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Une étude sur les facteurs de radicalisation et la perception du terrorisme chez les jeunes des banlieues dakaroises vient d’être bouclée par l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique de Timbuktu Institute basé à Dakar.

L’enquête concernait les localités de Pikine, Guédiawaye, Parcelles Assainies, Diakhaye, Keur Massar etc et a mobilisé plus de 25 enquêteurs sur le terrain durant le mois de juillet 2016 avec un échantillon représentatif des jeunes âgés de 18 à 35 ans.

Cette étude qui sera publiée dans quelques semaines a aussi réservé une part importante sur la perception de la présence militaire étrangère par les jeunes et comment celle-ci pesait sur l’évaluation des risques pour le Sénégal et la sous-région. Une bonne partie de l’enquête s’est penchée sur l’analyse des conditions socioéconomiques des profils radicalisés, notamment ceux qui seraient susceptibles de s’engager dans des groupes djihadistes ainsi que leurs motivations. Elle a largement abordé l’influence des confréries, le poids des mouvements dits « réformistes », le rôle de l’école et la dualité des systèmes éducatifs.

Les premiers résultats font état d’une particulière capacité des jeunes à avoir leur propre analyse des conflits et crises qui secouent le monde actuel et cela a été perceptible dans l’intérêt qu’ils prêtent au traitement de l’information (Télévisions, Radio, sites web) de même qu’un taux assez inquiétant de ceux qui seraient tentés de rejoindre les rangs des terroristes.

Bien que certaines données rassurantes soient à noter au bout de cette enquête comme le taux élevé de ceux qui parmi les jeunes sont motivés pour décourager ceux qui seraient « prêts à partir au djihad », ils restent divisés sur l’efficacité des mesures de l’Etat sénégalais pour « lutter efficacement contre le terrorisme » avec un taux de confiance à l’Etat situé à 54%. Cependant, 49% des jeunes interviewés désignent l’Etat comme le plus apte à «lutter efficacement contre le terrorisme ».

Interrogés sur les pays qui selon eux étaient plus visés par les terroristes, les jeunes sont 95% à citer la France et à plus de 85% les Etats-Unis.

Les raisons qui ont été les plus évoquées et qui sont en cours de traitement par les chercheurs de Timbuktu Institute sont d’ordre religieux ou ayant trait à l’engagement de ces pays sur certains fronts dans le monde musulman. Beaucoup de jeunes accusent aussi ces pays d’exercer une domination sur le continent non sans évoquer des raisons politiques et économiques. Au regard de la diversité de telles réponses et de leur intérêt sur le plan sociologique, l’équipe de chercheurs est actuellement en train de les classifier pour une publication imminente dans un rapport à paraître fin septembre.

L’analyse des genres dans le cadre des études des profils de djihadistes est peu traitée voire totalement occultée par les spécialistes de la question. Les différentes études se réfèrent très souvent à l’âge, à la religion, aux origines, et à la situation socioéconomique afin de dresser le portrait des djihadistes.

Dans le cadre de l’étude sur les facteurs de radicalisation et la perception du terrorisme chez les jeunes des banlieues dakaroises menée par l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique de Timbuktu Institute, les chercheurs se sont penchés sur la problématique de la féminisation des profils djihadistes au Sénégal.

En effet, cette étude révèle que les femmes interrogées sont plus motivées que les hommes à « s’engager aux côtés d’un groupe qui défend la cause d’un Islam plus radical ». Plus inquiétant encore, ces femmes semblent être bien affirmées dans leur démarche, s’imprégnant ainsi des discours d’endoctrinement des groupes djihadistes tels que Boko Haram ou Daesh.

Ce nouveau paradigme s’explique essentiellement par la paupérisation des femmes, entrainant ainsi la frustration, la marginalisation et l’exclusion. Toutes citent la pauvreté et le chômage comme étant les causes principales de la radicalisation et de l’extrémisme violent.

