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« Les Africains n’ont pas de problème avec le principe démocratique, mais c’est au niveau de sa déclinaison et de son endogénéisation que se situe le débat et s’expriment des attentes, en plus des inconséquences qui l’ont desservi à un moment où le modèle est challengé par d’autres offres dans un contexte lourd de tensions et de compétitions au plan international »
A ainsi entamé Bakary Sambe lors de la Conférence de Lisbonne 2022.
Le Directeur Régional du Timbuktu Institute a été invité à prendre part à la Conférence de Lisbonne 2022. Son intervention a ouvert le panel sur la “hiérarchie des guerres” qu’il devait partager avec d’éminentes personnalités du monde académique comme les Professeurs Paul Collier de l’Université d’Oxford, Raquel Vaz Pinto du Portuguese Institute of International Relations (IPRI) à Nova Lisbon University, Lisbon, Stella Ghervaz de Newcastle University, et Teresa Cravo de l’Université de Coimbra (Portugal). Cette conférence qui se déroule dans le contexte de la guerre en Ukraine et des interrogations sur le devenir du système international, a été fortement marquée par le débat sur les reconfigurations en cours au plan international.
Dr. Bakary Sambe est largement revenu sur la place de l’Afrique dans cette nouvelle géopolitique qui se dessine mais surtout le débat sur la démocratie en tant que principe brandi contre les autocraties dans un contexte de nouvel affrontement entre le monde occidental, la Russie et la Chine. Mais pour Bakary Sambe,
« on ne pourrait repenser la place de la démocratie, notamment en Afrique, sans regarder en face les différentes contradictions des démocraties elles-mêmes, ces dernières décennies ».
Il rappelle, à ce propos, que
« la troisième vague de la démocratie a fini de toucher le continent africain, au début des années 1990, portée à la fois par des dynamiques internes et externes ».
Il souligne que
« sur le plan interne, les difficultés économiques des années 80, les politiques d’ajustement structurel et, dans certains cas, les mobilisations citoyennes, ont contribué au problème de légitimité des régimes autoritaires et, en même temps, à une libéralisation et à des transitions avec des résultats variés ».
De ce fait, selon Sambe,
« sur le plan externe, les liens avec l’Occident et l’effet de levier que les puissances occidentales ont utilisé pour promouvoir les démocratisations, ont été un élément central du processus ».
Cependant, Bakary Sambe a tenu à rappeler que la résurgence de la thématique de la démocratie, comme principe remis à l’ordre du jour, n’est pas anodine. Après le Sommet sur la démocratie, organisé par les Etats-Unis, l’annonce d’un important fonds pour la démocratie par le Secrétaire d'Etat américain, Blinken, le récent lancement, en Afrique du Sud, début octobre, de la Fondation de l’Innovation pour la démocratie appuyé par la France, la récente réunion de jeunes leaders africains à Berlin organisée par l’Allemagne dans le cadre de sa présidence du G7, font dire à Bakary Sambe qu’
« on a l’impression que l’Occident, dans son affrontement avec la Russie et les puissances montantes qu’il qualifie d’autocrates, veut revenir à ses classiques comme la démocratie et l’Etat de droit après des décennies pleines de contradictions dans les pratiques internationales où le pragmatisme autour des intérêts stratégiques l’avait largement emporté sur les principes universels ».
De ce fait, pour le Directeur du Timbuktu Institute
« il semblerait que le changement dans le contexte international, avec la montée de la Chine, de l’Iran, de la Turquie et d’autres puissances, a changé l’agenda des pays occidentaux qui sont entrés dans un processus d’équilibrage économique et stratégique face à Pékin et, ainsi, l’effet de levier qui appuyait les processus de démocratisation a fini par perdre de sa force ».
Sur un autre plan, Bakary Sambe soutient que « la diversification des partenariats économiques a dilué l’importance du « linkage » avec l’Occident, à travers des rapports dénués de toute conditionnalité démocratique comme avec la Chine, ou reposant même sur des transferts des outils et des pratiques autoritaires dans le cas de la Turquie ».
Pour Bakary Sambe,
« il y a un énorme défi à relever, aujourd’hui pour re-booster le principe démocratique et surtout asseoir son acceptabilité universelle auprès des pays africains. Car, rappelle-t-il, depuis les efforts de démocratisation dans les années 90, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts »
Et, poursuit-il
« l’émergence de modèles de développement économique qui se sont opérés dans des contextes non démocratiques, n’a pas manqué de remettre en question le projet démocratique qui a longtemps été présenté à tort ou à raison comme la panacée ».
En quelque sorte, pour Sambe,
« ces modèles ont d’autant plus de succès qu’ils ont semblé inspirer un certain nombre de pays qui apparaissent comme des «success stories», avec notamment le Rwanda et, dans une moindre mesure, l’Éthiopie. C’est dire que le projet démocratique a grandement besoin d’un renouveau pour le mettre hors de portée des « vents défavorables » (Diamond 2019) qui n’épargnent aucune région du monde »
A ce contexte déjà complexe, vient s’ajouter la guerre en Ukraine qui rend moins sereine la réflexion sur la démocratie en tant que principe universel. Pour Sambe, l’analyse de ce conflit a fortement pesé sur le débat. D’après lui,
« ceux qui analysent le conflit sous l’angle de la personnalité de Poutine ne prennent pas en compte la complexité du problème. Il s’agit ici d’analyser les stratégies des États dans leur volonté d’assurer leur survie. L’Occident veut jouer sur l’image d’un Poutine autocrate, alors que si les dirigeants occidentaux sont sans doute moins dominateurs envers leur peuple que Poutine, ils n’en sont pas moins aussi froids et calculateurs face à leurs intérêts ».
