Dr Bakary Sambe
Directeur régional de Timbuktu Institute. Enseignant
chercheur au Centre d’étude des Religions, Université
Gaston Berger

 

Comment expliquer les nombreux coups d’État qui surviennent en Afrique de l’Ouest et qui relèvent des « nouvelles pathologies de la démocratie » – qu’ils prennnent la forme d’interventions militaires contre le pouvoir civil ou de violations de la Constitution visant à permettre à des présidents sortants d’effectuer un mandat supplémentaire ? Ces phénomènes récurrents ne peuvent être analysés sous le seul point de vue local d’une nature des régimes qui serait particulière sous nos tropiques.

Au niveau global, le politologue américain Larry Diamond attribuait ces « vents défavorables à la démocratie » à une combinaison entre « la colère russe », « la complaisance américaine » et « l’ambition chinoise ». Il aurait dû ajouter un phénomène non moins déterminant : le pragmatisme diplomatique, pratique globalisée qui revient, pour les grandes puissances, à défendre avant tout leurs intérêts stratégiques.

C’est sur cet autel des intérêts stratégiques immédiats que sont souvent sacrifiés les sacro-saints principes de démocratisation évoqués durant les années 1990. De l’eau a coulé sous les ponts depuis la conférence de La Baule convoquée par François Mitterrand en 1990, du temps où les puissances occidentales s’érigeaient en défenseurs des valeurs démocratiques. Cette conférence avait insisté, entre autres, sur la nécessité d’instaurer un multipartisme dans les pays africains comme condition de l’aide et du soutien économique de la France.

Face aux coups d’État, la faillite des instances régionales

Ces vents défavorables à la démocratie ne sont plus le seul fait d’un climat tropical qui serait « naturellement » hostile à l’État de droit. Ils proviennent aussi des inconséquences des puissances occidentales, qui semblent pousser le réalisme diplomatique à un niveau jamais observé durant ces dernières décennies.

Les instances régionales africaines ne font pas mieux et sont victimes du discrédit du leadership politique mais aussi de l’image de « syndicats de chefs d’État » dont les affublent les populations, qui voient en elles les symboles mêmes d’une gouvernance antidémocratique, dont les leaders s’empressent de condamner les coups de force militaires mais ne se gênent pas pour mettre en place des « coups d’État constitutionnels » afin de perdurer au pouvoir.

En effet, sur la scène politique ouest-africaine, les coups d’État sont, toujours, immédiatement condamnés puis, progressivement, admis et finalement validés pour une durée à laquelle il suffit de coller l’appellation de « transition ». Le lifting démocratique est ainsi réussi et l’opération de normalisation des régimes issus de coups d’État se poursuit sans entraves.

Même la durée des transitions est déterminée par la capacité des juntes militaires à manœuvrer avec un système démocratique qu’ils ont désormais appris à torpiller de l’intérieur.

Ce recul est dû à des causes internes, qu’il semble de plus en plus vain de tenter d’expliquer, au vu de la surabondance de la littérature qui leur est consacrée. Mais il faudrait aussi analyser ces causes sous l’angle des contradictions et des inconséquences, aussi bien des organisations régionales africaines que de la communauté internationale.

La désillusion démocratique

Il y a d’abord les effets de la désillusion démocratique. Suivant le mouvement global de « la fin de l’Histoire » cher à Francis Fukuyama, la conférence de la Baule annonçait un processus de démocratisation, avec ses conférences nationales aboutissant au multipartisme dans les pays africains.

Promesse leur avait été faite d’un développement économique qui suivrait – dans l’idéal – le respect strict des orientations des politiques d’ajustement structurel et de privatisation de l’économie, indispensables aux investissements étrangers. On connaît la suite.

Entretemps, le multipartisme qui devait achever le processus démocratique réveilla le spectre de l’ethnicisme et du régionalisme, allumant le feu des conflits intercommunautaires qui fait toujours rage sur le continent. Aujourd’hui, ces conflits sont ravivés par les effets du terrorisme et du radicalisme religieux au Sahel.

