En accueillant au bureau de Bamako, Monsieur Djoubeirou Diallo, Secrétaire Permanent de la Politique nationale de prévention de l’extrémisme violent et de lutte contre le terrorisme au Mali, Mme Fatima Al- Ansar, directrice de Timbuktu Institute- Mali a assuré que son organisation appuiera la mise en œuvre et la vulgarisation des différents piliers qui la composent.

 

« Avec son expertise régionale reconnue et ayant été mobilisé par les Nations Unies, à travers son directeur Dr. Bakary Sambe, pour la mise en place de la Cellule régionale de lutte contre l’extrémisme violent (CELLRAD) du G5 Sahel, Timbuktu institute a été aussi associé au processus d’évaluation et d’élaboration du nouveau Plan d’Action 2021-2025 », souligne Mme Al-Ansar, en insistant sur le potentiel de son institution surtout en matière de recherche et de renforcement des capacités des acteurs de mise en œuvre.

Il faut rappeler Secrétariat Permanent, rattaché au Ministère des Affaires Religieuses du Culte et des coutumes (MARCC) est en charge de coordonner la mise en œuvre de la Politique nationale de prévention de l’extrémisme violent et de lutte contre le terrorisme au Mali.

 

Le Mali s’est doté d’une Politique Nationale de Prévention et de Lutte contre l’Extrémisme Violent et le Terrorisme (PNPLEVT), depuis février 2018. Il a été, d’ailleurs, le premier pays du G5 Sahel à avoir élaboré une telle politique partant d’une approche holistique. Cette politique nationale a été validée en même temps qu’un Plan d’Action 2018-2020 et est déclinée en principes-objectifs-stratégie. Par ce procédé, le Mali vise à pourvoir un cadre inclusif de concertation et de coordination aussi bien aux départements ministériels impliqués qu’aux partenaires internationaux.

 

Dans la perspective de soutenir les efforts du Gouvernement du Mali face à la montée de l’extrémisme violent, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) sous la direction du MARCC compte à présent, accompagner le Mali dans le cadre d’un processus d’évaluation et de révision dudit Plan d’Action 2018-2020, afin de procéder à l’élaboration d’un nouveau Plan d’action quinquennal 2021-2025

(source : www.timbuktu-institute.org)

S’inscrivant dans l’approche holistique des phénomènes et des réalités sahéliennes, Timbuktu Institute- Mali a lancé ses activités par un vaste travail de recherche sur le terrain afin de documenter les problématiques sur lesquelles il travaille comme la situation sécuritaire, les questions sociopolitiques mais surtout les thématiques liées à la paix et à la stabilité au Mali. C’est dans ce cadre qu’une initiative de grande envergure a été élaborée et dénommée : « Co-construire la Paix et la Stabilité : « parole aux Maliens ». La cérémonie de lancement placée sous le patronage du Ministre de la Refondation de l’Etat, Chargé des relations avec les institutions a eu lieu, ce jeudi 28 octobre 2021 à l’École de Maintien de la Paix – Alioune Blondin Beye, à Bamako en présence des représentants du Gouvernement mais aussi des acteurs et organisations de la société civile. On y a aussi noté une forte affluence de la part des représentations diplomatiques et des organisations régionales et internationales basées au Mali au regard des grands enjeux dont traite une étude de perception inédite qui a été présentée lors de cette cérémonie de lancement.

