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La crise nigérienne occupe l’actualité africaine depuis le coup d’État du 26 juillet dernier. Mais, elle révèle de jour en jour qu’une rude bataille de positionnement se poursuit au Sahel. Au-delà des positions divergentes au sein même de la CEDEAO et en Afrique et malgré les apparences d’un certain alignement dans le discours de principe, les puissances étrangères sont dans une lutte d’influence qui redessinerait à l’issue de cette crise, les contours d'un nouveau rapport de force dans la région. Dans le cadre de la chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute en partenariat avec Medi1Tv, Dr. Bakary Sambe revient sur ce qu’il considère comme un nouveau « grand jeu » sahélien en analysant les enjeux de tels positionnements pour la région.
Dr. Bakary Sambe malgré l’actualité brûlante focalisée sur la crise actuelle au Niger, vous soutenez qu’en même temps se dessine un nouveau « grand jeu » au Sahel. A quoi consiste-t-il à votre avis ?
Apparemment ferme sur les positions de principe dans la crise nigérienne actuelle, les États-Unis paraissent comme très prudents sur l’option militaire qui semble assez soutenue par la France, par exemple. Mais, vu sa démarche, on dirait que Washington voudrait éviter que son image soit impactée à jamais par une association avec celle de la de France dans cette phase cruciale de la crise. Autre élément important de la préférence américaine pour l’approche diplomatique par rapport à la solution militaire qu’il ne met pas en première option. A y regarder de près, pour les États-Unis, il s’agit d’éviter absolument d’être associés à une puissance de pus en plus rejetée par la rue ouest africaine et une certaine élite panafricaniste et souverainiste, en raison de son passé colonial et de son background de diplomatie interventionniste et de la ´canonnière’. Or les USA bénéficient, relativement, dans la région d’une certaine « virginité » qui profite avantageusement à son image et son soft power proactif en Afrique de l’Ouest. Et puis, une intervention militaire, même réussie - ce qui est encore hypothétique - porterait un énorme coup de canif à cette image plus ou moins positive, qui permet aux USA de pouvoir servir de partenaire ´alternatif’ à la France avec laquelle elle est, tout de même, en concurrence en Afrique francophone malgré les apparences et les nuances.
Avant cette crise il y avait déjà cette âpre lutte d’influence entre les pays occidentaux et la Russie qui je vous cite “chercherait un meilleur ancrage au Sahel malgré l’éloignement géographique ». Cette lutte d’influence va-t-elle prendre une nouvelle tournure avec la crise actuelle ?
Le Niger est dans une position extrêmement stratégique que les États-Unis n'abandonneront jamais. Washington est conscient du fait que son départ des bases installées dans ce pays signifierait, un meilleur ancrage russe dans le Sahel central. Et il n’est pas sûr qu’à la France ne soit réservée le même sort qu’au Mali. D’où cette prudence visible quant à une intervention militaire qui impacterait l’acceptation de la présence de ses forces et de ses installations de renseignement et d’opération au Niger, (d’une valeur de 100 millions de dollars et qui auraient reçu un investissement cumulé de 500 millions de dollars) qui, de par leur profil bas, font, encore, l’objet d’une acceptation bienveillante de la part de la rue nigérienne, malgré les timides manifestations récentes à Agadez. La Russie, elle, depuis le début de la crise, nous l’avons vu, a bien manœuvré pour à la fois exprimer subtilement son désaccord par rapport à l’intervention militaire tout en veillant, stratégiquement, à ne pas se mettre à dos la CEDEAO allié important dans une région où elle pousse ses pions avec déjà un bon ancrage au Mali voire au Burkina Faso.
Mais en réalité, Dr Bakary Sambe, ce qu’on appelle encore le bloc occidental matérialisé par ces pays qui se retrouvent au sein de l’OTAN est-il encore aussi compact qu’on croirait? Autrement dit, comment cette crise à l’issue incertaine va-t-elle reconfigurer les rapports de force dans la région?
