir, par le biais de l’islam et de la langue arabe, se nouer des relations entre les communautés musulmanes ouest-africaines et les centres religieux et spirituels d’un Maghreb bouillonnant de révoltes.
Ce phénomène accentuera la surveillance dont l’islam a toujours été l’objet. L’enseignement de la langue arabe qui en serait le vecteur souffrit de ce handicap. Les mesures politiques sévères, à son encontre, ainsi que la persécution des différents acteurs islamiques, furent largement mises à contribution dans la construction de la conflictualité Etat/associations islamiques.
L’enjeu politique que représente l’enseignement de l’arabe et la promotion de l’islam, pour les deux parties (Etat/Arabisants), se refléta sur leurs rapports. Ces derniers, selon les circonstances, vont évoluer, en prenant différentes formes, de la collaboration à la méfiance en passant, quelques fois, par des échanges de services. La structure étatique, cependant, n’a ni la même image ni la même attitude auprès des associations selon leurs obédiences mais aussi leur nature et surtout leur rapport avec le monde arabe dans lequel il compte de nombreux partenaires.
L’enseignement de l’arabe, tout en relevant d’une question de politique intérieure, a toujours caché une dimension externe. Ni l’Etat, ni les associations islamiques n’arrivent à le gérer loin des calculs et sans prise en compte de son caractère symbolique. Nous le voyons bien, l’approche de cette question ne peut se faire sans traverser d’autres connexes telles que la question de la laïcité, des relations arabo-africaines mais aussi la rivalité entre le modèle confrérique et les nouvelles formes de religiosités qui le combattent (wahhabisme, salafisme etc).
C’est certainement ce qui fait de l’enseignement de l’arabe et de l’islam une thématique porteuse pour toute compréhension du champ islamique sénégalais ou ouest africain en pleine mutation. Notre hypothèse d’une transition islamique dans cette région du monde, bien qu’encore peu partagée chez les africanistes, en France, se trouverait renforcée par les exigences de transversalité dans l’étude de ces formes d’islam local à l’heure des appartenances mondialisées.
Bakary SAMBE Université Lumière Lyon 2, Associé au GREMMO
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[1] – Nous n’avons pas eu de statistiques fiables sur les composantes religieuses depuis 1979. Nous nous contentons, avec réserve, des estimations disponibles.
[2] – Royaume dans le Sénégal pré-colonial, il donnerait son nom à l’ethnie wolof majoritaire ? dans le pays.
[3] – on trouve un exemple pertinent de ce rejet dans l’imaginaire et la langue wolof où le terme « nasarân », « nasrânî, chrétien) est utilisé pour désigner le français.
[4] – Ndiaye, M. B. , Adwâ’un ‘ala Sinighâl, 1992. Cet auteur est aujourd’hui journaliste au Maroc et travaille pour le Magazine Finance News.
[5] – la nouvelle génération d’arabisants formés au Machrek (Arabie Saoudite, Egypte) considère la Tafsîr d’al-Jalâlayni comme truffée de ce qu’ils appelle les isrâ’îliyyât, en référence aux influences juives.
[6] – Serigne Hady Touré a réalisé une horloge encore fonctionnelle qu’on peut voir en visitant sa maison à Fass Touré.
[7] – Voir à ce propos notre article dans le quotidien sénégalais Info7, du 21 mai 2002 « La stratégie éducative d’El Hadji Malick Sy : une résistance culturelle »
[8] _ il s’agit de grands muqaddams de la Tijâniyya sénégalaise, formés par Cheikh El Hadji Malick Sy.
[9] -surnom d’El Hadji Malick Sy qui signifierait en poular , le patriarche.
[10] Appel de Tivaouane, par Serigne Abdou Aziz Sy.
[11] Revue al-Azhar Juin 95 C’est nous qui traduisons.
[12] – voir SAMBE Bakary, Politisation de formes de religiosité apolitique : l’exemple des confréries musulmanes au Sénégal, Mémoire DEA Science Politique, sous la direction de Chérif Ferjani et Lahouari Addi, Institut d’Etudes politiques de Lyon, 1998.
