La Coalition parlementaire de l'Alliance inclusive - Terra RANKA a signé en fin d'après-midi du jeudi 26 juillet 2023, un accord parlementaire et de gouvernance avec le Parti de la Rénovation Sociale (PRS). 

L'accord parlementaire signé entre le PAI - TERRA RANKA, qui a recueilli 54 sièges au parlement,  et les rénovateurs, qui disposent de 12 sièges, vise, entre autres, à unir leurs forces pour réaliser des réformes structurelles " incontournables ", afin de sortir " définitivement " le pays de la situation de sous-développement chronique dans laquelle il se trouve.  

Les réformes visées par l'accord comprennent la révision constitutionnelle, la restructuration et la réforme au sein du secteur judiciaire, la modernisation de l'administration publique, la lutte contre la corruption, la tenue d'élections municipales, la promotion des autorités locales, la promotion de politiques publiques visant la croissance économique et la réduction de la pauvreté, la valorisation des ressources humaines en mettant l'accent sur une éducation et une santé de qualité, la protection civile et sociale et la préservation de l'environnement. 

L'accord aura une durée de 4 ans, s'il n'est pas dénoncé par les parties. Le document souligne le mécanisme de suivi qui sera assuré, par le biais du mécanisme de dialogue permanent entre les directions politiques des deux partis, ainsi que la mise en place du comité de consultation qui devrait se réunir trois fois par an. 

Les nouveaux députés élus le 4 juin ont prêté serment ce jeudi 27 juillet. La coalition PAI - Terra RANKA dispose de 54 sièges, le MADEM  a recueilli 29 sièges, le PRS  12 sièges, le PTG  6 sièges et l'APU-PDGB un seul siège. 

Après la signature de l'accord, le leader du PAIGC et de la Coalition PAI - Terra RANKA, Domingos Simões Pereira, a appelé les acteurs politiques à se concentrer sur l'essentiel pour ne pas s’attarder sur les querelles politiques ".  

Il a rappelé à cet égard que les querelles politiques sont admissibles pendant les campagnes électorales et qu'une fois que le peuple bissau-guinéen s'est prononcé souverainement, il est temps de construire le pays, de faire les réformes nécessaires, de mettre de côté les ambitions personnelles et privées et de donner la priorité à ce qui unit tout un peuple.  

Pour le leader de la coalition PAI Terra Ranka, la signature de l'accord n'est pas un synonyme de célébration de victoires, mais plutôt un engagement pour l'avenir, pour penser au peuple et améliorer jour après jour ses conditions de vie. 

"A l'annonce des résultats, la coalition PAI a mis en place un comité de dialogue et ce comité a envoyé une lettre à tous les partis qui siègeront dans le prochain parlement. Des contacts ont eu lieu avec tous les partis. Certains de ces contacts aboutissent à des accords concrets et spécifiques, d'autres non. 

Pour sa part, le président du Parti de la rénovation sociale (PRS), Fernando Dias, a justifié la signature de l'accord par la nécessité d'assurer la stabilité politique du pays et de créer les conditions pour lutter contre la faim qui frappe la population guinéenne, ainsi que par le respect du vote des Guinéens en faveur de la coalition PAI Terra Ranka.  

Dans ce sens, Dias a exprimé la détermination du PRS à pouvoir contribuer au bien-être de la population, en espérant que l'accord paraphé aujourd'hui entre les parties sera respecté. 

Par ailleurs, dans l'accord signé, en ce qui concerne la sphère parlementaire, les partis se sont engagés à s'aligner et à se mettre d'accord sur des positions et, dans la mesure du possible, à aligner les votes au Parlement sur des questions clés, à voter en faveur du programme du gouvernement et du budget général de l'État, ainsi qu'à voter en faveur de la motion de confiance en faveur du  gouvernement. 

Dans le document lu par le vice-président du PAIGC, Kalifa Seidy, les partis ont décidé de former un gouvernement inclusif dirigé par la Plate-forme de l'Alliance inclusive, en fixant le nombre de membres du gouvernement pour chaque parti en fonction de la proportion des mandats au Parlement. 