A l’entame de son allocution de bienvenue, Mme Fatima Al-Ansar, Directrice de Timbuktu Institute-Mali rappelle l’importance de l’Initiative « Parole aux Maliens » qui entre dans le cadre de la contribution de son organisation au débat sur la prise en considération des « attentes et aspirations des Maliens pour la sortie de crise ». Pour elle, « il y a des moments importants dans la vie des Nations qui appellent au sursaut ». A travers un diagnostic de la situation actuelle, elle rappelle que « depuis plus d’une décennie, notre pays est plongé à une crise multidimensionnelle ». Exprimant sa préoccupation, la directrice de Timbuktu Institute pense que « cette tendance lourde, peine, malheureusement, à s’inverser malgré les efforts des autorités nationales, l’intensification de la présence des forces internationales de même que celles régionales avec la Force conjointe du G5 Sahel ». C’est dans ce sens qu’elle reviendra largement sur les insuffisances de l’approche basée sur le tout-sécuritaire en ces termes : « traditionnellement prisée dans la lutte contre le terrorisme, l’approche militaire bien qu’ayant contribué à la lutte contre l’extrémisme violent, montre aujourd’hui ses limites, au regard du caractère évolutif d’une menace hybride qui ne cesse d’accroître ». Pour autant, Mme Al-Ansar ne manquera pas de pointer d’autres éléments « tous les autres facteurs d’instabilité d’une crise sécuritaire qui perdure avec ses lourdes conséquences sur la multitude de secteurs que l’Administration déjà fragilisée est appelée à gérer ».

Terminant son propos sur l’importance de l’initiative que son organisation a lancée, ce jeudi, Mme Al-Ansar note, toutefois, que : « les questionnements sont, aujourd’hui, légion même au sein de la Communauté internationale, mais aussi de la classe politique malienne, de la société civile, quant au déroulement de cette période charnière et son issue, de même que son impact sur les institutions et l’avenir même de notre cher pays, le Mali »

Ainsi, c’est, en tant que centre de recherche-action à vocation régionale, voulant aborder en toute sérénité et par une approche tournée vers des solutions documentées, dans ce contexte particulièrement tendu où il y a parfois une absence de lisibilité de l’action étatique comme des tendances de l’opinion publique, que Timbuktu Institute a lancé l’initiative « La Parole aux Maliens ». Pour les chercheurs de Timbuktu Institute qui ont présenté les tendances générales de l’étude préliminaire, cette initiative « se veut inclusive à travers l’écoute du terrain plutôt que de lui imposer des paradigmes parfois inadaptés »

Comme l’a, plusieurs fois, rappelé, la directrice Mme Al-Ansar, la démarche de son Institut, consiste surtout, à « sonder d’abord les réalités du terrain, de mettre en avant l’écoute des Maliens dans la diversité de leurs préoccupations. C’est là, pour nous, la clé de la restauration de la confiance entre intervenants sur le terrain et les populations locales et la condition de leur adhésion aux solutions proposées ». Pour elle, « l’échec des expériences récentes en Afghanistan comme dans d’autres contextes où on avait privilégié les logiques du « nation building » sans tenir compte des bruissements du terrain, nous a convaincu davantage de la nécessité de redonner la parole aux Maliens ».

A en croire, Fatima Al-Ansar, « il fallait constamment documenter l’évolution de la situation de manière scientifique à travers une vaste opération de recueil de données aussi bien quantitatives que qualitatives, dans le cadre d’une étude inédite couvrant les principales régions du Mali. Il nous fallait aller vite sans, parfois, attendre le soutien des partenaires dans l’optique d’une étude préliminaire qui sera suivie d’autres ». Elle a d’ailleurs annoncé, le vœu de son Institut à mettre en place « un Baromètre du vivre-ensemble au Mali en tant qu’outil permanent de veille et d’anticipation pouvant aussi bien éclairer les décideurs qu’orienter les divers intervenants et partenaires » en appelant les autorités nationales de même que les partenaires techniques et financiers à appuyer ce projet novateur.

« Un fort et durable soutien de tous les partenaires et amis du Mali nous sera donc précieux au regard des ambitions qui motivent cette initiative lancée ce matin. Car, en plus de ces études qui s’inscriront dans la durée, des sessions de dialogue permettront de favoriser la prise de parole citoyenne pour tous les Maliens afin qu’ils puissent exposer leurs points de vue sur les questions d’actualité et des défis auxquels le Mali fait face pour trouver des solutions plus adaptées à leur contexte et à leurs réalités », conclura-t-elle son allocution en adressant les remerciements de Timbuktu Institute-Mali à tous les acteurs institutionnels et de la société civile qui ont pris un engagement ferme pour soutenir ses multiples activités et programmes « au service de la paix et de la stabilité » à travers toutes les régions du Mali.