Dans cette optique, la mise en place de politiques de déradicalisation et sensibilisation à l’extrémiste violent spécifiquement accès aux femmes sont primordiales pour répondre à ce phénomène. L’équipe de chercheurs de Timbuktu Institute est actuellement en train de réfléchir à plusieurs recommandations qui seront publiées dans un rapport à paraître fin septembre.

Dr. Bakary Sambe, Directeur du Timbuktu Institute- African Center for PeaceStudies (Dakar), est le coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique. Auteur de « Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale » (2015), il est désigné comme un des meilleurs experts de l’extrémisme violent et des réseaux transnationaux dans le Sahel. Timbuktu Institute, en collaboration avec la Fondation Rosa Luxemburg, vient de boucler une étude sur les facteurs de radicalisation et la perception du terrorisme chez les jeunes de la banlieue de Dakar.

Quelles sont les rivalités entre Al Qaeda et l’Etat islamique au Nord Mali et leur influence sur les groupes armés ?

L’arrivée du groupe Etat islamique sur le terrain africain, notamment à Syrte, a introduit une nouvelle dynamique dans la nébuleuse djihadiste. La modernité des outils de propagande de Daech, le fait qu’il soit doté d’une certaine capacité financière avec le business du pétrole, en a fait un réseau plus attrayant au niveau des jeunes par la magie des nouvelles technologies et la sophistication de sa propagande. Une rivalité féroce s’est, ainsi, installée entre Daech et Al-Qaïda qui commençait à être vue comme une mouvance has been. C’est pourquoi Al-Qaïda a accentué ses attaques au début de l’année 2016, en enchaînant les attentats à Bamako, Ouagadougou et Grand Bassam, tout en multipliant les incursions dans le Nord Mali pour donner signe de vie à chaque fois que l’action de Daech commençait à trop occuper les médias et les esprits. Une manière de refuser l’oubli et de réaffirmer sa vitalité. L’émiettement des forces djihadistes dans le Sahel, suite à la contestation de l’hégémonie algérienne au sein d’Aqmi qui a donné naissance au MUJAO et à la fusion de certains groupes ayant abouti à l’émergence d’Almourabitoune, avaient fini par faire perdre à Al-Qaïda de sa force de frappe, surtout en termes de coordination d’actions de grande envergure. Néanmoins Al-Qaïda continue de mener la danse au Nord Mali, région où Daech n’a pas encore une véritable base sociologique. La composante touarègue, ainsi que la mainmise des Ifoghas sur le Djihadisme malien, n’y laissent pas beaucoup de place à la rhétorique internationaliste de Daech et surtout son tempérament originellement moyen-oriental.

Quels sont leurs liens avec les trafiquants ?

Les actions d’Al-Qaïda et des mouvements qui lui sont connexes dans le Sahel, le Sahara et le sud algérien, sont liées à une économie criminelle sur laquelle les logiques tribales ont un fort impact. A titre d’exemple, l’influence des Ag Intalla est incontestable dans la région de Kidal. Une certaine économie politique du Djihadisme laisse apparaître l’étroite relation entre terrorisme et trafic en tous genres. C’est cela qui explique le perpétuel besoin de créer des zones d’instabilité favorables à la circulation des armes et de la drogue. La cartographie des routes de la drogue dessine en même temps l’itinéraire des mouvements terroristes et des trafics de migrants malheureusement.

Quels sont le nombre et la nature des groupes armés et leurs modes de financement ?

