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Timbuktu Institute
Lettre de l’Observatoire - Octobre 2023
Le coup d’Etat du 18 Aout 2020 survenu dans le sillage d’un mouvement populaire conduit par le M5-RFP sous l’autorité morale de l’Imam Mahmoud Dicko contre l’ancien président malien Ibrahim Boubacar Keita a plongé le Mali dans une première transition militaire. Cette transition a été prolongée par une autre qui n’est pas près de se terminer si l’on s’en tient aux signaux envoyés par les autorités militaires actuelles. Ces autorités issues de cette transition se sont distinguées par une diplomatie offensive envers les organisations sous-régionales, régionales et internationales qui a beaucoup isolé le Mali du reste du monde. La diplomatie du régime du colonel Assimi Goita s’est caractérisée par de nombreuses tensions avec la communauté internationale mais, tout d’abord, avec la CEDEAO sur le calendrier de la transition. Les relations avec l’ancien partenaire français se sont, aussi, tendues au sujet du retrait des forces de l’opération Barkhane. Puis, avec l’Europe et les Etats-Unis, à la suite du partenariat Russo-malien, des rapports difficiles ont été entretenus, allant même jusqu’à l’exigence du retrait de la MINUSMA, une mission qui s’était fixée l’objectif - certes non atteint - de reconstruction et de rétablissement de la paix au Mali.
Cette note d’analyse tente d’étudier différents points dont, principalement, : (1) la hantise des « menaces extérieures » de la part des autorités militaires en défiance permanente vis-à-vis des cadres régionaux et l’obsession de l’acquisition d’armements, (2) la reprise des hostilités au Nord et son rapport avec la prolongation de fait de la transition de même que les contestations sociopolitiques internes en gestation, (3) la reconquête de Kidal par les FAMAs et leurs alliés dans un contexte de création de l’Alliance des États du Sahel (AES) faisant peser de nombreux risques sur les équilibres régionaux et, enfin, (4) les signaux de résurgence d’un front touarègue au niveau régional à la suite d’une telle Alliance modifiant les rapports entre insurgés et l’État central.
« Sécuriser le Mali » ou « protéger le régime » ? La hantise des menaces « extérieures »
Les tensions diplomatiques avec les organisations régionales/internationales et les nouveaux partenariats avec la Russie, la Turquie et l’Iran viseraient, principalement, deux objectifs. Les autorités de la transition accélèrent l’acquisition d’armes de toutes sortes au profit de l’armée malienne et sortir le Mali de « l’emprise de la CEDEAO et ses partenaires occidentaux ». Certains analystes maliens y voient, aussi, un moyen de « prolonger encore la transition et de se maintenir longtemps au pouvoir » avec un discours aux relents galvaniseurs malgré les difficultés socioéconomiques.
Le soutien apporté aux putschistes du Niger, à travers la récente création de l’Alliance des États du Sahel (AES) et le report annoncé des élections présidentielles sont interprétés par différents acteurs maliens comme « une intention des autorités actuelles de rester au pouvoir encore plus longtemps » tout en donnant l’image d’un pays engagé sur les causes « panafricanistes » et pouvant servir de modèle régional de « résistance » face à la domination occidentale et l’emprise des cadres régionaux de coopération.
Le non-renouvellement du mandat de la MINUSMA et son retrait des localités sous contrôle des groupes armés, entamé au mois d’août 2023 devient le coup fatal donné à l’accord d’Alger, qui connaissait, déjà, d’énormes difficultés dans sa mise en œuvre depuis 8 ans. Le départ de la MINUSMA, qui était la seule force d’interposition en cas d’affrontements, garante du cessez-le-feu, des arrangements sécuritaires à travers la CTS (Commission Technique de Sécurité) et les EMOV (Equipes Mixtes d’Observation et de Vérification) et le CSA (Comité de Suivi de l’Accord) dont elle gère le secrétariat permanent, concrétise la fin de l’APR (Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali). En plus des désaccords déjà persistants entre le gouvernement et les groupes armés autour de l’armée reconstituée, du statut des présidents des régions, de la nouvelle Constitution, s’ajoute l’absence de compromis sur la rétrocession des bases de la MINUSMA dans les zones encore sous contrôle des groupes armés. Ce qui, selon l’interprétation des Groupes armés, conduit à une remise en cause du cessez-le-feu et à des affrontements très violents depuis le 12 août.
Reprises des hostilités au Nord : Déroulement, interférences et péripéties
L’adoption de la résolution 2690 (2023) par le Conseil de Sécurité consacrant le retrait ordonné de la MINUSMA sur demande du gouvernement malien de la transition survient dans un contexte de blocage total du processus de paix au Mali. Toutefois, le président de la transition, Colonel Assimi GOITA aurait, selon certaines sources, envoyé le chef des services de renseignements à Kidal, le colonel Modibo Koné, pour informer les mouvements signataires de sa volonté de reprendre les emprises de la MINUSMA au profit des FDS.
Des négociations avortées ? Le CSP (Cadre Stratégique Permanent pour la Paix, la Sécurité et le Développement) a pu accepter cette décision sous réserve d’un certain nombre de préalables notamment : la libération de ses combattants détenus par Wagner dans la région de Ménaka, la relance immédiate du processus de paix, le déblocage des indemnités des membres des commissions et l’occupation des emprises par les Bataillons des forces armées reconstituées (BATFAR). Après la libération des prisonniers, le gouvernement, qui se considérait, alors, en position de force, décida de déployer ses hommes pour récupérer les emprises laissées par la MINUSMA, avec les mercenaires de Wagner en première ligne.
Le 03 Aout 2023, le convoi FAMA-Wagner, en route pour la reprise de l’emprise de Ber mène une attaque nocturne sur un poste de sécurité de la base militaire de la CMA à Foyta, située non loin de la frontière mauritanienne. Cette attaque s’est soldée par la destruction du poste, deux morts côté CMA dont un combattant qui serait même décapité à la machette et deux véhicules emportés.
Ainsi, dans son communiqué du 07 août, la CMA accuse la junte militaire malienne et interpelle la médiation algérienne et la communauté internationale sur les risques d’une reprise des hostilités et la compromission à jamais de l’Accord d’Alger. Elle a également déclaré que l’attaque était une « violation délibérée du cessez-le-feu du 23 mai 2014 et des arrangements sécuritaires ». En réalité, la prise de la ville de Ber, le 13 août dernier, après d’intenses combats de plusieurs jours entre la CMA et les FAMa-Wagner consacre la reprise des hostilités. Le CSP-PSD (Cadre Stratégique Permanent pour la Paix, la Sécurité et le Développement), composé de la CMA et une partie de la Plateforme, informa, alors, l’opinion nationale et internationale qu’il agira désormais « dans le cadre de la légitime défense ».
Depuis le 07 septembre 2023, le Mali fait, ainsi, face à des attaques complexes dont celles de Bourem, Bamba, Léré, Dioura et Taoussa qui ont été revendiqué par le CSP-PSD. Ces attaques étaient caractérisées par des victoires du CSP-PSD contre les forces de défense et de sécurité maliennes, des morts, des blessés et des prisonniers dans les camps des FAMAs ainsi que d’innombrables pertes matérielles (armements et infrastructures militaires).
Ces multiples attaques consacrent, irréversiblement, la rupture du cessez-le feu et remettent en cause l’avenir du processus de paix au Mali et, peut-être, la stabilité dans la sous-région. Cette situation intervient dans une période de turbulences politiques au Sud du Mali avec un vrai front social en gestation face à la décision des autorités de prolonger une fois de plus la transition militaire.
Prolongation de la transition et contestations socio-politiques en gestation
Depuis quelques mois, il y avait une perception partagée selon laquelle les autorités actuelles préparaient les esprits et l’opinion régionale et internationale à une prolongation certaine de la transition. Celle-ci pourrait être vue par les Maliens comme le report de trop. Le 25 septembre, le ministre de l’Administration territoriale annonce un léger report des élections prévues en février 2024. Les raisons évoquées par le gouvernement sont : la prise en compte de nouvelles dispositions constitutionnelles dans la loi électorale, la prise en otage des données numériques des Maliens par la société IDEMIA et la prise en compte par l’AIGE (Autorité Indépendante pour la Gestion des Elections) des résultats de la révision annuelle des listes électorales (1er octobre au 31 Décembre 2023). Cependant, ces raisons avancées par les autorités sont automatiquement rejetées par la classe politique qui sort désormais de sa réserve.
Les langues politiques se délient progressivement. La CMAS (Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko) avait, d’ailleurs, appelé à une grande manifestions le 13 octobre pour exiger une transition civile. Cette manifestation avait été finalement interdite par les autorités suite à l’annonce d’une contre-manifestation du CDM (Collectif pour la Défense des Militaires) pour soutenir la transition militaire. Certains renseignent que pour éviter une confrontation entre la CMAS et le CDM, Chérif Madani Haidara président du HCIM (Haut Conseil Islamique du Mali) aurait rencontré l’IMAM Mahmoud Dicko pour lui demander de dissuader la CMAS de tenir la manifestation du 13 octobre « au nom de l’intérêt général » et que la CMAS aurait répondu favorablement à la demande de son parrain.