Finalement, après des décennies, ni la démocratie ni la paix durable ne furent au rendez-vous en Afrique de l’Ouest. Les organisations régionales ou sous-régionales sont-elles victimes de l’image des leaders politiques qui les incarnent ou sont-elles aussi tombées dans le piège de leurs partenaires du Nord, qui ne jurent que par la stabilité, même au prix d’énormes concessions à des régimes antidémocratiques ou à des juntes militaires ?

L’abandon international face aux réalités « politico-diplomatiques », nid du populisme religieux

Ces dernières années, aucune élection présidentielle contestée n’a été invalidée ni par la Cédéao, ni par l’Union africaine, ni par les organisations internationales, qui finissent toujours par constater stoïquement le statu quo « malgré les incidents mineurs constatés çà et là qui, toutefois, ne portent pas atteinte à la sincérité du scrutin ». Cette expression est désormais consacrée et fleurit dans les rapports des observateurs internationaux, devenus impuissants devant les réalités « politico-diplomatiques ».

Avec une telle situation, on dirait que, paradoxalement, l’épée de Damoclès militaire s’est progressivement substituée à la hantise des sanctions occidentales du FMI ou de la Banque mondiale. D’ailleurs, ces menaces de sanctions n’ont plus beaucoup d’effet dans un contexte fortement marqué par un multilatéralisme déréglé.

Dans les années 1980-1990, lorsqu’un régime de n’importe quel pays africain enfreignait les règles du jeu démocratique, il s’exposait aux sanctions financières des partenaires internationaux, notamment occidentaux. Cette crainte est aujourd’hui complètement dissipée par la disponibilité de fonds alternatifs, parfois beaucoup plus importants, de la part de pays moins regardants sur la transparence ou le respect des droits humains tels que ceux du Moyen-Orient ou d’Asie désignés comme « donateurs autoritaires » dans les cercles de la coopération internationale. C’est un soulagement pour tous les régimes mais un supplice pour les sociétés civiles africaines.

Elles sont non seulement devenues orphelines de partenaires internationaux avec lesquels elles partageaient les mêmes valeurs démocratiques mais de plus en plus bousculées par des mouvements religieux ou populistes se saisissant de la fibre nationaliste, célébrant même des coups d’État (comme récemment au Mali) : ici se fait ressentir un autre vent défavorable à la démocratie.

L’avenir de la démocratie paraît sombre sous nos tropiques, où les anciens régimes vieillissent mal tandis qu’à l’horizon pointent de nouveaux mouvements populistes se nourrissant, au besoin, de la manipulation des symboles religieux. Pour se donner une légitimité qu’ils ont depuis longtemps perdue en matière politique, les États, qui ne sont plus pourvoyeurs de citoyenneté et de sécurité, les concurrencent dans cette course folle. Les acteurs politiques suivent le même chemin, eux aussi sans perspectives à offrir à une jeunesse désemparée, et se jettent dans les bras de religieux qui ont le vent en poupe au Sahel, à contre-courant de l’édification de sociétés véritablement démocratiques.

Source: www.theconversation.com

Malgré un climat de suspicion générale en Afrique, les Sahéliens sont de plus en plus conscients des dangers causés par la pandémie de COVID-19. Pourtant, les populations du Sahel Occidental, du Bassin du Lac Tchad, et en particulier du Soudan, restent vulnérables à la maladie. C’est le résultat d’une étude menée par le Timbuktu Institute et Sayara International en décembre 2020.
Les données de cette enquête montrent que le Soudan est plus vulnérable à la COVID-19 que le Sahel Occidental et le Bassin du Lac Tchad. 52% des personnes interrogées au Soudan pensent que leur communauté ne gère pas bien la COVID-19, contre environ 20% au Sahel occidental et dans le Bassin du Lac Tchad.
Selon les entretiens réalisés au Soudan, cela est en partie dû à une campagne de sensibilisation à la COVID-19 menée par le gouvernement qui a utilisé des termes complexes et incompréhensibles par la majorité des Soudanais.