 

Il semble établi que dans les prochaines années, la tendance largement entamée d’un déséquilibre entre les besoins pressants des citoyens de plus en plus informés et les capacités des Etats à y répondre va occasionner des crises récurrentes de gouvernance et même de confiance entre les gouvernements et leurs administrés. Les pays de l’Afrique de l’Ouest n’échappent pas à cette forte évolution dont les prémisses se sont manifestées durant la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19.

 

Dans le cadre d’une étude exploratoire et prospective menée en partenariat avec Open Society Initiative for West Africa - OSIWA, Timbuktu Institute a coordonné un réseau de chercheurs africains du Bénin, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, du Ghana, de la Guinée, du Nigeria, du Sénégal et du Burkina Faso qui a interrogé l’évolution des rapports entre acteurs religieux et politique depuis la crise sanitaire occasionnée par la pandémie de COVID-19.

 

Effets aggravants d’une crise sanitaire 

La crise sanitaire mondiale a largement impacté les pays de l’Afrique de l’Ouest sur les plans économique, social mais aussi politique. D’après les différentes analyses, elle semble avoir été un facteur non seulement un élément accélérateur de dynamiques sociopolitiques préexistantes mais surtout une nouvelle donne qui a mis à nu de manière plus prononcée les vulnérabilités des Etats et de leurs institutions. 

Même si la gestion de cette crise liée à la COVID19 a, d’un certain point de vue, permis de tester les capacités de résilience et l’efficience des systèmes sanitaires, elle a dévoilé les déficits criants des systèmes de soins des pays de la région qui ne se sont toujours pas relevés des effets des politiques d’ajustement structurels.

 

Dans ces différents pays, la privatisation des systèmes de santé s’est progressivement accompagnée d’un désengagement de l’Etat au point que l’effet surprise de cette crise montre un certain désarroi des pouvoirs publics face à des populations fortement secouées par les effets de la gestion de la pandémie. La nature de cette crise sanitaire qui touche de manière concomitante les pays de la région et leurs partenaires au développement a eu un impact sur les stratégies adoptées mettant fortement en avant les communautés, la société civile y compris religieuse.

 

Acteurs religieux, dynamisme d’une force montante

Le dynamisme de cette force constamment montante a placé les acteurs religieux au cœur de la gestion de la pandémie. Le fait est que les Etats africains avaient bien saisi que la seule phase gagnable dans la lutte contre la Covid19 était celle de la prévention.

 

Après l’affaiblissement des institutions étatiques, le discrédit sur certaines formes de sociétés civiles endossant, en même temps que les acteurs politiques, le passif de la gouvernance socioéconomique, les leaders religieux sont devenus un maillon essentiel des mouvements sociaux. Cette nouvelle donne est bien manifeste dans la manière dont les systèmes de solidarités se sont mis en place en ravivant le sentiment d’appartenance collective à la religion.

 

Rôle sociopolitique des acteurs religieux : Une importance grandissante

Cette importance grandissante du rôle sociopolitique des leaders religieux dans les représentations a pu peser sur les attitudes des communautés vis-à-vis de toutes les questions mêmes sanitaires. L’émergence d’une terminologie jadis appliquée à l’action politique pour qualifier l’intervention du religieux dans le domaine des « services sociaux » a donné l’impression que les structures religieuses ont réussi le « réarmement moral » des citoyens-fidèles.

 

Dans un contexte de forte crise économique avec des Etats rudement affectés par de nombreuses fragilités le rôle des acteurs religieux a pu glisser de la simple intervention sociale vers une posture de complémentarité voire de contre-pouvoir.