Les groupes sont assez composites aujourd’hui et une bonne compréhension de leur mode de fonctionnement exigerait que l’on revoie constamment la cartographie qui en est souvent établie. Les 200 hommes d’Al Mourabitoune, sous l’égide de Mokhtar Belmokhtar, les 170 activistes d’Amadou Koufa du Front de Libération du Macina, et les 2000 à 3000 hommes d’Abu Al-Moughira al-Qahtani positionnés en Libye, partie intégrante de l’Etat islamique auquel les 7000 hommes de Boko Haram ont fait allégeance en 2014 sous l’égide d’Abou BakrShekau, hantent le sommeil de tous les Etats-majors militaires devant faire face à une nouvelle forme de guerre dite asymétrique. Une nouvelle forme de guerre sans front délimité, sans armées conventionnelles, avec un ennemi diffus, insaisissable et parfois, déjà à l’intérieur. Les mutations en cours au sein de Boko Haram, notamment pour ce qui est du leadership contesté de Shekau, posent de nouveaux problèmes. On s’achemine vers une situation confuse avec des factions de Boko Haram qui sembleraient cernées, autour de Sambissa, par l’offensive militaire du Nigeria et de ses alliés et d’autres groupes qui s’en détachent, dans le bassin du lac Tchad, en élargissant le front de plus en plus vers l’Afrique centrale. Les nouvelles filières d’armements à partir du Soudan changent la donne et exposent l’Afrique centrale à une résurgence des conflits ethnico-confessionnels très prisés par les mouvements djihadistes. Ils facilitent leur ancrage et servent leur développement en termes de recrutements et de création de nouvelles zones d’instabilité et de circulation d’armes. Les dernières études au Nord Mali montrent que la motivation religieuse est de loin derrière d’autres facteurs surtout socio-économiques. Les modes de financement du terrorisme ont beaucoup évolué. Les pressions américaines et de la communauté internationale sur les institutions financières, les pays et les organisations religieuses ont eu comme effet l’accentuation du blanchiment d’argent et une plus forte connexion entre crime organisé et terrorisme. On s’achemine, de plus en plus, vers une démonétarisation du financement du terrorisme que les officines de contrôle auront plus de mal à traquer. Cela passera par le commerce aux apparences légales, la circulation de biens de consommation, notamment par la voie maritime. La principale difficulté de la lutte contre le terrorisme est que ce dernier est une longue chaîne dont chaque maillon, pris individuellement, peut ne pas être punissable. Il faut varier les approches, sortir du tout militaire et investir dans la prévention et la résilience des communautés.

Propos recueillis  par Assane Samb

De nombreux pays du Sahel souffrent toujours d’une dualité voire d’un éclatement du système éducatif avec l’école « officielle » francophone et la multiplication d’écoles « arabes » ou « coraniques». Cela représente, dans un futur proche, une menace pour ce qui est de la cohésion nationale dans le processus de la construction de l’Etat et de la citoyenneté. Le phénomène Boko Haram qui est, avant tout, un problème éducatif, en est une illustration pour le cas du Nigeria, Etat déstructuré par un conflit qui déborde aujourd’hui de ses frontières.

Les Etats sahéliens ne semblent pas encore saisir les enjeux d’une telle dynamique et n’ont jamais intégré cette dimension du choc des modèles religieux par le biais de l’éducation dans le cadre global d’une politique de sécurité. De temps à autre, ce sont les partenaires internationaux qui tirent la sonnette d’alarme ou des experts peu écoutés par les décideurs politiques subissant le diktat des logiques électoralistes.

Ils sont, pourtant, aujourd’hui, nombreux qui attirent l’attention sur le danger d’un système éducatif dual avec un enseignement institutionnel géré par l’Etat et un autre parallèle qui lui échappe et qui s’ouvre aux influences étrangères les plus diverses sans parler des églises évangélistes développant de manière prosélyte des secteurs parallèles à l’action étatique.

Ce fait est non seulement source de troubles à moyen terme mais d’une fracture sociale (heurts interconfessionnels) donnant lieu à des Etats-Nations sans ciment national.

Dans les prochaines années, il est à craindre que le choc des extrêmes (Islamisme radical et christianisme évangélique) devienne source de tensions ethnico-religieuses notamment en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Cameroun et dans une moindre mesure au Bénin.

Ces réseaux de solidarité confessionnelle se substituant aux Etats dans le travail social ne sont pas toujours sans lien avec des phénomènes mafieux allant du blanchiment d’argent au narcotrafic.