Parmi les personnes interrogées, plusieurs ont nié l’existence de la COVID-19. Les récits trompeurs les plus courants qui circulent au Soudan soutiennent que le virus a été fabriqué dans un laboratoire de recherche à Wuhan (Chine). Les populations ont également déclaré aux enquêteurs que la pandémie était une conspiration de leur gouvernement pour recevoir de l'aide étrangère ou que « la maladie est une rumeur pour couvrir les échecs du gouvernement » ou dans le but de « pousser les populations à un état de peur ».
De plus, les fausses croyances sur les traitements contre la COVID-19 abondent sur la toile soudanaise. 3% des personnes interrogées au Soudan pensent tout de même que la prière peut aider à prévenir la COVID-19. D’autres Soudanais croient que les piqûres de moustiques propagent la COVID-19, que les chaleurs tuent le virus et que les antibiotiques peuvent guérir la COVID-19. Enfin, beaucoup estiment que cette maladie est comparable à une grippe légère.


Bien que les personnes interrogées au Soudan soient de plus en plus informées et appréhendent davantage la mesure de la pandémie, elles n’ont pas changé de comportement pour autant. La plupart des populations n’est pas en mesure de respecter la distanciation sociale. Cela peut s'expliquer par le fait que la majorité des Soudanais vivent dans des maisons familiales, où les membres de la famille nucléaire et de la famille élargie cohabitent. De plus, il existe dans ce pays une grande proportion de très petites maisons dans les zones les plus pauvres à l'intérieur des villes, dans les périurbains et dans les zones rurales.
Au Soudan, seulement 62% des personnes interrogées savent que se laver les mains avec du savon aide à prévenir la propagation de la COVID-19, alors que 90% le savent dans les deux autres sous-régions (Bassin du Lac Tchad et Sahel occidental).

Le Timbuktu Institute, le CESTI et Sayara International ont mis en place une veille de l'opinion publique digitale concernant la pandémie de la COVID-19. Grâce à notre plateforme de veille, nous analysons des milliers de publications qui émanent des réseaux sociaux, des sites d'information et des blogs, et qui, chaque jour, sont diffusées dans 8 pays du Sahel (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Soudan).

 Soumettez-nous une information, les journalistes du CESTI la vérifieront.

Restez informés sur les actions et activités menées par le CESTI et le Timbuktu Institute pour combattre la désinformation au Sahel.

Pour toutes informations sur " La vérité sur la COVID-19 "

 
Le Sénégal s’est longtemps cru à l’abri du jihadisme, protégé par son islam pacifique et son armée aguerrie. Les attaques et les menaces venues des groupes installés au Mali et en Mauritanie chassent cette illusion.

Le Sénégal s’est toujours considéré comme un îlot de stabilité dans un océan d’insécurité ouest-africain, loin de l’épicentre sahélien du terrorisme. Au gré de leurs calculs politiques et de leurs positionnements stratégiques, on a vu les autorités politiques évoluer dans leur rapport à cette menace. En une décennie, elles sont ainsi passées du déni à une prise de conscience progressive. Ce qui les a très récemment conduit à admettre, enfin, l’urgence de prendre au sérieux la menace terroriste et les signaux inquiétants venant de la partie est du pays, à la frontière avec le Mali.

Jeunesse fragilisée

Les attaques terroristes de Ouagadougou et de Grand-Bassam, en 2016, auraient pourtant dû pousser le Sénégal à mieux évaluer les dangers d’une régionalisation du terrorisme. Frappé d’aveuglement, il a préféré croire au mythe, savamment entretenu, de la résilience exceptionnelle d’un pays marqué par un islam soufi-confrérique, considéré comme un solide rempart contre l’extrémisme.