Dans le contexte de cette crise, tous les acteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a, déjà, la situation de l’Europe qui semble se chercher, au Sahel, depuis l’affaiblissement progressif de son champion français dans la région. L’Allemagne, il faut le dire, n’affiche pas de désintérêt pour un nouveau rôle de leadership dans la région après tant d’années d’alignement sur les grandes orientations européennes sous l’égide de la France. Depuis le début de la crise, la presse allemande accorde beaucoup d’importance au sentiment anti-français dans la région.. Pour les Américains, considérés en Amérique latine en Asie, au Moyen Orient, même dans une certaine partie de l’Europe, comme la puissance hégémonique par excellence, les USA gardent encore en Afrique, l’image d’une puissance sans antécédents coloniaux comme les puissances européennes avec certain capital sympathie cultivé par un soft power proactif. Ce qui représente pour Washington, un avantage diplomatique comparatif qu’ils ne veulent à aucun prix sacrifier sur l’autel d’objectifs secondaires par rapport à leurs stratégie globale notamment anti-terroriste et pour laquelle le Niger demeure une pièce maîtresse à sauvegarder et, s’il le faut, à tout prix..
Dr Bakary Sambe, président fondateur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, un think tank et centre d’études stratégiques basé à Dakar, Bamako et Niamey, estime qu’avec les sanctions et l’annonce de l’intervention militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), cette dernière veut redorer son blason.
Depuis le 26 juillet 2023, date du coup d’État intenté au Niger par les hommes du Général Abdourahamane Tchiani contre le Président Mohamed Bazoum, élu en mars 2021, tous les regards sont tournés vers Niamey. Toute la communauté internationale a condamné ce coup d’État. La communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a même annoncé le déploiement de sa force militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel.
À la question de savoir si la Cedeao doit aller au bout de sa logique, Dr Bakary Sambe, président fondateur de Timbuktu Institute, un think tank et centre d’études stratégiques basé à Dakar, Bamako et Niamey, indique qu’on note une énorme rupture dans l’approche de l’organisation régionale qui combine de sévères sanctions diplomatiques à des menaces militaires. Pour lui, cela vise à donner une crédibilité opérationnelle à la mesure prise, l’année dernière, de mettre en place une force en attente chargée de la lutte contre le djihadisme et les coups d’État.
« Mais, pour que la Cedeao menace de la mise en œuvre de mesures coercitives, c’est que cette hypothèse me semble réellement envisagée. Et cela suppose que des consultations préalables aient eu lieu avec des membres du Conseil de sécurité (notamment France et États-Unis) »
Estime celui qui est aussi Professeur au Centre d’études des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Sur ce, Dr Sambe affirme que si le scénario de l’intervention Cedeao-Union africaine (Ua)-puissances occidentales, sous mandat ou non du Conseil de Sécurité, se réalisait, « ce serait une rupture paradigmatique dans l’approche de la sécurité collective en Afrique de l’Ouest ».
Tournant dans la lutte contre le terrorisme
La suite des évènements qui se déroulent au Niger sera aussi importante dans la lutte contre le terrorisme. Avec les soutiens affichés des putschistes du Mali, du Burkina Faso et même de la Guinée à la junte du Niger, Bakary Sambe indique que « cette fois-ci, on dirait qu’on va vers une alliance putschiste kaki -avec le Mali et le Burkina Faso- contre la Cedeao, un point de bascule dans l’histoire de l’organisation ».
Tout cela aura un impact dans la lutte contre le terrorisme au Sahel parce que le Niger occupe une place centrale dans la stratégie antiterroriste globale et les États-Unis en sont conscients, de même que la France.
« On note la volonté de l’Otan (France/États-Unis) de contrecarrer l’avancée russo-wagnérienne dans un pays, partenaire clé dans leur stratégie globale antiterroriste dans le Sahel. Nous sommes sur le cas de figure d’une nouvelle et inédite forme de conflictualité : une guerre interétatique entre une coalition tripartite d’États membres rebelles contre l’organisation sous-régionale qui cherche à redorer son blason »
Souligne le président fondateur de Timbuktu Institute.
La Cedeao, constate-t-il, avait même été relativement dépossédée de la question sécuritaire, au point de l’affaiblir, sans que les partenaires internationaux aient pu apporter toute l’aide nécessaire au G5 Sahel. Le Pr Bakary Sambe fait savoir que ce grand retour de la Cedeao s’effectue dans un moment décisif pour l’organisation, mais aussi pour la paix et la sécurité dans la région.
« La lutte contre le terrorisme souffrirait beaucoup d’un Niger tombé dans l’escarcelle d’un pouvoir kaki. Surtout que, pour l’heure, même après le départ des troupes françaises, jadis décriées, ni le Mali, encore moins le Burkina Faso, n’ont réussi à combattre le terrorisme »,
Affirme-t-il.