De son côté, le parti YELEMA (changement en bambara) met les autorités en garde contre les risques qu’ils font peser sur le pays dans leur « approche solitaire », non consensuelle, non inclusive pour des « objectifs inavoués ». Au sujet du report des élections, les langues se délient, peu à peu, à Bamako. La société IDEMIA quant à elle, assure pour sa part qu'il n'existe "pas de litige en cours" avec les autorités maliennes et qu'il n'y a "plus de cadre contractuel en vigueur" entre le groupe et le ministère malien de l'Administration territoriale et de la Décentralisation, "en raison du non-paiement des factures".
D’autres voix rejettent les arguments du gouvernement et affirment que ce report des élections n’est qu’une preuve de plus de « l’intention des autorités actuelles de prolonger encore la transition ». En effet, cette annonce du report tombe comme un coup de tonnerre dans les oreilles des hommes politiques, apparemment, réduits au silence depuis l’avènement du coup d’Etat du 18 Aout 2020. Ils estiment déjà que cette transition n’a que trop duré et considèrent pour la plupart inacceptable un énième report qui consacrerait l’installation d’une « dictature militaire ».
D’autres affirment, déjà, que le régime militaire actuel s’inspirerait politiquement du Général Moussa Traoré dont la mémoire a été, récemment, honorée par les autorités de la transition. En effet, le nom de celui qui fut contesté en tant que « dictateur » a été, donné à la 45ème promotion de l’École militaire Interarmes (EMIA) le vendredi, 1er septembre 2023, sur la place d’armes du Centre d’instruction Boubacar Sada Sy de Koulikoro. Ainsi, contrairement à l’attitude de la classe politique de ces derniers mois, les déclarations de rejet du report des élections pleuvent sur la presse et les réseaux sociaux. Plusieurs partis politiques maliens rejettent, désormais publiquement et catégoriquement ce report, dont le RPM, le Sadi, la CODEM, YELEMA etc….
D’ailleurs, bien avant cette déclaration du gouvernement annonçant un autre report des élections, la 2ème phase de la transition fut marquée par des restrictions des libertés individuelles et collectives, le musèlement de la presse, des intimidations des arrestations arbitraires, dont les dernière en date furent celle l’emprisonnement de « Ben le cerveau », membre du CNT et pourtant principal allié activiste de la junte pour faire partir la France et la MINUSMA, et la radiation de 2 magistrats par décret présidentiel. De plus, les dernières attaques perpétrées par le CSP-PSD et le JNIM contre le bateau Tombouctou et les camps de Gao, Bourem, Bamba, Léré, Dioura, Taoussa et l’embargo économique imposé par le JNIM sur la région de Tombouctou et partiellement sur les régions de Gao et Ménaka révoltent une bonne partie de la population contre une gouvernance décriée de la junte militaire et son « incompétence pour garantir la sécurité dans le pays ».
En revanche, les militaires étant conscients des protestations en gestation, passent à la vitesse supérieure pour tenter le coup de la dernière chance en lançant une offensive sur la région de Kidal. En effet, si cette opération réussissait, elle suffirait à la junte pour regagner la confiance de la population du Sud, et mettrait en minorité ceux qui s’opposeraient à la prolongation de la transition déjà annoncée.
Reconquête de Kidal par les FAMa et leurs alliés : l’opération de tous les risques
Le gouvernement de la transition lance, le 2 octobre 2023 une opération de reprise des emprises de la MINUSMA situées dans la région de Kidal. Elle est menée avec un convoi composé de près de 200 véhicules majoritairement blindés, des avions et des drones armés et de surveillance. Les effectifs sont de plusieurs centaines de militaires maliens et mercenaires Wagner. L’opération s’annonçait difficile et périlleuse en cas d’échec qui serait ravageur pour l’image de la junte.
Les affrontements ont duré 6 jours entre les localités de Tarkint, Tabrichat et Anefis. Des sources locales parlent, déjà, de dégâts humains et matériels assez importants. Chaque partie donne des bilans en sa faveur mais la lenteur de l’avancée des FAMa illustre la capacité de résistance de groupes armés en face. Cette bataille symbolique décisive pour le contrôle de Kidal risque de plonger le Mali dans une guerre insurrectionnelle complexe.
Certains pensent déjà au scenario afghan. Les alliances entre les groupes séparatistes et jihadistes sont déjà plus ou moins perceptibles. De plus, cette guerre pourrait, définitivement, avoir raison de l’accord pour la paix et de la stabilité au Sahel de manière plus générale.
Au terme de plusieurs jours d’intenses combats, les forces armées maliennes ont pu investir la localité d’Anefis encerclée par les forces du CSP-PSD. Du côté de Kidal, le camp des FAMa occupé par le BATFAR de Kidal jusqu’ici épargné, a été investi le 10 octobre par les combattants du CSP-PSD qui auraient désarmé plus d’une centaine des FAMa et les auraient remis à la MINUSMA pour les acheminer à Bamako. Le 13 octobre, 2 avions transportant des mercenaires du groupe Wagner, des FAMa et du matériel seraient atterris à Tessalit en prélude de la rétrocession de cette emprise de la MINUSMA prévue à partir du 15 octobre.
Il est, pour l’heure, difficile de prédire l’issue des combats qui seront probablement très violents dans les jours à venir. Ce qui accélérera le discrédit de la transition si elle perdait face aux groupes armés. Il est certain qu’en cas de succès, les autorités actuelles gagneraient en popularité dans le cas où Kidal serait totalement reconquise.
En effet, avec la prolongation actuelle, l’avenir de la junte militaire malienne est plus que jamais incertain comme le montrent les signaux d’une plus grande contestation au sein de la classe politique et de la société civile sortant, progressivement, de sa timidité. S’il devait y avoir une seule certitude, ce serait la volonté des militaires de conserver le pouvoir en prolongeant la transition pour la énième fois. Cependant, deux événements majeurs pourraient entraver ce projet de prolongation de la transition : l’échec de la reconquête de Kidal ou une protestation plus vive au sud contre le report des élections. Dans les deux cas ou si ces évènements se concrétisaient simultanément ou successivement, le Mali risquerait à nouveau de sombrer dans une plus profonde crise tout en impactant les pays voisins notamment, le Niger et le Burkina déjà engagés à ses côtés dans le cadre de l’Alliance des États du Sahel.
L’Alliance des États du Sahel (AES) et son incidence sur la stabilité régionale
L’instabilité au Mali se propage dans la région du Sahel tant sur le plan politique que sécuritaire. Tout porte à croire qu’un phénomène de contagion existe entre le Mali, le Burkina et le Niger. De l’expansion des groupes armés terroristes établis au Mali (JNIM, EIS) à la duplication des coups d’états dans ces pays, tous les phénomènes qui surviennent au Mali se répercutent dans ces pays voisins. Le coup d’Etat au Niger, le positionnement des juntes malienne et burkinabé aux côtés du Niger contre la CEDEAO et la création de la nouvelle alliance donnent désormais un nouveau coup d’accélérateur à cette régionalisation du conflit et des menaces sécuritaires.
Une des clauses de la charte de Liptako-Gourma signée par les trois pays (Mali-Niger-Burkina Faso) le 16 septembre et ratifié par le CNT du Mali le 09 octobre a fait couler beaucoup d’encre et interroge sur les menaces qu’un tel cadre fait peser sur les mécanismes sous-régionaux et régionaux de sécurité collective.
Il est sûr que l’annonce de cette Charte, si elle était suivie d’effet, aura d’énormes conséquences parmi lesquelles, l’affaiblissement de la CEDEAO et la disparition tacite en vue du G5 Sahel, qui étaient des acteurs-clés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest de manière générale. On semble s’acheminer, inéluctablement, vers la fragmentation des efforts régionaux de lutte contre le terrorisme.
Vers la résurgence d’un front touarègue au niveau régional ?
Certains groupes et organisations Touaregs du Mali et du Niger voient déjà dans cette Charte du Liptako-Gourma, une « conspiration » des trois juntes militaires contre la communauté Touarègue de ces pays. Rhissa Boula, ancien ministre de Mohamed Bazoum et fondateur du Conseil de la Résistance pour la République (CRR) a publiquement dénoncé l’AES et apporté son soutien au CSP-PSD.
De même, le collectif des ex-combattants de la rébellion touarègue du Niger, qui, pourtant, avaient, pendant un certain temps, apporté leur soutien aux putschistes nigériens, s’insurgent, à leur tour, contre l’AES et ont organisé une grande manifestation à Agadez pour se démarquer de ce qu’ils qualifient d’ingérence dans les affaires internes d’un pays en ce qui concerne le soutien du Niger au Mali dans sa guerre contre le CSP-PSD auquel ils apportent leur soutien. En plus de la généralisation du conflit au niveau régional, son ethnicisation devient une menace réelle à la stabilité de la région.
