Timbuktu Institute – 27/09/2023

Dès l’annonce faite par le Président français, Emmanuel Macron, du retrait des forces françaises du Niger, la réaction d’un grand expert des affaires internationales s’est résumée en une phrase : « la grande Nation perd sa face et sa place diplomatique au Sahel ». Alors que jusqu’ici, qu’il s’agisse de la junte ou de la France, chacun tentait de faire bonne figure pour ne pas perdre la face. Ce qui était considéré une simple demande d’une junte qui venait de prendre les rênes du pouvoir à Niamey était vite devenu un des ingrédients du discours nationaliste voire populiste dont les militaires sahéliens ont, désormais, le secret comme on a pu le constater au Mali et au Burkina Faso.

On pourrait arriver à penser que l’entêtement français s’expliquait aussi par la hantise de voir le départ de ses forces du Niger se transformer en un déclic pour d’autres pays de la région. Après un bras de fer de deux mois, la junte a eu la France à l’usure ; cette bataille à armes symboliques inégales ne pouvait être que difficilement gagnable par une France acculée présentant le désavantage de devoir, à chaque fois, gérer l’urgence et l’histoire en même temps. Cette attitude la mettait en mauvaise posture face à une junte dont le discours populiste continue de faire effet face à une population et une jeunesse surchauffées par l’impression d’avoir défait un régime et de se débarrasser progressivement d'une puissance dominatrice.

La CEDEAO devant le fait accompli diplomatique ?

Mais, en même temps, cette annonce d’Emmanuel Macron sonne le glas du projet d’intervention de la CEDEAO et porte un sévère coup sa crédibilité, notamment sa capacité de dissuasion des coups d’Etat militaires, un de ses objectifs prioritaires.

Cette situation augure de perspectives favorables à l’émergence d’une tendance lourde du militaro-populisme, au grand dam de l’idéal démocratique dans la sous-région. Il faudra craindre une augmentation du risque de coups et contrecoups, parfois théorisés comme de paradoxaux moments de « respiration démocratique ».

 L’Organisation sous-régionale est, ainsi, mise devant le fait accompli diplomatique avec cet échec de la stratégie militaire qui découle, en réalité, de quatre facteurs principaux :

 -       Une certaine division notée au sein du Conseil de paix et Sécurité de l’UA.

 

-       L’ambiguïté de la position des États-Unis d’Amérique et son pragmatisme jugé intéressé, par certains observateurs, se traduisant par une absence de soutien ferme au point de vue diplomatique et militaire depuis le début de la crise

 

-       Un isolement diplomatique de la France au sein de l’UE, malgré les apparences, avec le défaut de soutien diplomatique et financier d’une éventuelle opération, en tant que principal partenaire financier de la CEDEAO.

-       Une forte opposition des opinions publiques sahéliennes et ouest-africaines, des sociétés civiles qui se considèrent désormais comme parties prenantes légitimes du débat sécuritaire et même de la politique étrangère ; mettant la pression sur des dirigeants politiques fortement critiqués notamment par la jeunesse.

Une géopolitique de la jeunesse : « mimétisme » sans discernement ?

Mais l’aspect qui serait le plus à prendre en considération est l’effet éventuel du mimétisme sans discernement, facilité par les réseaux sociaux, de la part d’une jeunesse désenchantée et socio-économiquement vulnérable au radicalisme et au populisme, assaisonné à l’efficace « propagande » russe à laquelle les Occidentaux répondent par des politiques d’influence soutenues par une communication rivalisant d’agressivité.

Mais ce qui est dénoncé comme une « propagande » russe semble adossée à un véritable ancrage dans la société réelle et au sein de la jeunesse parfois snobées par des chancelleries fascinées par les élites littéraires leur rappelant leur "universalité", des dirigeants politiques en perte de vitesse et des opérateurs économiques, sous-traitants de leurs patronats et multinationales. Un ensemble de relais peu populaires rejetés par une jeunesse complètement acquise à un panafricanisme indigent par défaut d’une réelle culture politique à l’image des pères fondateurs.

Des ingrédients d’un nouveau cycle historique au Sahel ?