C’était oublier un peu vite la porosité des frontières et les vulnérabilités socio-économiques qui fragilisent la jeunesse et la rendent réceptive au message jihadiste. Après l’éclatement de la crise malienne, le Sénégal a voulu se persuader que celle-ci serait circonscrite à sa frontière est. Parmi les arguments avancés lors des débats, le cliché du Sénégalais naturellement non violent et sa mystique baraka protectrice qu’il doit à la sainteté de ses figures religieuses.

Certains vantaient également les performances d’un système de sécurité rompu au renseignement, d’une armée disciplinée et aguerrie, justifiant d’une expérience appréciable des guerres asymétriques, comme celle qu’elle avait menée en Casamance.

La fin de l’exception sénégalaise

On voulait croire à l’exception sénégalaise, confortée par les effondrements successifs des systèmes de sécurité des pays alentour. En dépit des arrestations de terroristes « de passage », de la présence de jeunes Sénégalais sur des terrains jihadistes comme en Libye, au Mali et dans le bassin du Lac Tchad, des discours faisant l’apologie du terrorisme. En dépit du bon sens, on faisait fi de ce qui aurait dû faire prendre conscience que tous pays de la région pouvait devenir soit un théâtre d’opérations jihadistes, soit un espace de redéploiement stratégique.

Au fil des années, on a vu le jihadisme gagner des territoires insoupçonnés, ébranlant les certitudes. On avait sous les yeux l’exemple burkinabè. Frappé dès 2016 par de terribles attentats, le Burkina Faso était pourtant, au même titre que le Sénégal, un exemple de coexistence religieuse et de cohésion sociale.

Pendant que Bamako s’enfonçait dans la crise sécuritaire et qu’au pays de la Téranga on craignait surtout le débordement de l’épicentre malien, on a eu la surprise de découvrir de jeunes sénégalais dans les rangs de Boko Haram en 2015, les services de sécurité évoquant même une nébuleuse essayant d’étendre ses tentacules sur le territoire national.

Une vague d’arrestations intervient en novembre 2015, suivie de procès inédits pour terrorisme, en 2018. La fin de l’exception sénégalaise est plus ou moins actée : en dépit de son système de sécurité, le pays partage bel et bien les mêmes vulnérabilités que les pays sahéliens et peut aussi subir les affres d’un terrorisme domestique. Le péril de l’est stoppe le déni sénégalais.

L’urgence d’agir

Pour bien mesurer à quel point le Sénégal reconnaît désormais l’urgence d’agir contre le terrorisme, il faut se remémorer le dernier sommet du G5 Sahel à N’Djamena. Le président Macky Sall avait annoncé – outre une forte présence sénégalaise au sein de la Minusma – la contribution financière d’un milliard de francs CFA à la lutte contre le terrorisme au Sahel.

La frontière sénégalo-malienne est devenue une préoccupation des forces de sécurité et de défense, qui veulent gagner cette « bataille de l’Est » à tout prix. Ce changement de ton intervient après le démantèlement annoncé d’une cellule de la katiba Macina. Une initiative consécutive à la publication, en février dernier, d’un rapport du Conseil de sécurité faisant état d’incursions jihadistes en territoire sénégalais à partir du Mali, entre autres.

Au-delà de la fin d’un tabou, il y a une libération de la parole aussi bien des officiels que des analystes. L’État semble conscient de la pression sécuritaire dans la zone est du pays depuis Nara, Nioro du Sahel et Kéniéba. La situation reste en revanche insaisissable à la frontière mauritanienne, sur l’axe Gogui-Adel Bagrou, alors qu’émergent les risques réels d’infiltration depuis Kayes et le cercle de Bafoulabé.

