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La Coalition parlementaire de l'Alliance inclusive - Terra RANKA a signé en fin d'après-midi du jeudi 26 juillet 2023, un accord parlementaire et de gouvernance avec le Parti de la Rénovation Sociale (PRS).
L'accord parlementaire signé entre le PAI - TERRA RANKA, qui a recueilli 54 sièges au parlement, et les rénovateurs, qui disposent de 12 sièges, vise, entre autres, à unir leurs forces pour réaliser des réformes structurelles " incontournables ", afin de sortir " définitivement " le pays de la situation de sous-développement chronique dans laquelle il se trouve.
Les réformes visées par l'accord comprennent la révision constitutionnelle, la restructuration et la réforme au sein du secteur judiciaire, la modernisation de l'administration publique, la lutte contre la corruption, la tenue d'élections municipales, la promotion des autorités locales, la promotion de politiques publiques visant la croissance économique et la réduction de la pauvreté, la valorisation des ressources humaines en mettant l'accent sur une éducation et une santé de qualité, la protection civile et sociale et la préservation de l'environnement.
L'accord aura une durée de 4 ans, s'il n'est pas dénoncé par les parties. Le document souligne le mécanisme de suivi qui sera assuré, par le biais du mécanisme de dialogue permanent entre les directions politiques des deux partis, ainsi que la mise en place du comité de consultation qui devrait se réunir trois fois par an.
Les nouveaux députés élus le 4 juin ont prêté serment ce jeudi 27 juillet. La coalition PAI - Terra RANKA dispose de 54 sièges, le MADEM a recueilli 29 sièges, le PRS 12 sièges, le PTG 6 sièges et l'APU-PDGB un seul siège.
Après la signature de l'accord, le leader du PAIGC et de la Coalition PAI - Terra RANKA, Domingos Simões Pereira, a appelé les acteurs politiques à se concentrer sur l'essentiel pour ne pas s’attarder sur les querelles politiques ".
Il a rappelé à cet égard que les querelles politiques sont admissibles pendant les campagnes électorales et qu'une fois que le peuple bissau-guinéen s'est prononcé souverainement, il est temps de construire le pays, de faire les réformes nécessaires, de mettre de côté les ambitions personnelles et privées et de donner la priorité à ce qui unit tout un peuple.
Pour le leader de la coalition PAI Terra Ranka, la signature de l'accord n'est pas un synonyme de célébration de victoires, mais plutôt un engagement pour l'avenir, pour penser au peuple et améliorer jour après jour ses conditions de vie.
"A l'annonce des résultats, la coalition PAI a mis en place un comité de dialogue et ce comité a envoyé une lettre à tous les partis qui siègeront dans le prochain parlement. Des contacts ont eu lieu avec tous les partis. Certains de ces contacts aboutissent à des accords concrets et spécifiques, d'autres non.
Pour sa part, le président du Parti de la rénovation sociale (PRS), Fernando Dias, a justifié la signature de l'accord par la nécessité d'assurer la stabilité politique du pays et de créer les conditions pour lutter contre la faim qui frappe la population guinéenne, ainsi que par le respect du vote des Guinéens en faveur de la coalition PAI Terra Ranka.
Dans ce sens, Dias a exprimé la détermination du PRS à pouvoir contribuer au bien-être de la population, en espérant que l'accord paraphé aujourd'hui entre les parties sera respecté.
Par ailleurs, dans l'accord signé, en ce qui concerne la sphère parlementaire, les partis se sont engagés à s'aligner et à se mettre d'accord sur des positions et, dans la mesure du possible, à aligner les votes au Parlement sur des questions clés, à voter en faveur du programme du gouvernement et du budget général de l'État, ainsi qu'à voter en faveur de la motion de confiance en faveur du gouvernement.
Dans le document lu par le vice-président du PAIGC, Kalifa Seidy, les partis ont décidé de former un gouvernement inclusif dirigé par la Plate-forme de l'Alliance inclusive, en fixant le nombre de membres du gouvernement pour chaque parti en fonction de la proportion des mandats au Parlement.
"Équilibrer la répartition des portefeuilles dans l'administration publique, en respectant les critères de compétence et de parité hommes-femmes. Adopter le programme électoral du PAI comme base du programme de gouvernance et nommer les gouverneurs et les administrateurs en fonction du poids électoral relatif de chaque parti dans les domaines respectifs", peut-on lire dans le document.
En ce qui concerne l'éthique politique, les partis s'engagent à éviter les attaques réciproques tout au long de la législature, en s'engageant à dialoguer et à recourir à la médiation pour résoudre les différends qui pourraient surgir.
La coalition PAI TERRA RANKA et le PRS estiment que la fragmentation de l'espace politique national se poursuit, avec des risques sérieux pour la stabilité du gouvernement. Il est donc nécessaire de fournir des garanties pour une solution de gouvernance à long terme qui préserve la paix sociale et la stabilité politique, et ce pour le développement du pays.
A la veille du deuxième Sommet Russie-Afrique qui a enregistré la présence massive de dirigeants africains et des acteurs de la société civile se réclamant du panafricanisme, Dr. Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, a donné cette interview à la chaîne Medi1TV. Il y revient sur ce qu’il appelle le « paradoxe de la russophilie montante » et explique comment dans le fait de brandir les drapeaux russes, il faut lire plus une colère qu’une réjouissance. Il décrypte de manière documentée la manière dont cet engouement vers Moscou cache un réel fossé entre les perceptions et la réalité notamment économique malgré l’influence grandissante de la Russie dans la région
En intégralité les réponses aux questions de Sana Yassari :
La deuxième édition du Sommet Afrique-Russie s’ouvre ce 27 juillet à Saint-Pétersbourg et est principalement dédiée au renforcement des partenariats avec le continent. Vous évoquez, je vous cite, « un grand-messe d’affichage symbolique » aussi bien pour Moscou que pour ses partenaires africains. Cette remarque de votre part est-elle, alors, liée au contexte géopolitique actuel ?
Il est clair que ce sommet sera pour Moscou une belle opportunité de s’afficher en tant que puissance fréquentable après l’invasion de l'Ukraine, le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Poutine et la rébellion inachevée de Wagner. En fait, ce sommet réinscrit la Russie dans une sorte de normalité au plan international. N’oublions pas aussi que Moscou pourrait en profiter sur un plan communicationnel pour faire le lien même factice entre sanctions international et limitation de l'exportation de céréales et d'engrais russes voire ukrainiens vers l'Afrique, pour mieux culpabiliser ses adversaires de l’OTAN qui, eux, mettent le curseur sur le bombardement par la Russie du port ukrainien d'Odessa qui aura des conséquences incalculables sur l’exportation des céréales notamment vers l’Afrique. Mais ce sommet est aussi celui où la Russie va chercher à démontrer la centralité de l'Afrique dans sa politique étrangère. Les Africains voient en la Russie une alternative à la relation de domination avec l’Occident et il est vrai que l’opinion publique africaine apparaît aujourd’hui comme très favorable à l'engagement russe et peu critique vis-à-vis de Moscou dans le conflit avec l’Ukraine et l’OTAN. Rappelons que le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a effectué pas moins de huit visites en Afrique depuis l’invasion de l’Ukraine en mars 2022.
Dr. Bakary Sambe, vous releviez récemment ce que vous appeliez le paradoxe de la russophilie montante, rappelant que malgré la diminution de ses liens économiques avec le continent, l'influence de la Russie en Afrique s'est accrue ces dernières années surtout depuis le premier sommet de Sotchi. Qu’est-ce qui expliquerait alors selon vous un tel engouement ?
Malgré la sur-communication, les relations économiques russo-africaines sont très modestes. Mais on dirait que le continent, sur un plan diplomatique, offre à la Russie une scène mondiale à partir de laquelle Moscou peut se targuer d’une certaine importance géostratégique. Mais il est une réalité que l'Afrique compte plus pour la Russie que la Russie pour l'Afrique. Il ne faut pas oublier que déjà en 2019 à Sotchi les dirigeants africains espéraient que la Russie devînt une nouvelle niche d'investissement et d’échanges commerciaux. Vladimir Poutine avait même promis de doubler le volume du commerce avec l'Afrique en 5 ans pour le ramener à 40 milliards de dollars. Pourtant, aujourd’hui, on est tout au moins à 14 milliards de dollars avec un certain déséquilibre, la Russie exportant sept fois plus qu'elle n'importe d'Afrique. Certaines sources avancent aussi que 70% de ce commerce est concentré dans quatre pays seulement : l'Égypte, l'Algérie, le Maroc et l'Afrique du Sud alors que les investissements russes représenteraient 1% des investissements directs étrangers (IDE) vers le continent. Et je crois qu’il va être difficile d’envisager une embellie dans le contexte économique actuel de la Russie qui voit son PIB diminuer en valeur, de 2 300 milliards de dollars en 2013 à 1 800 milliards de dollars en 2021 presque comparable à celui du Mexique.