Cet ensemble de faits constitue, désormais, une recette explosive contre les intérêts français en Afrique francophone où Paris fut, pendant longtemps considéré comme un « champion » par l’Union européenne et le « camp occidental » qui s’est récemment beaucoup fissuré.

Un diplomate de haut rang ne pouvait être plus clair, en déclarant, lors d’une importante réunion que « l’OTAN n’est pas un bloc mais une simple alliance » ; ce qui traduit, pertinemment, l’état d’esprit actuel des partenaires internationaux dans ce sable mouvant sahélien où ils sont de plus en plus dispersés pour ne pas dire divisés voire enlisés.

Mais, au-delà des effets d’annonce sur ce retrait français, des réactions épidermiques de « fierté panafricaniste » comme de « désillusion française », il est devenu clair que le processus de lutte pour la deuxième décolonisation par le bas, semble être inexorablement enclenché.

Éviter une nouvelle désillusion ou le questionnement dérangeant

La question se pose, toutefois, de savoir si les régimes militaires demandant, aujourd’hui, le départ des forces étrangères auront les capacités de se passer d’elles durablement après le temps des expressions de fierté et des discours de galvanisation. La toute récente Charte du Liptako Gourma, scellant, surtout un pacte de défense mutuelle « en cas d’agression » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger suscite, certes des espoirs de synergie, mais des questionnements sur son opérationnalité et sa durabilité.

Ces questionnements, - il est vrai dérangeants pour certains -, sont d’autant plus légitimes que si ces pays se retrouvaient dans une situation sécuritaire qui les obligerait de faire appel, à nouveau, à la coopération militaire aujourd’hui rejetée dans ce contexte fortement marqué par les discours nationalistes et panafricanistes, ce sera une autre désillusion sahélienne qui sera forcément fatale.

Une telle désillusion ouvrirait, par un second souffle islamiste, un large boulevard pour les acteurs l'islam politique et les mouvements extrémistes qui viendraient réclamer, "légitimement" le statut de nouvelles forces vierges de tout exercice du pouvoir après l’échec des politiques laïcs et des militaires d’aujourd’hui.

En tout état de cause, l’aube d’un nouveau cycle historique semble se profiler au Sahel mais aussi pour les relations euro-africaines et, plus particulièrement, franco-sahéliennes.

 

 Timbuktu Institute – Septembre 2023

LETTRE DE L'OBSERVATOIRE - Septembre 2023

Timbuktu Institute a consacré La Lettre de l’Observatoire du mois de Septembre 2023 à la mort d’Evgueni Progojine, le chef de la société militaire privée Wagner, et, notamment, à ses éventuelles conséquences sur l'évolution du contexte politico-sécuritaire du Mali et au Sahel de manière générale.

 

Télécharger la lettre de l’Observatoire en intégralité

Timbuktu Institute

With this "khaki pact", the three countries (Burkina Faso, Mali, Niger) are almost formalizing their split with ECOWAS, especially with the implications of Article 6 (equivalent to NATO's Art 5), known as "casus foderis" in military alliance law. This principle now provides a legal basis for mutual assistance between allied states in the event of aggression or armed attack, for example if ECOWAS were to consider military intervention.

The Malian Minister of Foreign Affairs recalled this at the 78th Session of the United Nations General Assembly. But, in addition to a real challenge to the regional collective security mechanism, there is a new fact: in the event of a rebellion under the terms of Article 6 of the Charter, theoretically, Niger and Burkina Faso soldiers could now support Malian forces against armed groups in northern Mali already at war with Bamako. Article 6 clearly states: "Any attack on the sovereignty and territorial integrity of one or more contracting parties shall be considered as an aggression against the other parties and shall give rise to a duty of assistance and relief on the part of all parties", whereas ECOWAS has defense pacts signed since the 1970s (non-aggression and mutual assistance in the event of aggression).

Certain provisions of this charter therefore nullify any possibility of non-diplomatic sanctions within the ECOWAS system. The dislocation of ECOWAS may already be underway, as the question now arises of the compatibility between membership of ECOWAS and adherence to a scheme that runs counter to its founding objectives.