"Équilibrer la répartition des portefeuilles dans l'administration publique, en respectant les critères de compétence et de parité hommes-femmes. Adopter le programme électoral du PAI comme base du programme de gouvernance et nommer les gouverneurs et les administrateurs en fonction du poids électoral relatif de chaque parti dans les domaines respectifs", peut-on lire dans le document. 

En ce qui concerne l'éthique politique, les partis s'engagent à éviter les attaques réciproques tout au long de la législature, en s'engageant à dialoguer et à recourir à la médiation pour résoudre les différends qui pourraient surgir. 

La coalition PAI TERRA RANKA et le PRS estiment que la fragmentation de l'espace politique national se poursuit, avec des risques sérieux pour la stabilité du gouvernement. Il est donc nécessaire de fournir des garanties pour une solution de gouvernance à long terme qui préserve la paix sociale et la stabilité politique, et ce pour le développement du pays. 

A la veille du deuxième Sommet Russie-Afrique qui a enregistré la présence massive de dirigeants africains et des acteurs de la société civile se réclamant du panafricanisme, Dr. Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, a donné cette interview à la chaîne Medi1TV. Il y revient sur ce qu’il appelle le « paradoxe de la russophilie montante » et explique comment dans le fait de brandir les drapeaux russes, il faut lire plus une colère qu’une réjouissance. Il décrypte de manière documentée la manière dont cet engouement vers Moscou cache un réel fossé entre les perceptions et la réalité notamment économique malgré l’influence grandissante de la Russie dans la région

En intégralité les réponses aux questions de Sana Yassari :

La deuxième édition du Sommet Afrique-Russie s’ouvre ce 27 juillet à Saint-Pétersbourg et est principalement dédiée au renforcement des partenariats avec le continent. Vous évoquez, je vous cite, « un grand-messe d’affichage symbolique » aussi bien pour Moscou que pour ses partenaires africains. Cette remarque de votre part est-elle, alors, liée au contexte géopolitique actuel ?

Il est clair que ce sommet sera pour Moscou une belle opportunité de s’afficher en tant que puissance fréquentable après  l’invasion de l'Ukraine, le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Poutine et la rébellion inachevée de Wagner. En fait, ce sommet réinscrit la Russie dans une sorte de normalité au plan international. N’oublions pas aussi que Moscou pourrait en profiter sur un plan communicationnel pour faire le lien même factice entre sanctions international et limitation de l'exportation de céréales et d'engrais russes voire ukrainiens vers l'Afrique, pour mieux culpabiliser ses adversaires de l’OTAN qui, eux, mettent le curseur sur le bombardement par la Russie du port ukrainien d'Odessa qui aura des conséquences incalculables sur l’exportation des céréales notamment vers l’Afrique. Mais ce sommet est aussi celui où la Russie va chercher à démontrer la centralité de l'Afrique dans sa politique étrangère. Les Africains voient en la Russie une alternative à la relation de domination avec l’Occident et il est vrai que l’opinion publique africaine apparaît aujourd’hui comme très favorable à l'engagement russe et peu critique vis-à-vis de Moscou dans le conflit avec l’Ukraine et l’OTAN. Rappelons que le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a effectué pas moins de huit visites en Afrique depuis l’invasion de l’Ukraine en mars 2022.

Dr. Bakary Sambe, vous releviez récemment ce que vous appeliez le paradoxe de la russophilie montante, rappelant que malgré la diminution de ses liens économiques avec le continent, l'influence de la Russie en Afrique s'est accrue ces dernières années surtout depuis le premier sommet de Sotchi. Qu’est-ce qui expliquerait alors selon vous un tel engouement ?