Cet ensemble de considérations a amené Dr. Bakary Sambe à conclure que
« le principal défi de l’Occident pour le discours sur la démocratie est celui de la re-crédibilisation aux yeux des opinions publiques africaines ».
Selon lui,
« le projet démocratique a aussi besoin d’une endogénéisation pour qu’il soit perçu, non pas comme une idée occidentale, mais comme une réalité africaine et il faudra prendre en compte les trajectoires historiques et politiques des pays africains avec des exemples tirés de l’Afrique précoloniale ».
Pour ce faire,
« il faudrait redonner la dignité d’expérience historique valorisée aux processus comme celui du royaume Ashanti, l’ancrage socioculturel de la démocratie dans les cultures et le passé africains comme l’exemple et la Révolution Torodo du royaume du Fouta Toro en 1776 avant la Révolution Française de 1789 ».
Cependant, conclura Sambe, « le défi le plus complexe et difficile à relever, et qui semble fondamental, reste celui de recréer du lien sain en assumant un débat sain, critique et continu sur les nouveaux rapports Sud-Nord à repenser et à reconstruire »
Malgré la modernisation, l’Afrique et particulièrement le Burkina Faso reste une société à dominance rurale ancrée sur des valeurs traditionnelles et religieuses. Ces valeurs sociales mettent l’accent sur les valeurs communautaires où le groupe prime sur l’individu. Quant à la religion, au Burkina Faso, les différentes communautés religieuses ne vivent pas simplement côte à côte mais vivent ensemble. Les leaders de ces différentes communautés religieuses sont bien imprégnés de ce qui se passe au sein de la société car étant en contact permanent avec la population. S’intéresser aux comportements des religieux dans la crise à Covid 19 revête un intérêt particulier. En effet, eu égard à leur rôle stratégique au sein de la société, ils constituent des partenaires clés pour les autorités dans la mise en œuvre des politiques publiques surtout celles sanitaires. Cette étude a analysé la contribution et l’implication des acteurs religieux à la prévention de la covid 19 au Burkina Faso. Cette analyse s’est fondée sur des entretiens directs avec des personnes clés, la recherche documentaire et elle a permis de tirer des conclusions et formulé des recommandations.
Effectuée dans le cadre d'un partenariat entre OSIWA et le Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies-, l’étude exploratoire sur les acteurs religieux face à la pandémie de COVID-19 en Afrique de l’Ouest vise à identifier les ressorts de la collaboration entre l’État et la religion dans la gestion des crises sanitaires de grande ampleur. Au Sénégal, l'étude, par le biais de la crise sanitaire, met en lumière la nature oscillante des rapports entre acteurs religieux et politiques. Le jeu habituel dans le cadre de rapports basés sur les logiques d’intérêt ou d’instrumentalisation mutuelle, s’est montré plus complexe lorsque s’y ajoutent des dimensions liées à la gestion du culte, entre impératifs sanitaires et questions religieuses voire existentielles.
Télécharger la note d'analyse : Acteurs religieux et politiques au Sénégal, vers quelles tendances post-Covid19 ?
Quelles conséquences de la guerre russo-ukrainienne pour le continent africain ? Comment L’Afrique se repositionne sur le nouvel échiquier mondial ? Continuera-t-elle à jouer le rôle de variable d’ajustement ou l’Afrique profitera de cette nouvelle conjoncture pour mieux tirer son épingle du grand jeu qui se déroule dans un contexte différent de celui de la guerre froide ? Cette situation inédite assimilable à une « paix chaude » est-elle simplement le fait d’une crise ou ouvre-t-elle de nouvelles perspectives pour un meilleur positionnement africain ?
Dans la chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute en partenariat avec Medi1TV, Dr. Bakary Sambe appelle à une lecture africaine réaliste de ce conflit qui selon lui révèle que « la fragilité de la paix mondiale appelle à un changement de paradigme et impose un nouveau regard sur la notion de sécurité collective ».
Dr. Sambe, depuis le déclenchement de ce conflit russo-ukrainien, vous appelez constamment à une lecture africaine réaliste de la nouvelle géopolitique qui se dessine afin que, je vous cite, « le continent ne subisse pas ce nouveau grand jeu mais en devient un acteur à part entière ». Quelle est, en réalité, cette lecture africaine que vous préconisez ?
Vous savez, ceux qui analysent le conflit sous l’angle de la personnalité de Poutine dans son rapport avec l’Occident et les démocraties libérales, font fausse route. Il s’agit d’analyser tout simplement les stratégies des États dans leur volonté d’assurer leur survie. Ceux qui l’analysent sous le prisme du droit international sont aussi soit naïfs soit de mauvaise foi. Il est triste de le constater mais le droit international ne s’applique pas aux grandes puissances, c’est là d’ailleurs la principale raison du droit de veto. C’est d’offrir à certains États la possibilité de s’extraire du caractère impératif du droit international. L’OTAN est intervenue en Yougoslavie sans mandat de l’ONU et a poussé l’organisation à sortir une résolution pour légitimer a posteriori l’intervention. Ce qui se passe actuellement est ce qu’on appelle en théorie des Relations Internationales un dilemme de sécurité. Parce que l’inclusion de l’Ukraine dans l’Otan signifie pour la Russie une vulnérabilité, notamment en réduisant son accès à la Mer noire. C’est pour cette même raison que Poutine avait d’ailleurs annexé la Crimée. Les deux blocs vont multiplier les terrains d’affrontement. Et cette nouvelle situation doit alerter l’Afrique.
Donc, Bakary Sambe, si je vous comprends bien l’Afrique pourrait devenir un de ces terrains d’affrontement. Quels sont les éléments qui vous poussent vers cette analyse ?