A major geopolitical shift for the region

The Charter marks the emergence of a collective defense alliance of three countries that now perceive the ECOWAS collective security mechanism as a strategic threat. As it stands, it represents a clear regression in the security situation of the ECOWAS region, as a homogeneous area of collective security cooperation, where the risks and threats of inter-state conflict had been virtually eliminated.

What's more, should the Charter's provisions become operational, the new situation would make the security environment even more complex, radically calling into question ECOWAS's peace and security architecture, exclusively geared towards creating a sub-regional order of peace, security and economic prosperity, based on democracy, good governance and respect for human rights, as a means of preventing intra-state conflicts, identified as the main threat to sub-regional peace and security, with mixed and reversible success.

Alliance of Sahel States: geostrategic upheavals in sight?

In addition to the negative consequences for a number of regional projects (oil, road and energy pipelines) with a strong economic and integration impact (Nigeria, Niger, Benin, Morocco with substantial Chinese and US funding), the Niger crisis, which has just been made more complex by this Charter, will trigger unprecedented upheavals in the sub-region and beyond.

Among the many other consequences of the Alliance on the sub-regional (ECOWAS) and regional (AU) geopolitical and security context, we can note a break with the sub-regional vision of an integrated and economically prosperous West Africa, in a context of peace and security founded on democracy, good governance and respect for human rights; where the seizure of power by unconstitutional means would be banned, and where disputes between member states would have to be resolved peacefully.

There is no doubt that the announcement of this Charter, if followed by action, will have enormous consequences, including:

The weakening of ECOWAS and the tacit disappearance in sight of the G5, which were key players in the fight against terrorism in the Sahel and West Africa in general.

Fragmentation of regional counter-terrorism efforts: with the Alliance of Sahel States other states may feel excluded or marginalized, thus undermining the cooperation and coordination needed to effectively tackle common security challenges.

A negative impact on the AU's efforts: The AU's role will be weakened, as this new initiative will complicate its attempts to coordinate its security efforts on a continental scale:

A tough test for the African Union (AU)

In any case, the establishment of such an alliance, should it come to fruition, would be a severe test of the cohesion and unity of the AU, which has made the promotion of democracy and good governance a credo of its own. This dissident military alliance will be seen as a clear retreat from these long-held values. Today, more than ever, there are huge risks of division within the AU, with real obstacles to these efforts at continent-wide coordination.

In another respect, this Alliance undermines the legitimacy and credibility of the AU: the AU's mechanisms would be called into question by the emergence of military regimes, which are a challenge to these principles. This could affect the perception of the AU at continental and international level, where it had gained much with the Senegalese Presidency and the acquisition of a seat at the G20.

In the field of regional cooperation and coordination, this Alliance will weaken the role of continental coordination in other areas beyond counter-terrorism, economic, social and other cooperation. Similarly, the fragmentation of regional efforts in the Sahel could hamper these efforts.

Uncertainties about collective defense and the future of democracy

If the Pact were to become a reality, it would inevitably have a negative impact on the AU's role in mediation and conflict resolution. As a result, the enduring presence of military regimes in alliances could make it difficult for the AU to exercise its role as neutral mediator, and make its conflict resolution role in the regions more complex.

But, at the same time, these many uncertainties about the collective defense clause raise real concerns about the implementation of this Alliance. In fact, military regimes may have divergent interests and priorities over time. What's more, since these regimes are transitional, we may well wonder about the attitude of the future democratic governments that are likely to be set up following the current military transitions.

What about regional and international reactions?

Since the announcement of this Alliance, observers have been closely monitoring the reaction of other states, sub-regional organizations and, above all, international partners. After all, every alliance identifies its enemies and potential risks. In the case of the Alliance of Sahel States, the potential enemies are clearly ECOWAS and, indirectly, France. We still don't know what kind of support Russia and China, on the one hand, and the West, on the other, might provide.

Similarly, without being alarmist, this announcement raises many concerns about the risks of an East-West 'proxy' confrontation, which would be disastrous for the fight against terrorism and regional integration, built up step by step since the 1970s.

It now remains to be seen whether these three regimes, which have the world's greatest difficulty in controlling their territories and even ensuring security within their borders, have the operational means to implement the provisions of this Charter. In all objectivity, can the alliance of weaknesses lead to real strength?