« La Russie pas sourde à l’appel de la rue nigérienne »
Il y a quelques jours, les nouveaux hommes forts de Niamey ont dénoncé les accords de coopération militaire avec la France. Même si Paris a ignoré cela et considéré que seules des autorités légitimes issues d’une élection peuvent les remettre en cause, la Russie pourrait profiter de ce sentiment anti-français.
« Il est clair que la Russie n’est pas sourde à l’appel de la rue nigérienne qui, par une simple colère contre la France, en appelle à Moscou sur le mode chiffon rouge et en protestation contre Paris »
Alerte le Professeur au Centre d’étude des religions de l’Ugb.
« La nature ayant peur du vide et les circonstances y aidant, si les militaires s’installent durablement à Niamey, Wagner pourrait saisir une autre chance de s’implanter sur le continent, après la Rca et le Mali, au cœur d’un Sahel aux énormes enjeux géostratégiques »
Prévient Dr Sambe.
Toutefois, il tempère en soutenant que Washington
« ne semble pas vouloir céder ce terrain nigérien en plein Sahel central à la prédation russe qui cherche à accroître son influence dans la région. Et les dernières déclarations de Matt Miller et de Blinken le prouvent à suffisance ».
Source : le Soleil
Beaucoup d’organes de presse relaient depuis hier le rejet de la demande du Président Tinubu pour un déploiement de soldats nigérians au Niger voisin qui traverse une profonde crise politique et sécuritaire depuis le coup d’État renversant le président Mohamed Bazoum démocratiquement élu. Il est vrai que, d’après certains experts, conformément à la Constitution du Nigéria, le déploiement de forces armées pour des missions de combat à l'extérieur des frontières doit être approuvé par le Sénat. Toutefois, des possibilités de dérogation existent par exemple si le Président ne juge que la sécurité nationale est sous forte "menace ou danger imminent*
Selon le Sénat nigérian, l'impasse politique au Niger devrait être abordée politiquement plutôt que par une action militaire. Des acteurs importants de la Société Civile nigériane opposée à une telle intervention s’engouffrent déjà dans cette brèche et lancent ironiquement à Tinubu : « Envoyer des troupes au Niger équivaut à quitter la lèpre pour traiter les teignes »
A l’heure actuelle, on peut dire que le Sénat nigérian est largement contre une intervention militaire. Le fait est que même si Tinubu y dispose d’une majorité, il n’y a pas trop de discipline partisane dans le parlement nigérian qui pourrait être en sa faveur. Il faut savoir qu’au Nigeria, les sénateurs disposent d’une certaine légitimité et d’un ancrage local assez fort leur permettant de se libérer de la pression de l’exécutif.
Toutefois, le Président Tinubu, comme le gouvernement sénégalais, essaie de mettre l’intervention sous le parapluie des obligations communautaires expliquant qu’il s’agit d’une décision de la CEDEAO que le Nigeria doit mettre en œuvre en tant qu’éminent membre.
Mais, les logiques régionales qui se reflètent dans le Sénat vont aussi être déterminantes. La proximité ou même la continuité ethnique et culturelle entre le Nord Nigeria et le Niger a poussé, par exemple, le groupe des Sénateurs du Nord à mettre en garde contre une intervention
Cependant, mis à part tous ces paramètres, ce débat interne au Nigeria ne peut-il pas être une chance de donner encore plus de temps et de chance à la diplomatie et in fine à une solution négociée tant espérée par les acteurs de la société civile dans les différents pays de la région ? Les heures à venir seront cruciales.
As part of the Timbuktu Institute's weekly column in partnership with Medi1TV, Dr. Bakary Sambe looks back at the stakes involved in what he calls the "great return of ECOWAS" to the international diplomatic stage, and analyzes the risks and implications of a possible military intervention in a Sahelian context undermined by the harsh war of influence and the unprecedented interplay of alliances.
Dr. Sambe, you spoke of a "great return of ECOWAS to the diplomatic stage" after the communiqué issued at the Abuja Extraordinary Summit on Niger, which included heavy sanctions against the military who overthrew President Bazoum. Do you really think that this time, the sub-regional organization will have the means to back up its positions?