PRINCIPALES CONCLUSIONS
Timbuktu Institute – Octobre 2023 - Tous droits réservés
Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies - en partenariat avec l’Ambassade du Japon au Sénégal, organise un Séminaire sur la problématique de la résilience communautaire face aux risques multi-dimensionnels ce Mercredi 11 octobre à Dakar avec la participation de chercheurs, experts africains et japonais. Tout en partant des situations régionales et des analyses des experts, ce Séminaire sera aussi l’occasion de revisiter l’expérience japonaise et sa coopération dans le cadre du renforcement de la résilience des communautés au Sahel.
En effet, engagé au niveau continental et aux côtés de la plupart des pays africains depuis les indépendances, le Japon fait partie des acteurs internationaux qui ont pu nouer une solide et durable coopération avec les États de la région. Par le biais de l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA) et d’autres mécanismes, le Japon s’est toujours mobilisé que ce soit dans le cadre de la prévention comme de la résolution des crises mais aussi dans l’aide humanitaire et l’assistance technique aux États. Cet engagement aux côtés de l’Afrique ne s’est jamais estompé comme l’a réaffirmé le premier ministre Fumio Kishida lors de son discours d’ouverture de la 8ème Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD8). Il avait d’ailleurs annoncé, dans le cadre du renforcement de la contribution japonaise, un plan financier conséquent, public et privé, pour les trois prochaines années mais aussi un investissement dans le capital humain visant à former plus de 300 000 professionnels. C’est dans ce cadre qu’il faudrait réinterroger cette contribution japonaise en termes de renforcement de la résilience. La résilience est souvent définie comme la capacité d’une entité à subir un choc, un désastre ou les conséquences de l’insécurité et de s’en relever pour mieux rebondir et évoluer vers un processus plus positif dans le cadre de son développement économique et social.
Ainsi, avec son expérience historique dans des processus de reconstruction, liés au bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945 ou, plus récemment, suite au tsunami et à l’incident nucléaire de Fukushima, le Japon peut être un précieux soutien et un modèle pour l’Afrique face à certaines tragédies, et en premier lieu celles liés aux conflits violents. La consolidation de la paix est ainsi un des trois volets fondamentaux de la politique de coopération du Japon avec l'Afrique.
Plus précisément, la JICA en privilégiant une approche en termes de résilience liés à la sécurité humaine, associant le renforcement des institutions gouvernementales ou communautaires avec des processus de protection et d’autonomisation, offre une réelle alternative au tout-sécuritaire. Par ailleurs, en Afrique de l’Ouest, la JICA possède son bureau régional à Dakar depuis 1980 qui couvre six pays de la région où le Timbuktu Institute intervient dans le cadre de ses activités notamment en matière de consolidation de la paix et de renforcement de la résilience des communautés locales.
Ayant pris part à de nombreuses initiatives soutenues par le Japon comme le voyage d’étude à Hiroshima sur la thématique de l’éducation à la paix, le Timbuktu Institute travaille depuis 2016 dans toute la sous-région sur des questions liées à la paix et à la sécurité. Dans le cadre de son plan d'action quinquennal 2020-25, l’institut a placé l'opérationnalisation des connaissances, le conseil et l’aide à la décision ainsi que l'appui aux institutions au cœur de ses priorités en mettant en place un large réseau de chercheurs associés couvrant plus de 20 pays africains avec une diversification des langues de travail (internationales comme locales) pour opérer sur tout le continent. Un programme spécial a été consacré à la veille stratégique, à l'organisation de rencontres nationales comme internationales et à la production de publications et de notes sur les évolutions actuelles en zone côtière avec le glissement des épicentres et la progression de la menace terroriste.
De plus, l’approche de l’Institut a toujours été orientée vers la prévention et le renforcement de la résilience des communautés à partir de nombreuses expériences en partenariat avec les organisations régionales comme le G5 Sahel, la CEDEAO mais aussi les organisations de la société civile. Ce qui recoupe nombre de préoccupations de la coopération japonaise dans le cadre de son appui aux organisations régionales, aux États mais aussi aux diverses communautés.
En plus de cet intérêt partagé pour le renforcement de la résilience communautaire, le Timbuktu Institute possède à la fois une longue expérience dans la production de données empiriques comme dans la formalisation de recommandations opératoires à destination de différents acteurs de la société civile, des représentants des autorités administratives, des leaders religieux et communautaires.
C’est ainsi qu’il a été envisagé d’initier une coopération à partir de ce séminaire permettant d’approfondir la réflexion et de faire une analyse poussée et concertée de la portée des actions et initiatives de la coopération japonaise pour une meilleure compréhension des enjeux et défis en partage. Cette coopération via ce séminaire entre la JICA et le Timbuktu devrait permettre, à terme, de proposer des outils innovants dans le renforcement de la résilience communautaire face aux multiples menaces auxquelles l’Afrique fait face.
As soon as French President Emmanuel Macron announced the withdrawal of French forces from Niger, the reaction of a leading international affairs expert was summed up in one sentence: "the great Nation is losing its face and its diplomatic place in the Sahel". Up until now, both the junta and France have tried to put on a brave face in order not to lose face. What was seen as a simple request from a junta that had just taken over the reins of power in Niamey quickly became one of the ingredients of the nationalist, even populist discourse that Sahelian militaries are now famous for, as we saw in Mali and Burkina Faso. One could come to think that France's stubbornness was also due to the fear that the departure of its forces from Niger would be a trigger for other countries in the region. After a two-month tug-of-war, the junta had to wear France down; this battle of unequal symbolic arms could only be won with difficulty by a cornered France, which had the disadvantage of having to deal with urgency and history at the same time. This attitude put it in a bad position when faced with a junta whose populist discourse continues to have an effect on a population and a youth overheated by the impression of having defeated a regime and gradually rid itself of a dominating power.
ECOWAS faced with a diplomatic fait accompli?
But, at the same time, Emmanuel Macron's announcement sounds the death knell for ECOWAS's intervention project, and deals a severe blow to its credibility, notably its capacity to deter military coups, one of its priority objectives. This situation augurs well for the emergence of a “militaro-populist” trend, to the detriment of the democratic ideal in the sub-region. The risk of coups, sometimes theorized as paradoxical moments of "democratic breathing space", is likely to increase.
ECOWAS, the sub-regional organization has thus been presented with a diplomatic fait accompli, with this failure of military strategy stemming, in reality, from four main factors:
- A certain division within the AU Peace and Security Council.
- The ambiguity of the position of the United States of America and its pragmatism, considered self-serving by some observers, resulting in a lack of firm diplomatic and military support since the beginning of the crisis.
- France's diplomatic isolation within the EU, despite appearances to the contrary, with the lack of diplomatic and financial support for a possible operation, as ECOWAS's main financial partner.
- Strong opposition from public opinion in the Sahel and West Africa, and from civil society, which now sees itself as a legitimate stakeholder in the security debate and even in foreign policy, putting pressure on political leaders who are heavily criticized, particularly by young people.
A geopolitics of youth: indiscriminate "mimicry"?
But the aspect that needs most consideration is the possible effect of indiscriminate mimicry, facilitated by social networks, on the part of a disenchanted youth that is socio-economically vulnerable to radicalism and populism, seasoned with effective Russian "propaganda" to which Westerners respond with policies of influence supported by communication that rivals aggressiveness.But what is denounced as Russian "propaganda" seems to be backed up by a real foothold in real society and among young people, who are sometimes snubbed by chancelleries fascinated by literary elites reminding them of their "universality", by political leaders who are losing ground and by economic operators, subcontractors to their bosses and multinationals. A group of unpopular intermediaries rejected by a youth completely committed to a stodgy pan-Africanism, for want of a real political culture in the image of the founding fathers.
Ingredients for a new historic cycle in the Sahel?
This set of facts now constitutes an explosive recipe against French interests in French-speaking Africa, where Paris was for a long time considered a "champion" by the European Union and the "Western camp", which has recently become much more fractured.A high-ranking diplomat could not have been clearer when he declared, at an important meeting, that "NATO is not a bloc but a simple alliance", which aptly reflects the current state of mind of international partners in the shifting sands of the Sahel, where they are increasingly dispersed, not to say divided or even bogged down.But beyond the publicity surrounding the French withdrawal, and the epidermal reactions of "pan-Africanist pride" and "French disillusionment", it has become clear that the process of fighting for a second decolonization from below seems to be inexorably underway.
Avoiding new disillusionment: the disturbing questioning
The question arises, however, as to whether the military regimes now calling for the departure of foreign forces will be able to do without them for long after the time of expressions of pride and galvanizing speeches. The recent Liptako Gourma Charter, sealing a mutual defense pact "in the event of aggression" between Burkina Faso, Mali and Niger, certainly raises hopes of synergy, but raises questions about its operationality and durability. These questions - admittedly disturbing for some - are all the more legitimate given that if these countries were to find themselves in a security situation that would force them to once again call on military cooperation, now rejected in this context strongly marked by nationalist and pan-Africanist rhetoric, it would be another Sahelian disillusionment that would inevitably be fatal.Such a disillusionment would open up, through a second Islamist breath, a wide boulevard for the actors of political Islam and extremist movements who would come to claim, "legitimately", the status of new forces untouched by any exercise of power after the failure of today's secular and military policies. In any case, the dawn of a new historical cycle seems to be looming in the Sahel, but also for Euro-African and, more particularly, French-Sahelian relations.