Timbuktu Institute - September 2023

Timbuktu Institute – 25 Septembre 2023

Par ce « pacte kaki », les trois pays (Burkina Faso, Mali, Niger) actent presque la scission avec la CEDEAO, surtout  avec les implications de l’Article 6, (équivalent de l’Art 5 de l’OTAN) appelé « casus foderis » dans le droit des alliances militaires. Ce principe donne, désormais, une base légale à l’entraide mutuelle entre les États alliés en cas d’agression ou attaque armée, par exemple si la CEDEAO envisageait une intervention militaire. Le Ministre malien des Affaires étrangères l’a rappelé à la tribune de le 78e Session de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Mais, en plus d’un réel défi au mécanisme régional de sécurité collective, il y a un fait nouveau : en cas de rébellion selon les termes de l’article 6 de la Charte, théoriquement, les soldats nigériens et burkinabé pourraient désormais soutenir les forces maliennes face aux groupes armés dans le nord du Mali déjà en guerre contre Bamako. Cet Article 6 dispose bien : « Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties » alors que la CEDEAO dispose de pactes de défense signés depuis les années 70 (non-agression et assistance mutuelle en cas d’agression)

Certaines dispositions de cette charte annulent donc toute possibilité de sanctions non diplomatiques dans le cadre du système de la CEDEAO. La dislocation de la CEDEAO est peut-être déjà en cours, car se pose désormais la question de la compatibilité entre l'appartenance à la CEDEAO et l'adhésion à un dispositif qui va à l'encontre de ses objectifs fondateurs.

Un changement géopolitique majeur pour la région

La Charte marque l'émergence d'une alliance de défense collective de trois pays qui perçoivent désormais le mécanisme de sécurité collective de la CEDEAO comme une menace stratégique. En l'état, elle représente une nette régression de la situation sécuritaire de l'espace CEDEAO, en tant qu'espace homogène de coopération en matière de sécurité collective, où les risques et les menaces de conflits interétatiques étaient pratiquement éliminés.

De plus, si les dispositions de la Charte devenaient opérationnelles, la nouvelle situation rendrait l'environnement sécuritaire encore plus complexe, remettant radicalement en cause l'architecture de paix et de sécurité de la CEDEAO, exclusivement orientée vers la création d'un ordre sous-régional de paix, de sécurité et de prospérité économique, fondé sur la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de l'homme, comme moyen de prévention des conflits intra-étatiques, identifiés comme la principale menace à la paix et à la sécurité sous-régionales, avec des succès mitigés et réversibles.

Alliance des États du Sahel : des bouleversements géostratégiques en vue ?

En plus des conséquences négatives sur plusieurs projets régionaux (pipelines pétroliers, routiers, énergétiques ) à fort impact économique et en matière d’intégration (Nigeria, Niger, Benin, Maroc avec d’importants financements chinois et US), la crise nigérienne qui vient d’être complexifiée par cette Charte déclenchera des bouleversements sans précédents dans la sous-région et au-delà.

Parmi tant d’autres conséquences de l’Alliance sur le contexte géopolitique et sécuritaire sous-régional (CEDEAO) et régional (UA) on peut retenir une rupture de la vision sous régionale d’une Afrique de l’Ouest intégrée et prospère économiquement, dans un contexte de paix et sécurité fondé sur la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme; où la prise de pouvoir par des moyens anticonstitutionnels serait bannie et où les différends entre les États-membres devraient être résolus de manière pacifique.

Il est sûr que l’annonce de cette Charte, si elle est suivie d’effet, aura d’énormes conséquences parmi lesquelles :

- L’affaiblissement de la CEDEAO et la disparition tacite en vue du G5, qui étaient acteurs-clés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest de manière générale.

- Une fragmentation des efforts régionaux de lutte contre le terrorisme : Avec l’Alliance des États du Sahel, les autres États pourront se sentir exclus ou marginalisés, ce qui risque de nuire aux efforts de coopération et de coordination nécessaires pour faire face efficacement aux défis sécuritaires communs.