Cet affrontement par pays interposés a beaucoup marqué l’ordre international ces dernières années et nous a installé dans ce que je pourrais appeler une « paix chaude » c’est à dire une paix sous laquelle bouillonne des antagonismes que l’on essaie de régler par des conflits par procuration. La Syrie est l’exemple parfait, et même le Mali se dirigerait vers ce sens-là. c’est donc dire que pour avoir la paix, celui qui a le moindre coût à payer doit faire le plus de concession. Il ne faut pas l’oublier, les deux camps que nous avons en face , se sont affrontés indirectement en essayant de dérouler une stratégie de « regime change » c’est-à-dire en appuyant leurs alliés locaux pour qu’ils aient le pouvoir. Aujourd’hui, nous sommes en plein dans la configuration qui nous permet de convoquer la notion de off-shore balancing qui est le mécanisme par lequel les grandes puissances classiques s’assurent que le basculement stratégique du continent, qui, aujourd’hui, peut changer la configuration des puissances sur la scène internationale, ne se fera pas à leur dépens ou même mieux se fera à leur avantage. Nous l’avons, récemment, vu avec le discours tenu par le Président Macky Sall devant Vladimir Poutine expliquant que le continent ne votait plus sur injonction ou par simple alignement. Cet acte posé montre que la voix de l’Afrique pourrait être désormais plus audible
Est-ce donc la fin du paradigme de la domination ou le début de l’ère d’une renégociation des rapports de force dans un nouveau contexte international que vous semblez décrire comme pouvant ouvrir de nouvelles perspectives pour notre continent ?
Oui, absolument, Aujourd’hui, la situation a changé et l’Afrique, si seulement son leadership politique en devenait conscient, devrait mieux tirer son épingle de ce nouveau grand jeu. Pour trois raisons au moins : D’abord, nous sommes dans un monde divisé dans lequel les alignements sont à la fois multiples et diffus. Ensuite, nous sommes dans un monde ou la distribution de la puissance est très fragmentée avec l’effet combiné de puissances classiques qui déclinent, de puissances émergentes qui montent, et d’une multitude d’Etats qui réclament le statut de middle power. Enfin, et c’est cela le déclic, nous sommes dans le contexte d’une Afrique qui par le double effet d’une élite de plus en plus décomplexée et d’une population plus exigeante, cherche à mieux tirer son épingle dans le jeu des relations internationales. Dans ce contexte qui, pour une fois, peut nous être très profitable, l’Afrique passe, du moins dans les perceptions, d’une zone acquise, de simple variable d’ajustement, à une zone plus confortable et avantageuse dans laquelle son influence et son poids pourraient décider de la balance du pouvoir à l’échelle internationale.
Pr. Mohamed Cherif FERJANI[1]
Président du Haut-Conseil, Timbuktu Institute
Les Africains sont partagés par rapport à l’intervention russe en Ukraine. D’une part, ils souffrent des conséquences de cette guerre et plus particulièrement de la pénurie des produits de première nécessité que leurs pays importaient de l’Ukraine et de la Russie. D’autre part, ils ne comprennent pas pourquoi les pays de l’OTAN, et plus particulièrement les Etats-Unis et les pays européens, dont la Grande Bretagne et la France qui ont longtemps dominé leurs pays, se mobilisent tant contre l’intervention russe dans ce pays alors qu’ils ont fermé et ferment les yeux sur d’autres interventions dans d’autres pays : celles des Etats Unis eux-mêmes en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie et dans bien d’autres pays, celles de la France en Libye, au Mali, et dans d’autres pays, celles de la Turquie au Nord de la Syrie, celle de l’Arabie et des Emirats, soutenus par l’Egypte, les Etats-Unis et la France, au Yémen ; sans parler de l’impunité assurée à Israël malgré ses agressions permanentes contre les Palestiniens et ses pays voisins. la Russie elle-même était intervenue en Géorgie (1991-1993), en Ossétie (en 1992 et en 2008), au Tadjikistan (1992-1997, en Tchétchénie (1999-2009), dans le Caucase (1992-1997), en Crimée et dans le Donbass depuis 2014, en Syrie, en Libye et dans plusieurs pays africains, directement ou par le
biais du Groupe Wagner depuis sa création par un ancien officier de l’armée rouge en 2013, etc.
Les Africains, comme d’autres peuples, ne supportent plus cette logique de deux poids deux mesures. Ils ne peuvent pas s’empêcher de voir dans l’attitude des pays de l’OTAN une solidarité inhérente aux liens culturels et religieux entre l’Ukraine et les pays européens et à l’Amérique du Nord. Ils ne sont pas les seuls à penser que c’est une confirmation de la volonté de l’OTAN d’étendre ses bases dans des pays appartenant auparavant au Pacte de Varsovie. Ils ne sont pas loin de partager, sur cette question, le point de vue de la Russie qui se dit menacée par l’OTAN accusé de ne pas avoir tenu ses promesses à Gorbatchev, en 1989, concernant la non intégration des anciens pays du Pacte de Varsovie à l’OTAN, alliance qui a perdu sa raison d’être avec la fin de son rival, le Pacte de Varsovie. Par ailleurs, la sympathie de beaucoup d’Africains à l’égard de la Russie, mais aussi à l’égard de la Chine, se nourrit des déceptions à l’égard des Etats-Unis, de la France, de l’Europe, dont les politiques actuelles en Afrique sont perçues comme le prolongement de leur passé colonial et esclavagiste. Ils ne leur pardonnent ni leur soutien aux dictatures en place dans beaucoup de pays africains, ni les catastrophes consécutives à leurs interventions sous couvert de lutte contre le terrorisme, d’aide au développement et de promotion de la démocratie et des droits humains.