Timbuktu Institute - October 2023
Dans le but de participer à la réflexion sur les enjeux de l’apport de la culture dans la consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest en général et au Sénégal en particulier, le Timbuktu Institute, en partenariat avec la Collectivité Mandingue de Mbour et la commune de Mbour, organise le samedi 30 septembre à partir de 15h sur l’esplanade la mairie de Mbour, une grande conférence sur le thème : « Contribution de la culture dans la consolidation de la paix et la cohésion sociale : Modèle du Kankourang de Mbour ». Dans une Afrique de l’Ouest de plus en plus sujette à la menace terroriste, les conflits intercommunautaires, ainsi que des germes d’instabilité menaçant les équilibres régionaux et nationaux, cette conférence vise à capitaliser les ressources culturelles endogènes mandingues au service de la consolidation de la paix.
Le choix du rituel du Kankourang trouve sa pertinence en ce qu’il est un creuset d’intégration et de cohésion sociale dans le département de Mbour et qui participe depuis plus d’un siècle à la consolidation du vivre ensemble, en capitalisant sur les bonnes pratiques générées depuis son institution à Mbour. Cette conférence, en définitive, se veut aussi un appel à la société civile et aux universitaires, à se pencher sur la part d’une culture sénégalaise, en l’occurrence celle mandingue, dans la sauvegarde de la paix commune et du vivre-ensemble. En d’autres termes, accorder la « dignité de solutions aux solutions endogènes », comme suggère le Dr Bakary Sambe. Dans ce sillage, cette séance de partages espère tenir lieu de déclic.
La conférence sera ouverte par la directrice nationale Timbuktu Institute Mme Yague SAMB et les échanges seront assurés par le Dr Bakary SAMBE, Directeur régional de Timbuktu Institute, le maire de Mbour, Cheikh Issa SALL, le ministre de la Culture et du patrimoine historique, M. Aliou Sow, le secrétaire général de la Collectivité Mandingue, M. Mamadou Aïdara DIOP, président de la Commission scientifique de la Collectivité Mandingue, M. Sidy MANDIANG, Dr Mandiaye FALL, membre du Comité technique en charge du projet d’écomusée, M. Abdoulaye BALDE, Directeur général d’APIX et M. Babacar Sané BA, Directeur des partenariats sur la promotion des investissements et de la culture au ministère des Affaires Étrangères.
Le Timbuktu Institute, la Collectivité Mandingue de Mbour et la commune de Mbour, seraient honorés de votre présence, et invitent la presse pour la couverture de cet évènement.
Timbuktu Institute – 27/09/2023
Dès l’annonce faite par le Président français, Emmanuel Macron, du retrait des forces françaises du Niger, la réaction d’un grand expert des affaires internationales s’est résumée en une phrase : « la grande Nation perd sa face et sa place diplomatique au Sahel ». Alors que jusqu’ici, qu’il s’agisse de la junte ou de la France, chacun tentait de faire bonne figure pour ne pas perdre la face. Ce qui était considéré une simple demande d’une junte qui venait de prendre les rênes du pouvoir à Niamey était vite devenu un des ingrédients du discours nationaliste voire populiste dont les militaires sahéliens ont, désormais, le secret comme on a pu le constater au Mali et au Burkina Faso.
On pourrait arriver à penser que l’entêtement français s’expliquait aussi par la hantise de voir le départ de ses forces du Niger se transformer en un déclic pour d’autres pays de la région. Après un bras de fer de deux mois, la junte a eu la France à l’usure ; cette bataille à armes symboliques inégales ne pouvait être que difficilement gagnable par une France acculée présentant le désavantage de devoir, à chaque fois, gérer l’urgence et l’histoire en même temps. Cette attitude la mettait en mauvaise posture face à une junte dont le discours populiste continue de faire effet face à une population et une jeunesse surchauffées par l’impression d’avoir défait un régime et de se débarrasser progressivement d'une puissance dominatrice.
La CEDEAO devant le fait accompli diplomatique ?
Mais, en même temps, cette annonce d’Emmanuel Macron sonne le glas du projet d’intervention de la CEDEAO et porte un sévère coup sa crédibilité, notamment sa capacité de dissuasion des coups d’Etat militaires, un de ses objectifs prioritaires.
Cette situation augure de perspectives favorables à l’émergence d’une tendance lourde du militaro-populisme, au grand dam de l’idéal démocratique dans la sous-région. Il faudra craindre une augmentation du risque de coups et contrecoups, parfois théorisés comme de paradoxaux moments de « respiration démocratique ».
L’Organisation sous-régionale est, ainsi, mise devant le fait accompli diplomatique avec cet échec de la stratégie militaire qui découle, en réalité, de quatre facteurs principaux :
- Une certaine division notée au sein du Conseil de paix et Sécurité de l’UA.
- L’ambiguïté de la position des États-Unis d’Amérique et son pragmatisme jugé intéressé, par certains observateurs, se traduisant par une absence de soutien ferme au point de vue diplomatique et militaire depuis le début de la crise
- Un isolement diplomatique de la France au sein de l’UE, malgré les apparences, avec le défaut de soutien diplomatique et financier d’une éventuelle opération, en tant que principal partenaire financier de la CEDEAO.
- Une forte opposition des opinions publiques sahéliennes et ouest-africaines, des sociétés civiles qui se considèrent désormais comme parties prenantes légitimes du débat sécuritaire et même de la politique étrangère ; mettant la pression sur des dirigeants politiques fortement critiqués notamment par la jeunesse.
Une géopolitique de la jeunesse : « mimétisme » sans discernement ?
Mais l’aspect qui serait le plus à prendre en considération est l’effet éventuel du mimétisme sans discernement, facilité par les réseaux sociaux, de la part d’une jeunesse désenchantée et socio-économiquement vulnérable au radicalisme et au populisme, assaisonné à l’efficace « propagande » russe à laquelle les Occidentaux répondent par des politiques d’influence soutenues par une communication rivalisant d’agressivité.
Mais ce qui est dénoncé comme une « propagande » russe semble adossée à un véritable ancrage dans la société réelle et au sein de la jeunesse parfois snobées par des chancelleries fascinées par les élites littéraires leur rappelant leur "universalité", des dirigeants politiques en perte de vitesse et des opérateurs économiques, sous-traitants de leurs patronats et multinationales. Un ensemble de relais peu populaires rejetés par une jeunesse complètement acquise à un panafricanisme indigent par défaut d’une réelle culture politique à l’image des pères fondateurs.
Des ingrédients d’un nouveau cycle historique au Sahel ?
Cet ensemble de faits constitue, désormais, une recette explosive contre les intérêts français en Afrique francophone où Paris fut, pendant longtemps considéré comme un « champion » par l’Union européenne et le « camp occidental » qui s’est récemment beaucoup fissuré.
Un diplomate de haut rang ne pouvait être plus clair, en déclarant, lors d’une importante réunion que « l’OTAN n’est pas un bloc mais une simple alliance » ; ce qui traduit, pertinemment, l’état d’esprit actuel des partenaires internationaux dans ce sable mouvant sahélien où ils sont de plus en plus dispersés pour ne pas dire divisés voire enlisés.
Mais, au-delà des effets d’annonce sur ce retrait français, des réactions épidermiques de « fierté panafricaniste » comme de « désillusion française », il est devenu clair que le processus de lutte pour la deuxième décolonisation par le bas, semble être inexorablement enclenché.
Éviter une nouvelle désillusion ou le questionnement dérangeant
La question se pose, toutefois, de savoir si les régimes militaires demandant, aujourd’hui, le départ des forces étrangères auront les capacités de se passer d’elles durablement après le temps des expressions de fierté et des discours de galvanisation. La toute récente Charte du Liptako Gourma, scellant, surtout un pacte de défense mutuelle « en cas d’agression » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger suscite, certes des espoirs de synergie, mais des questionnements sur son opérationnalité et sa durabilité.
Ces questionnements, - il est vrai dérangeants pour certains -, sont d’autant plus légitimes que si ces pays se retrouvaient dans une situation sécuritaire qui les obligerait de faire appel, à nouveau, à la coopération militaire aujourd’hui rejetée dans ce contexte fortement marqué par les discours nationalistes et panafricanistes, ce sera une autre désillusion sahélienne qui sera forcément fatale.
Une telle désillusion ouvrirait, par un second souffle islamiste, un large boulevard pour les acteurs l'islam politique et les mouvements extrémistes qui viendraient réclamer, "légitimement" le statut de nouvelles forces vierges de tout exercice du pouvoir après l’échec des politiques laïcs et des militaires d’aujourd’hui.
En tout état de cause, l’aube d’un nouveau cycle historique semble se profiler au Sahel mais aussi pour les relations euro-africaines et, plus particulièrement, franco-sahéliennes.