Empêcher les couveuses locales

Malgré les mesures d’urgence et les efforts sécuritaires avec la construction de nouveaux camps militaires comme à Kidira, le Sénégal doit faire face un défi majeur : empêcher les groupes terroristes de trouver des couveuses locales. Le plus gros risque serait qu’ils réussissent à créer un terreau en exploitant les frustrations et le sentiment de marginalisation de certaines populations.

Pour parer à une telle éventualité, il faudra des investissements massifs et urgents afin de renforcer le sentiment d’appartenance nationale de citoyens des régions « périphériques ». S’il devient évident que la bataille de l’Est aura bel et bien lieu, il est aussi sûr qu’elle ne se gagnera pas sans la conquête des cœurs, plus durable que la soumission des corps et le tout sécuritaire qui n’a réussi à vaincre le terrorisme nulle part.

(Source : Le Soleil 29/09/2021)

S’exprimant sur la bisbille existante entre la France et le Mali suite au rapprochement Bamako-Wagner, le Directeur régional de Timbuktu Institute pense qu’aucun partenariat conventionnel n’est de trop pour que le Mali recouvre la paix et la stabilité. Selon Bakary Sambe, la sous-région n’a pas besoin de ligne de fracture supplémentaire face aux défis sécuritaires.

Le rapprochement entre la Russie (Wagner) et Bamako ne semble pas plaire Paris qui menace de retirer ses troupes du Mali. Enseignant-chercheur au Centre d’études des religions (CER) de l’Université Gaston Berger (UGB), Ufr Cra, Bakary Sambe, par ailleurs Directeur régional de Timbuktu Institute, a été interpellé sur le développement de ce malentendu durable entre la France et le Mali. Selon lui, l’escalade a commencé depuis l’avant Sommet de Pau et lorsque la France, qui était critiquée au sein de l’opinion publique, avait, par la suite, brandi la menace de se retirer.

            « Je pense que Emmanuel Macron a eu le courage de ses positions, mais dans le ton de son discours, il a manqué quelquefois de tact dans la manière de s’adresser aux autorités africaines. Car, quiconque connait bien la culture africaine sait qu’on ne hausse pas le ton devant l’autorité politique ou traditionnelle », a exprimé M. Sambe. À son avis, ce qui se passe aujourd’hui, ce sont des effets aggravants, notamment avec le coup d’Etat, la manière de gérer la transition. Et a-t-il renseigné, « cette information sur l’arrivée de Wagner a transformé le conflit de perception en une escalade verbale et diplomatique ». Or, pour lui, la région du Sahel, au regard des menaces et des défis partagés à relever, a plus besoin d’une synergie d’action, d’un partenariat franc, que d’escalade diplomatique. 

            Ce qui pousse le Directeur régional de Timbuktu Institute à dire : « Entre le Mali et la France, nous n’avons pas besoin de cette escalade au regard du positionnement stratégique des deux acteurs en jeu. La France reste le partenaire le plus constant dans sa coopération militaire. La sécurité et la stabilité de la région ont besoin d’une synergie entre la France et le Mali. Mon intime conviction est qu’aucun partenariat conventionnel n’est de trop pour que le Mali recouvre la paix et la stabilité ». Estimant qu’on ne doit pas laisser cette crise perdurer, l’Enseignant-chercheur a invité le milieu diplomatique à intervenir afin qu’on puisse retrouver une forme de partenariat équitable répondant aux intérêts et aux priorités du Mali. « Pour moi, ce n’est ni dans l’intérêt du Mali ni dans le rôle de la France en tant que partenaire traditionnel d’entrer dans une escalade infinie pendant que les urgences sécuritaires sont là. Devant l’ampleur des défis sécuritaires partagés, la sous-région n’a pas besoin de ligne de fracture supplémentaire », a conclu Bakary Sambe.