Malgré la sur-communication, les relations économiques russo-africaines sont très modestes. Mais on dirait que le continent, sur un plan diplomatique, offre à la Russie une scène mondiale à partir de laquelle Moscou peut se targuer d’une certaine importance géostratégique. Mais il est une réalité que l'Afrique compte plus pour la Russie que la Russie pour l'Afrique. Il ne faut pas oublier que déjà en 2019 à Sotchi les dirigeants africains espéraient que la Russie devînt une nouvelle niche d'investissement et d’échanges commerciaux. Vladimir Poutine avait même promis de doubler le volume du commerce avec l'Afrique en 5 ans pour le ramener à 40 milliards de dollars. Pourtant, aujourd’hui, on est tout au moins à 14 milliards de dollars avec un certain déséquilibre, la Russie exportant sept fois plus qu'elle n'importe d'Afrique. Certaines sources avancent aussi que 70% de ce commerce est concentré dans quatre pays seulement : l'Égypte, l'Algérie, le Maroc et l'Afrique du Sud alors que les investissements russes représenteraient 1% des investissements directs étrangers (IDE) vers le continent. Et je crois qu’il va être difficile d’envisager une embellie dans le contexte économique actuel de la Russie qui voit son PIB diminuer en valeur, de 2 300 milliards de dollars en 2013 à 1 800 milliards de dollars en 2021 presque comparable à celui du Mexique.

On sait que les problèmes sécuritaires demeurent sur le continent et notamment au Sahel où s’exerce cette influence russe surtout auprès d’une certaine élite montante en quête d’alternatives. Alors, au-delà des perceptions et selon votre appréciation,  la présence russe a-t-elle pu avoir un certain impact dans l’évolution de la situation notamment en termes de stabilité dans la région ?

Les adversaires de la Russie considèrent que son action en Afrique est souvent  déstabilisante pour certains pays. 6 des douze pays où intervient la Russie sont effectivement en conflit alors que par son véto la Russie arrive à influer sur les opérations de l’ONU alors que l'instabilité y gagne du terrain. D’un autre côté, les défenseurs des droits humains notent une recrudescence des atrocités commises par les supplétifs russes et un affaiblissement des systèmes démocratiques sur le continent d’après des publications du Freedom House. Il est vrai aussi que partout où intervient Wagner la sécurité s’est largement détériorée et les armées nationales se gênent mois à commettre des atrocités contre les communautés locales. Tout ceci nous ramène au constat général selon lequel qu’il s’agisse du recours à la coopération sécuritaire avec les pays occidentaux ou la privatisation de la sécurité avec les supplétifs comme ceux de Wagner, l’Afrique ne pourra jamais mieux compter que sur elle-même avec une mutualisation des capacités africaines comme premier grand pas vers l’africanisation des solutions. Ce n’est jamais en remplaçant une domination par une autre que l’on arrivera à s’affranchir des dépendances tant dénoncées par la société civile et les nouvelles générations.

Trois jours après la tentative de mercenaires, dirigés par le versatile Evguéni Prigojine, visant à marcher vers Moscou, la capitale de la Russie, les pays africains comme la Centrafrique et le Mali où Wagner s’est déployé gardent le silence. Pour autant, il sera de plus en plus « difficile d’imaginer » la poursuite de ces relations d’après Docteur Bakary Sambe, Directeur régional de Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies et enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, dans le Nord du Sénégal.

En Afrique, le groupe Wagner peut-il survivre à sa mutinerie contre la Russie interrompue le 24 juin dernier ?
La présence du groupe paramilitaire en Afrique va être beaucoup plus difficile à imaginer. Surtout si les dissensions avec la Russie persistent. Étant donné que la couverture étatique n’est plus sûre, ou en tout cas ne sera plus ce qu’elle était, les pays africains n’opteront pas facilement pour ce type de coopérations. Le Mali et d’autres pays, liés avec ces éléments non étatiques, sont désormais entre le marteau de Wagner et l’enclume de Moscou. Si on regarde du côté des mouvements jihadistes, une alliance avec Wagner ne peut porter que sur des intérêts convergents. Car il y a un fossé idéologique qui les sépare. La criminalité transnationale, par exemple, est susceptible de faire naître une entente circonstancielle.
De toute façon, dans la région du Sahel, tout peut arriver. On voit aujourd’hui un accord improbable entre la junte burkinabè et des mouvements salafistes dans le but de combattre la présence française.

Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a assuré que Wagner allait continuer ses opérations au Mali et en Centrafrique. Comment analysez-vous cette déclaration ?
Elle est pour le moins surprenante. Jusque-là Moscou niait tout rapport institutionnel avec Wagner. De leur côté, les pays africains ayant accueilli des mercenaires du groupe paramilitaire préféraient parler de coopération avec des instructeurs russes. Le discours du chef de la diplomatie russe montre à la face du monde qu’il y avait bel et bien un lien entre la milice et le Kremlin. S’il n’y a pas de subordination, il ne peut y avoir de rébellion. C’est un état de fait.
Au-delà de cet aspect, la déclaration de Sergueï Lavrov a toute son importance en Afrique. Elle ne remet pas en cause le déploiement de Wagner sur le continent noir. La Russie et l’Afrique ont un long passé de coopération militaire. De plus, il fut un temps où les intellectuels de la gauche africaine étaient formés à l’Université Patrice Lumumba de Moscou.

Toutefois, en matière diplomatique, la Russie manque encore d’agilité dans sa lutte avec les puissances occidentales sur le continent noir. Sous ce rapport, Wagner facilite son ancrage en Afrique sans engagement officiel de l’armée. Le recours à des combattants, fonctionnant sur un mode souple, est moins lourd en termes de logistique que l’envoi de militaires.

L’attitude d’Evguéni Prigojine vis-à-vis de Vladimir Poutine soulève la question de la fiabilité de Wagner en tant que partenaire. Les pays africains où les mercenaires russes sont actifs courent-ils un risque ?
Chez nous, on dit souvent que l’éleveur du bélier reçoit les premiers coups de cornes. Wagner montrait tous les signaux d’une autonomisation.  Et l’Afrique n’a pas autant de forces que la Russie pour contenir la menace. 

Je crois qu’elle ne peut pas mieux résister à la puissance de ce groupe qui n’est pas lié par les conventions internationales et les pratiques conventionnelles. En outre, le système de Wagner est basé sur un mercenariat avec l’exploitation des ressources du pays d’accueil pour s’autopayer.

Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il est temps de se ressaisir.  Une coopération sécuritaire doit se nouer avec des États et non avec des organisations privées. Nous avons vu les conséquences de la privatisation de la sécurité au Centre du Mali. Il y a eu des exactions, des violations des droits de l’Homme et surtout l’exacerbation des conflits avec certaines communautés.

La principale leçon de la rébellion de Wagner est sa non fiabilité. L’extrême privatisation de la sécurité expose à des risques surtout quand on s’engage dans une aventure avec une milice qui échappe à tout contrôle. Les récents évènements montrent le danger que représente un tel choix.

Il faut savoir que les États africains collaborant avec Wagner se sont mis à dos une partie de la communauté internationale. L’Occident en particulier. Je ne sais pas si ces pays auront la latitude pour se débarrasser d’un groupe dont les méthodes sortent de l’ordinaire. Même Moscou ne maîtrise pas tout à fait Wagner.

Est-ce que ça veut dire que le mythe de la superpuissance de la Russie s’est effondré en Afrique ?
Sur notre continent, j’inscris le recours à la Russie comme une manifestation de colère à l’encontre de la France. En réalité, c’est un moyen de révolte, de contestation. Je sais que le Mali, tout comme d’autres nations, a bénéficié de matériels militaires russes. Néanmoins, les États africains devraient arrêter de penser qu’ils sont obligés de sous-traiter leur sécurité. Cette stratégie n’est pas viable.
À défaut d’une mutualisation des forces, il nous faut bâtir des armées nationales fortes, républicaines et procéder à une profonde réforme du système de sécurité dans nos pays. Nous devons également réfléchir à l’opérationnalisation des forces dites en attente. On gagnerait à étendre la coopération interétatique. L’intégration régionale au plan sécuritaire doit être une réalité. Mais ça ne sera pas facile à mettre en œuvre.

Pour moi, les solutions intermédiaires que constituent la privatisation et la sous-traitance de la sécurité nationale ne sont pas compatibles avec la souveraineté que l’on veut affirmer vis-à-vis de la France, de la Russie ou d’une autre puissance étrangère.

L’Afrique est en train de subir ce qu’on appelle l’offshore balancing. C’est un mécanisme par lequel des États, sur un territoire tiers, cherchent à se mesurer. Ici, l’enjeu est que le basculement géostratégique du continent noir ne se fasse pas à leur détriment. L’Afrique fait donc l’objet de nombreuses convoitises parce qu’elle peut changer le rapport de forces sur la scène internationale.