On sait que les problèmes sécuritaires demeurent sur le continent et notamment au Sahel où s’exerce cette influence russe surtout auprès d’une certaine élite montante en quête d’alternatives. Alors, au-delà des perceptions et selon votre appréciation, la présence russe a-t-elle pu avoir un certain impact dans l’évolution de la situation notamment en termes de stabilité dans la région ?
Les adversaires de la Russie considèrent que son action en Afrique est souvent déstabilisante pour certains pays. 6 des douze pays où intervient la Russie sont effectivement en conflit alors que par son véto la Russie arrive à influer sur les opérations de l’ONU alors que l'instabilité y gagne du terrain. D’un autre côté, les défenseurs des droits humains notent une recrudescence des atrocités commises par les supplétifs russes et un affaiblissement des systèmes démocratiques sur le continent d’après des publications du Freedom House. Il est vrai aussi que partout où intervient Wagner la sécurité s’est largement détériorée et les armées nationales se gênent mois à commettre des atrocités contre les communautés locales. Tout ceci nous ramène au constat général selon lequel qu’il s’agisse du recours à la coopération sécuritaire avec les pays occidentaux ou la privatisation de la sécurité avec les supplétifs comme ceux de Wagner, l’Afrique ne pourra jamais mieux compter que sur elle-même avec une mutualisation des capacités africaines comme premier grand pas vers l’africanisation des solutions. Ce n’est jamais en remplaçant une domination par une autre que l’on arrivera à s’affranchir des dépendances tant dénoncées par la société civile et les nouvelles générations.
Trois jours après la tentative de mercenaires, dirigés par le versatile Evguéni Prigojine, visant à marcher vers Moscou, la capitale de la Russie, les pays africains comme la Centrafrique et le Mali où Wagner s’est déployé gardent le silence. Pour autant, il sera de plus en plus « difficile d’imaginer » la poursuite de ces relations d’après Docteur Bakary Sambe, Directeur régional de Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies et enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, dans le Nord du Sénégal.
En Afrique, le groupe Wagner peut-il survivre à sa mutinerie contre la Russie interrompue le 24 juin dernier ?
La présence du groupe paramilitaire en Afrique va être beaucoup plus difficile à imaginer. Surtout si les dissensions avec la Russie persistent. Étant donné que la couverture étatique n’est plus sûre, ou en tout cas ne sera plus ce qu’elle était, les pays africains n’opteront pas facilement pour ce type de coopérations. Le Mali et d’autres pays, liés avec ces éléments non étatiques, sont désormais entre le marteau de Wagner et l’enclume de Moscou. Si on regarde du côté des mouvements jihadistes, une alliance avec Wagner ne peut porter que sur des intérêts convergents. Car il y a un fossé idéologique qui les sépare. La criminalité transnationale, par exemple, est susceptible de faire naître une entente circonstancielle.
De toute façon, dans la région du Sahel, tout peut arriver. On voit aujourd’hui un accord improbable entre la junte burkinabè et des mouvements salafistes dans le but de combattre la présence française.
Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a assuré que Wagner allait continuer ses opérations au Mali et en Centrafrique. Comment analysez-vous cette déclaration ?
Elle est pour le moins surprenante. Jusque-là Moscou niait tout rapport institutionnel avec Wagner. De leur côté, les pays africains ayant accueilli des mercenaires du groupe paramilitaire préféraient parler de coopération avec des instructeurs russes. Le discours du chef de la diplomatie russe montre à la face du monde qu’il y avait bel et bien un lien entre la milice et le Kremlin. S’il n’y a pas de subordination, il ne peut y avoir de rébellion. C’est un état de fait.
Au-delà de cet aspect, la déclaration de Sergueï Lavrov a toute son importance en Afrique. Elle ne remet pas en cause le déploiement de Wagner sur le continent noir. La Russie et l’Afrique ont un long passé de coopération militaire. De plus, il fut un temps où les intellectuels de la gauche africaine étaient formés à l’Université Patrice Lumumba de Moscou.
Toutefois, en matière diplomatique, la Russie manque encore d’agilité dans sa lutte avec les puissances occidentales sur le continent noir. Sous ce rapport, Wagner facilite son ancrage en Afrique sans engagement officiel de l’armée. Le recours à des combattants, fonctionnant sur un mode souple, est moins lourd en termes de logistique que l’envoi de militaires.
L’attitude d’Evguéni Prigojine vis-à-vis de Vladimir Poutine soulève la question de la fiabilité de Wagner en tant que partenaire. Les pays africains où les mercenaires russes sont actifs courent-ils un risque ?
Chez nous, on dit souvent que l’éleveur du bélier reçoit les premiers coups de cornes. Wagner montrait tous les signaux d’une autonomisation. Et l’Afrique n’a pas autant de forces que la Russie pour contenir la menace.
Je crois qu’elle ne peut pas mieux résister à la puissance de ce groupe qui n’est pas lié par les conventions internationales et les pratiques conventionnelles. En outre, le système de Wagner est basé sur un mercenariat avec l’exploitation des ressources du pays d’accueil pour s’autopayer.
Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il est temps de se ressaisir. Une coopération sécuritaire doit se nouer avec des États et non avec des organisations privées. Nous avons vu les conséquences de la privatisation de la sécurité au Centre du Mali. Il y a eu des exactions, des violations des droits de l’Homme et surtout l’exacerbation des conflits avec certaines communautés.
La principale leçon de la rébellion de Wagner est sa non fiabilité. L’extrême privatisation de la sécurité expose à des risques surtout quand on s’engage dans une aventure avec une milice qui échappe à tout contrôle. Les récents évènements montrent le danger que représente un tel choix.
Il faut savoir que les États africains collaborant avec Wagner se sont mis à dos une partie de la communauté internationale. L’Occident en particulier. Je ne sais pas si ces pays auront la latitude pour se débarrasser d’un groupe dont les méthodes sortent de l’ordinaire. Même Moscou ne maîtrise pas tout à fait Wagner.
Est-ce que ça veut dire que le mythe de la superpuissance de la Russie s’est effondré en Afrique ?
Sur notre continent, j’inscris le recours à la Russie comme une manifestation de colère à l’encontre de la France. En réalité, c’est un moyen de révolte, de contestation. Je sais que le Mali, tout comme d’autres nations, a bénéficié de matériels militaires russes. Néanmoins, les États africains devraient arrêter de penser qu’ils sont obligés de sous-traiter leur sécurité. Cette stratégie n’est pas viable.
À défaut d’une mutualisation des forces, il nous faut bâtir des armées nationales fortes, républicaines et procéder à une profonde réforme du système de sécurité dans nos pays. Nous devons également réfléchir à l’opérationnalisation des forces dites en attente. On gagnerait à étendre la coopération interétatique. L’intégration régionale au plan sécuritaire doit être une réalité. Mais ça ne sera pas facile à mettre en œuvre.
Pour moi, les solutions intermédiaires que constituent la privatisation et la sous-traitance de la sécurité nationale ne sont pas compatibles avec la souveraineté que l’on veut affirmer vis-à-vis de la France, de la Russie ou d’une autre puissance étrangère.
L’Afrique est en train de subir ce qu’on appelle l’offshore balancing. C’est un mécanisme par lequel des États, sur un territoire tiers, cherchent à se mesurer. Ici, l’enjeu est que le basculement géostratégique du continent noir ne se fasse pas à leur détriment. L’Afrique fait donc l’objet de nombreuses convoitises parce qu’elle peut changer le rapport de forces sur la scène internationale.
Source : Tamamedia
Timbuktu Institute
Timbuktu Institute a procédé ce jeudi 16 juin à la restitution d'une étude régionale sur "Islam et islamisme en Afrique de l'Ouest" en partenariat avec l'Académie Internationale de Lutte contre le terrorisme (AILCT) basée à Abidjan.
Si un tel sujet pourrait paraître rébarbatif pour certains, l'étude s'inscrit dans une logique de sortie d'une vision sécuritaire obnubilée par l'immédiat et la gestion des urgences pour inviter à une réflexion sur le temps long. L'étude avait pour but tout d'abord de faire la différence entre une religion souvent stigmatisée à tort et la "manipulation des symboles religieux pour des motifs politiques et idéologiques qui est le fait d'une infime minorité cherchant à justifier leurs discours de violence que la majorité des musulmans rejettent et en sont même victimes" explique Dr. Bakary Sambe qui a coordonné l'étude avec Dr. Lassina Diarra.
Il est vrai que terrorisme est devenu ces dernières décennies une menace sécuritaire régionale. Il opère souvent par une radicalisation « par le bas » qui détourne l’attention des décideurs et des experts de sa méthode de pénétration et de conquêtes par le haut.
Pourtant l’objectif reste le même : la destruction de l’entité étatique par la violence terroriste ou sa déstructuration progressive en sapant, par la délégitimation, les fondements démocratiques et républicains des fragiles États de la région. Pour le cas de l’Afrique de l’Ouest, celles-ci ont d’abord évolué sur l’usage des idéologies extrémistes issues de l’islam politique, incarnées par le salafisme ou le wahhabisme et sur d’autres pathologies sociales. Jusqu’à une période récente, la perception dominante d’un islam subsaharien en dehors des influences du monde arabo-musulman avait conduit à foncer les traits de sa spécificité au point de l’isoler des évolutions qui affectent d’autres sociétés.