[13] – il s’agit d’entretiens avec des responsables de mouvements islamiques pendant et après e notre thèse de doctorat sur « l’islam dans les relations arabo-africainaes », préparée sous la direction de M. Chérif Ferjani et soutenue en décembre 2003, à l’Université Lumière Lyon 2.
[14] -il a préféré garder l’anonymat lors de notre entretien.
[15] – notre étude est jalonnée de citations de personnes interrogées par nos soins afin d’être le plus près possible des discours et des appréciations des acteurs réels. C’est un choix méthodologique qui bien qu’il puisse irriter le lecteur, a, cependant le mérite de mieux rendre compte de la réalité que nous voulons décrire.
[16] – Président d’une association islamique à Dakar, ancien étudiant sénégalais au Soudan.
[17] . Mouvement à orientation wahhabite formé par d’anciens étudiants de l’université islamique de Médine, en Arabie Saoudite.
[18] – Fondateur du Mouvement Nûr al-Islam, (lumière de l’islam), par ailleurs, modéré et proche de toutes les confréries du pays.
[19] – Nous restons prudents quant aux pourcentages sur la composition religieuse de la population car ce sont des chiffres assez manipulés et qu’il n’y a pas eu de recensement dans ce domaine depuis 1979.
[20] - NDIAYE Mouhamadou Bamba, Adwâ’ ‘ala Siniqhâl (Lumières sur le Sénégal), ouvrage préfacé par le secrétaire général adjt des Frères Musulmans, Moustapha Mashhûr D’après notre traduction à partir de l’arabe.
[21] – cf. NDIAYE, ibid p22-23.
[22] – Il est vrai que les autorités coloniales françaises ont eu une attitude négatrice à l’égard des précédents religieux en Afrique noire. Le fait que l’islam ait été présent au Sénégal depuis plusieurs siècles n’a jamais été pris en compte. C’est comme tout ce passé commun entre royaumes africains et cours maghrébines n’avait pas existé. D’ailleurs tout contact entre ces peuples sera vu avec un oeil suspicieux par ces mêmes autorités qui mettront en œuvre toute une politique dont le but sera d’empêcher ou de limiter au maximum les contacts entre l’Afrique subsaharienne et la Maghreb sous le même joug français.
[23] – Livre blanc sur l’enseignement de l’arabe au Sénégal, p4.
[24] – Saint-Louis du Sénégal est une ville symbolique aussi bien pour son passé colonial que religieux. Rappelons que les Almoravides y construiront la première mosquée de la région et les missions catholiques, avec l’ère coloniale, la première église. L’appellation Saint-Louis relève purement d’une volonté de francisation car le vrai nom de la ville est Ndar que certains croient dériver de « dâr al-islâm », le domaine de l’islam. Cette ville a toujours été un centre de la culture savante et garde, encore aujourd’hui, l’image d’une cité religieuse. Il y a même tout un mythe selon lequel tous ceux qui ont fait l’histoire du Sénégal, sur le plan religieux ou politique, ont eu un passage obligé à Saint-Louis.
[25] – Livre blanc, p4
[26] – c’est le même procédé que celui qui conduit les Français à se servir de la Tijâniyya contre ‘Abd al-Qâdir, en Algérie.
[27] – NDIAYE Mouhamadou Bamba, Lumières sur le Sénégal, p24-25.
[28] – Cheikh Hamidou Kane, l’Aventure Ambiguë., Présence Africaine 1962.
[29] – par rapport à l’école coranique qui est le modèle d’enseignement historiquement plus ancré bien avant le début de la conquête coloniale.
[30] – Durant l’entretien qu’il nous accordera à Casablanca le 22/04/2002, il se défendra d’avoir une quelconque relation avec l’Arabie Saoudite. Il faut savoir que ce personnage-clé de l’islamisme sénégalais des années 80 s’est depuis peu éloigné du terrain sénégalais et des mouvements islamiques et se consacre à une carrière journalistique au sein d’un grand groupe de presse marocain où il s’occupe d’analyses financières et géopolitiques.