 

En marge de la conférence-débat sur « religions, laïcité et citoyenneté : quels enjeux pour le vivre-ensemble au Mali ? », la nouvelle directrice de Timbuktu Institute-Mali, nous a accordé la première interview depuis sa prise de fonction, la semaine dernière. A la tête de cette structure de recherche-action, prônant la prise en compte des ressources endogènes et l’expérimentation des approches agiles en contexte de crise, Fatima al-Ansar décline sa vision tout en lançant un « appel pressant » à toutes les organisations maliennes travaillant dans le domaine de la résolution des conflits, de la médiation et de la prévention de l’extrémisme violent à « unir leurs efforts dans le cadre d’une coalition inclusive d’acteurs ».

 

L’Indépendant : Vous venez d’être nommée à la tête du Think Tank, Timbuktu Institute, qui est un Centre africain d'études sur la paix. Quelle est la portée de la mise en place de cette structure au Mali, d’autant qu’il y a bon nombre d’organisations qui interviennent sur cette question ?

 

Fatima Al-Ansar : Cette démarche est en droite ligne avec la conférence-débat que nous avons organisée, le samedi 25 septembre dernier. Avant la création de Timbuktu Institute, les différents acteurs, nationaux, régionaux ou internationaux rencontrés et consultés, ont tous déploré soit l’insuffisance de capacités endogènes ou leur non-valorisation dans la recherche de solution aux conflits ou la prévention des crises en Afrique. Saisissant ce retard accusé dans ces efforts de production d’une pensée critique et constructive à la fois pour traiter des grandes problématiques liées à la paix et à la stabilité mais aussi la rareté déplorable de cadres de réflexion prospective valorisant les solutions endogènes et inclusives, Timbuktu Institute s’est voulu un instrument régional pouvant pallier ce manque.

 

L’Indép : Dans ce cas, quelle sera votre recette magique pour y parvenir lorsqu’on sait que d’autres l’ont tenté avant vous ?

 

  1. A :Il faut savoir que l’autre vocation de Timbuktu Institute est la formation des nouvelles générations sur les méthodes et approches innovantes en matière de promotion de la culture de la paix mais aussi le renforcement des capacités des acteurs devant élaborer les politiques publiques. Bien que tenant beaucoup de la dimension endogène des solutions, cela ne nous empêche pas de travailler avec les partenaires internationaux sur les questions liées à la consolidation de la paix et à la prévention des conflits ainsi que des violences qu’elles soient d’ordre politique, identitaire, voire religieux, etc. Mais tout cela en assumant pleinement notre passé riche de ses métissages et brassages. Ces ressources sont parfaitement mobilisables, aujourd’hui, pour accélérer notre processus de réconciliation.

 

L’Indép : Depuis l’éclatement de la crise multidimensionnelle au Mali en 2012, on a tellement entendu de déclarations de bonnes intentions et des vœux pieux. Quels sont vos atouts pour atteindre les objectifs fixés à savoir le retour de la paix?

 

F.A : La différence est que l’installation de l’Institut dans notre pays coïncide avec un moment critique, un tournant où nous n’avons plus le choix que d’avancer ou exposer le pays à une inextricable crise en plus des difficultés actuelles. Justement, dans ma vision à la tête de Timbuktu Institute-Mali, je milite avec des partenaires internationaux du Mali à la co-construction des solutions par une approche qui prenne en compte nos préoccupations.

 

Dans cet esprit d’une approche holistique et inclusive, notre premier programme qui sera bientôt lancé est intitulée « la Parole aux Maliens : pour la réconciliation » s’inscrivant pleinement dans le cadre des documents stratégiques comme la Stratégie nationale de réconciliation et celle sur la prévention de l’extrémisme violent récemment validée. L’échec des stratégies basées sur le « nation building » en Afghanistan nous rappelle qu’il faut écouter le terrain et non pas lui imposer des paradigmes conçus ailleurs.

 

L’Indép : Dans vos propos, vous avez émis l’idée de lancer une large coalition des acteurs de la recherche-action pour des solutions endogènes. En quoi consiste-t-elle ?