The ECOWAS approach, which combines tough diplomatic sanctions with military threats designed to give operational credibility to last year's move to set up a standby force to combat jihadism and coups d'état, represents a huge departure. For ECOWAS to threaten the implementation of coercive measures if its ultimatum is not respected, means that the measure is actually being considered. And this assumes that prior consultations have taken place with members of the Security Council (notably France and the USA). Especially since the communiqué mentions the possible participation of non-ECOWAS states and Western powers (presumably the USA and France). This might raise the question of a Russian veto. But it seems to me that Putin, who so badly needs the diplomatic support of the African bloc in his Ukrainian adventure, will not easily be able to oppose the interests of the African Union and ECOWAS.
In view of the situation and the short deadline of one week for the ultimatum, isn't ECOWAS's credibility at stake here?
If the scenario of an ECOWAS-AU-Western powers intervention, under a Security Council mandate, were to come to fruition, it would represent a paradigm shift in the approach to collective security in West Africa. This would undoubtedly be an indicator of the seriousness of Niger's swing towards Khaki rule (with the military, and possibly into the Russo-Wagnerian fold). This is a turning point/by-product in the fight against terrorism in the Sahel. Given the severity of the diplomatic sanctions imposed by ECOWAS and UEMOA (total embargo and freezing of Niger's financial assets), this poor, landlocked country in the central Sahel will not be able to hold out for long. The recipe for sanctions worked in Mali in 2012, following Captain Sanogo's coup d'état against Amadou Toumani Touré. But this time, it looks like we're heading for a khaki putschist alliance against ECOWAS, a tipping point in the organization's history. It's make or break! Tinubu's Nigeria won't want Wagner and putschist regimes in its backyard. If the Nigerian junta's experiment prospers, all the regimes in the sub-region will be on borrowed time.
Given the way the crisis in Niger is shaping up, and the acceleration in all directions that is being confirmed, could it be said that the stakes in this crisis have already gone beyond Niger, and even the Sahel, with a certain geostrategic dimension?
If sanctions and/or a coercive approach are effective, this could help restore ECOWAS's reputation for promoting governance and preventing coups d'état. A new scourge that is spreading in a worrying and contagious way in French-speaking West Africa. This intervention undoubtedly reflects the desire of NATO (France/USA) to thwart the Russo-Wagnerian advance in a country/partner/key to their global anti-terrorist strategy, in the Sahel. We are witnessing a new and unprecedented form of conflict: an interstate war between a tripartite coalition of rebel member states and the sub-regional organization seeking to restore its image. This crisis, which has only just begun, marks the eventful return to the scene of ECOWAS, which in recent years has been relegated to the background by international partners in favor of the moribund G5 Sahel. The sub-regional organization had even been relatively dispossessed of the security issue, to the point of weakening it without international partners being able to provide all the necessary assistance to the G5 Sahel. ECOWAS's comeback comes at a crucial time for the organization, but also for peace and security in the region.
Dans le cadre de la chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute en partenariat avec Medi1TV, Dr. Bakary Sambe revient sur les enjeux de ce qu’il appelle le « grand retour mouvementé de le CEDEAO » sur la scène diplomatique internationale et analyse les risques les contours d’une éventuelle intervention militaire dans un contexte sahélien délétère miné par la rude guerre d’influence et le jeu inédit des alliances.
Dr. Sambe, vous parliez d’un « grand retour de la CEDEAO sur la scène diplomatique » après le communiqué issu du Sommet extraordinaire d’Abuja sur le Niger avec de lourdes sanctions contre les militaires qui ont renversé le président Bazoum, pensez-vous réellement que cette fois, l’organisation sous-régional aura les moyens de ses positions ? »
On note une énorme rupture dans l’approche de la CEDEAO qui combine des sévères sanctions diplomatiques couplées à des menaces militaires destinées à donner une crédibilité opérationnelle à la mesure prise l’année dernière de mettre en place une force en attente chargée de la lutte contre le djihadisme et les coups d'État. Pour que la CEDEAO menace de la mise en œuvre de mesures coercitives si son ultimatum n’est pas respecté, c’est que la mesure est réellement envisagée. Et cela suppose que des consultations préalables ont eu lieu avec des membres du Conseil de Sécurité (notamment France et USA). Surtout que le communiqué mentionne l’éventuelle participation d’État hors CEDEAO et des puissances occidentales (vraisemblablement USA et France). Il se poserait, peut-être, la question d’un éventuel veto russe. Mais il me semble que Poutine, qui a tant besoin du soutien diplomatique du bloc africain dans son aventure ukrainienne, ne pourra pas aisément s’opposer aux intérêts de l’Union Africaine et de la CEDEAO.