Timbuktu Institute – Septembre 2023
LETTRE DE L'OBSERVATOIRE - Septembre 2023
Timbuktu Institute a consacré La Lettre de l’Observatoire du mois de Septembre 2023 à la mort d’Evgueni Progojine, le chef de la société militaire privée Wagner, et, notamment, à ses éventuelles conséquences sur l'évolution du contexte politico-sécuritaire du Mali et au Sahel de manière générale.
With this "khaki pact", the three countries (Burkina Faso, Mali, Niger) are almost formalizing their split with ECOWAS, especially with the implications of Article 6 (equivalent to NATO's Art 5), known as "casus foderis" in military alliance law. This principle now provides a legal basis for mutual assistance between allied states in the event of aggression or armed attack, for example if ECOWAS were to consider military intervention.
The Malian Minister of Foreign Affairs recalled this at the 78th Session of the United Nations General Assembly. But, in addition to a real challenge to the regional collective security mechanism, there is a new fact: in the event of a rebellion under the terms of Article 6 of the Charter, theoretically, Niger and Burkina Faso soldiers could now support Malian forces against armed groups in northern Mali already at war with Bamako. Article 6 clearly states: "Any attack on the sovereignty and territorial integrity of one or more contracting parties shall be considered as an aggression against the other parties and shall give rise to a duty of assistance and relief on the part of all parties", whereas ECOWAS has defense pacts signed since the 1970s (non-aggression and mutual assistance in the event of aggression).
Certain provisions of this charter therefore nullify any possibility of non-diplomatic sanctions within the ECOWAS system. The dislocation of ECOWAS may already be underway, as the question now arises of the compatibility between membership of ECOWAS and adherence to a scheme that runs counter to its founding objectives.
A major geopolitical shift for the region
The Charter marks the emergence of a collective defense alliance of three countries that now perceive the ECOWAS collective security mechanism as a strategic threat. As it stands, it represents a clear regression in the security situation of the ECOWAS region, as a homogeneous area of collective security cooperation, where the risks and threats of inter-state conflict had been virtually eliminated.
What's more, should the Charter's provisions become operational, the new situation would make the security environment even more complex, radically calling into question ECOWAS's peace and security architecture, exclusively geared towards creating a sub-regional order of peace, security and economic prosperity, based on democracy, good governance and respect for human rights, as a means of preventing intra-state conflicts, identified as the main threat to sub-regional peace and security, with mixed and reversible success.
Alliance of Sahel States: geostrategic upheavals in sight?
In addition to the negative consequences for a number of regional projects (oil, road and energy pipelines) with a strong economic and integration impact (Nigeria, Niger, Benin, Morocco with substantial Chinese and US funding), the Niger crisis, which has just been made more complex by this Charter, will trigger unprecedented upheavals in the sub-region and beyond.
Among the many other consequences of the Alliance on the sub-regional (ECOWAS) and regional (AU) geopolitical and security context, we can note a break with the sub-regional vision of an integrated and economically prosperous West Africa, in a context of peace and security founded on democracy, good governance and respect for human rights; where the seizure of power by unconstitutional means would be banned, and where disputes between member states would have to be resolved peacefully.
There is no doubt that the announcement of this Charter, if followed by action, will have enormous consequences, including:
- The weakening of ECOWAS and the tacit disappearance in sight of the G5, which were key players in the fight against terrorism in the Sahel and West Africa in general.
- Fragmentation of regional counter-terrorism efforts: with the Alliance of Sahel States other states may feel excluded or marginalized, thus undermining the cooperation and coordination needed to effectively tackle common security challenges.
- A negative impact on the AU's efforts: The AU's role will be weakened, as this new initiative will complicate its attempts to coordinate its security efforts on a continental scale:
A tough test for the African Union (AU)
In any case, the establishment of such an alliance, should it come to fruition, would be a severe test of the cohesion and unity of the AU, which has made the promotion of democracy and good governance a credo of its own. This dissident military alliance will be seen as a clear retreat from these long-held values. Today, more than ever, there are huge risks of division within the AU, with real obstacles to these efforts at continent-wide coordination.
In another respect, this Alliance undermines the legitimacy and credibility of the AU: the AU's mechanisms would be called into question by the emergence of military regimes, which are a challenge to these principles. This could affect the perception of the AU at continental and international level, where it had gained much with the Senegalese Presidency and the acquisition of a seat at the G20.
In the field of regional cooperation and coordination, this Alliance will weaken the role of continental coordination in other areas beyond counter-terrorism, economic, social and other cooperation. Similarly, the fragmentation of regional efforts in the Sahel could hamper these efforts.
Uncertainties about collective defense and the future of democracy
If the Pact were to become a reality, it would inevitably have a negative impact on the AU's role in mediation and conflict resolution. As a result, the enduring presence of military regimes in alliances could make it difficult for the AU to exercise its role as neutral mediator, and make its conflict resolution role in the regions more complex.
But, at the same time, these many uncertainties about the collective defense clause raise real concerns about the implementation of this Alliance. In fact, military regimes may have divergent interests and priorities over time. What's more, since these regimes are transitional, we may well wonder about the attitude of the future democratic governments that are likely to be set up following the current military transitions.
What about regional and international reactions?
Since the announcement of this Alliance, observers have been closely monitoring the reaction of other states, sub-regional organizations and, above all, international partners. After all, every alliance identifies its enemies and potential risks. In the case of the Alliance of Sahel States, the potential enemies are clearly ECOWAS and, indirectly, France. We still don't know what kind of support Russia and China, on the one hand, and the West, on the other, might provide.
Similarly, without being alarmist, this announcement raises many concerns about the risks of an East-West 'proxy' confrontation, which would be disastrous for the fight against terrorism and regional integration, built up step by step since the 1970s.
It now remains to be seen whether these three regimes, which have the world's greatest difficulty in controlling their territories and even ensuring security within their borders, have the operational means to implement the provisions of this Charter. In all objectivity, can the alliance of weaknesses lead to real strength?
Timbuktu Institute - September 2023
Timbuktu Institute – 25 Septembre 2023
Par ce « pacte kaki », les trois pays (Burkina Faso, Mali, Niger) actent presque la scission avec la CEDEAO, surtout avec les implications de l’Article 6, (équivalent de l’Art 5 de l’OTAN) appelé « casus foderis » dans le droit des alliances militaires. Ce principe donne, désormais, une base légale à l’entraide mutuelle entre les États alliés en cas d’agression ou attaque armée, par exemple si la CEDEAO envisageait une intervention militaire. Le Ministre malien des Affaires étrangères l’a rappelé à la tribune de le 78e Session de l’Assemblée Générale des Nations Unies.
Mais, en plus d’un réel défi au mécanisme régional de sécurité collective, il y a un fait nouveau : en cas de rébellion selon les termes de l’article 6 de la Charte, théoriquement, les soldats nigériens et burkinabé pourraient désormais soutenir les forces maliennes face aux groupes armés dans le nord du Mali déjà en guerre contre Bamako. Cet Article 6 dispose bien : « Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties » alors que la CEDEAO dispose de pactes de défense signés depuis les années 70 (non-agression et assistance mutuelle en cas d’agression)
Certaines dispositions de cette charte annulent donc toute possibilité de sanctions non diplomatiques dans le cadre du système de la CEDEAO. La dislocation de la CEDEAO est peut-être déjà en cours, car se pose désormais la question de la compatibilité entre l'appartenance à la CEDEAO et l'adhésion à un dispositif qui va à l'encontre de ses objectifs fondateurs.
Un changement géopolitique majeur pour la région
La Charte marque l'émergence d'une alliance de défense collective de trois pays qui perçoivent désormais le mécanisme de sécurité collective de la CEDEAO comme une menace stratégique. En l'état, elle représente une nette régression de la situation sécuritaire de l'espace CEDEAO, en tant qu'espace homogène de coopération en matière de sécurité collective, où les risques et les menaces de conflits interétatiques étaient pratiquement éliminés.
De plus, si les dispositions de la Charte devenaient opérationnelles, la nouvelle situation rendrait l'environnement sécuritaire encore plus complexe, remettant radicalement en cause l'architecture de paix et de sécurité de la CEDEAO, exclusivement orientée vers la création d'un ordre sous-régional de paix, de sécurité et de prospérité économique, fondé sur la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de l'homme, comme moyen de prévention des conflits intra-étatiques, identifiés comme la principale menace à la paix et à la sécurité sous-régionales, avec des succès mitigés et réversibles.
Alliance des États du Sahel : des bouleversements géostratégiques en vue ?
En plus des conséquences négatives sur plusieurs projets régionaux (pipelines pétroliers, routiers, énergétiques ) à fort impact économique et en matière d’intégration (Nigeria, Niger, Benin, Maroc avec d’importants financements chinois et US), la crise nigérienne qui vient d’être complexifiée par cette Charte déclenchera des bouleversements sans précédents dans la sous-région et au-delà.
Parmi tant d’autres conséquences de l’Alliance sur le contexte géopolitique et sécuritaire sous-régional (CEDEAO) et régional (UA) on peut retenir une rupture de la vision sous régionale d’une Afrique de l’Ouest intégrée et prospère économiquement, dans un contexte de paix et sécurité fondé sur la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme; où la prise de pouvoir par des moyens anticonstitutionnels serait bannie et où les différends entre les États-membres devraient être résolus de manière pacifique.