 

F.A : Vous savez, il y a tellement de dispersion de précieux efforts dans le cadre des actions menées par les structures de recherche-action comme par les organisations de la société civile malienne. Mais, de plus en plus, on peut noter une réelle volonté de synergie surtout que les urgences nationales sont bien là au point de rapprocher les visions. Timbuktu Institute cherche, dans l’urgence à donner corps à cet esprit unitaire qui se dessine malgré la gravité de la situation. Après la prise de contact avec nombre de ces acteurs dans toutes les régions du Mali, j’entame avec mon équipe, dès la semaine prochaine, une série de rencontres avec les organisations partageant cette vision. Je pense que c’est le moment ou jamais d’agir. Il faut bâtir ces synergies pour booster les initiatives endogènes inclusives, les promouvoir et les appuyer par une réflexion stratégique.

 

Pour moi, ce n’est pas antinomique avec la coopération internationale ; c’est une simple valorisation des solutions que les Maliens eux-mêmes peuvent proposer. Je crois beaucoup plus à cette autonomisation de la réflexion sur nos problèmes qu’à la volonté de jouer des rivalités internationales ou d’importer des conflits. Les Maliens et leur volonté de paix et de réconciliation font aussi partie de la solution. Si nous ne sommes pas autour de la table des solutions nous serons forcément dans le menu des convoitises. Il suffit de créer un déclic et d'avancer vers la réconciliation. Nous en avons les ressources si nous parvenons à faire face aux crises politiques. Reste maintenant la volonté.

 

Source : L’Indépendant

(Extrait de La Tribune*)

L'annonce de la mort du chef de l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a fait la Une des chaînes d'information en continu dans l'Hexagone. « C'est un moment de jubilation temporaire, car les réalités vont vite nous rattraper », tempère Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies et coordonnateur de l'Observatoire de radicalismes et conflits religieux en Afrique. « La mort de Ben Laden n'a pas fait miraculeusement disparaître Al-Qaïda. Ben Laden était un symbole et lorsqu'il est mort, Al-Qaïda lui a survécu. Considéré comme un martyr, il a fait de nouveaux émules. Dans la lutte contre le terrorisme, viser l'élimination des cibles ne suffit pas, car cela ne fait pas disparaître les causes structurelles du problème qui poussent des centaines, voire des milliers de jeunes gens dans la région de Liptako-Gourma vers l'EIGS ».

Franc succès militaire ou effet d'annonce ? Le timing de cette victoire militaire dans le Sahel interroge, à 48 heures des révélations de Reuters« La concomitance avec les tergiversations relatives à la présence supposée de milices étrangères vers le Mali est troublante », observe Bakary Sambe. « Depuis l'annonce précipitée du départ de Barkhane et du dispositif français, il y a eu un flou dans la communication sur le jihadisme de la part d'Emmanuel Macron lui-même qui donne aujourd'hui l'impression d'une volonté de reprise en main de la situation sahélienne », poursuit-il. La reprise en main de l'Hexagone doit néanmoins supporter la concurrence des nouveaux acteurs, et face au retour du multilatéralisme et à la redistribution des cartes géostratégiques, l'heure est à la realpolitik.

« Le multilatéralisme dérégulé a conduit à une forme de pragmatisme diplomatique », explique le directeur du Timbuktu Institute. « Depuis des années, les pays occidentaux semblent impuissants face aux coups d'Etat et n'invalident plus aucune élection présidentielle contestée. Dans les années 1980 ou 1990, lorsqu'un régime enfreignait les règles du droit et la constitution, les sanctions du FMI ou de la Banque mondiale tombaient immédiatement. Aujourd'hui, l'arrivée de nouvelles puissances comme la Chine, la Russie ou le Qatar, moins regardantes sur les questions des droits de l'homme et sur l'Etat de droit, avec des capacités financières considérables, représente une alternative de choix pour les régimes autoritaires, mais elle peut aussi devenir une menace pour la démocratie », prévient l'expert en géopolitique.