-  Un impact négatif sur les efforts de l’UA : Affaiblissement du rôle de l’UA dans la mesure où cette nouvelle initiative compliquera ses tentatives de coordination de ses efforts en matière de sécurité à l’échelle continentale :

Une rude mise à l’épreuve de l’Union Africaine (UA)

En tout état de cause, la mise en place d’une telle alliance, si elle arrivait à se concrétiser, constituerait une rude mise à l’épreuve de la cohésion et de l’unité de l’UA qui faisait la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance un certain crédo. Cette alliance militaire dissidente sera considérée comme un net recul de ces valeurs longtemps mises en avant. Il y a, aujourd’hui, plus que jamais, d’énormes risques de division au sein de l’UA avec de réels obstacles à ces efforts de coordination à l’échelle continentale.

Sur un autre aspect, cette Alliance entame la légitimité et la crédibilité de l’UA: l’UA verrait ses mécanismes ainsi remis en question par l’émergence de régimes militaires, qui sont des défis à ces principes. Cela pourrait affecter la perception de l’UA au niveau continental et international où elle avait beaucoup gagné avec la Présidence sénégalaise et l’acquisition d’un siège au G20.

Dans le domaine de la coopération et de la coordination régionales, cette Alliance affaiblira le rôle de coordination continentale dans d’autres domaines au-delà de la lutte anti-terroriste, la coopération économique, sociale et autres. De même, la fragmentation des efforts régionaux dans le Sahel pourrait entraver ces efforts

Incertitudes sur la défense collective et l’avenir de la démocratie

Si ce Pacte se concrétisait, il y aurait forcément, un impact négatif sur le rôle de médiation et de résolution des conflits. De ce fait, la présence durable des régimes militaires, en alliance, pourrait rendre difficile à l’UA d’exercer son rôle de médiateur neutre et rendre plus complexe son rôle de résolution des conflits dans les régions.

Mais, en même temps, ces nombreuses incertitudes sur la clause de défense collective soulèvent de réelles préoccupations quant à la mise en œuvre de cette Alliance. En fait, les régimes militaire pourraient avoir, dans le temps, des intérêts et priorités parfois divergents. D’autre part, ces régimes étant transitionnels, on peut s’interroger sur l’attitude des futurs gouvernements démocratiques qui devraient être mis en place à la suite des actuelles transitions militaires.

Quid des réactions régionales et internationales ?

Depuis l’annonce de cette Alliance, les observateurs scrutent, attentivement, la réaction des autres États, des organisations sous-régionales, mais surtout des partenaires internationaux.  Car, il est évident que toute alliance identifie ses ennemis et risques potentiels. Dans le cas de l’Alliance des États du Sahel, les ennemis potentiels sont clairement la CEDEAO et la France de manière indirecte. On ne sait encore rien du type de soutien éventuel de la Russie et de la Chine d’une part, des occidentaux, d’autre part.

De même, sans alarmisme, cette annonce soulève de nombreuses inquiétudes quant aux risques d’une confrontation Est-Ouest par ´proxy’ qui serait un désastre pour la lutte contre le terrorisme et l’intégration régionale, construite pied à pied depuis les années 1970.

Reste maintenant à voir si ces trois régimes qui ont tout le mal du monde à contrôler leurs territoires et même à assurer la sécurité à l’intérieur de leurs frontières peuvent avoir les moyens opérationnels de mettre en œuvre les dispositions de cette Charte. En toute objectivité, l’alliance des faiblesses peut-elle déboucher sur une vraie force ?

Timbuktu Institute – Septembre 2023

Mali, Niger and Burkina Faso are now members of the Alliance of Sahel States (AES). The three regimes, which emerged from military coups, intend to establish a common defense architecture in the event of aggression by any of the parties involved. Some of its contours remain unclear, but its birth represents a geopolitical shift in the sub-region.

"By the present charter, called the Liptako-Gourma charter, the contracting parties institute between them the Alliance of Sahel States (AES) [...] Any attack on the sovereignty and territorial integrity of one or more contracting parties will be considered as an aggression against the other parties and will engage a duty of assistance and rescue of all parties." With these words, pronounced on Saturday September 16 in Bamako, the Malian Minister of Foreign Affairs, Abdoulaye Diop, endorsed a project that had been in gestation for several weeks. The military regimes of Mali, Burkina Faso and Niger have finally created the Alliance of Sahel States (AES).