Les Africains n’ont pas tort de voir la main des Etats-Unis et de l’Europe derrière les politiques néolibérales imposées à leurs pays par le FMI, la Banque Mondiale, les institutions financières internationales et l’OMC, au nom du nécessaire réajustement structurel, de la vérité des prix, de l’ouverture sur le marché international, de la libre circulation des capitaux et des marchandises, du désengagement économique et social de l’Etat. Ces politiques ont aggravé partout les inégalités entre le Nord et le Sud et dans chaque pays ; elles ont condamné à la faim et à la misère des millions d’Africains, fermé la porte devant l’intégration des jeunes et des moins jeunes qui se voient condamnés à tenter l’émigration vers les pays riches du Nord ou, à défaut, à rejoindre les groupes armés, les mouvements jihadistes comme Boko Haram, l’Etat islamique du Grand Sahara ou d’autres groupes jouant sur la mobilisation des solidarités religieuses, ethniques, tribales, territoriales, groupes qui se livrent sans scrupules aux trafics de toute sorte.
Déchantant des promesses de développement, de démocratie, de liberté et des promesses de progrès social, jeunes et moins jeunes deviennent des candidats à la mort sur le chemin de l’exil à travers le Sahara et dans les eaux de la Méditerranée devenue le pls grand cimetière africain, ou dans les rangs des groupes armées du Jihad, des guerres ethnico-tribales et des réseaux de trafic de tout genre (contrebande, drogue, vente d’êtres humains renouant avec les forme les plus rétrogrades de l’esclavage, etc.). La Russie de Poutine, la Chine, voire la Turquie ou l’Iran, sont à leurs yeux les « alliés de leur revanche sur le colonialisme, et sur les nouveaux visages de l’exploitation et de l’oppression incarnés par les multinationales et les armées de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Europe, des Etats-Unis et de leurs alliés. C’est pourquoi, sans chercher à comprendre les raisons qui ont poussé la Russie à intervenir en Ukraine, ils lui donnent raison rien que parce que l’Europe et les Etats-Unis ont volé au secours de l’Ukraine, sans se soucier du droit du peuple ukrainien à se défendre contre l’agression de son puissant voisin. Beaucoup de ceux qui applaudissent l’intervention de l’armée de Poutine en Ukraine étaient, à raison, choqués et indignés par les interventions russes en Afghanistan, dans le Caucase, en Tchétchénie, ou par le politique de la Chine à l’égard des Ouïgours.
Ils ne cherchent pas à faire le lien entre l’intervention russe en Ukraine et d’autres interventions dans d’autres pays ou régions du monde qu’ils dénoncent à raison, sans problème. On reproduit ainsi le réflexe de « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » ; on applaudit les coups d’Etats des juntes qui font appel au soutien du Groupe Wagner et de la Russie, de la Chine ou d’autres pays prêts à prendre la place de leurs rivaux ... Ils persisteront dans cette attitude jusqu’au jour où les nouvelles juntes au pouvoir et leurs soutiens étrangers se trouveront confrontés à de nouvelles émeutes de la faim, de nouvelles explosion de désespoir ; ou jusqu’au jour où les nouveaux maîtres se trouvent nez-à-nez avec les groupes jihadistes et groupes armés de toute sorte qui surfent sur la colère des populations à nouveau oubliées, comme on commence à le voir au Mali, où l’Etat Islamique au Grand Sahara a profité du vide laissé par le départ des derniers soldats français engagés dans l’opération Berkane pour prendre pied dans la région de Gao et Ménaka, près de la frontière avec le Niger.
C’est pourquoi les peuples africains ont intérêt à se montrer solidaires avec tous les peuples victimes d’agressions, quels que soient les agresseurs et quelles que soient leurs victimes. Ils doivent tirer les leçons de l’histoire montrant qu’il ne faut pas faire confiance à des puissances qui n’ont aucun scrupule à dominer d’autres pays et qui ne cherchent qu’à supplanter leurs rivaux pour conquérir des marchés, piller des richesses, s’assurer des positions stratégiques, sans se soucier du sort des populations des pays qu’elles dominent.
*cet article est une tribune libre et ne reflète pas forcément une position de l’institut
Dr. Bakary Sambe est directeur régional de Timbuktu Institute- African Center for Peace Studies (Dakar, Niamey, Bamako), un think tank régional leader dans le domaine de la réflexion stratégique et la prévention des conflits. Fondateur de l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique, Sambe est enseignant-chercheur à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal). Ses travaux actuels portent sur les stratégies endogènes en matière de prévention et de résolution des conflits, les dynamiques transfrontalières et l'expérimentation d'approches agiles dans les zones de crise.
Source : seneweb.com
Dans cet entretien accordé à Seneweb, il analyse la visite de Macky Sall en terre malienne pour la première fois depuis l’arrivée du Colonel Assimi Goïta au pouvoir. Le chercheur pose, également, son regard sur la guerre d’influence que se livrent les puissances étrangères sur le sol africain.
Le Président Macky Sall s’est rendu au Mali en visite officielle. Pour beaucoup, l’objet principal de la visite reste l’affaire des 49 militaires ivoiriens. Pensez-vous la même chose ?