La communauté internationale devrait intégrer cet aspect dans le renforcement de la stabilité et l’accompagnement des Etats africains en agissant, de manière collaborative, sur les orientations éducatives, les programmes favorisant une plus grande inclusion des laissés pour compte pour éviter un plus grand émiettement des structures sociales.

Au regard de son enjeu et de sa corrélation avec l’expansion des idéologies djihadistes ou violentes, la question éducative mérite un interventionnisme concerté en faisant de la prévention par la socialisation le socle de la lutte contre toutes les formes de radicalismes religieux dans les décennies à venir. Mais les problèmes liés à l’éducation religieuse et à la protection des enfants contre la traite des personnes restent des « patates chaudes » que les régimes successifs lèguent les uns aux autres alors que la situation actuelle dans les pays du Sahel présente des risques évidents.

La lutte contre le terrorisme, en amont, par une politique de prévention par l’éducation, le renforcement des capacités des médiateurs sociaux, la résorption des inégalités et la promotion d’espaces de socialisation alternatifs au tout-religieux et aux surenchères ethnico-confessionnelles paraîtrait plus efficace que les formes de guerres asymétriques qui, généralement, surviennent bien après que les groupes terroristes se redéployent dans de nouvelles zones de non-droit pour menacer à nouveau des Etats fragilisés.

Analyse de Bakary Sambe (Timbuktu Institute)

Comme après les attentats de janvier 2015, plusieurs dirigeants africains ont exprimé leur solidarité avec la France à l’occasion des événements du 13 novembre. Mais ils sont bien plus silencieux lorsque de telles horreurs se produisent sur leur continent.Tentative d »explication avec les chercheurs William Assanvo et Bakary Samb.

Mercredi 18 novembre 2015, quinze personnes sont tuées et plus de 50 autres blessées dans un double attentat à la bombe sur le marché de Kano, la grande métropole du nord du Nigeria. Cet attentat a été le fait de deux jeunes filles kamikazes, dont l’une âgée seulement d’un petite dizaine d’années. Cette attaque est intervenue au lendemain d’un autre attentat qui a fait 30 morts, cette fois à Yola dans le nord-est du pays. Chaque semaine, le Nigeria est secoué par de telles attaques kamikazes.

Entend-on les autorités des pays africains s’émouvoir ? Les leaders religieux ? Alors que certaines capitales africaines se pressent pour condamner les attentats perpétrés à Paris le vendredi 13 novembre, pas un mot, pas une prise de parole sur le Nigeria, le Kenya, la Somalie, etc. Deux chercheurs – William Assanvo du bureau Afrique de l’Ouest de l’Institut d’études de sécurité (ISS) et Bakary Samb, coordonateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits en Afrique (Université de Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal) – apportent des explications à ce qui ressemble bien à un « deux poids deux mesures ».

RFI : Selon vous, sommes-nous effectivement sur un « deux poids deux mesures » ? D’un côté on condamne et on s’émeut quand la France est touchée par un attentat et de l’autre, lorsqu’il s’agit du Nigeria, c’est le silence, l’absence de réactions…

William Assanvo : Il est vrai que certains hommes politiques de chez nous se sont empressés d’exprimer leur solidarité, de présenter leurs condoléances. Alors que c’est un silence assourdissant qui règne quand l’événement s’est tenu au Nigeria, au Kenya ou bien en Somalie. Je pense au président béninois Boni Yayi, qui a présenté ses condoléances depuis l’ambassade de France au Bénin. C’est d’autant plus paradoxal de ne l’entendre réagir sur Kano que le Bénin s’est engagé à fournir des troupes à la force multinationale conjointe qui doit se mettre en place pour lutter contre les Boko Haram. Ce même questionnement avait été soulevé lors de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015. Un exemple tout simple : de nombreux Africains ont utilisé en signe de solidarité avec Paris la fonctionnalité de Facebook qui permet de superposer un profil avec le drapeau français. Pourquoi n’imaginons-nous pas, nous-mêmes, ce type de témoignage de solidarité quand il s’agit de drames africains ?