[31] – cf. NDIAYE, ibid, p25.
[32] – Livre blanc, opcit, p.24
[33] – Merle, M. ibid p205.
[34] – Merle, M ibid p205. Voir aussi J. Henk Leurdijk : de la politique internationale à la politique transnationale ; in Revue Internationale des Sciences Sociales n°1, année 1974.
[35] – Cité par M. Merle, ibid, p. 205
[36] – TOCQUEVILLE Alexis de : De la Démocratie en Amérique, T 2 , Ch5., p.52
[37] – MERLE, ibid p163
[38] – ibid p19
[39] – p195.
[40] - Khadim Mbacké, chercheur à l’IFAN, proche des milieux réformistes, sur son site Internet consacré à l’islam sénégalais.
[41] – Rappelons que l’arabe fut aussi, aux temps du Général Faidherbe, une des langues utilisées par l’Administration française suite à la création de tribunaux indigènes s’appuyant sur des cadis musulmans.
[42] – Livre blanc, p25
Military solutions have clearly not been successful in the fight against terrorism in the Sahel. The lessons of America’s war in Afghanistan should have forced the international community to face facts: Kalashnikovs alone cannot defeat ideology nor solve the structural problems feeding the radicalisation of the young people who continue to join Boko Haram and the Islamic State in the Greater Sahara.
An example is the French Serval operation. This freed the northern cities in Mali from the hands of Jihadists in a spectacular operation, and ensured that Konna did not fall. Konna was a bulwark barring access to Bamako from determined assailants in January 2013.
But the current operation Barkhane is unable to banish terrorists from northern Mali, or from the outskirts of Niger, where the dangers of the Libyan conflict and Sahelo-Saharan instability converge.
Terrorist groups are prospering in the Sahel. And they are able to coordinate relatively substantial operations. Meanwhile, there is a myriad of international stakeholders, even within the European “family”, now seeking to play a major role. This even includes Germany which is no longer willing to take a back seat in affairs concerning the Sahel and West Africa.
The terrorist front has expanded beyond its Malian epicentre to the region. The centre of Mali has become a zone of major tensions that have spilled out as far as the provinces of Sum and Udalan, in neighbouring Burkina Faso.
Under these conditions, many analysts are losing their bearings. They have only recently realised that the attacks in Ouagadougou, in August 2017 and March 2018, marked the end of West African exceptionalism. It has also become clear that the Grand-Bassam attack (Côte d'Ivoire) of March 2016 ushered in a new era, where predicting attacks has become meaningless.
We can no longer deny that military solutions are a necessary evil to stem growing threats and provide relief to countries under high security pressure. But past experience, and the day-to-day realities of populations in border areas, show that they are ultimately neither truly effective nor lasting.
On top of this, they inspire and feed into terrorist propaganda. Terrorist groups are masters at using symbols to send their messages people thrown into disarray by draconian security measures that kill local economies. Local people are also affected by the persistence of daily insecurity despite impressive military arsenals.
Unfortunately, Abul Walid Al-Sahraoui, the current mastermind of Islamic State in the Greater Sahara, chose the “right” approach following the end of the French Serval operation. He eschewed overarching strategies requiring complex organisation and logistics. Instead, he created increasing numbers of unstable zones, and capitalised on ethnic and community conflicts with a “simple”, “Islamic” veneer.
In his mind, this is a surefire way to provoke Western intervention, one of the best weapons in the armoury of a Jihadist propaganda. This cleverly plays on Western failures and eventual transgressions to feed the fires of frustration needed to recruit new fighters.
The the G5 Sahel joint task force could have provided an alternative to a region dotted with bivouacs in French colours, or army bases topped with discreet American flags. But a lack of resources prevented it from becoming operational. This is despite numerous financial commitments that have yet to be honoured.