Je ne peux croire que ce soit la seule raison. Le président Sall est allé au Mali à un double titre : en tant que chef d’Etat d’un pays voisin mais aussi avec la casquette de Président en exercice de l’Union Africaine. Il y a, d’abord, la question centrale de la conduite à terme de la transition qui a été la pomme de discorde entre la junte et la CEDEAO. Ensuite, l’insécurité grandissante dans ce pays qui, malgré tous les discours contre toute réalité sur une montée en puissance des FAMA (Forces Armées Maliennes), est en train d’inquiéter tout le monde. Il ne faut pas non plus négliger les préoccupations liées exactions au Centre du pays depuis les évènements de Moura et de Hombori qui risquent d’avoir comme contrecoup une exacerbation des velléités ethnico-communautaires dont les effets seraient dévastateurs pour la stabilité du Mali et de toute l’Afrique de l’Ouest. La réalité à intégrer est que la situation malienne est préoccupante et mériterait une implication plus prononcée de la CEDEAO et de l’Union africaine si on ne veut pas assister, encore de manière passive, au débordement de l’épicentre de la violence sur toute la région.
“Les récentes attaques qui ont pu atteindre Kati, le cœur stratégique et centre névralgique du pouvoir, sont les signes d’une totale défaillance du système de sécurité”
Est-ce que cette visite pourrait faire changer la dynamique empruntée par le Mali en ce moment ?
Je ne sais pas ce qui s’est dit en coulisse, mais derrière les rideaux diplomatiques, il faudra nécessairement aborder la question du calendrier de la transition, la place des partenaires internationaux et l’avenir de la Minusma. Je suis de ceux qui pensent que ce pays voisin n’a pas pris la meilleure trajectoire pour le moment. Les récentes attaques qui ont pu atteindre Kati, le cœur stratégique et centre névralgique du pouvoir, sont les signes d’une totale défaillance du système de sécurité. Avant cela, il y a eu d’abord Douentza qui n’avait pas subi d’attaques importantes depuis 2017, puis la position stratégique de Ségou, un point-clé ouvrant sur tout l’axe menant du Mali à la Côte d’Ivoire. Ensuite, c’est autour de Kolokani dans la région de Koulikoro, la porte de Bamako permettant d’avancer sans entraves vers l’Ouest. C’est après qu’il y a eu ce qu’on pourrait appeler le revers de Kati, le cœur stratégique et symbole de la sécurisation de Bamako, abritant le siège politique de la Transition, domicile de l’homme fort du régime, le Colonel Assimi GoÏta et du puissant ministre de la défense, Sadio Camara. Malgré cette réalité frappante, la quête de légitimité du pouvoir en place continue d’être bâtie sur des discours populistes, la recherche effrénée d’ennemis du Mali partout et l’instrumentalisation du sentiment nationaliste dans lequel, malheureusement, même des intellectuels et analystes africains sont tombés. Ceci au point de nier la réalité dérangeante de l’échec politico-militaire qui marque le contexte malien. Dans un tel contexte, il faudrait des initiatives urgentes et j’espère que la visite du Président Macky Sall n’a pas été un one shot ou un coup d’éclat diplomatique. La situation du Mali mérite une mobilisation urgente.
“La position sénégalaise à l’ONU lors du vote des sanctions contre la Russie lui a finalement permis d’être entendu par Poutine”
Macky Sall est allé à Bamako après s'être rendu en Russie récemment. Est-ce le signe d'un rapprochement sénégalo-russe ?
Vous savez, les principes généraux de la diplomatie sénégalaise n’ont pas beaucoup changé. D’abord, une diplomatie de bon voisinage initiée par Senghor, perpétuée par ses successeurs et caractérisée par des principes directeurs comme la retenue, le partage, la jonction des intérêts, la concertation permanente, la solidarité africaine et la complémentarité sous régionale. Donc, une visite au Mali dans ce contexte n’a pas forcément besoin de soubassements internationaux. Si vous faites allusion à la visite du Président Sall en Russie, on a vu qu’il l’avait bien mise sous le parapluie de l’UA ; ce qui explique le déplacement à Moscou avec le président de la commission de l’Union africaine, Faki Mahamat. La position sénégalaise à l’ONU lors du vote des sanctions contre la Russie lui a finalement permis d’être entendu par Poutine sur un sujet qui n’a pas non plus fâché ses alliés occidentaux. Cela s’appelle sauver le chou et la chèvre bien que l’équilibrisme ait ses limites dans le temps. Malgré tout, c’est cette retenue qui a fait que notre pays puisse demeurer dans le jeu surtout dans cette excellente position de pouvoir parler à tous sans fâcher grand monde. Mais sur le Mali, le Sénégal doit prendre conscience qu’il a une responsabilité particulière au regard non seulement du continuum socioculturel et historique mais aussi sur le plan sécuritaire.
“L’Afrique est en train de jouer encore une fois le rôle de variable d’ajustement pour certaines puissances”
Tour à tour, le ministre Russe des Affaires Étrangères, le Président Français, Emmanuel Macron et Antony Blinken, le Secrétaire d’Etat américain ont fait des tournées en Afrique. Est-ce la confirmation de la perte de vitesse de l’Occident sur le continent ?
L’Afrique est en train de jouer encore une fois le rôle de variable d’ajustement pour certaines puissances. Nous sommes comme dans un air d’ancien nouveau temps : une véritable guerre, pas si froide que ça. Le nouveau grand jeu qui se déploie sous nos yeux rappelle que les deux camps qui s’affrontent aujourd’hui l’avaient déjà fait indirectement en essayant de dérouler une stratégie de « regime change » c'est-à-dire en s’appuyant sur leurs alliés locaux pour qu’ils aient le pouvoir. Cet affrontement par pays interposés, comme vous le savez, a beaucoup marqué l’ordre international ces dernières années et nous a installé dans ce qu’on pourrait appeler une « paix chaude » c’est à dire une paix sous laquelle bouillonne des antagonismes que l’on essaie de régler par des conflits par procuration. La Syrie est l’exemple parfait, et même le Mali se dirigerait dans le même sens et peut-être pas que le Mali. Aujourd’hui face à la Chine dont l’influence par les infrastructures a pu faire oublier les idéaux de démocratie et de droits humains, on dirait qu’il resurgit un bloc occidental qui retourne à ses classiques autour d’idéaux à universaliser. Après le sommet pour la démocratie organisé par les USA, le Nouveau Sommet Afrique-France de Montpellier en 2021, les Etats-Unis et la France se rejoignent, en Afrique, sur la promotion de telles valeurs malgré la différence de styles. Une autre cause commune va davantage les rapprocher : contrer l’influence grandissante de la Russie, combat qui se mènera sous le signe de la lutte contre l’autocratie et la promotion de la démocratie.