Bakary Samb : Je pense que ce que vous appelez « deux poids deux mesures » est dû moins à l’insensibilité des populations africaines par rapport à ce qui se passe sur le continent qu’au contrôle des grands médias internationaux par l’Europe, la France avec France 24, et les Etats-Unis avec CNN qui couvrent à juste raison ce qui se passe chez eux. La prise de parole, par exemple, d’un Boni Yayi sur France 24 ou RFI quand il présente ses condoléances a inévitablement une forte résonance. Maintenant, cette prise de parole d’un chef d’Etat africain sur un aussi triste événement que cet attentat à Paris est aussi à contextualiser dans notre histoire commune. C’est un complexe de nos dirigeants, ceux issus intellectuellement de la période coloniale, ceux qui sont le produit de l’ère post-coloniale. C’est toujours Paris, en quelque sorte. C’est un complexe que l’on ne retrouve pas du tout chez la jeune génération qui porte d’une voix égale un commentaire, un propos sur ce qui peut se passer sur le continent ou hors du continent. Une jeune génération qui peut sans problème évoquer les attentats du Nigeria et aussi ceux commis en France. En tant que chercheur c’est mon cas, mon dernier ouvrage est consacré à Boko Haram. Au sein de l’Observatoire que je coordonne, nous traitons tous les jours des actes radicaux, jihadistes perpétrés au Nigeria mais aussi hors du Nigeria, hors du continent, etc. Pas de deux poids deux mesures, pour reprendre votre expression.

Mais cette Afrique, qui réagit moins aux événements qui se tiennent sur son sol que ceux qui se déroulent hors de chez elle, n’est-elle pas une Afrique qui a baissé les bras ?

William Assanvo : Qui a baissé les bras ? Encore faudrait-il que cette Afrique ait levé les bras pour les baisser ! Au-delà, ce qui m’afflige le plus, c’est qu’au sein de nos populations il n’existe pas ce sentiment d’appartenance à un même continent. Il y a généralement un sentiment de résignation, de fatalisme assez partagé. C’est le processus de libanisation : je veux dire qu’on s’habitue à la violence chez nous, aux attentats, etc. Que faut-il pour que nous réagissions ? Que la communauté internationale nous pousse à le faire ! Souvenez-vous de l’enlèvement des jeunes filles de Chibok en 2014. Le monde a réagi, puis le Nigeria et le reste de l’Afrique ensuite. C’est ainsi. Nous devons le regretter.

Bakary Samb : Les chefs d’Etat africains s’expriment difficilement sur ce qui se passe en Afrique, chez leur voisin, et chez eux… Ils ont peur de soulever un courroux, des réticences, d’avoir à gérer des relations diplomatiques interafricaines tendues. Dans le cas précis de l’islam radical, nos chefs d’Etat sont en plus dans le déni : ils ont vraiment la crainte de faire fuir à la fois les investissements étrangers et les touristes. Mais il y a quelques exceptions. Je pense, par exemple, au Sénégalais Macky Sall qui a eu le courage a plusieurs reprises de prendre position, chez lui, contre l’islam radical. La police sénégalaise a arrêté plusieurs imams pour apologie du terrorisme et ce malgré la protestation de certains milieux religieux. Ces imams sont toujours en détention.

Les autorités religieuses locales prennent-elles la parole pour condamner des faits de radicalisme, de violence commis en Afrique ?

William Assanvo : Nos autorités religieuses ont dû mal à ouvrir un débat public. Sur des événements comme ceux du Nigeria, je n’ai pas entendu de prise parole directe. Il faut aller vers ces autorités pour qu’elles parlent, livrent leur analyse.