Source : Tamamedia

« Les Echos du Timbuktu Institute », notre nouvelle chronique. Par ces « Echos », le Timbuktu Institute entend apporter un éclairage et envisager des pistes de solutions sur la situation sécuritaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
 
Selon Bakary Sambe, "la communautarisation du djihadisme impose un changement de paradigme".

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Timbuktu Institute

Timbuktu Institute a procédé ce jeudi 16 juin à la restitution d'une étude régionale sur "Islam et islamisme en Afrique de l'Ouest" en partenariat avec l'Académie Internationale de Lutte contre le terrorisme (AILCT) basée à Abidjan.

Si un tel sujet pourrait paraître rébarbatif pour certains, l'étude s'inscrit dans une logique de sortie d'une vision sécuritaire obnubilée par l'immédiat et la gestion des urgences pour inviter à une réflexion sur le temps long. L'étude avait pour but tout d'abord de faire la différence entre une religion souvent stigmatisée à tort et la "manipulation des symboles religieux pour des motifs politiques et idéologiques qui est le fait d'une infime minorité cherchant à justifier leurs discours de violence que la majorité des musulmans rejettent et en sont même victimes" explique Dr. Bakary Sambe qui a coordonné l'étude avec Dr. Lassina Diarra.

Il est vrai que terrorisme est devenu ces dernières décennies une menace sécuritaire régionale. Il opère souvent par une radicalisation « par le bas » qui détourne l’attention des décideurs et des experts de sa méthode de pénétration et de conquêtes par le haut

Pourtant l’objectif reste le même : la destruction de l’entité étatique par la violence terroriste ou sa déstructuration progressive en sapant, par la délégitimation, les fondements démocratiques et républicains des fragiles États de la région. Pour le cas de l’Afrique de l’Ouest, celles-ci ont d’abord évolué sur l’usage des idéologies extrémistes issues de l’islam politique, incarnées par le salafisme ou le wahhabisme et sur d’autres pathologies sociales. Jusqu’à une période récente, la perception dominante d’un islam subsaharien en dehors des influences du monde arabo-musulman avait conduit à foncer les traits de sa spécificité au point de l’isoler des évolutions qui affectent d’autres sociétés.

De la même manière que l’expansion du terrorisme en Afrique du Nord n’avait pas assez alerté sur la nécessité de prévenir le débordement de l’épicentre vers le Sahel, les États ouest africains sont restés longtemps sur une dichotomie entre les espaces subsaharien et maghrébin, négligeant le poids des interactions entre espaces et acteurs religieux de plus en plus transnationaux. Longtemps enfermés dans le paradigme « algérien » d’une parenté idéologique entre djihadisme, il y a eu, pour les décideurs, peu d’intérêt pour l’expression politique de l’instrumentalisation du religieux dans le cadre de projets dont l’objectif est, entre autres, de remettre en cause la forme républicaine de l’État moderne dans cette région du continent.

Manipulation des symboles religieux et islamo-nationalisme

L'étude a tenté de montrer qu’au-delà l’expression violente, à travers le terrorisme, qui focalise aujourd’hui l’attention, l’islam politique se fixe in fine les mêmes objectifs de procéder au contrôle de la société, de déstructurer l’État, à travers une méthode lente mais réfléchie d’en saper les fondements et la légitimité. Les longues années de désengagement de l’État depuis les ajustements structurels ont favorisé la montée en puissance d’organisations religieuses se substituant progressivement à l’État pour finir par le concurrencer dans des secteurs névralgiques comme l’éducation, le travail social et les politiques de jeunesse. Des États font face à des dualités imposées dans des domaines régaliens, souffrant d’un déficit souvent comblé par des mouvements islamistes. L’islam politique, traversant courants salafistes et traditionnels dans une moindre mesure devient un enjeu sociopolitique dans le sens où il s’appuie sur la manipulation des symboles religieux et des formes de contestation de la politique étatique surtout avec le net recul des idéologies de gauche. Investissant centres urbains, zones rurales et même les campus universitaires, l’islamisme se nourrit, aujourd’hui, aussi bien de l’instrumentalisation du religieux comme levier efficace de mobilisation mais aussi de la contestation de « l’hégémonie occidentale » au point de s’allier avec les tendances anciennement révolutionnaires devenues nationalistes
Une constestation de l'ordre sociopolitique