Il est sûr que l’annonce de cette Charte, si elle est suivie d’effet, aura d’énormes conséquences parmi lesquelles :
- L’affaiblissement de la CEDEAO et la disparition tacite en vue du G5, qui étaient acteurs-clés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest de manière générale.
- Une fragmentation des efforts régionaux de lutte contre le terrorisme : Avec l’Alliance des États du Sahel, les autres États pourront se sentir exclus ou marginalisés, ce qui risque de nuire aux efforts de coopération et de coordination nécessaires pour faire face efficacement aux défis sécuritaires communs.
- Un impact négatif sur les efforts de l’UA : Affaiblissement du rôle de l’UA dans la mesure où cette nouvelle initiative compliquera ses tentatives de coordination de ses efforts en matière de sécurité à l’échelle continentale :
Une rude mise à l’épreuve de l’Union Africaine (UA)
En tout état de cause, la mise en place d’une telle alliance, si elle arrivait à se concrétiser, constituerait une rude mise à l’épreuve de la cohésion et de l’unité de l’UA qui faisait la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance un certain crédo. Cette alliance militaire dissidente sera considérée comme un net recul de ces valeurs longtemps mises en avant. Il y a, aujourd’hui, plus que jamais, d’énormes risques de division au sein de l’UA avec de réels obstacles à ces efforts de coordination à l’échelle continentale.
Sur un autre aspect, cette Alliance entame la légitimité et la crédibilité de l’UA: l’UA verrait ses mécanismes ainsi remis en question par l’émergence de régimes militaires, qui sont des défis à ces principes. Cela pourrait affecter la perception de l’UA au niveau continental et international où elle avait beaucoup gagné avec la Présidence sénégalaise et l’acquisition d’un siège au G20.
Dans le domaine de la coopération et de la coordination régionales, cette Alliance affaiblira le rôle de coordination continentale dans d’autres domaines au-delà de la lutte anti-terroriste, la coopération économique, sociale et autres. De même, la fragmentation des efforts régionaux dans le Sahel pourrait entraver ces efforts
Incertitudes sur la défense collective et l’avenir de la démocratie
Si ce Pacte se concrétisait, il y aurait forcément, un impact négatif sur le rôle de médiation et de résolution des conflits. De ce fait, la présence durable des régimes militaires, en alliance, pourrait rendre difficile à l’UA d’exercer son rôle de médiateur neutre et rendre plus complexe son rôle de résolution des conflits dans les régions.
Mais, en même temps, ces nombreuses incertitudes sur la clause de défense collective soulèvent de réelles préoccupations quant à la mise en œuvre de cette Alliance. En fait, les régimes militaire pourraient avoir, dans le temps, des intérêts et priorités parfois divergents. D’autre part, ces régimes étant transitionnels, on peut s’interroger sur l’attitude des futurs gouvernements démocratiques qui devraient être mis en place à la suite des actuelles transitions militaires.
Quid des réactions régionales et internationales ?
Depuis l’annonce de cette Alliance, les observateurs scrutent, attentivement, la réaction des autres États, des organisations sous-régionales, mais surtout des partenaires internationaux. Car, il est évident que toute alliance identifie ses ennemis et risques potentiels. Dans le cas de l’Alliance des États du Sahel, les ennemis potentiels sont clairement la CEDEAO et la France de manière indirecte. On ne sait encore rien du type de soutien éventuel de la Russie et de la Chine d’une part, des occidentaux, d’autre part.
De même, sans alarmisme, cette annonce soulève de nombreuses inquiétudes quant aux risques d’une confrontation Est-Ouest par ´proxy’ qui serait un désastre pour la lutte contre le terrorisme et l’intégration régionale, construite pied à pied depuis les années 1970.
Reste maintenant à voir si ces trois régimes qui ont tout le mal du monde à contrôler leurs territoires et même à assurer la sécurité à l’intérieur de leurs frontières peuvent avoir les moyens opérationnels de mettre en œuvre les dispositions de cette Charte. En toute objectivité, l’alliance des faiblesses peut-elle déboucher sur une vraie force ?
Timbuktu Institute – Septembre 2023
Mali, Niger and Burkina Faso are now members of the Alliance of Sahel States (AES). The three regimes, which emerged from military coups, intend to establish a common defense architecture in the event of aggression by any of the parties involved. Some of its contours remain unclear, but its birth represents a geopolitical shift in the sub-region.
"By the present charter, called the Liptako-Gourma charter, the contracting parties institute between them the Alliance of Sahel States (AES) [...] Any attack on the sovereignty and territorial integrity of one or more contracting parties will be considered as an aggression against the other parties and will engage a duty of assistance and rescue of all parties." With these words, pronounced on Saturday September 16 in Bamako, the Malian Minister of Foreign Affairs, Abdoulaye Diop, endorsed a project that had been in gestation for several weeks. The military regimes of Mali, Burkina Faso and Niger have finally created the Alliance of Sahel States (AES).
The entity aims to organize a system of collective defense and mutual assistance. It sounds like a direct response to the threat of military intervention brandished by the Community of West African States (ECOWAS) in Niger, following the July 26 putsch.
In the days that followed, Bamako and Ouagadougou quickly set the tone. Any attempt to reinstate the deposed Niger president, Mohamed Bazoum, "would be tantamount to a declaration of war" against them, and would result in their withdrawal from the ECOWAS. From now on, the parties involved in the ESA reserve the right to use "armed force" if they deem it necessary.
The military are thus formalizing their position of principle. "It's like saying, 'We're serious, this wasn't just talk'," comments journalist and Sahel expert Serge Daniel. "These three countries are in the process of establishing a legal basis for mutual defense," agrees Bakary Sambe, Regional Director of the Timbuktu Institute African Center for Peace Studies, based in Dakar, Bamako and Niamey.
The Liptako-Gourma Charter, a reference to the "three borders" zone where the jihadist threat is concentrated, has 17 articles. These cover various fields of application. On paper, Article 4 includes counter-terrorism agreements. But how it will operate remains to be defined. "Tomorrow, in principle, if these countries have the means, Mali could end up in Burkina Faso and Burkina Faso in another country to fight terrorism", explains Serge Daniel.
What's new is that, under the terms of Article 6, the same now applies in the event of rebellion. In theory, soldiers from Niger and Burkina Faso can now supplement Malian forces in the face of Tuareg-dominated armed groups in the north of the country. Article 6 is the cornerstone of the agreement. "It is the equivalent of article 5 of NATO (North Atlantic Treaty Organization)," compares Bakary Sambe. Article 5 of NATO stipulates that attacking one member is tantamount to attacking the whole Alliance.
"This is the beginning of a G3 Sahel".
This upheaval in the geostrategic landscape opens up a new, uncertain and unpredictable era in the subregion. It's an unprecedented configuration and a major geopolitical change, with this "khaki" pact against the other members of Cédéao," analyzes the teacher-researcher. These three countries now perceive the principle of collective security of ECOWAS as a strategic threat against them. This is a significant step backwards, making the security environment even more complex.
The fact that three Sahelian countries that have demanded the departure of French troops have joined forces is highly symbolic. "It's a regionalization of France's disavowal," sums up Bakary Sambe. The AES also signals the death of the G5 Sahel, from which Bamako withdrew in May 2022. "Mali, Niger and Burkina Faso were the linchpins of the G5 Sahel. This is the beginning of a G3 Sahel", predicts the researcher. "Initially, there were five countries united to fight terrorism. The G5 became the G3. It's not a federation but a defense alliance," agrees Serge Daniel.
The positioning of the international community will determine the value and legitimacy of this alliance, whose signatories belong to transitional governments (in Mali and Burkina Faso) or may become so (in Niger).
The case of Niger remains the most indecisive. Paris remains intransigent with regard to the military in Niamey and firmly supports ECOWAS. But with the dispatch of a new ambassador and the resumption of its surveillance operations, Washington seems less inflexible. China has already dispatched a delegation to meet the ruling military in Niamey. Moscow is calling for a diplomatic solution. "Will the international community continue to show solidarity with ECOWAS and the African Union? asks Mr. Sambe. The question now concerns the legality and legitimacy of transitional regimes and those not yet in transition. We're going to have to remain cautious, since we've entered the era of tacit diplomacy.
Source : TV5 MONDE
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont désormais réunis au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES). Les trois régimes issus de putschs militaires entendent fonder une architecture de défense commune en cas d'agression de l'une des parties prenantes. Certains contours demeurent flous mais sa naissance constitue un changement géopolitique dans la sous-région.
« Par la présente charte, dénommée charte du Liptako-Gourma, les parties contractantes instituent entre elles, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) […] Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties. » Par ces mots, prononcés samedi 16 septembre à Bamako, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a entériné un projet en gestation depuis plusieurs semaines. Les régimes militaires maliens, burkinabé et nigériens ont finalement créé l’Alliance des États du Sahel (AES).
L’entité vise à organiser un système de défense collective et d’assistance mutuelle. Elle sonne comme une réponse directe à la menace d’une intervention militaire brandie par la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Niger, après le putsch du 26 juillet.