Au regard de la situation et le délai assez court d’une semaine d'ultimatum, la CEDEAO ne joue-t- elle pas sa crédibilité dans ce dossier ?
Si le scénario de l’intervention CEDEAO-UA-puissances occidentales, sous mandat du Conseil de Sécurité, se réalisait, ce serait une rupture paradigmatique dans l’approche de la sécurité collective en Afrique de l’Ouest. Ceci serait sans doute l’indicateur de la gravité du basculement du Niger dans le pouvoir kaki (avec des militaires et éventuellement dans le giron Russo-wagnérien). C’est un tournant/un sous-produit dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Vu la sévérité des sanctions diplomatiques, prises par la CEDEAO et l’UEMOA (embargo total et gel d' avoirs financiers du Niger), ce pays pauvre et enclavé du Sahel central, ne pourra pas tenir longtemps. La recette des sanctions avait fonctionné en 2012 au Mali, suite au coup d’État du capitaine Sanogo contre Amadou Toumani Touré. Mais cette fois-ci, on dirait qu’on va vers une alliance putschiste kaki contre la CEDEAO, un point de bascule dans l’histoire de l’Organisation. Cela va passer ou casser ! Le Nigeria de Tinubu ne voudra pas de Wagner et de régimes putschistes dans son arrière-cour. Si l’expérience de la junte nigérienne prospère, tous les régimes de la sous-région seront en sursis.
Avec la tournure que prend la situation dans cette crise au Niger et l’accélération tout azimute qui se confirme, pourrait-on dire que les enjeux de cette crise ont déjà dépassé le cadre du Niger et même du Sahel pourrait-on entrevoir une certaine dimension géostratégique ?
Si les sanctions et/ou l’approche coercitive font de l’effet, ceci permettrait de redorer le blason de la CEDEAO dans la promotion de la gouvernance et de la prévention des coups d'État. Un nouveau fléau qui se propage de manière inquiétante et contagieuse en Afrique de l’Ouest francophone. En pointillé de cette intervention se dessine sans doute la volonté de l’OTAN (France/USA) de contrecarrer l’avancée Russo-wagnérienne dans un pays/partenaire/clé dans leur stratégie globale anti-terroriste, dans le Sahel. Nous sommes sur le cas de figure d’une nouvelle et inédite forme de conflictualité : une guerre interétatique entre une coalition tripartite d’Etats-membres rebelles contre l’organisation sous-régionale qui cherche à redorer son blason. Cette crise qui ne fait que commencer signe le retour sur scène mouvementé de la CEDEAO qui a été, ces dernières années, reléguée au second plan par les partenaires internationaux au profit d’un G5 Sahel aujourd’hui moribond. L’organisation sous-régionale avait même été relativement dépossédée de la question sécuritaire au point de l’affaiblir sans que les partenaires internationaux aient pu apporter toute l’aide nécessaire au G5 Sahel. Ce grand retour de la CEDEAO s’effectue dans un moment décisif pour l’organisation mais aussi pour la paix et la sécurité dans la région.
Source : La croix
Bakary Sambe is a teacher-researcher at Gaston Berger University in Saint-Louis (Senegal) and regional director Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, (1). He returns to the role of France and the situation in Niger after the July 26 military coup which saw President Mohamed Bazoum overthrown by a military junta.
The Africa Cross: Like Mali and Burkina Faso now ruled by military juntas, Niger is affected by a coup. Should we make a link between jihadism and the installation of military regimes in these Sahelian countries?
Bakary Sambe: The case of Niger is specific because there was a lot of hope for the stabilization of the country. Niger has, in fact, experienced an experience of democratic political alternation with the end of the mandate of Mahamadou Issoufou and the beginning of that of Mohamed Bazoum in 2022. This election of Bazoum had been considered as a non-negligible advance at the democratic level.
Observers are surprised that the ruling junta cites the security issue as the cause of the coup because Niger had managed to stabilize the situation even slightly. The success of Niger’s strategy was notably due to the mixed approach: military, community with a dialogue within the communities where the jihadists were recruited.