Pour mieux saisir cette évolution, à travers le cas des pays d’Afrique de l’Ouest, l’étude retrace l’itinéraire de l’islamisme, de ses courants de ses stratégies d’expansion et surtout de conquête des élites y compris politiques en montrant comment les États de la région peinent à saisir cette dynamique moins visible que le phénomène terroriste. La recherche s’est aussi intéressée sur les stratégies de contestation de l’ordre socio-politique sans négliger la variable explicative de la fabrique idéologique des groupes terroristes ouest africains que beaucoup d’experts de l’extrémisme tentent de remettre en cause, souvent, par simple défaut de grilles d’analyse.

En s’intéressant aux nouvelles tendances régionales et perspectives de l’islamisme en Afrique de l’Ouest, une place importante a été réservée au phénomène d’émergence d’espaces de socialisation concurrents à la puissance publique pouvant aboutir à une montée de conflictualités du type religieux ou instrumentalisant les appartenances confessionnelles comme le choc aujourd’hui, redouté entre islamisme radical et certains courants évangéliques. Il en est de même du lien entre montée en puissance des tendances salafistes conquérantes et les risques de tensions ethnico-religieuses dans certains pays mais aussi des tendances à une « normalisation » progressive du salafisme, loin de la perception que les analystes « occidentaux » peuvent en avoir.

Stratégie de délégitimation des États ouest-africains :

Les courants salafistes arrivent, de plus en plus, à se départir de leur caractère « importés », malgré l’action des pays du Golfe, et s’imposent de plus en plus comme une réalité « endogène » s’inscrivant aussi dans la problématique politiquement porteuse de contestation de l’Occident et de la défense des « valeurs sociétales ». A cela s’ajoute, aujourd’hui, une certaine revendication de plus en plus en plus prononcée d’une plus importante représentation des élites et valeurs religieuses dans la gestion de l’État et des affaires publiques promouvant une certaine « morale islamique » qui, de leur point de vue, pourrait voler au secours d’une gouvernance sécularisée jugée en déconnexion avec les réalités locales. Un processus continu de délégitimation de l’État devant attirer plus d’attention et d’intérêt pour la recherche.  

Cette prise de conscience de la nécessité d’un changement de paradigme s’impose surtout dans un contexte régional marqué par une certaine fragilité des institutions et des équilibres sociaux où tous les États font face aux défiS complexeS de devoir construire une résilience nationale dans un environnement régional de plus en plus instable.

Timbuktu Institute

Pour Bakary Sambe, Directeur régional du Timbuktu institute, cette demande de départ « sans délai » s’inscrit dans la logique de la communication des autorités de la transition depuis leur arrivée au pouvoir : « les autorités de la transition sont dans la même logique depuis leur arrivée au pouvoir. C’est un marqueur assez important de leur communication de toujours montrer qu’il y a des acteurs et des organisations qui seraient contre les intérêts du Mali. Après la France, pendant l’opération Barkhane, ce fut le tour de la CEDEAO. Je pense que l’axe majeur de cette communication est finalement de trouver, à chaque fois, des « ennemis du Mali ».

Selon cet observateur de la scène politique malienne depuis plus d’une vingtaine d’années, « Ce discours populiste fonctionne très bien au sein de la population en pleine crise économique et sécuritaire. Donc, après la France, la CEDEAO, ensuite les soldats ivoiriens c’est le tour de la Minusma. C’est un schéma binaire qui veut, toujours, qu’il y ait le Mali qu’on oppose aux autres.

Le contexte politique serait même pour beaucoup dans cette prise de position qui n’a pas surpris certains observateurs : « En plus, nous sommes actuellement dans une période cruciale où se discute la Constitution, les futures échéances électorales, le référendum du dimanche 18 juin. Les autorités avaient donc besoin d’aborder la question de façon incisive. Le but est de flatter la fierté malienne et de brandir le souverainisme », rappelle Bakary Sambe.

Une sstratégie de communication politique de la part de Bamako ?