De la même manière que l’expansion du terrorisme en Afrique du Nord n’avait pas assez alerté sur la nécessité de prévenir le débordement de l’épicentre vers le Sahel, les États ouest africains sont restés longtemps sur une dichotomie entre les espaces subsaharien et maghrébin, négligeant le poids des interactions entre espaces et acteurs religieux de plus en plus transnationaux. Longtemps enfermés dans le paradigme « algérien » d’une parenté idéologique entre djihadisme, il y a eu, pour les décideurs, peu d’intérêt pour l’expression politique de l’instrumentalisation du religieux dans le cadre de projets dont l’objectif est, entre autres, de remettre en cause la forme républicaine de l’État moderne dans cette région du continent.
Manipulation des symboles religieux et islamo-nationalisme
L'étude a tenté de montrer qu’au-delà l’expression violente, à travers le terrorisme, qui focalise aujourd’hui l’attention, l’islam politique se fixe in fine les mêmes objectifs de procéder au contrôle de la société, de déstructurer l’État, à travers une méthode lente mais réfléchie d’en saper les fondements et la légitimité. Les longues années de désengagement de l’État depuis les ajustements structurels ont favorisé la montée en puissance d’organisations religieuses se substituant progressivement à l’État pour finir par le concurrencer dans des secteurs névralgiques comme l’éducation, le travail social et les politiques de jeunesse. Des États font face à des dualités imposées dans des domaines régaliens, souffrant d’un déficit souvent comblé par des mouvements islamistes. L’islam politique, traversant courants salafistes et traditionnels dans une moindre mesure devient un enjeu sociopolitique dans le sens où il s’appuie sur la manipulation des symboles religieux et des formes de contestation de la politique étatique surtout avec le net recul des idéologies de gauche. Investissant centres urbains, zones rurales et même les campus universitaires, l’islamisme se nourrit, aujourd’hui, aussi bien de l’instrumentalisation du religieux comme levier efficace de mobilisation mais aussi de la contestation de « l’hégémonie occidentale » au point de s’allier avec les tendances anciennement révolutionnaires devenues nationalistes
Une constestation de l'ordre sociopolitique
Pour mieux saisir cette évolution, à travers le cas des pays d’Afrique de l’Ouest, l’étude retrace l’itinéraire de l’islamisme, de ses courants de ses stratégies d’expansion et surtout de conquête des élites y compris politiques en montrant comment les États de la région peinent à saisir cette dynamique moins visible que le phénomène terroriste. La recherche s’est aussi intéressée sur les stratégies de contestation de l’ordre socio-politique sans négliger la variable explicative de la fabrique idéologique des groupes terroristes ouest africains que beaucoup d’experts de l’extrémisme tentent de remettre en cause, souvent, par simple défaut de grilles d’analyse.
En s’intéressant aux nouvelles tendances régionales et perspectives de l’islamisme en Afrique de l’Ouest, une place importante a été réservée au phénomène d’émergence d’espaces de socialisation concurrents à la puissance publique pouvant aboutir à une montée de conflictualités du type religieux ou instrumentalisant les appartenances confessionnelles comme le choc aujourd’hui, redouté entre islamisme radical et certains courants évangéliques. Il en est de même du lien entre montée en puissance des tendances salafistes conquérantes et les risques de tensions ethnico-religieuses dans certains pays mais aussi des tendances à une « normalisation » progressive du salafisme, loin de la perception que les analystes « occidentaux » peuvent en avoir.
Stratégie de délégitimation des États ouest-africains :
Les courants salafistes arrivent, de plus en plus, à se départir de leur caractère « importés », malgré l’action des pays du Golfe, et s’imposent de plus en plus comme une réalité « endogène » s’inscrivant aussi dans la problématique politiquement porteuse de contestation de l’Occident et de la défense des « valeurs sociétales ». A cela s’ajoute, aujourd’hui, une certaine revendication de plus en plus en plus prononcée d’une plus importante représentation des élites et valeurs religieuses dans la gestion de l’État et des affaires publiques promouvant une certaine « morale islamique » qui, de leur point de vue, pourrait voler au secours d’une gouvernance sécularisée jugée en déconnexion avec les réalités locales. Un processus continu de délégitimation de l’État devant attirer plus d’attention et d’intérêt pour la recherche.
Cette prise de conscience de la nécessité d’un changement de paradigme s’impose surtout dans un contexte régional marqué par une certaine fragilité des institutions et des équilibres sociaux où tous les États font face aux défiS complexeS de devoir construire une résilience nationale dans un environnement régional de plus en plus instable.
Timbuktu Institute
Pour Bakary Sambe, Directeur régional du Timbuktu institute, cette demande de départ « sans délai » s’inscrit dans la logique de la communication des autorités de la transition depuis leur arrivée au pouvoir : « les autorités de la transition sont dans la même logique depuis leur arrivée au pouvoir. C’est un marqueur assez important de leur communication de toujours montrer qu’il y a des acteurs et des organisations qui seraient contre les intérêts du Mali. Après la France, pendant l’opération Barkhane, ce fut le tour de la CEDEAO. Je pense que l’axe majeur de cette communication est finalement de trouver, à chaque fois, des « ennemis du Mali ».
Selon cet observateur de la scène politique malienne depuis plus d’une vingtaine d’années, « Ce discours populiste fonctionne très bien au sein de la population en pleine crise économique et sécuritaire. Donc, après la France, la CEDEAO, ensuite les soldats ivoiriens c’est le tour de la Minusma. C’est un schéma binaire qui veut, toujours, qu’il y ait le Mali qu’on oppose aux autres.
Le contexte politique serait même pour beaucoup dans cette prise de position qui n’a pas surpris certains observateurs : « En plus, nous sommes actuellement dans une période cruciale où se discute la Constitution, les futures échéances électorales, le référendum du dimanche 18 juin. Les autorités avaient donc besoin d’aborder la question de façon incisive. Le but est de flatter la fierté malienne et de brandir le souverainisme », rappelle Bakary Sambe.
Une sstratégie de communication politique de la part de Bamako ?
Pour lui, « les autorités étant dans un contexte très avancé du processus de transition, il fallait donc affronter les vraies questions, telles que les réformes institutionnelles promises de longue date. C’est pour cela qu’il est très opportun de leur part d’agiter le chiffon rouge du départ de la Minusma, une mission devenue une cible facile. D’ailleurs, l’utilisation de « départ sans délai » a été bien choisie, pour envoyer un message à la population dont on veut fouetter l’orgueil, même s’il paraît quasi impossible de voir de tels effectifs quitter le pays aussi rapidement. »
Malgré l’unanimité de façade, sous l’effet des réseaux sociaux, le directeur régional du Timbuktu Institute explique même qu’il y aurait deux visions qui s’opposent au Mali sur la question de la coopération sécuritaire, « il y a toujours eu une nette différence de discours entre, d’un côté, Bamako, ses citadins jeunes, présents sur les réseaux sociaux, et de l’autre, les gens qui vivent l’insécurité au quotidien comme à Ménaka, à Gao ou encore à Tombouctou. La perception de la coopération est totalement différente, mais finalement, le discours le plus audible est celui des personnes qui sont le moins concernées par l’insécurité mais inondant les réseaux sociaux ».
Sambe pense qu’il y a « une confusion volontaire » voulant « masquer l’échec sur le plan sécuritaire ». Pour lui, « les récents événements de Moura ont été l’illustration de l’échec en termes de sécurité. On l’oublie très souvent, mais les deux missions prioritaires de la Minusma c’est l’appui à la mise en pratique de l’accord de paix et la réalisation de la transition, puis l’appui au rétablissement et la stabilisation dans le centre du pays. Ça n’était donc pas un mandat qui visait à combattre le terrorisme de façon classique, mais plutôt une consolidation de la paix. Faire le lien avec l’échec sur le plan sécuritaire est donc une belle subterfuge destinée à la consommation locale et populaire »
Pourquoi la fixation sur la MINUSMA ?
« En réalité, la Minusma est un symbole dans le discours. Le symbole d’un corps étranger, de l’acteur extérieur, qui ne laisse pas les coudées franches aux autorités de la transition, pour garantir la sécurité. C’est cette logique qui est présentée à la population. On a vu la même chose avec Barkhane malgré toutes ses tares », explique Dr. Bakary Sambe
Mais le chercheur ne cache pas son scepticisme sur la durabilité des missions de maintien de la paix si elles persistent dans leur forme actuelle : « Plus on avance dans la durée, plus les missions de consolidation de la paix perdent de leur crédibilité. Elles deviennent donc la cible idéale de critique en termes de non efficience. Il faut clairement revoir le format de ces missions. Dans la durée, elles ont, partout, montré leurs limites »
Il persiste, cependant, pour Bakary Sambe, le risque d’une détérioration des conditions sécuritaires au Mali et même dans la région : « Aujourd’hui, quand le Mali peine même à sécuriser les alentours de Bamako - comme l’a montré l’attaque de Kati, cœur stratégique du régime- et même si la Minusma avait un rôle mineur en la matière, ce départ exigé constituerait une menace réelle pour la région. Je ne suis pas sûr de la capacité de ceux qui demandent un tel départ à pouvoir sécuriser les vastes étendues du Mali, frontalières d’autres pays sous pression sécuritaire »
Après la MINUSMA, quid de Wagner ?