“Sur le plan diplomatique, Macky Sall a moins secoué le cocotier que le Président Wade bien qu’il ait profité des ouvertures entreprises sous son magistère”
Récemment Macron a pointé l'hypocrisie de certains dirigeants africains qui mettent dos à dos la Russie et l'Ukraine. Certains ont estimé qu'il visait Macky Sall. La position sénégalaise fâche-t-elle ses alliés traditionnels ?
Aujourd’hui, nous sommes en plein dans la configuration qui nous permet de convoquer la notion d’« off-shore balancing » qui caractérise la nouvelle bataille qui se déploie sur le continent. Il devient le mécanisme par lequel les grandes puissances classiques s’assurent que le basculement stratégique du continent qui peut changer la configuration des puissances sur la scène internationale, ne se fera pas à leur dépens. Lorsque Antony Blinken dit clairement, sans complexe, que l’avenir du monde se jouera en grande partie sur le continent africain, c’est que les Américains, contrairement à d’autres restés sur de vieux schémas, ont réellement compris qu’il était temps de changer de paradigme. Dans ses relations avec les autres pôles du monde, les grands principes de la diplomatie sénégalaise ont toujours reposé sur le non-alignement, le règlement pacifique des conflits, le dialogue, la recherche constante de la paix, la non-ingérence dans les affaires des Etats et l'ouverture au monde. Mais, à l’heure du soft power, ces principes ont fait leur temps. Il est vrai que, sur le plan diplomatique, Macky Sall a moins secoué le cocotier que le Président Wade bien qu’il ait profité des ouvertures entreprises sous son magistère.
“La leçon à tirer de l’insécurité grandissante au Mali est que malgré la présence de la Russie, l’armée n’a pas pu déjouer une attaque dont les signes annonciateurs étaient nettement perceptibles depuis l’avancée à partir du Centre du pays”
Est-ce que la présence de la Russie est à craindre ? Face à cette guerre de positionnement entre l’occident et la Russie, quelle posture devrait adopter l’Afrique ?
Nul ne peut nier l’importance stratégique de l’Afrique qui, à mon avis, va continuer à s’accroître pour, au moins, trois raisons. On est en face d’un monde divisé dans lequel les alignements sont à la fois multiples et diffus. Il y a aussi le fait que, dans le monde actuel, la distribution de la puissance est très fragmentée. Enfin, il y a l’effet combiné de puissances classiques qui déclinent, de puissances émergentes qui montent, et d’une multitude d’Etats qui réclament le statut de middle power. Logiquement incomprise et continuant d’interroger, la posture du Sénégal lors du vote des sanctions contre la Russie reste floue et était, quelque part, révélatrice d’une frilosité face à la montée du discours populiste nationaliste chez nous aussi. Mais au final et en apparence, le discours du Président Macky Sall devant Poutine paraissait comme pour expliquer que le continent ne votait plus sur injonction ou par simple alignement. Je crois personnellement qu’on est en présence d’une Afrique qui, par le double effet d’une élite plus décomplexée et d’une population plus exigeante, cherche à mieux tirer son épingle dans le jeu des relations internationales. Cependant, Macky Sall semble aussi bien avoir en tête la nécessité du soutien international, aujourd’hui, à la tête du Sénégal ou demain s’il était tenté par d’autres horizons.
Vous travaillez beaucoup sur le terrorisme djihadiste. L'hydre se répand au Togo, en Rdc et s'est installée durablement au Mali, au Niger et au Burkina. Comment le Sénégal fait face à cette menace tentaculaire ?
Il y a eu une erreur d’appréciation dès le début de la crise sahélienne en extrayant le Sahel central du reste de l’Afrique de l’Ouest en ignorant complètement, ce que j’appelle souvent, le débordement progressif des épicentres. Je vais être franc avec vous. La leçon à tirer de l’insécurité grandissante au Mali est que malgré la présence de la Russie, l’armée n’a pas pu déjouer une attaque dont les signes annonciateurs étaient nettement perceptibles depuis l’avancée à partir du Centre du pays. La réalité est que le Mali a plus que jamais besoin du soutien de ses voisins comme de la communauté internationale. La lutte contre le terrorisme dans ce pays et la circonscription de la menace sont d’un enjeu vital pour la sécurité régionale. Comme je le répète, aussi, souvent, l’insécurité au Mali n’est plus seulement un problème malien, mais une préoccupation régionale prioritaire qui mériterait un plus grand engagement. Mais on connaît le dilemme dans les relations avec ce pays où on vient à peine de sortir du bras fer des sanctions de la CEDEAO en espérant une issue politique. Comment, dans ce contexte tendu, préconiser un engagement en faveur d’un pays en transition difficile et où la légitimité des actuels gouvernants se construit sur le rejet et la méfiance vis-à-vis des voisins ?