Bakary Samb : Je ne ressens pas de silence pesant. Les chefs religieux s’expriment lors de conférences, dans des symposiums. Je viens d’achever une tournée dans les pays du G5 du Sahel, j’ai rencontré les principaux chefs religieux musulmans. Ils ont une réelle prise de conscience de ce qui se joue aujourd’hui, notamment au Sahel. Ils ont une analyse très intéressante, je dirais qu’on ne leur donne pas suffisamment la parole, notamment les grands médias. Mais j’ai rencontré le même discours partout, que ce soit chez le mufti et président du Haut Conseil du Nigeria, qui réside à Maiduguri et chez les plus hautes autorités religieuses en Mauritanie : le radicalisme, le terrorisme… C’est l’enfant naturel des liaisons dangereuses entre l’arrogance des injustes et l’ignorance de ceux qui se sentent des victimes.

Dans un pays comme le Niger qui a connu la montée du mouvement Izala depuis des décennies et où Boko Haram menace les régions situées sur le Bassin du Lac Tchad, la résistance des populations est rarement prise en compte par les analystes. Pourtant, une résilience communautaire s’y organise et produit des contre-discours face à la radicalisation. C’est- le cas des initiatives développées par les guides spirituels de la confrérie Tijaniyya, notamment issus de la branche des Niass avec la Zawiya de Thiota ou Kiota fondée par Cheikh Aboubacar Hachim Nias vers 1951. La confrérie est aussi active à Niamey par sa Zawiya fondée par Cheikh Souhaybu Ali comme elle se développe aussi dans la zone de Zender à travers la Zawiya fondée par Cheikh Abdou Razaq dans le village de Koussa rappelant la localité de Kossi d’où la Faydha al-Koubra (le Grand Flux) est partie aux temps de Cheikh Al-Islam El Hadji Ibrahima Niass dit Baye
 
Dans cet entretien de Timbuktu Institute avec son petit fils Cheikh Barham Niass, celui-ci revient sur les stratégies développées par la confrérie afin de contrer les discours extrémistes et surtout l’offensive idéologique wahhabite malgré la force de cette confrérie représentant 70% de la population musulmane du pays.

La réapparition d’Abubakar Shekau après des supputations sur sa santé voire sa mort s’est faite dans un contexte où son leadership est contesté et où il semble manquer de contrôle sur l’ensemble du mouvement Boko Haram.

La scission est de fait depuis quelque mois avec d’un côté un groupe cerné voir encerclé aux alentours de Sambisa et de l’autre, une nébuleuse  qui s’est redéployée autour du bassin du Lac Tchad inquiétant les pays voisins du Nigéria. L’annonce de l’entrée en scène d’Al-Barnâwi dont la vraie identité est encore incertaine malgré le choix que semble porter sur lui le Groupe EI a changé la donne.

C’est un Shekau en forme, moins agité au début de son discours avec un décor mettant en valeur la présence d’une pile d’ouvrages classiques pour faire preuve d’orthodoxie après qu’il a été pendant longtemps rejeté pour ses excès et comportements qui lui ont valu d’être snobé par Daech malgré son allégeance de 2014.

En même temps, son discours est ponctué de références à Ibn Taymiyya, Tahhâwî, Mohammed Ibn Abdel Wahhab, Ibn Qayyim al-Jawziyya, bref tous les ténors du courant hanbalite comme pour faire des clins d’œil à Daech et aux mouvements salafistes. Son discours rassembleur est celui d’une quête d’alliances et sortir de son isolement.

Sur un ton de démenti par rapport aux rumeurs sur sa santé, Abubakar Sheakau s’est encore attaqué à l’Etat nigérian mais aussi aux autres dirigeants de l’Afrique de l’Ouest qu’il qualifie de « Tawâghît » pluriel de « Tâghût », faisant référence à « ceux qui se sont, de manière rebelle, soustraits à l’autorité de Dieu » ou qui voudraient se référer à des lois « non divines ».

Dans un discours faisant la part belle aux références religieuses classiques du hanbalisme et du salafisme classique, Shekau a durci le ton contre le Président Buhari et les dirigeants de la région comme de l’Occident sans oublier de lancer un message de ralliement à tous les « Moujahidines » à travers le monde (Fî Kulli Makân).

Allégeance renouvelée à l’Etat islamique ou stratégies de jonction avec les autres mouvements terroristes de la région ?