« Je ne crois pas que Wagner pourra jouer ce rôle de stabilisateur », avertit le chercheur. « On a vu leurs bavures et exactions contre les populations civiles. Le problème du Mali, surtout au Centre, est d’ordre communautaire. Ni les FAMAs, ni Wagner ne pourront le régler s’ils persistent dans la stratégie actuelle qui fait le jeu des groupes terroristes se présentant comme protecteurs des communautés ostracisées. La fameuse montée en puissance des FAMAs avec l'appui de Wagner s'est faite contre les communautés et a peu affecté la capacité de nuisance des groupes terroristes ».
Et Sambe d’insister sur la nécessité de changement de stratégie de la part de Bamako et de ses partenaires. Selon lui, « l’Etat malien a besoin de dialoguer avec tous les enfants du Mali comme il en réclamait légitimement le droit, de cesser la stigmatisation de certaines communautés et amorcer la réconciliation. Mais on semble si loin du compte », conclut-il.
Timbuktu Institute
NB : (certains extraits sont issus de l’interview avec TV5 Monde)
In the Timbuktu Institute's weekly column in partnership with Medi1Tv on the socio-political situation in Guinea-Bissau, Dr Bakary Sambe answers questions from Sana Yassari.
Dr. Bakary Sambe, Guinea-Bissau has just held legislative elections, which left all observers and the country's immediate neighbours in a state of anticipation. But in the end, the elections went well. Is this a surprise for a country that has experienced instability in the past?
Elections are generally fair, free and transparent in Guinea-Bissau, and have been since the opening up of democracy in 1994. It is true that post-election periods have always been marred by upheavals and a few incidents. The PAI Terra Ranka Alliance, made up of the PAIGC and 18 other opposition political parties, won an absolute majority in the legislative elections held on 4 June, with 54 seats in a 102-seat parliament. Under Guinea-Bissau's constitution, the PAI Terra Ranka Alliance must therefore, in principle, appoint a Prime Minister who will form a new government. As for President Cissoko Embalo, he has already acknowledged his defeat and promised to cohabit with any Prime Minister from the parliamentary opposition, which now has a majority. The coming months will tell us how the executive will follow up these good political intentions.
But, Dr Sambe, after the election episode, the question remains of the durability of the PAI Terra Ranka Alliance, and above all its ability to overcome the many obstacles in its path, given the country's political inclinations. Given your knowledge of the context in Guinea Bissau, where the Timbuktu Institute is carrying out peace-building activities, do you think it will be easier this time?
It's true that the people of Guinea-Bissau are wondering how this alliance is going to govern, despite the many political and security challenges we know about. Political parties and civil society have already been warned that no one can lead Guinea-Bissau without including the PRS (Social Renewal Party) and perhaps, who knows? the military. So it remains to be seen whether Domingos Simoes Pereira of the PAIGC will succeed in overcoming the political and institutional crisis that Guinea-Bissau has been facing for a long time. In many respects, it seems to me, this is a very difficult gamble to win. One of the most obvious examples of what some observers consider to be a leadership crisis in which Amilcar Cabral's country is mired was recently in 2020, during the second round of the presidential elections, with all the ups and downs that occurred during this difficult stage in Guinea-Bissau's political life.
Bakary Sambe, you said in one of the local media that everything is urgent in this country. But what do you think are the biggest challenges facing the new alliance that will now govern alongside President Embalo?
Among the heavy tasks awaiting the new government, we must not lose sight of good neighbourly relations with the countries of the sub-region, in particular Senegal and Guinea-Conakry. Another no less important issue is sub-regional integration with ECOWAS. We know that the leader of the PAIGC, Simoes Pereira, and the leader of the Terra Ranka Alliance will have to make efforts to forge closer ties with the ECOWAS Commission. For the PAIGC, there will also be the challenge of reconciliation with Guinea Bissau's immediate neighbours, as well as with ECOWAS, which will be a key ally in the search for funding to implement projects to restructure and demobilise the army, for example, modernise the administration, and rehabilitate the education and health sectors. In other words, there is no shortage of urgent matters to deal with, and many challenges lie ahead in the medium and long term.
Source : Timbuktu Institute
Dans cette interview où il répond aux questions de Célian Macé journaliste à Libération, le spécialiste des questions religieuses au Sahel, Dr. Bakary Sambe analyse la violente crise que traverse le Sénégal depuis la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko et les médiations traditionnelles à l’œuvre pour en sortir. Directeur du Timbuktu Institute , Dr. Bakary Sambe est professeur au Centre d’étude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il revient sur les caractéristiques de cette crise marquée par un «phénomène militant nouveau» et sur le rôle central des médiations religieuses traditionnelles dans les conflits politiques au Sénégal.
Assiste-t-on à un nouveau cycle dans l’histoire des crises politiques sénégalaises ? Ou bien cette confrontation est-elle inédite ?
Les crises politiques, parfois très dures, ont marqué l’histoire du Sénégal depuis l’indépendance : l’opposition Dia-Senghor de 1962, la révolte étudiante de 1968, la crise post-électorale de 1988, la manifestation sanglante du 16 février 1994, la grande contestation de 2011… La plupart de ces événements étaient liés à une échéance électorale. La crise que traverse le Sénégal actuellement est évidemment liée au scrutin présidentiel de l’année prochaine. Mais elle est caractérisée par une imbrication du politique et du judiciaire. Ce fut le cas pour Khalifa Sall et Karim Wade [deux opposants écartés de la course présidentielle après une condamnation, ndlr], mais cette fois il s’agit d’une affaire de mœurs. Dans une société très religieuse comme le Sénégal, cela a son importance et a rendu la situation explosive.
Le dialogue national initié par le pouvoir peut-il apaiser la situation ?
A ce stade, le Pastef, le parti d’Ousmane Sonko, n’y participe pas. On observe un hiatus entre la classe politique traditionnelle, comme les cadres de l’opposition qui ont accepté le dialogue, et le mouvement de Sonko, qui se place hors du cadre de sociabilisation politique classique sénégalais. Il mobilise des jeunes, urbains, qui baignent dans un discours régional souverainiste, connectés à la diaspora, friands de réseaux sociaux, pour qui les hashtags ont remplacé les pancartes. C’est un phénomène militant nouveau, loin des pratiques et du substrat culturel des partis, des syndicats, des associations ou même des mouvements sociaux. Ils n’ont pas les mêmes codes. Les manifestations sont plus violentes, tournent parfois au pillage. Personne n’est identifiable : pour la première fois, il n’y a pas de figure reconnaissable dans la rue. L’opposition y voit la marque d’un véritable soulèvement populaire, tandis que le pouvoir le considère comme un dangereux phénomène émeutier.
Les religieux, qui font habituellement office de médiateurs en temps de crise, sont-ils dépassés ?
Je ne crois pas. Mais dans cette crise, à cause de sa nature, les médiations sont extrêmement prudentes et discrètes. Dans l’histoire du Sénégal, les chefs de confréries se sont toujours illustrés comme les derniers remparts pour préserver la paix et la stabilité. Qu’on le veuille ou non, la société civile la plus puissante, ici, ce sont les religieux ! En 2021, déjà, quand l’arrestation de Sonko avait provoqué des manifestations violentes à Dakar [faisant au moins 10 morts], le Cadre unitaire de l’islam au Sénégal, qui regroupe les représentants de tous les courants de l’islam dans le pays, avait apaisé la situation en lançant un appel au calme. Ils multiplient aujourd’hui les allers-retours et ont publié un texte appelant à «renouer les fils du dialogue entre tous les acteurs». Ils testent aussi la réceptivité de ces nouveaux militants, sans doute moins sensibles aux réseaux traditionnels d’influence de l’islam confrérique.
Quelle signification a la visite du président Macky Sall au calife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké, lundi soir ?
Il n’est pas inhabituel que le président de la République aille s’entretenir nuitamment avec le calife général. Les opposants disent qu’il est allé chercher du soutien car il est en difficulté. Les partisans du chef de l’Etat et des analystes y voient au contraire un geste de respect et de sagesse à un moment critique pour le pays. Si le dialogue national était entériné par les chefs religieux, ce serait une décision très favorable pour le pouvoir. Macky Sall maîtrise les symboles et les codes. Il sait que dans la culture sénégalaise, la personne ouverte au dialogue est toujours mieux considérée. Les positions extrémistes n’ont jamais prospéré dans notre pays. Par ailleurs, Macky Sall a annoncé qu’il parlerait le 25 juin, à l’issue du dialogue national. C’est un signal intéressant : il montre qu’il suit son propre agenda, que celui-ci n’est pas dicté par l’opposition ni par la rue, et en même temps ce délai laisse la porte ouverte au Pastef : il n’est pas trop tard pour rejoindre la discussion. Macky Sall apparaît comme celui qui tend la main.