The entity aims to organize a system of collective defense and mutual assistance. It sounds like a direct response to the threat of military intervention brandished by the Community of West African States (ECOWAS) in Niger, following the July 26 putsch.

In the days that followed, Bamako and Ouagadougou quickly set the tone. Any attempt to reinstate the deposed Niger president, Mohamed Bazoum, "would be tantamount to a declaration of war" against them, and would result in their withdrawal from the ECOWAS. From now on, the parties involved in the ESA reserve the right to use "armed force" if they deem it necessary.

The military are thus formalizing their position of principle. "It's like saying, 'We're serious, this wasn't just talk'," comments journalist and Sahel expert Serge Daniel. "These three countries are in the process of establishing a legal basis for mutual defense," agrees Bakary Sambe, Regional Director of the Timbuktu Institute African Center for Peace Studies, based in Dakar, Bamako and Niamey.

The Liptako-Gourma Charter, a reference to the "three borders" zone where the jihadist threat is concentrated, has 17 articles. These cover various fields of application. On paper, Article 4 includes counter-terrorism agreements. But how it will operate remains to be defined. "Tomorrow, in principle, if these countries have the means, Mali could end up in Burkina Faso and Burkina Faso in another country to fight terrorism", explains Serge Daniel.

What's new is that, under the terms of Article 6, the same now applies in the event of rebellion. In theory, soldiers from Niger and Burkina Faso can now supplement Malian forces in the face of Tuareg-dominated armed groups in the north of the country. Article 6 is the cornerstone of the agreement. "It is the equivalent of article 5 of NATO (North Atlantic Treaty Organization)," compares Bakary Sambe. Article 5 of NATO stipulates that attacking one member is tantamount to attacking the whole Alliance.

"This is the beginning of a G3 Sahel".

This upheaval in the geostrategic landscape opens up a new, uncertain and unpredictable era in the subregion. It's an unprecedented configuration and a major geopolitical change, with this "khaki" pact against the other members of Cédéao," analyzes the teacher-researcher. These three countries now perceive the principle of collective security of ECOWAS as a strategic threat against them. This is a significant step backwards, making the security environment even more complex.

The fact that three Sahelian countries that have demanded the departure of French troops have joined forces is highly symbolic. "It's a regionalization of France's disavowal," sums up Bakary Sambe. The AES also signals the death of the G5 Sahel, from which Bamako withdrew in May 2022. "Mali, Niger and Burkina Faso were the linchpins of the G5 Sahel. This is the beginning of a G3 Sahel", predicts the researcher. "Initially, there were five countries united to fight terrorism. The G5 became the G3. It's not a federation but a defense alliance," agrees Serge Daniel.

The positioning of the international community will determine the value and legitimacy of this alliance, whose signatories belong to transitional governments (in Mali and Burkina Faso) or may become so (in Niger).

The case of Niger remains the most indecisive. Paris remains intransigent with regard to the military in Niamey and firmly supports ECOWAS. But with the dispatch of a new ambassador and the resumption of its surveillance operations, Washington seems less inflexible. China has already dispatched a delegation to meet the ruling military in Niamey. Moscow is calling for a diplomatic solution. "Will the international community continue to show solidarity with ECOWAS and the African Union? asks Mr. Sambe. The question now concerns the legality and legitimacy of transitional regimes and those not yet in transition. We're going to have to remain cautious, since we've entered the era of tacit diplomacy.

 Source : TV5 MONDE

Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont désormais réunis au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES). Les trois régimes issus de putschs militaires entendent fonder une architecture de défense commune en cas d'agression de l'une des parties prenantes. Certains contours demeurent flous mais sa naissance constitue un changement géopolitique dans la sous-région.

 « Par la présente charte, dénommée charte du Liptako-Gourma, les parties contractantes instituent entre elles, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) […] Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties. » Par ces mots, prononcés samedi 16 septembre à Bamako, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a entériné un projet en gestation depuis plusieurs semaines. Les régimes militaires maliens, burkinabé et nigériens ont finalement créé l’Alliance des États du Sahel (AES). 

L’entité vise à organiser un système de défense collective et d’assistance mutuelle. Elle sonne comme une réponse directe à la menace d’une intervention militaire brandie par la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Niger, après le putsch du 26 juillet.