Nous reviendrons sur les autres aspects de cet enregistrement riche en données et rebondissements aux enjeux importants pour l’avenir du djihadisme dans la région.

Analyse : Bakary Sambe (Timbuktu Institute)

Pr. Mohammed-Chérif Ferjani « L’islam n’a pas le monopole de l’usage de la violence parmi les religions » 

A l’occasion de sa première visite au Sénégal, Mohamed Chérif Ferjani, Selon le Professeur Mohamed Chérif Ferjani,  Professeur émérite de Science politique et d’islamologie, a été invité conjointement par Timbuktu Institute en collaboration avec la Maison de la Presse à donner une conférence sur « Religions, Paix et Pviolence ».
Le chercheur a fait savoir, d’emblée, que toutes les religions, à un moment donné de l’histoire, ont recouru à la violence.”Religion, paix et violence”, était le thème de cette conférence.A l’entame de sa conférence, Pr. Ferjani souligne que « ce qu’on attribue souvent à l’islam en terme de violence, d’usage de violence, d’atrocités, en causant du tort à tous les musulmans, n’est pas seulement propre à la religion musulmane.
“Dans toutes les religions et traditions spirituelles, quels que soient les principes fondateurs de ces religions, parfois, il a été fait recours à la violence“, confie-t-il.
“Les hommes, en général, dans leur injustice, dans leur ignorance, essayent toujours d’interpréter les textes coraniques pour satisfaire certains desseins parfois très opposés aux principes originels qui fondent ces religions“, renchérit le professeur Bakary Sambe, remerciant le conférencier qui a été son professeur ayant dirigé tous ses travaux de recherche à l’Université Lumière 2 et à l’IEP.
Cette conférence a accueilli la présence de plusieurs chancelleries diplomatiques de la Tunisie, du Maroc, de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes Unis, des Pays Bas, de l’Algérie, de l’Egypte avec de nombreux ambassadeurs en plus d’organisations internationales comme Amnesty, l’UNESCO etc.

 

“La violence n’est pas le propre de l’Islam“, rappelle le professeur Mohammed Chérif Ferjani qui s’exprimait à l’occasion cette grande conférence-débat, organisée par l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique à la Maison de la Presse, ce lundi à Dakar.
Occasion saisie par le professeur Mohammed Chérif Ferjani, animateur du jour de dire sa pensée en revenant sur le rapport entre les différentes religions et la dialectique entre paix et violence.

Dans le cadre d’une étude conduite par l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique de Timbuktu institute (Dakar), à paraitre durant ce mois d’octobre, la parole a été largement donnée aux jeunes de la banlieue dakaroise afin d’analyser leur perception du processus de la radicalisation et du terrorisme ainsi que leur attitude par rapport à ces phénomènes.

La question qui a été posée aux jeunes ne tient évidemment pas compte des diverses définitions afférentes au radicalisme et à l’extrémisme. Dans le schéma retenu, radicalisme, extrémisme et terrorisme représenteraient trois stades d’un même processus. Dans la première étape, l’individu se marginalise ; dans la seconde, il accepte l’idée de recourir à la violence pour façonner la société selon son idéal et, dans la troisième, il recourt concrètement à la violence.

Mais dans une société fortement religieuse, la question tendait davantage à distinguer ceux qui estiment que « radicaux » et « extrémistes » ont une mauvaise interprétation de l’Islam (32%), de ceux qui déplorent le recours à la violence au nom de l’Islam (25%). Seuls 7% des personnes interrogées considèrent qu’il s’agit purement et simplement d’une pratique rigoriste de l’Islam. Enfin, plus d’un tiers sont incapables de donner une réponse – ce qui, en soit, constitue une donnée plus ou moins inquiétante.

Presque la moitié des jeunes interrogés estiment que ce sont la pauvreté et le chômage qui font le lit du terrorisme. Si on ajoute à cette donnée le manque d’éducation, y compris religieuse et le désespoir, l’on comprend pourquoi 68% des jeunes n’ont pas confiance dans l’Etat et dans les services que ce dernier devrait assurer.