Source : Liberation.fr
La Secrétaire Exécutive Adjointe de la Commission Nationale Electorale (CNE), Idrissa Diallo, a annoncé ce jour 6 Juin 2023, que les résultats provisoires des élections seront publiés le 7 du mois en cours, mercredi prochain.
Il a assuré que pendant les opérations précédant le vote, il n'y a eu aucune situation susceptible d'entraver le processus.
"Nous avons assisté au processus de vote avec des journalistes, des partis et des coalitions de partis, des organisations de la société civile et des observateurs internationaux, qui ont surveillé et suivi, étape par étape, le déroulement du scrutin. Certaines d'entre elles étaient infondées et non pertinentes, tandis que d'autres, liées à du matériel électoral non sensible, ont été rapidement et correctement traitées", a-t-elle déclaré.
Mme Diallo a indiqué que la CNE a été confrontée à deux ou trois situations qui méritaient une attention particulière, à savoir la situation d'électeurs dont les noms ne figuraient pas sur les listes électorales mais qui étaient titulaires d'une carte d'électeur, un fait constaté dans certains districts du secteur autonome de Bissau.
Cependant, il ne s'agit pas seulement de problèmes informatiques, mais plutôt d'un manque de diligence de la part des électeurs qui n'ont pas profité de la période de réclamation pour permettre la correction de certaines irrégularités et omissions qui auraient pu être constatées pendant la période d'inscription de ces électeurs.
"La CNE a utilisé les médias pour exhorter la population à rester calme, sereine et vigilante afin que les principes et les valeurs d'intégrité électorale, défendus par la Commission Nationale Electorale, puissent être préservés en tant qu'acquis démocratiques. Nous pouvons donc affirmer que les élections se sont déroulées dans une atmosphère de cordialité, de coopération et de solidarité entre les parties, et que les bases d'une élection ordonnée et pacifique ont été jetées", a-t-elle déclaré.
Force est de constater que selon des sources dignes de foi, le taux de participation est estimé à 70%.
Environ neuf cent mille (900.000) électeurs sont actuellement en train d’exercer leur droits civiques, ce jour 4 Juin 2023 ; date à laquelle se tient le scrutin législatif afin d’élire un Premier Ministre légitime qui va immédiatement former un nouveau gouvernement. L’Assemblée Nationale Populaire, pour des raisons de crise politico-institutionnelle profonde, a été dissoute le 18 Mai 2022 par décret présidentiel. La Guinée-Bissau se prépare à vivre sa 11ème législature depuis l’ouverture démocratique en 1994.
Les bureaux de vote ont ouvert à l’échelle nationale, comme prévu, à 7 heures temps universel, ce matin. Le scrutin se déroule normalement, à l’exception de certains districts électoraux un peu partout dans le pays, où des citoyens ont été empêchés d’exercer leurs droits civiques, faute d’être régulièrement inscrit sur les listes électorales. Il convient, par ailleurs, de constater que certains électeurs n’ont pas pu voter du fait d’avoir été mutés dans des bureaux de votes éloignés pour des raisons de congestionnement.
La Commission Nationale électorale (CNE), pour décongestionner les bureaux de vote ayant 400 électeurs, était obligée d’en muter l’excédent ailleurs. C’est le seul incident qu’il convient pour l’instant de signaler. A 17 heures, les bureaux de vote doivent fermer à l’échelle nationale afin de procéder au décompte des voix.
La presse a pu parler à certains leaders politiques qui ont voté dans la matinée à Bissau.
Domingos Simões Pereira leader de la coalition PAI constituée par le PAIGC et 18 autres partis politiques dont l’Union pour le Changement (UM) :
« Ce scrutin législatif va permettre à la Guinée-Bissau d’élire un nouveau Premier Ministre légitime. Les priorités du programme élaboré par la coalition sont les secteurs éducatifs et sanitaires. Notre souhait c’est que tous les citoyens exercent librement leurs droits civiques, sans restriction ni contraintes. Nous sommes persuadés que les bissau-guinéens sont déterminés à tourner la page douloureuse qu’ils sont en train de vivre actuellement » a déclaré Domingos Simões Pereira, peu après avoir exercé son droit de vote.
Braima Camara, Coordin ateur du Mouvement pour l’Alternance Démocratique (MADEM G15) :
« Je suis venu exercer mon droit civique. Je saisis l’occasion pour lancer un vibrant appel à mes concitoyens afin qu’ils sortent voter en masse » a affirmé Braima Camara.
Quelques électeurs se sont adressés, à leur tour, à la presse :
Dikson MADE, étudiant, 23 ans
« Mon vote est précieux et très important pour l’avenir de mon pays en tant que citoyen qui exerce son droit civique le plus inaliénable. La Guinée-Bissau traverse une crise de leadership sans précédent. Qui plus est, elle est confrontée à une inflation galopante qui se répercute sur les produits de première nécessité. Mon choix va porter sur le parti qui propose le meilleur programme de gouvernance ».
Malam Cissé, chauffeur de taxi, 32 ans
« Je suis venu voter pour trouver une issue à la crise politico-institutionnelle à laquelle mon pays est confronté depuis l’ouverture démocratique en 1994. Une crise qui s’est aggravée davantage en Août 2015, lorsque le président José Mario Vaz a limogé son Premier Ministre Domingos Simoes Pereira pour des raisons d’insubordination.
J’ai bien l’espoir que, cette fois-ci, le président et son premier ministre sauront cohabiter et renouer le dialogue rompu pour le bien de notre pays. La Guinée-Bissau a besoin de paix et de stabilité de son gouvernement afin de mettre un terme à la crise économique qu’il traverse depuis belle lurette déjà ».
Cadija Baldé, 28 ans, ménagère
« J’ai voté pour que mon pays retrouve la paix et la stabilité. Ce scrutin législatif va nous permettre d’élire un nouveau Premier Ministre et de faire en sorte que les jeunes puissent trouver de l’emploi en attirant un grand nombre d’investisseurs. Voilà l’une des alternatives pour combattre la faim qui est en train de sévir à Bissau et à l’intérieur du pays. 80% des familles vivent de la noix de cajou. Aujourd’hui ce produit stratégique se vend à 150 FCFA le kg alors que le gouvernement avait fixé le prix indicatif à 375 FCFA le kg depuis le début de la campagne de commercialisation au mois d’avril dernier ».
La présence turque en Afrique a suscité ces dernières années beaucoup d’intérêt chez les diplomates mais aussi les spécialistes des relations internationales. Elle est souvent analysée par les experts occidentaux sous le prisme d'une irruption dans un espace que certains considéraient comme une chasse gardée ou parfois avec une lecture inscrite dans le cadre de la nouvelle compétition des modèles entre puissances incarnant la démocratie libérale et d'autres qui seraient le symbole d'un retour des autocraties. Dans cette interview donnée par Dr. Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, revient sur la trajectoire de l'ancrage turc en Afrique subsaharienne avec une vision à partir du continent et des nouvelles réalités géopolitiques qui s'y dessinent. Cette interview est issue de la chronique hebdomadaire en partenariat avec Medi1TV en entretien avec Sana Yassari.
Dr. Bakary Sambe, Recep Tayyib Erdogan vient d’être réélu à la tête de la Turquie. Ces dernières années, il a été beaucoup question de la présence turque en Afrique. Cette réélection d’Erdogan va-t-elle renforcer l’implication de son pays sur le continent? Ou pourrait-on plutôt s’attendre à une rupture majeure?
Il est clair que le Président Erdogan avait initié une véritable politique d’intensification des relations avec l'Afrique. Mais un fait important est qu’Ankara, lui-même, a procédé au démantèlement de son propre instrument d’influence dans le cadre de la lutte acharné contre Gülen. Suite à la tentative de coup d’Etat de 2014, Ankara a fait pression sur les États de la région pour se débarrasser de deux structures qui faisait figure de relais de la diplomatie turque au Sahel qui réalisait une percée plus remarquée au sein de l’intelligentsia et des acteurs économiques majeurs : la confrérie Gülen et Atlantique Turquie Sénégal Association (ATSA). Alors que ce mouvement disposait d’une grande capacité de mobilisation et de déploiement à l’étranger, réunissant au sein d’une confédération de différentes associations d’hommes d’affaires qui comptent plus de 15 000 membres, des adeptes se regroupent autour de projets de grande envergure. Malgré l’intérêt pour l’Afrique, la prise de position du président Erdogan suite au retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan, ses déclarations sur les réfugiés menaçant la sécurité intérieure et la stabilité même de la Turquie en plus de son « problème kurde », ne laissent aucun doute sur les véritables préoccupations internationales de la Turquie. Oui la Turquie s’impose davantage sur le plan commercial et de la réalisation d’infrastructures bénéficiant, comme la Chine d’ailleurs, de l’image d’un pays sans passé impérial, principalement orienté vers la conquête de nouveaux marchés au détriment des anciennes puissances coloniales. Mais il est clair que les ambitions africaines de la Turquie vont bien au-delà de l’économie
Pour une analyse sur la durée, pourriez-vous vous expliquer comment la Turquie a pu s’implanter en Afrique au point de concurrencer aujourd’hui des puissances classiques qui commencent même à la voir comme un réel concurrent dans le cadre des nouveaux partenariats en cours sur notre continent?