Les jours suivants, Bamako et Ouagadougou avaient rapidement donné le ton. Toute tentative de rétablir manu militari le président nigérien déchu, Mohamed Bazoum, « s’assimilerait à une déclaration de guerre » à leur encontre et entraînerait leur retrait de la Cédéao. Désormais, les parties prenantes à l’AES se réservent le droit de l’emploi « de la force armée » si elles le jugent nécessaire.
Les militaires formalisent ainsi leur position de principe. « Cela revient à dire : "Nous sommes sérieux, ce n’était pas du bavardage" », commente le journaliste et expert du Sahel, Serge Daniel. « Ces trois pays sont dans le processus de donner une base légale de défense mutuelle », abonde Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute African Center for Peace Studies, basé à Dakar, Bamako et Niamey.
La Charte de Liptako-Gourma, référence à la zone dite des "trois frontières", où se concentre la menace djihadiste, dénombre 17 articles. Ceux-ci couvrent différents champs d’application. Sur le papier, l’article 4 comporte des accords de lutte contre le terrorisme. Mais ses modalités de fonctionnement restent à définir. « Demain, en principe, si ces pays en ont les moyens, le Mali peut se retrouver au Burkina Faso et le Burkina Faso dans un autre pays pour lutter contre le terrorisme », précise Serge Daniel.
Fait nouveau, il en va à présent de même en cas de rébellion selon les termes de l’article 6. Théoriquement, les soldats nigériens et burkinabé peuvent désormais suppléer les forces maliennes face aux groupes armés à dominante touarègue dans le nord du pays. Cet article 6 fait figure de socle. « Il n’est autre que l’équivalent de l’article 5 de l’OTAN (ndlr : Organisation du traité de l'Atlantique nord) », compare Bakary Sambé. L'article 5 de l'OTAN stipule qu'attaquer un membre revient à agresser l'ensemble de l'Alliance.
Ce chamboulement du paysage géostratégique ouvre une nouvelle ère incertaine et imprévisible dans la sous-région. « C’est une configuration inédite et un changement géopolitique majeur avec ce pacte « kaki » contre les autres membres de la Cédéao, analyse l’enseignant-chercheur. Ces trois pays perçoivent désormais le principe de sécurité collective de la Cédéao comme une menace stratégique contre eux. Cela constitue une régression marquante qui rend encore beaucoup plus complexe l’environnement sécuritaire. »
Le fait que trois pays sahéliens ayant exigé le départ des troupes françaises se coalisent revêt une symbolique forte. « Il s’agit d’une régionalisation du désaveu de la France », résume Bakary Sambe. L’AES signe, en outre, la mort du G5 Sahel dont s'est retirée Bamako en mai 2022. « Le Mali, le Niger et le Burkina Faso étaient les pivots du G5 Sahel. C’est le début d’un G3 Sahel », présage le chercheur. « Il y avait au départ cinq pays réunis pour lutter contre le terrorisme. Le G5 devient le G3. Ce n’est pas une fédération mais une alliance de défense », corrobore Serge Daniel.
e positionnement de la communauté internationale déterminera la valeur et la légitimité de cette alliance, dont les signataires appartiennent à des gouvernements de transition (au Mali et au Burkina Faso) ou qui pourrait le devenir (au Niger).
Le cas nigérien demeure le plus indécis. Paris reste intransigeante vis-à-vis des militaires à Niamey et soutient fermement la Cédéao. Mais avec l’envoi d’une nouvelle ambassadrice et la reprise de ses opérations de surveillance, Washington semble moins inflexible. La Chine a d’ores et déjà dépêché une délégation pour rencontrer les militaires au pouvoir à Niamey. Moscou plaide pour une résolution par la voie diplomatique. « Est-ce que la communauté internationale va continuer à jouer la solidarité avec la Cédéao et l’Union africaine ?, s’interroge M. Sambe. La question porte maintenant sur la légalité et la légitimité des régimes de transition et pas encore en transition. Il va falloir rester prudent puisque nous sommes entrés dans l’ère de la diplomatie du tacite. »
Source : TV5 MONDE
Timbuktu Institute 30/08/23
La chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute - African center for Peace Studies est consacrée, cette semaine, au thème : « Europe-Afrique : Les mutations incomprises » dans le contexte du récent discours du Président français, Emmanuel Macron, lors de la Conférence annuelle des Ambassadeurs et Ambassadrices. Dans cette dernière sortie largement commentée sur le continent, Macron insistait sur la nécessité de résoudre la crise actuelle au Niger s’il le faut par la solution militaire et le maintien de l’Ambassadeur de France à Niamey malgré certaines critiques sur les « incohérences des positions » prises par Paris sur les différents coups d’États qu’a connus récemment la région. En toile de fond, il y a le débat sur une « réelle compréhension des enjeux » de la part des partenaires internationaux dans la région dans un contexte où la jeunesse développe un discours de plus en plus contestataire et souverainiste. Dr. Bakary Sambe revient sur ces différents aspects en répondant aux questions de Sana Yassari, Medi1TV- Afrique
Dr. Bakary Sambe, lors de vos différentes interventions depuis les différentes crises au Mali, au Burkina Faso et, récemment, au Niger, vous avancez l'idée selon laquelle, certains partenaires européens n'ont pas pris la mesure des évolutions en cours sur le continent et cela au détriment de leur image et de la perception que la jeunesse africaine développe au sujet des relations entre l'Europe, plus particulièrement, la France et l'Afrique. Pourquoi un tel malentendu persistant à votre avis ?
A mon sens, l’Europe qui s’est toujours appuyée sur la France lorsqu’il s’agit du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest n’a pas pu intégrer ce que Kenneth Waltz appelle la distribution des capacités en tant qu’élément ordonnateur des relations internationales. Alors que les capacités en termes de puissance militaire, politique et économique ne sont plus concentrées dans un groupe mais répartis entre un grand nombre d’États. D’une part, il en découle un désir de souveraineté qui apparaît, de plus en plus, comme un principe ordonnateur des relations internationales actuelles. Et l’Afrique n’est point épargnée par une telle vague lisible même dans l’engouement grandissant pour les BRICS, par exemple.
D’autre part, il y a un espace public virtuel globalisé où circulent des idées qui transcendent les frontières politiques et les clôtures matérielles des États. Les jeunesses africaines sont imprégnées, elles aussi, de ces idées et leurs actions comme leurs mobilisations contribuent à façonner l’opinion publique en y introduisant ce désir de souveraineté qui n’épargne, aujourd’hui, aucune région du monde.
Justement le dernier discours du Président français, Emmanuel Macron, semble soulever certaines interrogations sur le degré d'un tel malentendu et l'impression selon laquelle, la France ou en tout cas l'élite politique n'a pas encore intégré le nouvel état d'esprit de la jeunesse africaine. Comment analysez-vous un tel fait ?
Le Président Emmanuel Macron semble avoir entendu les voix de la jeunesse africaine sans vraiment les écouter. On est tenté, de plus en plus de croire en un fil conducteur qui a été assez cohérent dans la fabrique conceptuelle de l’Afrique dans l’inconscient politique français au-delà des générations et des courants politiques de Gauche comme de droite et peut-être même jusqu’à présent où le landerneau politique français devient de plus en plus illisible à l’époque du macronisme. Je serais même tenté de dire, de Hugo à Sarkozy avec le discours de Dakar qui en fait, était plus un discours parisien. Je crois donc qu’au-delà du changement du discours, il faut un changement de la conception de l’Afrique. C’est plutôt, donc, un problème ontologique qu’un malentendu discursif. Sur ce, je pense que le simple shift paradigmatique de ne plus considérer l’Afrique comme une propriété mais comme une terre à conquérir et un marché de soft power à séduire, serait un excellent nouveau départ. Mais, parfois, nous avons, en Afrique francophone, l’impression qu’il est difficile de suggérer à nos amis français la rupture d’avec les Lumières. Pourtant même si elles ont éclairé, pendant un moment le monde au-delà de la France, elles ont ensuite ébloui cette dernière, surtout dans sa vision du continent noir qui hélas a du mal à évoluer.
Mais, Bakary Sambe, finalement y a-t-il un moyen de dépasser cette situation qui risque d'avoir des retombées peu souhaitables sur l'avenir des relations entre l'Afrique et l'Europe de manière générale ?
Vous savez, en plus du choc entre un imaginaire ancré en France et des perceptions juvéniles hostiles qui se consolident en Afrique, s’est invité, de manière inattendue, le jeu des nouveaux acteurs qui a surpris la France mais a permis aux Africains de découvrir le champ immense du possible avec ou sans la France. Et sans avoir seulement le beau rôle, ces nouveaux acteurs qui n’ont à faire face ni à l’éblouissement des Lumières encore moins qu’ils souffrent du poids de l’histoire, ont pu avoir un regard vierge qui les a amenés à voir en soi l’Afrique non pas comme un champ de défis mais un champ d’opportunités (Africa is not a challenge, but an opportunity). L’Europe dans son aide comme dans sa politique envers l’Afrique devrait intégrer le fait que les Africains font désormais la différence entre une générosité qui s’est exprimée sur le champ de l’abstrait, des valeurs et des idées, parfois préconçues, contre une générosité qui s’est exprimée sur le champ du concret et de la valorisation des stratégies endogènes. Le fait est que ni l’Europe encore moins la France ne doivent avoir peur d’une Afrique prospère et souveraine. C’est elles qui en tirerait, même, le plus grand profit.