L’un des faits le plus marquants est la manière dont la gestion de la pandémie a relevé les défaillances en termes de gestion du religieux qui n’a jamais fait l’objet d’une gouvernance rationnelle de la part des Etats constitutionnellement laïcs mais administrant des sociétés foncièrement et de plus en plus religieuses.

 

A travers les différentes études de cas consacrées aux pays concernés par cette étude exploratoire, on pourrait noter les dix (10) tendances régionales suivantes malgré certaines spécificités propres aux Etats selon leurs trajectoires politiques nationales ou sociohistoriques :

 

I-              Les différents Etats de la région sont, plus ou moins, désarmés dans la gestion de la question religieuse qui a toujours fait l’objet de consensus provisoires ou de négociations selon les rapports de force ou les enjeux sociopolitiques.

 

II-            Le contexte particulier de la gestion d’une pandémie a accentué les contradictions déjà présentes dans les rapports entre acteurs politiques et religieux en les rendant plus conflictuels

 

III-          Il y a eu une réaffirmation du rôle du religieux et de la pratique cultuelle avec un regain de légitimité sociale des acteurs religieux qui, progressivement, s’affirment en tant que substituts des acteurs comme l’Etat et les organisations politiques classiques (partis, coalitions politiques

 

IV-          La pandémie de COVID19 est apparue comme une jauge du degré de pénétration et du poids des groupes religieux et a laissé entrevoir un choc des légitimités et des positionnements sur d’importantes questions sociétales

 

V-            L’étude des différents contextes ouest-africains a montré comment les acteurs religieux savent se saisir d’opportunités comme une crise sanitaire pour répondre aussi bien aux angoisses existentielles qu’aux carences d’Etats et de pouvoirs en quête de légitimité.

 

VI-          Les différentes attitudes des acteurs religieux mais aussi les réponses parfois hasardeuses apportées par le politique (gestion du culte, adaptation des mesures administratives), posent pertinemment la question de la gouvernance du religieux qui s’imposera comme une problématique émergente dans les prochaines années.

 

VII-        La pandémie a aussi poussé les groupes religieux à une modernisation de leur rapport au culte, de leur mode de prédication avec une digitalisation inouïe notée des pratiques communicationnelles à travers des supports qui, habituellement, étaient décriés (prêches par Whatsapp, des lives sur facebook, etc.)

 

VIII-      Lors de situations politiques tendues résultant des restrictions ou des effets de la crise économique, les acteurs religieux se sont davantage imposés comme des remparts avec comme une nécessité de leur implication pour parer à l’implosion des sociétés remplaçant progressivement les sociétés civiles classiques au point où ces dernières s’allient à leurs initiatives.

 

IX-          La COVID19 a mis à nu la manière dont se dessinent dans les pays de l’Afrique de l’Ouest des rivalités montantes entre les formes de religiosités et, en même temps, des stratégies de positionnement des groupes religieux minoritaires pouvant déboucher sur des tensions à l’avenir (groupes salafistes, chiites, évangéliques etc.)

 

X-            La gestion de la pandémie a été confrontée à la montée fulgurante du phénomène de la désinformation et des fake news qui, au-delà de leurs effets négatifs sur la politique sanitaire, commencent à constituer une réelle menace pour le fonctionnement des institutions mais aussi un système démocratique permettant de maintenir conditions d’émergence de sociétés ouvertes et d’une opinion publique critique.

Dr Bakary Sambe
Directeur régional de Timbuktu Institute. Enseignant
chercheur au Centre d’étude des Religions, Université
Gaston Berger

 

Comment expliquer les nombreux coups d’État qui surviennent en Afrique de l’Ouest et qui relèvent des « nouvelles pathologies de la démocratie » – qu’ils prennnent la forme d’interventions militaires contre le pouvoir civil ou de violations de la Constitution visant à permettre à des présidents sortants d’effectuer un mandat supplémentaire ? Ces phénomènes récurrents ne peuvent être analysés sous le seul point de vue local d’une nature des régimes qui serait particulière sous nos tropiques.