Oui dès le début des années 2000, certaines initiatives turques venaient soutenir une politique étrangère qui prenait à peine ses marques sur le continent. La Turquie suivait, ainsi, les pas du Maroc qui s’appuyait sur l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI). Pour soutenir cette nouvelle politique, à l’instar des partenaires traditionnels et des nouveaux « players » dans la région, Ankara voulait se doter d’un outil d’échanges performant : la TIKA. L’Agence de coopération et de développement de Turquie ouvrit un Bureau Régional à Dakar en 2007. Dans ce contexte, la diplomate confiait que la politique étrangère turque vers l’Afrique « n’est pas seulement basée sur des objectifs économiques et commerciaux, mais intègre également une approche globale qui inclut le développement de l’Afrique par une assistance technique et des projets dans les domaines tels que la lutte contre les maladies, le développement agricole, l’irrigation, l’énergie et l’éducation, et un flux régulier d’aide humanitaire ».
Mais on sait que, culturellement et géographiquement, la Turquie est trop loin de ces régions où elle chercher un plus important ancrage. Cet ancrage est-il alors le fruit d’une stratégie d’influence à laquelle ses concurrents d’aujourd’hui n’ont pas fait attention ces dernières décennies ?
Effectivement, il persiste encore, de fortes pesanteurs qui ne militent pas en faveur d’une politique d’influence efficiente. Ankara est, certes, en train de réaliser une percée au plan économique avec la réalisation d’infrastructures telles que l’aéroport de Niamey au Niger et une forte implication dans la réalisation des projets de la nouvelle ville de Diamniadio aux alentours de Dakar Il y a aussi une redynamisation de cette politique dans le domaine éducatif religieux avec notamment l’implantation d’un complexe islamique dans la capitale guinéenne, Conakry où la Turquie a tenu à dépêcher des enseignants « sous contrôle » surtout après le « coup d’Etat » manqué de 2014. Mais, en définitive, le terrain sahélien pose encore à Ankara plusieurs défis loin d’être relevés pour s’affirmer en tant qu’acteur imposant dans le grand jeu qui s’y déroule. Ankara n’a encore ni la puissance économique de la Chine avec ses leviers diplomatiques et stratégiques, ni l’ancrage historique au sein de l’élite politique à l’instar des partenaires occidentaux et encore moins l’agilité diplomatique de se construire un capital-image au point de rattraper son désavantage par rapport au Maroc et à l’Arabie Saoudite, notamment, sur marché des biens symboliques et religieux. Mais cette présence turque en Afrique de plus en plus affirmée est une réalité géopolitique avec laquelle il faudra, désormais, compter.
Source : Timbuktu Institute
Fake news or unverified information distilled on social media networks, the influence of influencers on public opinion, the race for scoops and buzzes, these are all factors exacerbating the uncontrolled effects of the democratisation of the dissemination of and access to information in the digital age. The countries of the Sahel, which also lack regulatory frameworks, have to cope with this flow of information and its manipulation by various players and increasingly with information warfare.
All these are against a backdrop of internal political uncertainties, tensions, security threats and diplomatic escalations. Recently, false information almost sparked off riots in Mali and other countries in the region, against a backdrop of the fight against terrorism and challenges to foreign military presence. Against this backdrop of threats to security, stability and the democratic gains that have been made, Trumpet Newspaper, spoke to Dr. Bakary Sambe, the Regional Director of the Timbuktu Institute, a regional think tank based in Bamako, Dakar and Niamey. His organisation has just set up an Observatory of Social Networks in the Sahel and plans to launch a major initiative to train journalists and online media to combat this scourge.
Trumpet— Dr.Bakary Sambe, in a recent study you conducted in 7 countries in the Sahel and Lake Chad Basin, you drew attention to this phenomenon. Can you go back over to this context?
Dr. Sambe… This perception study conducted by the Timbuktu Institute was a world first, focusing on the Sahel by interviewing more than 4,000 Sahelians simultaneously in 7 countries (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritania, Cameroon, Senegal and Chad) using the CAP (Knowledge, Attitudes and Practices) method. The study measured the perceptions of the people of the Sahel, focusing on misinformation and the manipulation of public opinion through various media, including digital media. Taking place against the backdrop of a serious health crisis coupled with socio-economic anguish, the survey was based on technological means of data collection and processing on a platform designed entirely by African engineers, while making ample room for qualitative approaches to capture endogenous specificities beyond mere statistics.
Trumpet–What were the overall trends, especially in terms of people’s trust in the media and political authorities?
Dr. Sambe— As well as confirming the trends seen at the start of the pandemic, in particular Africa’s surprising resilience during the first wave, the study established the unquestionable plebiscite of the audiovisual media, with Sahelians showing a high level of confidence in the written press. Adopting a differentiated approach, taking into account the specific characteristics of rural and urban areas, the study highlighted the importance that Sahelians attach to religious and traditional leaders as vectors of credible information, far ahead of the highly contested state media and official communication channels, whether national or international.
This means that, from now on, the region’s governments will increasingly face challenges to official information and information from international organisations such as the UN and international partners such as the European Union, especially the French media, which have been perceived as distilling partisan information. For example, only 32.5% of Sahelians surveyed said they had a certain amount of confidence in the government authorities, even when it came to health information about the COVID-19 pandemic.
Trumpet—, How much trust was placed in the media as information vectors in a context marked by the dominance of social networks?
Dr. Sambe… It’s true that between 2011 and 2018, the rate of Internet used is more than doubled on our continent as a whole, rising from 13.5% to 28%. But there is a paradoxical attitude towards social networks among the people of the Sahel. While they are increasingly seen as alternative media and a space for freedom in relation to official regulated information, there is a certain mistrust of information that is disseminated on them. The statistics are categorical even though more people in the Sahel trust television (86%), radio – which has become much more democratic, even in remote areas, enjoy a high level of trust. Some 84% of Sahelians have confidence in radio. However, the rate of connectivity has risen to over 360% in the last decade, and smart phones have become a widespread means of accessing information.
Trumpet—, Are there disparities in this respect, and what are the consequences for our countries?
Dr. Sambe– According to the study, more men, young people and urban dwellers get their information from the Internet and messaging applications. It would seem that the gender dimension of horizontal inequalities is also reflected in terms of access to online information. Women and people living in rural areas and the elderly make only modest use of it. The paradox is that rumours, for example, are more likely to spread in rural areas than previously among less educated populations with less capacity for discernment and critical questioning in the face of disinformation companies. This is the effect of applications such as WhatsApp, which do not require a high level of literacy to use. The most worrying aspect is that the majority of people in the Sahel appear to be incapable of quickly detecting false information.
In addition to gender disparities, there is the question of educational level. The study clearly showed that educated people are better able to detect false information, while access to the Internet is becoming more widespread with applications that do not require a certain level of education to master. This false information is often aimed at young and vulnerable audiences, targeted directly on their smart phones. The development of an online press in perpetual search of buzz and economically vulnerable accentuates the phenomenon. This represents a real threat to stability and democratic gains in the Sahel.
In Mali and other Sahelian countries, we seem to be seeing signs of real information war in the context of rivalries between foreign powers.
The Sahel has recently become a testing ground for all forms of influence communication. In the context of insecurity and political instability, disinformation takes many forms and hides behind many well targeted communication campaigns. The period of transition with the rise of various forms of contestation of dominance against the backdrop of diplomatic escalation and the war of positioning of new powers, is particularly conducive to this phenomenon. But by stepping up the information war, we are playing with fire.
The situation in Burkina Faso is worrying, with a rise in inter-community conflicts which, as in Mali could spread throughout the region. The fight against disinformation is an issue of security and stability for the countries of the Sahel. In times of crisis and public anxiety, attempts to manipulate public opinion via social media networks and the various mediums can compromise public policies and credibility of institutions. This represents a serious threat to the viability of states, the democratic system, peace and security in the Sahel.
Source : The Trumpet (Gambia)
Source : Météo Sahel Timbuktu Institute
Le président Embalo Sissoco est toujours président en exercice de la CEDEAO et continue de voyager. Au début du mois de mars, il s’est rendu en Tunisie pour une rencontre avec le président Kaïs Saïed afin que ce dernier s’explique au sujet des propos tenus sur les migrants subsahariens considérés comme des hordes, des déclarations qui ont eu un retentissement dans toute la région ouest-africaine et même au-delà. En janvier, Embalo Sissoco s’était aussi rendu au Burkina-Faso pour affirmer son soutien face à la dégradation de la situation sécuritaire mais cela n’a pas empêché la CEDEAO de confirmer ses sanctions contre les militaires à la tête du Burkina-Faso, comme ceux de la Guinée et du Mali.