The Niger crisis has dominated African news since the coup d'état on July 26. But it is revealing by the day that a tough positioning battle is underway in the Sahel. Beyond the divergent positions within ECOWAS itself and in Africa, and despite the appearance of a certain alignment in the discourse of principle, the foreign powers are in a struggle for influence which, at the end of this crisis, will redraw the contours of a new balance of power in the region. As part of the Timbuktu Institute's weekly column in partnership with Medi1Tv, Dr. Bakary Sambe looks back at what he sees as a new Sahelian "grand game", analyzing what is at stake for the region as a result.
Dr. Bakary Sambe, despite the burning news focused on the current crisis in Niger, you maintain that at the same time a new "great game" is taking shape in the Sahel. What do you think it is?
The United States seems to have taken a firm stance on principle in the current crisis in Niger, and is very cautious about the military option, which seems to have the backing of France, for example. But, given its approach, it seems that Washington would like to avoid its image being forever impacted by an association with France in this crucial phase of the crisis. Another important element in the American preference for the diplomatic approach over the military solution is that it does not put it as the first option. If we look closely, for the United States it's a question of absolutely avoiding being associated with a power increasingly rejected by the West African street and a certain pan-Africanist and sovereignist elite, because of its colonial past and its background of interventionist and "gunboat" diplomacy. However, the USA enjoys a certain "virginity" in the region, which benefits its image and its proactive soft power in West Africa. Moreover, even a successful military intervention - which is still hypothetical - would deal a huge blow to this more or less positive image, which enables the USA to serve as an "alternative" partner to France, with whom it is, after all, in competition in French-speaking Africa, despite appearances and nuances.
Before this crisis, there was already this bitter struggle for influence between Western countries and Russia, which, and I quote you, "is looking for a better foothold in the Sahel despite its geographical distance". Will this struggle for influence take a new turn with the current crisis?
Niger is in an extremely strategic position that the United States will never abandon. Washington is well aware that its departure from the bases set up in this country would mean a stronger Russian foothold in the central Sahel. And it is not certain that France will not suffer the same fate as Mali. Hence the visible caution regarding military intervention, which would have an impact on the acceptance of the presence of its forces and its intelligence and operational facilities in Niger (worth $100 million, with a cumulative investment of $500 million), which, thanks to their low profile, are still the object of benevolent acceptance on the part of the Nigerien street, despite the timid recent demonstrations in Agadez. As we have seen, since the start of the crisis, Russia has maneuvered well to subtly express its disagreement with the military intervention, while strategically taking care not to alienate ECOWAS, an important partner in a region where it is already well established in Mali and even Burkina Faso.
But in reality, Dr Bakary Sambe, is the so-called Western bloc, represented by the countries that are members of NATO, still as compact as you might think? In other words, how will this crisis, with its uncertain outcome, reconfigure the balance of power in the region?
In the context of this crisis, not all players are in the same boat. First and foremost, there's the situation of Europe, which seems to be searching for its place in the Sahel, since the progressive weakening of its French “champion” in the region. It has to be said that Germany is not without interest in a new leadership role in the region after so many years of aligning itself with the major European orientations under the aegis of France. Since the beginning of the crisis, the German press has placed a great deal of emphasis on anti-French sentiment in the Sahel Region. For Americans, considered in Latin America, Asia, the Middle East and even in some parts of Europe as the hegemonic power par excellence, the USA still retains in Africa the image of a power with no colonial antecedents like the European powers, but with a certain sympathetic capital cultivated by proactive soft power. For Washington, this represents a comparative diplomatic advantage that it does not want to sacrifice at any cost on the altar of objectives secondary to its global strategy, particularly anti-terrorism, for which Niger remains a key element to be safeguarded, if necessary at all costs.
La crise nigérienne occupe l’actualité africaine depuis le coup d’État du 26 juillet dernier. Mais, elle révèle de jour en jour qu’une rude bataille de positionnement se poursuit au Sahel. Au-delà des positions divergentes au sein même de la CEDEAO et en Afrique et malgré les apparences d’un certain alignement dans le discours de principe, les puissances étrangères sont dans une lutte d’influence qui redessinerait à l’issue de cette crise, les contours d'un nouveau rapport de force dans la région. Dans le cadre de la chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute en partenariat avec Medi1Tv, Dr. Bakary Sambe revient sur ce qu’il considère comme un nouveau « grand jeu » sahélien en analysant les enjeux de tels positionnements pour la région.
Dr. Bakary Sambe malgré l’actualité brûlante focalisée sur la crise actuelle au Niger, vous soutenez qu’en même temps se dessine un nouveau « grand jeu » au Sahel. A quoi consiste-t-il à votre avis ?
Apparemment ferme sur les positions de principe dans la crise nigérienne actuelle, les États-Unis paraissent comme très prudents sur l’option militaire qui semble assez soutenue par la France, par exemple. Mais, vu sa démarche, on dirait que Washington voudrait éviter que son image soit impactée à jamais par une association avec celle de la de France dans cette phase cruciale de la crise. Autre élément important de la préférence américaine pour l’approche diplomatique par rapport à la solution militaire qu’il ne met pas en première option. A y regarder de près, pour les États-Unis, il s’agit d’éviter absolument d’être associés à une puissance de pus en plus rejetée par la rue ouest africaine et une certaine élite panafricaniste et souverainiste, en raison de son passé colonial et de son background de diplomatie interventionniste et de la ´canonnière’. Or les USA bénéficient, relativement, dans la région d’une certaine « virginité » qui profite avantageusement à son image et son soft power proactif en Afrique de l’Ouest. Et puis, une intervention militaire, même réussie - ce qui est encore hypothétique - porterait un énorme coup de canif à cette image plus ou moins positive, qui permet aux USA de pouvoir servir de partenaire ´alternatif’ à la France avec laquelle elle est, tout de même, en concurrence en Afrique francophone malgré les apparences et les nuances.
Avant cette crise il y avait déjà cette âpre lutte d’influence entre les pays occidentaux et la Russie qui je vous cite “chercherait un meilleur ancrage au Sahel malgré l’éloignement géographique ». Cette lutte d’influence va-t-elle prendre une nouvelle tournure avec la crise actuelle ?
Le Niger est dans une position extrêmement stratégique que les États-Unis n'abandonneront jamais. Washington est conscient du fait que son départ des bases installées dans ce pays signifierait, un meilleur ancrage russe dans le Sahel central. Et il n’est pas sûr qu’à la France ne soit réservée le même sort qu’au Mali. D’où cette prudence visible quant à une intervention militaire qui impacterait l’acceptation de la présence de ses forces et de ses installations de renseignement et d’opération au Niger, (d’une valeur de 100 millions de dollars et qui auraient reçu un investissement cumulé de 500 millions de dollars) qui, de par leur profil bas, font, encore, l’objet d’une acceptation bienveillante de la part de la rue nigérienne, malgré les timides manifestations récentes à Agadez. La Russie, elle, depuis le début de la crise, nous l’avons vu, a bien manœuvré pour à la fois exprimer subtilement son désaccord par rapport à l’intervention militaire tout en veillant, stratégiquement, à ne pas se mettre à dos la CEDEAO allié important dans une région où elle pousse ses pions avec déjà un bon ancrage au Mali voire au Burkina Faso.
Mais en réalité, Dr Bakary Sambe, ce qu’on appelle encore le bloc occidental matérialisé par ces pays qui se retrouvent au sein de l’OTAN est-il encore aussi compact qu’on croirait? Autrement dit, comment cette crise à l’issue incertaine va-t-elle reconfigurer les rapports de force dans la région?
Dans le contexte de cette crise, tous les acteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a, déjà, la situation de l’Europe qui semble se chercher, au Sahel, depuis l’affaiblissement progressif de son champion français dans la région. L’Allemagne, il faut le dire, n’affiche pas de désintérêt pour un nouveau rôle de leadership dans la région après tant d’années d’alignement sur les grandes orientations européennes sous l’égide de la France. Depuis le début de la crise, la presse allemande accorde beaucoup d’importance au sentiment anti-français dans la région.. Pour les Américains, considérés en Amérique latine en Asie, au Moyen Orient, même dans une certaine partie de l’Europe, comme la puissance hégémonique par excellence, les USA gardent encore en Afrique, l’image d’une puissance sans antécédents coloniaux comme les puissances européennes avec certain capital sympathie cultivé par un soft power proactif. Ce qui représente pour Washington, un avantage diplomatique comparatif qu’ils ne veulent à aucun prix sacrifier sur l’autel d’objectifs secondaires par rapport à leurs stratégie globale notamment anti-terroriste et pour laquelle le Niger demeure une pièce maîtresse à sauvegarder et, s’il le faut, à tout prix..