The security situation in the Sahel requires a paradigm shift from a strictly military solution. In addition, Germany appears to be engineering its arrival on the scene. It is doing this through the delicate balancing act of economic development.
On top of the worsening crisis in the Sahel, there are now widely diverging viewpoints regarding the conflict itself, with a rift between international approaches and local perceptions.
It is time to take internal responses and strategies seriously. And to change direction given the obvious failure of a military solution.
Meanwhile, terrorist groups are redefining their strategy, feeding off and aggravating inter-community conflicts. This gives them two advantages. Firstly, it increases the number of unstable areas in the region. Secondly, it puts pressure on the international community, forcing it to resort to military intervention – a source of radicalisation and fodder for jihadist rhetoric.
Unfortunately, attacks like those at the start of the year in the village of Yirgou Fulbé, in Barsalogho, in central northern Burkina Faso will spread. Central Mali will once again become the focus of concerns, and neighbouring countries will certainly be impacted.
Burkina Faso has entered a cycle of violence sparked by inter-community conflicts which, initially, had nothing to do with religion but rather concerns over forest, crop-growing and grazing land.
Thanks to uncoordinated international strategies, terrorist groups are broadening their scope of action in the region. The unprecedented offensive in Burkina Faso is designed to breakdown the last barrier between the Sahel and the coast.
Today, conditions are ripe for the establishment of Islamic State in the Greater Sahara. This is especially true in Burkina Faso, a buffer region between coastal Africa and the Sahel, and, in particular, in areas like Gorom Gorom and Markoye, in Udalan province.
The most surprising fact about the situation in the Sahel is that Western analysts remain stuck in the Jihadist paradigm. Their vocabulary is still dotted with terms like “Islamic groups,” “Jihadist cells,” and “radicalization” when the threat has long become hybridised, with a significant rise in inter-community conflict. Even in terrorist narratives, the religious rhetoric is increasingly giving way to the exacerbation of community tensions.
Gone is the era of ideological, religious-based discourse Jihadism. Nowadays, local communities only see “crime” and “banditry”.
It is clear to local populations, if not to “experts” and scholars of the region, that the Sahel has surreptitiously slipped into a new era, which for lack of any other name, hints at a post-jihadist world.
Source: https://theconversation.com/
Au-delà de l’impression d’une primauté du sécuritaire sur le développement, imposée par le péril terroriste, le débat s’installe quant à la pertinence des choix ou de l’inversion des agendas avec une gêne partagée due à l’inefficacité des stratégies jusqu’ici adoptées. Pendant ce temps, des signaux inquiétants, comme l’émergence d’un discours désormais « décomplexé » visant à décrédibiliser la lutte contre le terrorisme, risquent de compromettre les concordances de vues entre la communauté internationale et les partenaires sahéliens fortement acculés par des oppositions et pressions internes.
Cette situation se double d’un climat délétère qui impose une évolution terminologique au risque de mal nommer une violence aux manifestations diversement perçues. Là où les analystes et les médias s’enferment dans le paradigme « djihadiste » ou « terroriste », les populations des zones frontalières et les responsables militaires et politiques locaux évoquent du « banditisme » et de la « criminalité » sans aucune dimension idéologique ou militante. De plus, la classification unilatérale en « zones à risques » de certaines régions impacte fortement l’attitude des États de la région face à la problématique de l’extrémisme violent ou du terrorisme. Ces derniers se réfugient confortablement dans le déni politique ou pragmatique pour des raisons d’attractivité économique en termes d’investissements étrangers.
La domination du paradigme « djihadiste » impose aussi des réponses politiques qui ne prennent pas en compte la diversité des réalités et les modes d’expression de cette violence dite « extrémiste », et plus encore, l’évolution des critères d’évaluation de la menace.
Ainsi, dans leur appréciation de la situation sécuritaire, les États du Sahel sont comme contraints de s’aligner sur des standards analytiques produits par une « pensée dominante » et peu contextualisée.