Pour lui, « les autorités étant dans un contexte très avancé du processus de transition, il fallait donc affronter les vraies questions, telles que les réformes institutionnelles promises de longue date. C’est pour cela qu’il est très opportun de leur part d’agiter le chiffon rouge du départ de la Minusma, une mission devenue une cible facile. D’ailleurs, l’utilisation de « départ sans délai » a été bien choisie, pour envoyer un message à la population dont on veut fouetter l’orgueil, même s’il paraît quasi impossible de voir de tels effectifs quitter le pays aussi rapidement. »

Malgré l’unanimité de façade, sous l’effet des réseaux sociaux, le directeur régional du Timbuktu Institute explique même qu’il y aurait deux visions qui s’opposent au Mali sur la question de la coopération sécuritaire, « il y a toujours eu une nette différence de discours entre, d’un côté, Bamako, ses citadins jeunes, présents sur les réseaux sociaux, et de l’autre, les gens qui vivent l’insécurité au quotidien comme à Ménaka, à Gao ou encore à Tombouctou. La perception de la coopération est totalement différente, mais finalement, le discours le plus audible est celui des personnes qui sont le moins concernées par l’insécurité mais inondant les réseaux sociaux ».

Sambe pense qu’il y a « une confusion volontaire » voulant « masquer l’échec sur le plan sécuritaire ». Pour lui, « les récents événements de Moura ont été l’illustration de l’échec en termes de sécurité. On l’oublie très souvent, mais les deux missions prioritaires de la Minusma c’est l’appui à la mise en pratique de l’accord de paix et la réalisation de la transition, puis l’appui au rétablissement et la stabilisation dans le centre du pays. Ça n’était donc pas un mandat qui visait à combattre le terrorisme de façon classique, mais plutôt une consolidation de la paix. Faire le lien avec l’échec sur le plan sécuritaire est donc une belle subterfuge destinée à la consommation locale et populaire »

Pourquoi la fixation sur la MINUSMA ?

« En réalité, la Minusma est un symbole dans le discours. Le symbole d’un corps étranger, de l’acteur extérieur, qui ne laisse pas les coudées franches aux autorités de la transition, pour garantir la sécurité. C’est cette logique qui est présentée à la population. On a vu la même chose avec Barkhane malgré toutes ses tares », explique Dr. Bakary Sambe

Mais le chercheur ne cache pas son scepticisme sur la durabilité des missions de maintien de la paix si elles persistent dans leur forme actuelle : « Plus on avance dans la durée, plus les missions de consolidation de la paix perdent de leur crédibilité. Elles deviennent donc la cible idéale de critique en termes de non efficience. Il faut clairement revoir le format de ces missions. Dans la durée, elles ont, partout, montré leurs limites »

Il persiste, cependant, pour Bakary Sambe, le risque d’une détérioration des conditions sécuritaires au Mali et même dans la région : « Aujourd’hui, quand le Mali peine même à sécuriser les alentours de Bamako - comme l’a montré l’attaque de Kati, cœur stratégique du régime- et même si la Minusma avait un rôle mineur en la matière, ce départ exigé constituerait une menace réelle pour la région. Je ne suis pas sûr de la capacité de ceux qui demandent un tel départ à pouvoir sécuriser les vastes étendues du Mali, frontalières d’autres pays sous pression sécuritaire »

Après la MINUSMA, quid de Wagner ?

« Je ne crois pas que Wagner pourra jouer ce rôle de stabilisateur », avertit le chercheur. « On a vu leurs bavures et exactions contre les populations civiles. Le problème du Mali, surtout au Centre, est d’ordre communautaire. Ni les FAMAs, ni Wagner ne pourront le régler s’ils persistent dans la stratégie actuelle qui fait le jeu des groupes terroristes se présentant comme protecteurs des communautés ostracisées. La fameuse montée en puissance des FAMAs avec l'appui de Wagner s'est faite contre les communautés et a peu affecté la capacité de nuisance des groupes terroristes ».

Et Sambe d’insister sur la nécessité de changement de stratégie de la part de Bamako et de ses partenaires. Selon lui, « l’Etat  malien a besoin de dialoguer avec tous les enfants du Mali comme il en réclamait légitimement le droit, de cesser la stigmatisation de certaines communautés et amorcer la réconciliation. Mais on semble si loin du compte », conclut-il. 

Timbuktu Institute

NB : (certains extraits sont issus de l’interview avec TV5 Monde)