Au niveau global, le politologue américain Larry Diamond attribuait ces « vents défavorables à la démocratie » à une combinaison entre « la colère russe », « la complaisance américaine » et « l’ambition chinoise ». Il aurait dû ajouter un phénomène non moins déterminant : le pragmatisme diplomatique, pratique globalisée qui revient, pour les grandes puissances, à défendre avant tout leurs intérêts stratégiques.

C’est sur cet autel des intérêts stratégiques immédiats que sont souvent sacrifiés les sacro-saints principes de démocratisation évoqués durant les années 1990. De l’eau a coulé sous les ponts depuis la conférence de La Baule convoquée par François Mitterrand en 1990, du temps où les puissances occidentales s’érigeaient en défenseurs des valeurs démocratiques. Cette conférence avait insisté, entre autres, sur la nécessité d’instaurer un multipartisme dans les pays africains comme condition de l’aide et du soutien économique de la France.

Face aux coups d’État, la faillite des instances régionales

Ces vents défavorables à la démocratie ne sont plus le seul fait d’un climat tropical qui serait « naturellement » hostile à l’État de droit. Ils proviennent aussi des inconséquences des puissances occidentales, qui semblent pousser le réalisme diplomatique à un niveau jamais observé durant ces dernières décennies.

Les instances régionales africaines ne font pas mieux et sont victimes du discrédit du leadership politique mais aussi de l’image de « syndicats de chefs d’État » dont les affublent les populations, qui voient en elles les symboles mêmes d’une gouvernance antidémocratique, dont les leaders s’empressent de condamner les coups de force militaires mais ne se gênent pas pour mettre en place des « coups d’État constitutionnels » afin de perdurer au pouvoir.

En effet, sur la scène politique ouest-africaine, les coups d’État sont, toujours, immédiatement condamnés puis, progressivement, admis et finalement validés pour une durée à laquelle il suffit de coller l’appellation de « transition ». Le lifting démocratique est ainsi réussi et l’opération de normalisation des régimes issus de coups d’État se poursuit sans entraves.

Même la durée des transitions est déterminée par la capacité des juntes militaires à manœuvrer avec un système démocratique qu’ils ont désormais appris à torpiller de l’intérieur.

Ce recul est dû à des causes internes, qu’il semble de plus en plus vain de tenter d’expliquer, au vu de la surabondance de la littérature qui leur est consacrée. Mais il faudrait aussi analyser ces causes sous l’angle des contradictions et des inconséquences, aussi bien des organisations régionales africaines que de la communauté internationale.

La désillusion démocratique

Il y a d’abord les effets de la désillusion démocratique. Suivant le mouvement global de « la fin de l’Histoire » cher à Francis Fukuyama, la conférence de la Baule annonçait un processus de démocratisation, avec ses conférences nationales aboutissant au multipartisme dans les pays africains.

Promesse leur avait été faite d’un développement économique qui suivrait – dans l’idéal – le respect strict des orientations des politiques d’ajustement structurel et de privatisation de l’économie, indispensables aux investissements étrangers. On connaît la suite.

Entretemps, le multipartisme qui devait achever le processus démocratique réveilla le spectre de l’ethnicisme et du régionalisme, allumant le feu des conflits intercommunautaires qui fait toujours rage sur le continent. Aujourd’hui, ces conflits sont ravivés par les effets du terrorisme et du radicalisme religieux au Sahel.

Finalement, après des décennies, ni la démocratie ni la paix durable ne furent au rendez-vous en Afrique de l’Ouest. Les organisations régionales ou sous-régionales sont-elles victimes de l’image des leaders politiques qui les incarnent ou sont-elles aussi tombées dans le piège de leurs partenaires du Nord, qui ne jurent que par la stabilité, même au prix d’énormes concessions à des régimes antidémocratiques ou à des juntes militaires ?