Cela pour deux raisons : la première est liée à la dépendance de ces derniers pour faire face à la menace ; la seconde tient à la définition de critères qui traduisent parfois l’absence de préoccupations partagées.
Ce hiatus date du début de la crise malienne où l’espoir et l’urgence d’une stabilisation devaient passer par l’organisation de l’élection présidentielle de 2012 dont la préparation avait imposé des compromis précaires, qui se sont également répercutés sur l’appréciation de la situation sécuritaire et sur les solutions appropriées.
L’enferment dans des schémas classiques n’a toujours pas permis de saisir les mutations profondes qui s’opèrent sur le terrain sahélien. Les efforts de spécification ou de différenciation n’ont pas suivi alors qu’il y a d’énormes différences entre les situations locales et la conception internationale de la lutte contre le terrorisme. Dans un tel contexte, certains évoquent l’enlisement alors que d’autres se penchent déjà sur les possibilités de sortie d’une crise dont le diagnostic même ne fait pas l’unanimité.
En suivant l’actualité régionale, le plus marquant est qu’il y a une certaine raréfaction des attaques classiques de grande envergure et une multiplication d’actes isolés parfois jamais revendiqués. En même temps, il y a une récurrence des heurts intercommunautaires avec une violence à motivation complexe procédant par un parasitage des conflits locaux ethniques ou communautaires. S’en suit une ruralisation des incidents et attaques avec une concentration dans les zones frontalières loin des capitales ou centres politiques des différents pays du Sahel : Tillabéry, Tchintabaraden, Gueskérou, Ayerou au Niger, Gossi au Mali, provinces du Soum et de l’Oudalan au Burkina Faso.
On se demande si les groupes terroristes n’ont pas redéfini leur stratégie en parasitant et en intensifiant les conflits intercommunautaires. Cette stratégie inaugure forcément une nouvelle ère dans ce qu’il est convenu d’appeler « la lutte contre le terrorisme » avec la multiplication des zones d’instabilité dans les pays de la région et la pression sur la communauté internationale.
Dans ce contexte qui complexifie l’analyse de la situation sécuritaire au Sahel, cette contribution tente de revenir sur 1) les mutations et les nouvelles expressions de la violence au Sahel à travers les conflits intercommunautaires, 2) les malentendus évidents qui pointent entre les acteurs sahéliens, la communauté et les partenaires internationaux de même que sur 3) la problématique soulevée d’un dialogue comme possible sortie d’une crise devenue endémique.
Mutations des violences au sahel : une typologie mouvante à l’épreuve de paradigmes dominants
Les attaques similaires à celles de Yirgou Fulbé, dans le centre-nord du Burkina Faso (janvier 2019) vont, sans doute, se multiplier et auront un impact certain dans les pays voisins pendant que le Mali demeure au cœur de toutes les préoccupations. Le Burkina Faso est quant à lui entré dans un cycle de violences attisées par des conflits intercommunautaires qui, au début, n’avaient rien de religieux mais possédaient plutôt une dimension silvo-agro-pastorale. Il en est de même pour le Centre du Mali avec une concentration de facteurs de déstabilisation au sein d’un pays déjà largement affaibli.
De même, le Burkina Faso qui, avant 2015, était loin des tensions que connaissait le voisin malien, traverse une difficile situation d’insécurité avec des conflits intercommunautaires dans le Nord sur fond de stigmatisations entre Peuls, Mossis et autres communautés.
Une nouvelle dynamique s’installe ainsi sans qu’on y prenne garde tellement les concepts d’extrémisme violent, de radicalisation, de terrorisme ou encore de djihadisme ont façonné le regard habituellement porté sur la violence qui sévit ces derniers temps dans les pays du Sahel. D’autant plus, que ces paradigmes sont rarement renouvelés.
On peut donc se demander si le paradigme djihadiste a fini par structurer les schémas d’analyse en projetant sur toutes les manifestations de violence une préoccupation sécuritaire majeure qu’est le terrorisme, tout en perdant le réflexe d’une analyse basée sur les faits et la réalité du terrain.