We are in a global regional situation where instability is growing more and more. It is particularly aggravated by the seizure of power by the military after decades when people began to believe that the era of coups was over. In addition, the coup affects a country that was considered the last bastion of international cooperation in the fight against terrorism, but also a pivotal country at the heart of geopolitical realities.
Can the establishment of these military regimes be a bulwark against terrorism or, on the contrary, does it facilitate its installation?
Bakary Sambe: The only real winners from the situation of chaos and instability are the terrorist groups who will be able to continue to carry out their activities in areas such as that of the three borders (Niger, Burkina Faso, Mali) of Liptako Gourma. But also in the face of military regimes which, despite populist discourse on victories against terrorist groups, are struggling to stabilize the situation. I take the example of Mali where the security situation is not stabilized in the north. Worse, central Mali continues to be an epicenter of jihadism.
Despite the triumphalist discourse of Assimi Goïta’s regime, the Katiba Macina, a jihadist group, managed to strike the Kati military camp, which is the strategic heart of the current regime. It is hardly better in Burkina Faso where the experts are unanimous. The coup d’etat was perpetrated in the name of the fight against insecurity, but the current power cannot even control 40% of the territory with the explosion of terrorist attacks which are now almost daily.
One constant after these coups is that anti-French sentiment is very noticeable. How do you analyze this?
Bakary Sambe: The great difficulty for France in the Sahel is that it is forced to manage the emergency and history at the same time. The security emergency is military cooperation which has not worked, with its shortcomings and which has not succeeded in defeating terrorist groups. Operation Serval was relatively successful, but Barkhane was criticized for its repeated failures. In addition, France has a rather delicate position in this region of the Sahel where it has a colonial past. At the same time, we are witnessing the rise of a new generation which rejects, precisely, any form of domination.
But you have to see the situation in a more global way: there is an awareness of a moment when Africa is becoming a nerve center that can change the nature of the balance of power at the international level. We are in a world where the alignments are both multiple and diffuse, a world where the distribution of power is fragmented with the effect of classic powers like France which declines and emerging powers like China, Turkey, Russia who seek to impose themselves.
We are also in a region where, under the effect of a more uninhibited elite and a more demanding population, States are seeking a new type of more egalitarian international relations. Added to this is the fact that security issues are no longer the prerogative of States, rising civil societies with young people and social networks have appropriated them to make them a public debate. We are finally in a context of Russian-Ukrainian conflict where Russia is trying to increase its influence in Africa.
How can instability not contaminate all West African countries?
Bakary Sambe: We should already review the world of security cooperation which, so far, has not yielded the expected results. Today, if these military regimes are allowed to prosper in the sub-region, contagion is inevitable. We also need to reflect on the inconsistencies of governance in our countries. There is all the same a paradox to note that the African youth who fought for democracy in the years 1990-2000, applaud the coups d’etat now. We must rethink democracy in the way it is exercised in our countries. Especially since competing models today oppose democracy and development by promoting more autocratic regimes but which are making economic progress. It will also be necessary to deal with a visible contradiction with a youth which represents 75% of the population but which remains excluded from the field of political decisions.
Interview by Lucie Sarr
(1) Research-action center favoring transdisciplinary approaches on issues related to peace and regional security.
La Croix Africa : Tout comme le Mali et le Burkina Faso maintenant dirigés par des juntes militaires, le Niger est touché par un coup d’Etat. Faut-il faire un lien entre le djihadisme et l’installation de régimes militaires dans ces pays Sahéliens ?
Bakary Sambe : Le cas du Niger est spécifique car il y avait beaucoup d’espoir sur la stabilisation du pays. Le Niger a, en effet connu une expérience d’alternance politique démocratique avec la fin du mandat de Mahamadou Issoufou et le début celui de Mohamed Bazoum en 2022. Cette élection de Bazoum avait été considérée comme une avancée non-négligeable au niveau démocratique.
Les observateurs sont surpris que la junte au pouvoir évoque la question sécuritaire comme cause du coup d’État parce que le Niger avait réussi tant soit peu à stabiliser la situation. Le succès de la stratégie nigérienne était notamment dû à l’approche mixte : militaire, communautaire avec un dialogue au sein des communautés où se recrutaient les djihadistes.