La Guinée-Bissau a aussi accueilli l’ancien président centrafricain, François Bozizé, alors que sa présence au Tchad n’était plus souhaitée. Sur le plan intérieur, le parlement a été dissous l’an dernier et des élections prévues en décembre, ont été finalement repoussées pour juin prochain. Alors que le pays a connu une tentative de coup d’Etat en janvier 2022, les relations entre différents acteurs politiques restent tendues. De même, des attaques contre la liberté de presse n'ont fait que renforcer le climat délétère qui prévaut entre le pouvoir et les et les journalistes. Par ailleurs, les prochaines élections législatives de juin sont d’un grand enjeu pour l’avenir politique de l’actuel président, dans la mesure où l’élection d’un premier ministre issu de l’opposition pourrait rendre plus ardue sa tâche de réformer l’administration et l’armée. Les velléités ethniques, la montée de l’insécurité aggravée par l’économie criminelle, la circulation des armes et le vol de bétail notamment dans les zones frontalières du Sénégal sont autant de signaux des moins rassurants.
Note du Timbuktu Institute - Avril 2023
La présence de l’islam politique en Libye s’inscrit dans l’histoire des relations de ce pays avec l’Egypte où a vu le jour, dans les années 1920, l’organisation des Frères musulmans. Le grand frère égyptien a toujours eu une influence et des visées sur son voisin de l’Ouest. Les courants politiques qui se disputent l’hégémonie sur le champ politique du plus grand pays arabe avaient et ont encore l’ambition d’exporter leur hégémonie aussi bien au Moyen Orient qu’en Afrique du Nord et au Sud du Sahara : C’était l’ambition du nationalisme arabe, longtemps dominé par la figure de Nasser, et de l’islam politique dominé par les Frères musulmans.
Cette note d’analyse s’intéresse aux origines de l’islam politique en Libye, analyse comment la fin de la Jamâhîriyya a contribué à la prolifération des groupes islamistes tout en revenant sur l’impact des opérations françaises avant de s’interroger sur le lien entre le devenir des groupes islamistes en Libye et la menace terroriste au Sahel.
Origine de l’implantation de l’islam politique en Libye
Le règne de Kadhafi, héritier du nassérisme, a été marqué par l’hostilité à l’égard des héritiers libyens de H. Al-Banna et de Sayyid Qotb. Au départ, Kadhafi s’est appuyé sur les oulémas qui lui ont fait allégeance et auxquels il a confié de hautes responsabilités dans l’enseignement et la justice, dans le « Conseil national de la guidance » supervisant la réforme du système judiciaire. C’est ce conseil qui a institué l’obligation de la zakât pour tout le monde, pour les Libyens comme pour les étrangers. Elle est devenue un impôt obligatoire que l’Etat prélève et dont une partie importante est destinée à l’Organisation de l’Appel Islamique qui ne reconnait aucune cléricature religieuse.
Au fil des années, la position de Kadhafi s’est radicalisée. En 1978, il déclara : « Je considère que la Charia est l’œuvre des Oulémas et qu’elle est une œuvre humaine et juridique… Je considère que les Oulémas ont élaboré une loi positive qui ne constitue pas une religion… » [1]. En 1979, il a osé cette déclaration : « Le livre vert est le gospel, le nouveau gospel, le gospel d’une nouvelle ère, celle de l’ère des masses. »[2]
Cette orientation a poussé la classe cléricale traditionnelle sur laquelle le pouvoir s’est appuyé jusqu’à ce tournant, à devenir, au fil des années, l’une des composantes de l’opposition au régime de Kadhafi, aux côtés et en concurrence avec l’organisation des Frères musulmans opposée, dès le début, au nationalisme arabe et accusée, en 1984, d’être à l’origine de l’attaque contre sa résidence privée de Bab Al-Aziziyya, et objet d’une répression violente obligeant ses partisans à la clandestinité ou à l’exil, comme ce fut le cas de l’un de ses dirigeants, Ali al-Sallabi, qui a trouvé refuge au Qatar en 1999.
Aux Frères musulmans et aux clercs traditionnels rejetés par Kadhafi, se sont ajoutés différentes expressions de la mouvance salafiste dont le rôle a commencé à devenir important avec le retour d’Afghanistan, des jihadistes libyens dans les années 1980 tels qu’Abou Yahya al-Lîbî, proche collaborateur de Ben Laden, l’un des théoriciens d’Alqâ‘ida et coordinateur des mouvances jihadistes au Maghreb, Abou Anas Al-Lîbî qui a participé aux attaques de Dar Al-Salam et Nairobi en 1998, (Jean-Pierre Filiu, Les Neuf Vies d’Al-Qaida, Paris, Fayard, 2009) et d’autres activistes à l’origine d’actions militaires contre les troupes de Kadhafi comme dans les régions de Benghazi et Derna en 1998. L’une des expressions les plus importantes de la mouvance salafiste est le Groupe Islamique Combattant Libyen (GICL). Après le 11 Septembre 2001, le GICL, appela au jihad en Libye accusant Kadhafi de « collaboration avec les étrangers, d’apostasie et de falsification »[3]. Il s’est rapproché du GSPC (le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) algérien, dont il facilita l’intégration à Al-Qaida avant que ce groupe ne devienne, en 2007, Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). De nombreux Libyens ont rejoint les camps d’AQMI, dans le sud algérien, pour y suivre un entraînement avant de rejoindre l’Irak ou l’Afghanistan pour y combattre les Américains. En 2008, aux abois, Kadhafi a tenté une politique d’apaisement envers l’opposition islamiste en libérant 800 prisonniers du GICL passés à Al-Qaida, qui joueront un rôle décisif dans sa chute.
De la fin de la Jamahiriyya à la prolifération des groupes islamistes
Les différentes oppositions politico-religieuses ont contribué, non sans rapport avec des soutiens étrangers pariant sur elles, à la fin du régime de Kadhafi. Elles ne sont pas étrangères à l’orientation donnée par le Conseil National de Transition (CNT) dont le Président, Mustapha Abdeljélil, déclara le 23 octobre 2011 à Benghazi : « En tant que pays musulman, nous avons adopté la charia comme loi essentielle, et toute loi contraire à la charia est légalement nulle et non avenue ». Cependant, comme partout ailleurs, la charia n’a pas tardé à faire l’objet d’interprétation différentes selon ce qui est recherché par les différentes oppositions politico-religieuses : celles qui se réclament des zawâyâ et de la classe cléricale traditionnelle, les Frères musulmans selon leurs alliances étrangères et les ramifications auxquelles ils se rattachent, les différentes expressions du salafisme, etc.
Dès l’effondrement du régime de Kadhafi, Al-Qaida et d’autres expressions de l’islam politique, ont choisi la Libye comme point d’appui pour l’expansion du djihad en Afrique du Nord et au Sahara.
En effet, la Libye a été choisie comme l’une des bases de repli de certains djihadistes fuyant les combats sur d’autres fronts. Elle est devenue un terrain favorable à l’implantation et à la reconstitution de tous les groupes jihadistes démantelés ailleurs. Plusieurs facteurs militent en faveur du redéploiement de ces groupes en Libye : la disponibilité d’armes lourdes abandonnées par l’armée libyenne ou introduites par les contrebandiers et les marchands d’armes, l’effondrement de l’Etat libyen et l’affaiblissement de ses forces armées et de sécurité, la popularité de figures de l’islamisme dont les disciples ont pris pied dans cette vaste porte ouvrant sur l’Afrique subsaharienne et sur la Méditerranée, etc. Les rivalités entre les dirigeants libyens qui se sont succédés depuis 2011, et leur incapacité à contrôler le pays et ses frontières, les a conduits à sous-traiter la sécurité à des sociétés privées étrangères. Des régions entières, notamment au Sud, ont été abandonnées aux milices, aux contrebandiers, à des groupes ethnico-religieux concurrents ou aux brigades islamistes. Tout en considérant les milices et brigades armées comme des facteurs de déstabilisation, ceux qui se disputent le pouvoir à Tripoli, à Syrte et à Benghazi cèdent une partie de leur autorité aux milices et aux factions armées qu’ils décrient tout en contribuant à les légitimer et à accroître leur pouvoir.
Les frontières libyennes, très perméables, se trouvent au croisement de grandes routes commerciales devenues, à la faveur de l’effondrement de l’Etat, des voies de passage empruntées par les trafiquants, les migrants, les convois de drogue et d’armes. Les groupes armés contrôlant ces frontières ont la possibilité d’entrer facilement dans plusieurs pays à partir de la Libye, transportant hommes, armes et divers produits d’un pays à l’autre.
Par ailleurs, les soulèvements de 2011 ont permis la réactivation de conflits locaux longtemps gelés mais jamais résolus. Les groupes jihadistes en ont profité pour se présenter tantôt comme médiateurs rapprochant les protagonistes, tantôt comme des stratèges experts en manipulation, utilisant les belligérants les uns contre les autres pour imposer leur domination.