C’est comme si, dans leur mode d’intervention, la communauté internationale et les pays de la région avaient fini par intégrer, malgré eux, les paradigmes désormais définis par les groupes terroristes dans le cadre de la rupture conceptuelle que leur a imposé le rapport de force après l’opération Serval.
En effet, Abu El Walid El Sahraoui avait admis qu’il était nécessaire de changer de modus operandi en transférant la violence sur les rivalités et conflits intercommunautaires tout en étant sûr de piéger les puissances occidentales qui réagiraient par des interventions militaires, sources de radicalisation et de frustrations, garantissant une base sûre de recrutement. Nos pays ainsi que les médias occidentaux sont apparemment restés obnubilés par le paradigme djihadiste qui ne colle pas à la réalité, ni aux faits de violence.
Un flou conceptuel s’est installé autour de la qualification des actes classés comme relevant de l’extrémisme violent avec une forte propension à ne pas les distinguer de ce qu’on appelle aussi le « crime organisé ».
Lorsqu’au Nord du Burkina Faso, des hommes armés s’attaquent à 6 Dozos, début septembre vers Kaïn dans la région du Nord, à la frontière du Mali ; ou encore, lorsque « des individus armés non identifiés ont attaqué plusieurs villages de la commune de Rollo dans la province du Bam (centre-nord) avec l’implication des Kolgwéogo Gondekoubé », les médias et les États-majors militaires évoquent une opération djihadiste. Idem lorsqu’il s’agit « d’individus armés non identifiés qui ont perpétré une attaque dans la soirée du 10 septembre 2019 à Ambkaongo, un village de la commune rurale de Tougouri, province du Namentenga (Centre Nord) », ou dans le cas des attaques simultanées contre des détachements militaires de Baraboulé et Nassoumbou, deux localités de la province du Soum (région du Sahel), sans aucune nuance dans les discours officiels ou les chaînes d’informations en continu.
Emmurées dans le paradigme « djihadiste », les analyses les plus expertes s’accommodent des concepts sensationnels tels que « groupes islamistes », « nébuleuse djihadiste », ou « radicalisation ». De ce fait, on ne prend guère en compte des formes d’hybridation de la menace et du transfert de la violence vers les conflits de type intercommunautaire alors que, dans le discours des groupes terroristes eux-mêmes, la dimension religieuse ou encore idéologique est quasi absente. Notamment, comparé à la période des opérations de grande envergure qui s’accompagnaient de revendications spectaculaires sur fond de références coraniques (cf. Ben Laden dans les grottes de Tora Bora, ou Al-Mourabitoune avec affichage des ténors, idéologues et chefs combattants).
Par une imbrication de circonstances, nous sommes passés de l’ère d’un terrorisme dit « djihadiste » à une situation confuse marquée par l’intensification d’une violence affectant, de plus en plus, des populations locales qui vivent une insécurité quotidienne tout en souffrant des mesures de sécurité imposées par les États qui n’ont jamais été aussi draconiennes.
En réalité et sans qu’on y prenne garde, il s’est progressivement installé une parfaite incompréhension entre l’approche internationale de l’insécurité au Sahel et les perceptions des populations locales, notamment au sujet des présences militaires qui n’ont pas pu venir à bout ne serait-ce que du sentiment d’insécurité. Un sentiment d’incompréhension, parfois « nihiliste », des efforts de la communauté internationale commence à prendre le dessus au point de rendre flou le discours des États devenus cibles de critiques d’une société civile contestataire qui s’est invitée dans le débat sécuritaire au Sahel. D’un sujet qui avait fait l’objet d’une forte convergence des vues au sein d’une communauté internationale rapprochée par une vulnérabilité en partage, la lutte contre le terrorisme divise aujourd’hui en faisant même ressurgir des suspicions d’ « impérialisme », ou du moins de retour d’une domination par la fenêtre du sécuritaire.
A suivre
Source : Forum de Dakar