L’abandon international face aux réalités « politico-diplomatiques », nid du populisme religieux

Ces dernières années, aucune élection présidentielle contestée n’a été invalidée ni par la Cédéao, ni par l’Union africaine, ni par les organisations internationales, qui finissent toujours par constater stoïquement le statu quo « malgré les incidents mineurs constatés çà et là qui, toutefois, ne portent pas atteinte à la sincérité du scrutin ». Cette expression est désormais consacrée et fleurit dans les rapports des observateurs internationaux, devenus impuissants devant les réalités « politico-diplomatiques ».

Avec une telle situation, on dirait que, paradoxalement, l’épée de Damoclès militaire s’est progressivement substituée à la hantise des sanctions occidentales du FMI ou de la Banque mondiale. D’ailleurs, ces menaces de sanctions n’ont plus beaucoup d’effet dans un contexte fortement marqué par un multilatéralisme déréglé.

Dans les années 1980-1990, lorsqu’un régime de n’importe quel pays africain enfreignait les règles du jeu démocratique, il s’exposait aux sanctions financières des partenaires internationaux, notamment occidentaux. Cette crainte est aujourd’hui complètement dissipée par la disponibilité de fonds alternatifs, parfois beaucoup plus importants, de la part de pays moins regardants sur la transparence ou le respect des droits humains tels que ceux du Moyen-Orient ou d’Asie désignés comme « donateurs autoritaires » dans les cercles de la coopération internationale. C’est un soulagement pour tous les régimes mais un supplice pour les sociétés civiles africaines.

Elles sont non seulement devenues orphelines de partenaires internationaux avec lesquels elles partageaient les mêmes valeurs démocratiques mais de plus en plus bousculées par des mouvements religieux ou populistes se saisissant de la fibre nationaliste, célébrant même des coups d’État (comme récemment au Mali) : ici se fait ressentir un autre vent défavorable à la démocratie.

L’avenir de la démocratie paraît sombre sous nos tropiques, où les anciens régimes vieillissent mal tandis qu’à l’horizon pointent de nouveaux mouvements populistes se nourrissant, au besoin, de la manipulation des symboles religieux. Pour se donner une légitimité qu’ils ont depuis longtemps perdue en matière politique, les États, qui ne sont plus pourvoyeurs de citoyenneté et de sécurité, les concurrencent dans cette course folle. Les acteurs politiques suivent le même chemin, eux aussi sans perspectives à offrir à une jeunesse désemparée, et se jettent dans les bras de religieux qui ont le vent en poupe au Sahel, à contre-courant de l’édification de sociétés véritablement démocratiques.

Source: www.theconversation.com

Malgré un climat de suspicion générale en Afrique, les Sahéliens sont de plus en plus conscients des dangers causés par la pandémie de COVID-19. Pourtant, les populations du Sahel Occidental, du Bassin du Lac Tchad, et en particulier du Soudan, restent vulnérables à la maladie. C’est le résultat d’une étude menée par le Timbuktu Institute et Sayara International en décembre 2020.
Les données de cette enquête montrent que le Soudan est plus vulnérable à la COVID-19 que le Sahel Occidental et le Bassin du Lac Tchad. 52% des personnes interrogées au Soudan pensent que leur communauté ne gère pas bien la COVID-19, contre environ 20% au Sahel occidental et dans le Bassin du Lac Tchad.
Selon les entretiens réalisés au Soudan, cela est en partie dû à une campagne de sensibilisation à la COVID-19 menée par le gouvernement qui a utilisé des termes complexes et incompréhensibles par la majorité des Soudanais.