Nous sommes dans une situation régionale globale où l’instabilité prend de plus en plus de l’ampleur. Elle est notamment aggravée par la prise du pouvoir par les militaires après des décennies où l’on commençait à croire que l’ère des coups d’État était révolue. En plus, le coup d’État touche un pays qui était considéré comme le dernier bastion de la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme mais également un pays pivot au cœur des réalités géopolitiques.
L’instauration de ces régimes militaires peut-elle être un rempart contre le terrorisme ou au contraire, facilite-t-elle son installation ?
Bakary Sambe : Les seuls vrais gagnants de la situation de chaos et d’instabilité, ce sont les groupes terroristes qui pourront continuer à mener leurs activités dans des zones comme celle des trois frontières (Niger, Burkina Faso, Mali) du Liptako Gourma. Mais aussi en face de régimes militaires qui, malgré les discours populistes sur des victoires contre des groupes terroristes peinent à stabiliser la situation. Je prends l’exemple du Mali où la situation sécuritaire n’est pas stabilisée dans le nord. Pire, le centre du Mali continue d’être un épicentre du djihadisme.
Malgré le discours triomphaliste du régime d’Assimi Goïta, la Katiba Macina, un groupe djihadiste, a réussi à frapper le camp militaire de Kati, qui est le cœur stratégique du régime actuel. Ce n’est guère mieux au Burkina Faso où les experts sont unanimes. Le coup d’État a été perpétré au nom de la lutte contre l’insécurité mais le pouvoir actuel n’arrive même pas à contrôler 40 % du territoire avec l’explosion des attaques terroristes qui sont désormais quasi quotidiennes.
Une constante après ces coups d’État est que le sentiment antifrançais est très perceptible. Comment analysez-vous cela ?
Bakary Sambe : La grande difficulté pour la France au Sahel, c’est qu’elle est contrainte de gérer l’urgence et l’histoire en même temps. L’urgence sécuritaire, c’est la coopération militaire qui n’a pas fonctionné, avec ses insuffisances et qui n’a pas réussi à vaincre les groupes terroristes. L’opération Serval a eu un relatif succès, mais Barkhane a été critiquée à cause de ses échecs répétitifs. En outre, la France a une position assez délicate dans cette région du Sahel où elle, un passé colonial. En même temps, l’on assiste à la montée d’une nouvelle génération qui rejette, justement, toute forme de domination.
Mais il faut voir la situation de manière plus globale : il y a une prise de conscience d’un moment où l’Afrique devient un centre névralgique qui peut faire basculer la nature des rapports de force au plan international. Nous sommes dans un monde où les alignements sont à la fois multiples et diffus, un monde où la distribution de la puissance est fragmentée avec, l’effet de puissances classiques comme la France qui décline et des puissances émergentes comme la Chine, la Turquie, la Russie qui cherchent à s’imposer.
Nous sommes également dans une région où, sous l’effet d’une élite plus décomplexée et d’une population plus exigeante, des États cherchent un nouveau type de relations internationales plus égalitaires. S’y ajoute le fait que les questions sécuritaires ne sont plus l’apanage des États, les sociétés civiles montantes avec les jeunes et les réseaux sociaux s’en sont approprié pour en faire un débat public. Nous sommes enfin dans un contexte de conflit russo-ukrainien où la Russie essaie d’accroître son influence en Afrique.
Comment faire pour que l’instabilité ne contamine pas tous le pays ouest-africains ?
Bakary Sambe : Il faudrait déjà revoir le monde de coopération sécuritaire qui, jusqu’ici, n’a pas donné les résultats escomptés. Aujourd’hui, si on laisse prospérer ces régimes militaires dans la sous-région, la contagion est inéluctable. Il faut aussi une réflexion sur les incohérences de la gouvernance dans nos pays. Il y a tout de même un paradoxe à constater que la jeunesse africaine qui luttait pour démocratie dans les années 1990-2000, applaudit les coups d’État maintenant. Il faut repenser la démocratie dans la manière dont elle s’exerce dans nos pays. D’autant plus que des modèles concurrents, aujourd’hui opposent démocratie et développement en promouvant des régimes plus autocratiques mais qui font des progrès économiques. Il faudra aussi traiter une contradiction visible avec une jeunesse qui représente 75 % de la population mais qui reste exclue du champ des décisions politiques.
Propos recueillis par Lucie Sarr
(1) Centre de recherche-action privilégiant des approches transdisciplinaires sur des questions liées à la paix et à la sécurité régionale.