A cet égard, il faut noter que seuls 15% des jeunes interrogés sont satisfaits de l’enseignement dispensé dans les écoles publiques sénégalaises. Dans le même temps, on a pu noter une perte de confiance vis-à-vis de la classe politique et des institutions. L’acteur politique le plus proche des administrés, le Maire, ne recueille que 0,7 % de taux de confiance pour les jeunes !

L’étude s’est en outre intéressée aux différentes positions des jeunes vis-à-vis des mesures prises par l’Etat dans le cadre de la lutte anti-terroriste, la présence militaire et les interventions étrangères dans la région tout en recueillant leurs opinions sur les pays qui seraient susceptibles d’être visés par des attaques terroristes. Le rapport complet sera publié en octobre et présenté à Dakar.

Quel code pénal a pu réussir à vaincre une idéologie ? Le 28 septembre 2016, le gouvernement sénégalais a décidé de durcir les lois antiterroristes pour lutter contre le terrorisme au Sénégal par l’adoption du projet de loi modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal. Il plus qu’est évident que ce type de dispositif concernant le durcissement des peines contre les terroristes et les entreprises terroristes et la lutte contre le financement du terrorisme est nécessaire et se justifie, à plus d’un titre, dans le contexte régional et international actuels.

Cependant, il ne faut pas négliger le fait que l’arsenal préventif doit être le pendant de l’arsenal répressif pour lutter contre le terrorisme étant donné qu’il est primordial d’avoir à l’esprit que le « tout répressif » n’a jamais résolu la question du terrorisme.  En prenant les exemples des interventions militaires en Afghanistan, au Mali ou encore en Syrie, on se rend compte que les groupes terroristes sont toujours actifs dans ces territoires. Plus inquiétant, ces groupes se multiplient de plus en plus, créant encore plus d’instabilité dans ces Etats.

Aujourd’hui, il est évident que l’Etat doit privilégier la voie de la prévention du terrorisme en combattant ses causes comme le fort taux de chômage et de pauvreté ainsi que la problématique de l’éducation ; le Sénégal étant dans la typologie des pays offrant encore le cadre d’une approche prospective malgré la généralisation de la menace.

D’ailleurs, dans le cadre de l’étude sur les facteurs de radicalisation et la perception du terrorisme chez les jeunes de la grande banlieue de Dakar, menée par Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies (à paraître en octobre), les personnes interrogées attendent l’Etat sur d’autres terrains tels que la lutte contre le chômage et la pauvreté, qui sont les premières causes de marginalisation, d’exclusion et de radicalisation.

Le cas de la marginalisation encore persistante des élites dites « arabophones » qui n’arrivent pas à s’insérer convenablement reste un goulot d’étranglement sur la voie d’une citoyenneté inclusive ; la dualité de notre système éducatif restant un des défis majeurs de cohésion nationale pour le Sénégal.

C’est dans ce même cadre, avec une approche inclusive, que l’Institut a lancé l’initiative « Educating for Peace » qui devra se dérouler sur plusieurs régions du pays touchant aussi bien les campus universitaires que le milieu scolaire en étroite collaboration avec la communauté éducative et la société civile. Les problèmes éducatifs et socioéconomiques doivent aussi être des préoccupations sécuritaires au vrai sens du terme.

Par conséquent, il est urgent de nuancer le paradigme du « tout sécuritaire absolu » pour mettre en œuvre une véritable stratégie de prévention pour lutter contre le terrorisme, orientée autour de l’éducation à la paix afin de sensibiliser et de former les populations les zones urbaines et rurales du Sénégal. Une double approche s’impose et mérite d’être explorée : la prévention en amont par un système éducatif unifié prenant en charge les besoins d’instruction et d’éducation citoyenne, un dispositif urgent d’intégration des couches marginalisées et de persuasion de ceux qui seraient tentés par le discours de l’extrémisme violent en s’appuyant notamment sur les fortes capacités de résiliences communautaires.