Parmi les personnes interrogées, plusieurs ont nié l’existence de la COVID-19. Les récits trompeurs les plus courants qui circulent au Soudan soutiennent que le virus a été fabriqué dans un laboratoire de recherche à Wuhan (Chine). Les populations ont également déclaré aux enquêteurs que la pandémie était une conspiration de leur gouvernement pour recevoir de l'aide étrangère ou que « la maladie est une rumeur pour couvrir les échecs du gouvernement » ou dans le but de « pousser les populations à un état de peur ».
De plus, les fausses croyances sur les traitements contre la COVID-19 abondent sur la toile soudanaise. 3% des personnes interrogées au Soudan pensent tout de même que la prière peut aider à prévenir la COVID-19. D’autres Soudanais croient que les piqûres de moustiques propagent la COVID-19, que les chaleurs tuent le virus et que les antibiotiques peuvent guérir la COVID-19. Enfin, beaucoup estiment que cette maladie est comparable à une grippe légère.


Bien que les personnes interrogées au Soudan soient de plus en plus informées et appréhendent davantage la mesure de la pandémie, elles n’ont pas changé de comportement pour autant. La plupart des populations n’est pas en mesure de respecter la distanciation sociale. Cela peut s'expliquer par le fait que la majorité des Soudanais vivent dans des maisons familiales, où les membres de la famille nucléaire et de la famille élargie cohabitent. De plus, il existe dans ce pays une grande proportion de très petites maisons dans les zones les plus pauvres à l'intérieur des villes, dans les périurbains et dans les zones rurales.
Au Soudan, seulement 62% des personnes interrogées savent que se laver les mains avec du savon aide à prévenir la propagation de la COVID-19, alors que 90% le savent dans les deux autres sous-régions (Bassin du Lac Tchad et Sahel occidental).

Le Timbuktu Institute, le CESTI et Sayara International ont mis en place une veille de l'opinion publique digitale concernant la pandémie de la COVID-19. Grâce à notre plateforme de veille, nous analysons des milliers de publications qui émanent des réseaux sociaux, des sites d'information et des blogs, et qui, chaque jour, sont diffusées dans 8 pays du Sahel (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Soudan).

 Soumettez-nous une information, les journalistes du CESTI la vérifieront.

Restez informés sur les actions et activités menées par le CESTI et le Timbuktu Institute pour combattre la désinformation au Sahel.

Pour toutes informations sur " La vérité sur la COVID-19 "

 
Le Sénégal s’est longtemps cru à l’abri du jihadisme, protégé par son islam pacifique et son armée aguerrie. Les attaques et les menaces venues des groupes installés au Mali et en Mauritanie chassent cette illusion.

Le Sénégal s’est toujours considéré comme un îlot de stabilité dans un océan d’insécurité ouest-africain, loin de l’épicentre sahélien du terrorisme. Au gré de leurs calculs politiques et de leurs positionnements stratégiques, on a vu les autorités politiques évoluer dans leur rapport à cette menace. En une décennie, elles sont ainsi passées du déni à une prise de conscience progressive. Ce qui les a très récemment conduit à admettre, enfin, l’urgence de prendre au sérieux la menace terroriste et les signaux inquiétants venant de la partie est du pays, à la frontière avec le Mali.

Jeunesse fragilisée

Les attaques terroristes de Ouagadougou et de Grand-Bassam, en 2016, auraient pourtant dû pousser le Sénégal à mieux évaluer les dangers d’une régionalisation du terrorisme. Frappé d’aveuglement, il a préféré croire au mythe, savamment entretenu, de la résilience exceptionnelle d’un pays marqué par un islam soufi-confrérique, considéré comme un solide rempart contre l’extrémisme.

C’était oublier un peu vite la porosité des frontières et les vulnérabilités socio-économiques qui fragilisent la jeunesse et la rendent réceptive au message jihadiste. Après l’éclatement de la crise malienne, le Sénégal a voulu se persuader que celle-ci serait circonscrite à sa frontière est. Parmi les arguments avancés lors des débats, le cliché du Sénégalais naturellement non violent et sa mystique baraka protectrice qu’il doit à la sainteté de ses figures religieuses.

Certains vantaient également les performances d’un système de sécurité rompu au renseignement, d’une armée disciplinée et aguerrie, justifiant d’une expérience appréciable des guerres asymétriques, comme celle qu’elle avait menée en Casamance.