(Par Hervé BRIAND - Sahel Senior Analyst)
La nouvelle stratégie ou plutôt les ambitions de la France en Afrique de l'Ouest, et plus particulièrement au Sahel sur les plans sécuritaire et militaire,
semblent aujourd'hui plus pragmatiques, mais aussi plus discrètes, via une communication plus harmonieuse vis à vis des populations locales,
et ce aux fins d'une efficacité escomptée accrue.
Si les militaires français de la force Barkhane se mettent donc aujourd'hui davantage en appui des pays sahélo-sahariens demandeurs, de plus façon discrète,
sur les plans logistique et technique (Renseignement...), ils se mettent également à la disposition opérationnelle et tactique des armées locales, mais désormais,
uniquement sous le pouvoir décisionnel et à la demande expresse de ces États africains concernés.
C'est ce changement de paradigme qui fait toute la différence auprès des États-Majors militaires locaux, mais surtout vis à vis des Africains eux-mêmes.
Il y a lieu de croire que cette nouvelle méthode sécuritaire française, plus empreinte d'humilité, de complémentarité, de confiance et de respect réciproque
sera davantage comprise et davantage "acceptée" par les populations locales. À cet égard, un changement de nom de l'opération « Barkhane »
serait d'ailleurs plus approprié à la nouvelle approche et aux nouvelles missions de la force française d'appui militaire.
La communication militaire française devrait ainsi être davantage axée sur le respect des souverainetés des pays sahélo-sahariens et sa "mise à la disposition"
(y compris sporadiquement, voire au cas par cas...) des États concernés qui en font expressément et clairement (publiquement et/ou médiatiquement) :
Niger, Burkina Faso, Tchad, Bénin, Togo, mais aussi Mali, Libye... C'est cet "appui militaire à la demande" et de fait, ce "soutien manifeste au maintien de la
sécurité et de la paix", qui seront mieux admis et intégrés par les populations africaines les plus sceptiques dans ces zones de conflits multidimensionnels.
Suite au retrait militaire de la France au Mali, c'est au Niger, dans la région de Tillabéri, dans le cadre de l'opération militaire "ALMAHOU", que les postes aux frontières
bénéficient déjà de cette nouvelle stratégie/approche militaire française et se trouvent ainsi désormais renforcés discrètement au sein de cette zone poreuse dite
"des trois frontières" (Niger, Mali, Burkina Faso), avec une rapidité d'intervention sur zone aujourd'hui très largement accrue.
Toutefois, il paraît essentiel d'accentuer encore davantage le "Renseignement Nomade", notamment au cœur des communautés Peules et Touarègues,
mais également de développer plus intensément les réseaux tribaux locaux et régionaux, au travers des associations "femmes et enfants" en particulier...
Par ailleurs, dans le même temps, si les États africains, sous les pressions populaires, font face à une exigence accrue de souveraineté, ils doivent aussi prendre ou reprendre leur destin en main et affronter, à l'instar des autres pays du monde, des impératifs ou des souhaits d'indépendance ou de diversification d'ordre militaire, économique, mais aussi et surtout alimentaire et énergétique. C'est en ce sens que le pluralisme, d'abord économique, mais aussi énergétique, alimentaire et/ou sécuritaire, s'est donc installé progressivement en Afrique de l'Ouest et au Sahel en particulier, ces dernières années, probablement au détriment de la France...
Ainsi, bien qu'il n'y ait pas de développement possible sans paix durable, il semble que la France pâtisse de ce que j'appellerais un "effet Tunnel Barkhane", finalement plutôt antagoniste avec l'idée de développement économique, ce, dans l'esprit d'une partie des populations et certains investisseurs locaux, qui se sont tournés au fil du temps vers le pluralisme et d'autres partenaires économiques européens (Allemagne, Belgique, Luxembourg, Italie...), asiatiques (Chine, Inde, Japon...), moyen-orientaux, turcs ou russes...
Le fait que les autorités françaises aient misé depuis une dizaine d'années (et notamment depuis l'opération salvatrice "Serval"), probablement à tort, pour la majeure partie de leur stratégie et de leur politique ouest-africaine, sur une présence massive et relativement médiatique des forces armées françaises au Sahel, via l'opération de libération "Serval" au Mali, puis surtout avec l'opération de longue durée "Barkhane", a renvoyé l'image de la France comme une présence et une puissance exclusivement militaires, plutôt qu'un investisseur et un partenaire financier potentiel de premier plan.
Dans l'esprit d'une partie des populations sahélo-sahariennes la France renvoie, ainsi, depuis plusieurs années, l'image quasi-exclusive de "Barkhane" et d'une force armée étrangère jugée parfois injustement au fil du temps par certains comme une "force d'occupation" sur leur territoire...
Ainsi, "l'effet Tunnel Barkhane" semble avoir étouffé en partie aux yeux de certains, en tout cas médiatiquement ces dernières années, l'aspect primordial du développement économique, mais aussi culturel, dans les zones sahélo-sahariennes en corollaire des missions régulières de la force armée Barkhane, et ce, probablement au détriment des intérêts de la France elle-même...
Or, la France ne peut pas et ne doit surtout pas se réduire à "Barkhane" !
Essentiellement focalisée sur le domaine sécuritaire et la lutte contre le terrorisme, certes essentiels, les autorités françaises n'ont donc, probablement, pas assez accentué leur communication sur les aspects économiques, sociaux et culturels et les aides financières et techniques pourtant apportés à des projets de développement au Sahel.
Aussi, certains ressortissants ouest-africains, notamment au sein des diverses communautés sahariennes, n'ont sans doute pas la conscience et la connaissance des autres dimensions économique et culturelle de la présence et politique globale française au Sahel. La France remplit pourtant inlassablement au Sahel, et plus généralement partout en Afrique, ses actions et ses devoirs dans les domaines humanitaire, économique, social et culturel, j'en suis le témoin le témoin privilégié...