Les jours suivants, Bamako et Ouagadougou avaient rapidement donné le ton. Toute tentative de rétablir manu militari le président nigérien déchu, Mohamed Bazoum, « s’assimilerait à une déclaration de guerre » à leur encontre et entraînerait leur retrait de la Cédéao. Désormais, les parties prenantes à l’AES se réservent le droit de l’emploi « de la force armée » si elles le jugent nécessaire. 

« Nous sommes sérieux »

Les militaires formalisent ainsi leur position de principe. « Cela revient à dire : "Nous sommes sérieux, ce n’était pas du bavardage" », commente le journaliste et expert du Sahel, Serge Daniel. « Ces trois pays sont dans le processus de donner une base légale de défense mutuelle », abonde Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute African Center for Peace Studies, basé à Dakar, Bamako et Niamey. 

La Charte de Liptako-Gourma, référence à la zone dite des "trois frontières", où se concentre la menace djihadiste, dénombre 17 articles. Ceux-ci couvrent différents champs d’application. Sur le papier, l’article 4 comporte des accords de lutte contre le terrorisme. Mais ses modalités de fonctionnement restent à définir. « Demain, en principe, si ces pays en ont les moyens, le Mali peut se retrouver au Burkina Faso et le Burkina Faso dans un autre pays pour lutter contre le terrorisme », précise Serge Daniel.

Fait nouveau, il en va à présent de même en cas de rébellion selon les termes de l’article 6. Théoriquement, les soldats nigériens et burkinabé peuvent désormais suppléer les forces maliennes face aux groupes armés à dominante touarègue dans le nord du pays. Cet article 6 fait figure de socle. « Il n’est autre que l’équivalent de l’article 5 de l’OTAN (ndlr : Organisation du traité de l'Atlantique nord) », compare Bakary Sambé. L'article 5 de l'OTAN stipule qu'attaquer un membre revient à agresser l'ensemble de l'Alliance.

« C’est le début d’un G3 Sahel »

Ce chamboulement du paysage géostratégique ouvre une nouvelle ère incertaine et imprévisible dans la sous-région. « C’est une configuration inédite et un changement géopolitique majeur avec ce pacte « kaki » contre les autres membres de la Cédéao, analyse l’enseignant-chercheur. Ces trois pays perçoivent désormais le principe de sécurité collective de la Cédéao comme une menace stratégique contre eux. Cela constitue une régression marquante qui rend encore beaucoup plus complexe l’environnement sécuritaire. »

Le fait que trois pays sahéliens ayant exigé le départ des troupes françaises se coalisent revêt une symbolique forte. « Il s’agit d’une régionalisation du désaveu de la France », résume Bakary Sambe. L’AES signe, en outre, la mort du G5 Sahel dont s'est retirée Bamako en mai 2022. « Le Mali, le Niger et le Burkina Faso étaient les pivots du G5 Sahel. C’est le début d’un G3 Sahel », présage le chercheur. « Il y avait au départ cinq pays réunis pour lutter contre le terrorisme. Le G5 devient le G3. Ce n’est pas une fédération mais une alliance de défense », corrobore Serge Daniel.

e positionnement de la communauté internationale déterminera la valeur et la légitimité de cette alliance, dont les signataires appartiennent à des gouvernements de transition (au Mali et au Burkina Faso) ou qui pourrait le devenir (au Niger).

Le cas nigérien demeure le plus indécis. Paris reste intransigeante vis-à-vis des militaires à Niamey et soutient fermement la Cédéao. Mais avec l’envoi d’une nouvelle ambassadrice et la reprise de ses opérations de surveillance, Washington semble moins inflexible. La Chine a d’ores et déjà dépêché une délégation pour rencontrer les militaires au pouvoir à Niamey. Moscou plaide pour une résolution par la voie diplomatique. « Est-ce que la communauté internationale va continuer à jouer la solidarité avec la Cédéao et l’Union africaine ?, s’interroge M. Sambe. La question porte maintenant sur la légalité et la légitimité des régimes de transition et pas encore en transition. Il va falloir rester prudent puisque nous sommes entrés dans l’ère de la diplomatie du tacite. »

 Source : TV5 MONDE