La fin de l’exception sénégalaise

On voulait croire à l’exception sénégalaise, confortée par les effondrements successifs des systèmes de sécurité des pays alentour. En dépit des arrestations de terroristes « de passage », de la présence de jeunes Sénégalais sur des terrains jihadistes comme en Libye, au Mali et dans le bassin du Lac Tchad, des discours faisant l’apologie du terrorisme. En dépit du bon sens, on faisait fi de ce qui aurait dû faire prendre conscience que tous pays de la région pouvait devenir soit un théâtre d’opérations jihadistes, soit un espace de redéploiement stratégique.

Au fil des années, on a vu le jihadisme gagner des territoires insoupçonnés, ébranlant les certitudes. On avait sous les yeux l’exemple burkinabè. Frappé dès 2016 par de terribles attentats, le Burkina Faso était pourtant, au même titre que le Sénégal, un exemple de coexistence religieuse et de cohésion sociale.

Pendant que Bamako s’enfonçait dans la crise sécuritaire et qu’au pays de la Téranga on craignait surtout le débordement de l’épicentre malien, on a eu la surprise de découvrir de jeunes sénégalais dans les rangs de Boko Haram en 2015, les services de sécurité évoquant même une nébuleuse essayant d’étendre ses tentacules sur le territoire national.

Une vague d’arrestations intervient en novembre 2015, suivie de procès inédits pour terrorisme, en 2018. La fin de l’exception sénégalaise est plus ou moins actée : en dépit de son système de sécurité, le pays partage bel et bien les mêmes vulnérabilités que les pays sahéliens et peut aussi subir les affres d’un terrorisme domestique. Le péril de l’est stoppe le déni sénégalais.

L’urgence d’agir

Pour bien mesurer à quel point le Sénégal reconnaît désormais l’urgence d’agir contre le terrorisme, il faut se remémorer le dernier sommet du G5 Sahel à N’Djamena. Le président Macky Sall avait annoncé – outre une forte présence sénégalaise au sein de la Minusma – la contribution financière d’un milliard de francs CFA à la lutte contre le terrorisme au Sahel.

La frontière sénégalo-malienne est devenue une préoccupation des forces de sécurité et de défense, qui veulent gagner cette « bataille de l’Est » à tout prix. Ce changement de ton intervient après le démantèlement annoncé d’une cellule de la katiba Macina. Une initiative consécutive à la publication, en février dernier, d’un rapport du Conseil de sécurité faisant état d’incursions jihadistes en territoire sénégalais à partir du Mali, entre autres.

Au-delà de la fin d’un tabou, il y a une libération de la parole aussi bien des officiels que des analystes. L’État semble conscient de la pression sécuritaire dans la zone est du pays depuis Nara, Nioro du Sahel et Kéniéba. La situation reste en revanche insaisissable à la frontière mauritanienne, sur l’axe Gogui-Adel Bagrou, alors qu’émergent les risques réels d’infiltration depuis Kayes et le cercle de Bafoulabé.

Empêcher les couveuses locales

Malgré les mesures d’urgence et les efforts sécuritaires avec la construction de nouveaux camps militaires comme à Kidira, le Sénégal doit faire face un défi majeur : empêcher les groupes terroristes de trouver des couveuses locales. Le plus gros risque serait qu’ils réussissent à créer un terreau en exploitant les frustrations et le sentiment de marginalisation de certaines populations.

Pour parer à une telle éventualité, il faudra des investissements massifs et urgents afin de renforcer le sentiment d’appartenance nationale de citoyens des régions « périphériques ». S’il devient évident que la bataille de l’Est aura bel et bien lieu, il est aussi sûr qu’elle ne se gagnera pas sans la conquête des cœurs, plus durable que la soumission des corps et le tout sécuritaire qui n’a réussi à vaincre le terrorisme nulle part.