Mais si la communication à cet égard a sans doute été plutôt défaillante, force est de constater que pendant les "années Barkhane" les autres puissances concurrentes mondiales ont considérablement accéléré leurs implantations et élargi leurs influences diplomatiques, sécuritaires mais surtout économiques, en Afrique, parfois il est vrai au détriment de la France : Allemagne, Italie, Russie, Japon, Chine...
Dans le même temps, il est vrai que les pays africains jouent de cette concurrence et de ce pluralisme économique bienvenus qui s'offrent à eux... Il faut donc l'accepter !
C'est donc, aujourd'hui, davantage, sur le volet du développement économique, social, alimentaire et culturel qu'il conviendrait d'axer prioritairement et avec acharnement la communication des autorités françaises vis à vis de l'ensemble de la zone d'Afrique de l'Ouest (des zones sahélo-sahariennes, des pays du golfe de Guinée jusqu'au Sénégal...).
Enfin, le sentiment "anti-français" que l'on observe plus généralement aujourd'hui en Afrique de l'Ouest, via les officines étrangères (mais aussi intérieures) de propagande "anti-France", et qu'il faut combattre de manière plus appropriée, via notamment les réseaux sociaux et la promotion du développement économique, trouve probablement également son origine dans la posture jugée souvent trop oppressante, voire parfois ressentie par certains locaux comme arrogante, d'une France semblant imposer ses discours, ses choix politiques et ses décisions, notamment militaires, aux États africains concernés...
À cet égard, le discours préventif et bienveillant d'un ancien pays colonialiste sur l'hégémonie impérialiste russe, s'il est bien entendu parfaitement recevable auprès des autorités locales, peut toutefois ne pas paraître totalement "audible" ou "crédible" par une partie de la "rue africaine" qui tend désormais à ne surtout plus vouloir et accepter que des États étrangers (ex-colonialistes ou hégémoniques) lui "donne des leçons d'indépendance"... Certains discours occidentaux peuvent paraître parfois "contre-productifs" et susceptibles d'alimenter encore davantage un certain rejet de l'Occident et des "dictats" politiques, économiques, culturels ou sécuritaires.
À cet égard et à titre d'exemple, il en va de même concernant l'idée de création éventuelle d'une force "anti-putsch" au sein de la CEDEAO (Communauté Économiques des États de l'Ouest Africain) : si elle paraît légitime, ses éventuelles interventions (même au cas par cas) devraient, là encore, être très probablement engagées sous couvert d'un assentiment tacite "fort" des populations concernées, à défaut de s'exposer à un rejet ou à un procès en illégitimité du "contre-putsch" de la part d'une population locale fortement ancrée contre le pouvoir alors renversé... Il convient en effet de rappeler que les juntes militaires dites "pouvoirs de transition" notamment au Mali ou en Guinée Conakry (voire au Burkina Faso) sont toutes issues, certes de manière très opportuniste et "anti-démocratique", du fort mécontentement et du soulèvement populaire des populations locales, révoltées et lassées ces dernières années par les "mal-gouvernances" et la corruption endémique des anciens régimes et parfois de leurs dirigeants, pourtant élus "démocratiquement" et à ce titre soutenus alors par les Occidentaux...
Loin de légitimer les putschs en Afrique, c'est bien sûr le processus démocratique qu'il faut soutenir avec acharnement, en privilégiant les alternances politiques et en exerçant surtout une "pression légitime" de l'Occident en faveur des "bonnes gouvernances"...
Mais, soutenir, même tacitement, les "mal-gouvernances" est toujours une arme destructrice avec effet "boomerang" pour les Occidentaux !
Ce sont donc, de manière générale, toutes ces postures parfois "improductives", de moins en moins audibles et acceptées par les populations africaines, et surtout sa jeunesse, qu'il conviendrait aujourd'hui de "lisser" publiquement ou de réserver aux seuls dirigeants en place sous le sceau des discussions diplomatiques...
Médiatiquement, c'est un discours français plus proche et plus en phase avec les attentes concrètes et pragmatiques des populations locales (ouest-africaines et sahélo-sahariennes) en termes de développement économique et énergétique, de la jeunesse, d'une écologie durable, qu'il conviendrait de privilégier, plutôt qu'un certain suivisme ou attentisme des pouvoirs africains en place...
Enfin, la diplomatie française a, elle aussi, un rôle de premier plan à jouer dans la "restauration" de l'image de la France en Afrique : elle doit sans doute transformer son statut de "vieille diplomatie à la française" (avec ses atouts indéniables et souvent cruciaux au cours de l'Histoire...) en "INDUSTRIE DE LOBBYING POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE" décomplexée au service aujourd'hui des partenariats commerciaux, financiers, des contrats et des projets de développements économiques, alimentaires, énergétiques et culturels en tous genres, entre les acteurs français et africains, et ce, avec une couverture médiatique appropriée : presse, télévision, radio et réseaux sociaux... !!
Si l'on n'écoute pas aujourd'hui la "rue africaine" (Niamey, Bamako, Ouagadougou...), les diverses communautés sahélo-sahariennes (Touaregs, Peuhls, Toubous...), mais aussi côtières (Sénégal, Côte d'Ivoire, Guinée...), et qu'on ne répond pas à leurs aspirations concrètes et légitimes en termes de développement économique et alimentaire, d'indépendance énergétique et sécuritaire, alors toute l’Europe et la France en subiront les diverses conséquences sécuritaires et même migratoires.
[1] NB : les idées et positions soutenues dans cet article de contribution n’engagent pas Timbuktu Institute et reflète strictement l’opinion de l’auteur