Cette situation a facilité les manœuvres des groupes islamistes transnationaux. Ainsi, AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamique) a profité du vide politique et sécuritaire pour établir des liens avec des groupes locaux, dont Ansar Eddine et Ansar al-Charia, et pour élargir son rayon d’action régional. Une lettre de l’émir algérois Abdelmalek Droukdel, adressée aux leaders islamistes présents au Nord-Mali, révèle qu’une réelle coordination entre AQMI et Ansar Eddine existait bien avant l’arrivée des chef d’AQMO en Libye. ; le rassemblement de l’ensemble des forces radicales était l’un des objectifs à long terme de leur implantation dans l’Azawad.
Les efforts déployés par AQMI pour fonder des cellules en Libye en leur apportant une aide financière, datent des débuts de l’effondrement du régime de Kadhafi. Les émirs algériens Abou Zeyd et Mokhtar Belmokhtar arrivent dans la province du Fezzan dès la fin de l’année 2011. Le rapprochement entre AQMI et Ansar al-Charia, à Benghazi et Derna a permis l’établissement, à Ghat, de bases pour lancer des opérations en territoires voisins et pour approvisionner AQMI en armes.
En 2011, Mokhtar Belmokhtar se vantait d’avoir acquis des armes libyennes. C’est à partir du Sud de la Libye qu’il lança, avec la participation de membres de l’ancienne brigade de l’islamiste libyen Abdelhakim Belhadj, l’attaque contre Tiguentourine via les routes reliant le Nord-Mali au Sud libyen par le désert de Tafassasset. En 2011, Mokhtar Belmokhtar rencontra un vétéran libyen d’Afghanistan, dans le Sud de la Libye, dans le but d’établir des camps d’entraînement près de Sebha, pour des recrues libyennes comme des éléments venus d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de Mauritanie et du Mali.
En novembre 2012, deux mois avant la prise d’otages à In Amenas, le démantèlement, d’une katiba se dénommant Mouvement du Sahara pour la Justice Islamique dans le Sud de l’Algérie, a révélé le rôle de la Libye comme base opérationnelle pour ce groupe qui projetait des attentats contre les installations pétrolières algérienne au Sahara pour exiger des négociations en vue d’obtenir l’indépendance du Sud algérien. La katiba était alors dirigée par Mohamed Lamine Bencheneb, l’un des sous-lieutenants de Mokhtar Belmokhtar, tué lors de la contre-offensive des forces algériennes à Tiguentourine. De même, c’est à partir de la Libye que fut organisée la conquête du Nord-Mali, par AQMI, le MUJAO (Mouvement pour l'Unification et le Jihad en Afrique de l'Ouest ) et Ansar Dine, et que furent lancées des attaques surprises dans les territoires voisins, dont attentats de 2012 à Tamanrasset et à Ouargla (Algérie).
Al-Qaida, a profité de l’environnement géopolitique chaotique consécutif aux soulèvements de 2011 et de la militarisation croissante d’acteurs non étatiques pour accroître sa présence au Maghreb et au Sahel. Ayman Al-Zhawahiri a appelé à l’instauration d’un État islamique en Libye où il a dépêché, dès le mois de mai 2011, Abdoul Basit Azouz, pour recruter 300 hommes dans l’Est.
De la Libye au Sahel : l’impact des opérations françaises
La France a, depuis les années 1980, lancé des opérations, en concertation avec ses alliés régionaux et internationaux, dans l’objectif d’assurer la stabilité d’une région où elle a des intérêts français économiques et stratégiques importants : l’opération Épervier, lancée en 1986 au Tchad, l’opération Serval, lancée en 2013 au Mali avant que ne soit lancée l’opération Barkhane en 2014. La menace des groupes jihadistes s’affirmant a fil des années et, surtout, avec le chaos en Libye, donna à l’intervention de la France et de ses alliés, à la demande des pays concernés, le caractère d’une opération visant l’éradication du terrorisme. Certes, ces opérations ont permis de détruire des sanctuaires jihadistes au nord du fleuve Niger. Elles ont également permis, un moment, le rétablissement de la vie politique malienne avant qu’un coup d’Etat, applaudi par la population et soutenu par la Russie et les mercenaires du Groupe Wagner, n’oblige la France en novembre 2022, à mettre fin à son opération au Mali, pour se redéployer au Niger et au Tchad. Malgré les pertes subies, les groupes armés islamistes ont réussi à se reconstituer, à se redéployer et à se relancer, surtout à partir de la Libye, devenue, comme on l’a vu, un sanctuaire pour divers groupes jihadistes, dont en particulier des troupes d'AQMI ou d'al-Mourabitoune, présents dans le sud de la Libye d’où ils font passer des armes et des munitions au Mali en utilisant plusieurs pistes à travers le Niger ; la passe de Salvador, la passe de Tummo, située à la frontière libyenne ; la passe de Korizo, entre la région du Tibesti au Tchad et la Libye ; le plateau du Djado, situé dans le nord du Niger et les environs de Tazerzait, dans le massif de l'Aïr.
Les opérations françaises ont obligé les groupes armés à fuir les territoires où ils sont attaqués pour se reconstituer dans les territoires des pays voisins, et en particulier en Libye. Cependant, les frappes françaises n’ont pas éradiqué la présence des groupes armés dont les actions continuent à menacer la sécurité de la région ; elles n’ont fait que déplacer le problème. Les spécialistes parlent d’un « effet mercure » facilité, entre autres, par la présence dans les rangs des groupes jihadistes de beaucoup de ressortissants de la région comme c’est le cas des groupes affiliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Cependant, cela est loin d’être un phénomène propre aux effets des opérations de la France et de ses alliés ; c’est aussi le cas pour les actions menées par d’autres pays. Ainsi, lorsque l’Algérie a réussi à chasser le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), celui-ci s’est redéployé au Mali et en Mauritanie où il a accompli plusieurs actions à la faveur des situations de crises et de conflits dans ces pays.
Devenir des groupes islamistes en Lybie et de la menace terroriste au Nord et au Sud du Sahara
(voir aussi : islamo-nationalisme au Sahel)
Plus de deux décennies après les soulèvements donnant lieu aux « printemps arabes » et à l’effondrement de l’Etat libyen, les autorités libyennes peinent toujours à trouver une issue à la crise dans laquelle le pays s’enlise du fait du conflit qui oppose les gouvernements rivaux : celui de Tripoli, soutenu par les islamistes et leurs protecteurs internationaux, dont en particulier les parrains de l’Organisation Mondiale des Frères Musulmans, le Qatar et la Turquie, et celui de l’Est soutenu par le Maréchal Haftar et ses parrains, l’Egypte, la Syrie, l’Arabie et les Emirats du Golfe. Malgré les changements intervenus avec l’avènement du gouvernement de Fathi Bachaga, à Syrte, soutenu par le Maréchal Khalifa Haftar, et celui de son rival, Abdel Hamid Dbeibah, à Tripoli, l’espoir d’une sortie de la crise continue à fuir. Malgré les reculs électoraux de l’islam politique, dans les divers pays de la région, y compris en Libye, la prolifération des groupes armés islamistes continue à peser sur l’évolution de la situation au Nord comme au Sud du Sahara. Divers conflits agitent cet espace, s’alimentent réciproquement et offrent un terrain favorable aux groupes jihadistes dont la grande mobilité se joue des frontières pour articuler les conflits des deux rives du Sahara, narguant des États dont la légitimité a été usée par des décennies de politiques néolibérales dites de « réajustement structurel » leur imposant de renoncer à leur rôle social .
Dans ce contexte, la Libye continue à jouer le rôle d’un arsenal alimentant plusieurs foyers terroristes ou mafieux en armes individuelles et collectives, y compris des missiles terre-sol-air, des territoires qui s’étendent de l’Afrique de l’Ouest, au Levant et à la Corne de l’Afrique. Les affaires de transferts illicites à partir de la Libye se font par voie terrestre et maritime à destination de plus de près de quinze pays.
Tant que perdureront les conflits à l’intérieur de la Libye entre ceux qui se disputent l’héritage de la Confrérie Sénoussie et du régime de Kafhafi, - conflits entretenus par les interventions directes ou indirectes des puissances internationales et régionales-, les différentes expressions de l’islam politique continueront à trouver dans ce pays un sanctuaire à partir duquel elles pourront mener des actions de déstabilisation transnationales dans les pays voisins au Nord comme au Sud du Sahara, voire plus loin.
A l’heure où les contestations se multiplient au Mali au sujet de la nouvelle Constitution dont les acteurs islamistes voudraient supprimer la référence à la laïcité au moment où au Burkina Faso les nouvelles autorités semblent « involontairement » mettre en scelle les acteurs salafistes après avoir dénié la liberté de parole aux partis politiques classiques, la montée en puissance des de l’islamisme politique devient un enjeu à prendre en considération dans la reconfiguration du champ politique au Sahel.
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[1] Moncef Djaziri, , État et Société en Libye, Paris, L’Harmattan, 1996., p. 86.
[2] Interview avec O. Fallaci, « The Iranians Are Our Brothers : An Interview with Col. Muammar El Qaddafi », New York Times Magazine, 16 décembre 1979
[3] Mathieu Guidère, Al-Qaida au Maghreb Islamique, Paris, Editions du Rocher, 2007.