¨Par Dr. Bakary Sambe

Depuis le coup d’Etat du 18 août, tout semble tourner en rond au Mali où, pourtant, l’urgence est partout. Passées l’émotion et la paradoxale euphorie qui ont accompagné les forces spéciales entrant dans Bamako depuis le camp de garnison de Kati après des mois de lutte pour plus de démocratie, il faudrait, maintenant, regarder la réalité en face.

La jeunesse malienne qui, par dépit ou espoir, s’était rangée avec la classe politique désemparée derrière un imam Dicko prêchant la bonne gouvernance, doit certainement s’interroger sur ce fait inédit après le départ d’IBK qui représentait, à ses yeux, la « soumission du pays à la France ». Le rêve de démocratie, de rupture et de réformes a finalement débouché sur l’arrivée d’une junte annonçant de bonnes intentions à défaut de mesures ou de solutions, mais pas encore son départ. Avant de se raviser, n’avait-t-elle pas réclamé, initialement trois ans de transition… militaire ?

Au-delà du vent du nationalisme et de l’anti-impérialisme qui a soufflé au Sahel le temps d’un coup d’Etat qui aurait concrétisé le rêve de la fin de « l’emprise française », la réalité malienne, elle, reste inchangée et préoccupante. Malheureusement, elle semble noyée dans la jubilation suscitée par la chute d’un « bourreau », ébranlé, délégitimé, tandis qu’est scrutée l’arrivée immédiate mais peut être improbable de Russes ou d’autres acteurs. Certainement pas en bon samaritain ! L’expérience africaine de la Russie ne s’est, d’ailleurs jamais forgée dans la sable sahélien, à part l’Ethiopie et la Somalie dans les années 70 en plus d’un manque d’agilité diplomatique au-delà de la dotation en matériel militaire.

Pendant ce temps, le Mali est dans le statu quo avec deux tiers du territoire ne répondant plus aux commandes de Bamako où l’on peut encore se promener de manière sûre ou parader en « command car » et treillis. La junte semble déjà débordée par les réalités du pouvoir politique. Les religieux reprennent du poil de la bête pour s’ériger en caution ou bouclier démocratique. Le chérif de Nioro [localité du nord-ouest du pays], Bouyé Haïdara, comme l’imam Mahmoud Dicko qui avait, trop vite, annoncé son retrait dans sa mosquée pour finalement rappeler que celle-ci « est bien au Mali », pèsent encore sur la situation. Pour conduire la transition, ils se sont ligués : « Tout le monde sauf Someïlou Boubeye Maïga », l’ancien premier ministre qu’ils avaient évincé en 2019.

En même temps que les nouveaux maîtres de Bamako, laissent voir, de jour en jour, leur impréparation à la gestion du pouvoir, la bande d’Assimi Goïta [le chef de la junte] laisse un grand vide dans le commandement sur le terrain au nord mais surtout dans le centre du pays où ils ont tous servi. Le colonel Goïta a fait ses armes à Sévaré alors qu’Ismael Wagué, le communiquant du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), a été surtout dans la zone stratégique de Koro-Bankass. Ces officiers opérationnels semblent aujourd’hui délaisser leurs zones au profit des groupes terroristes qui se livrent de rudes batailles. Les hommes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghaly font la chasse à l’organisation Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) dans le cadre d’un vaste « nettoyage » du Mali et du Burkina Faso jusqu’aux confins du Nord Tillabéry au Niger. Cette seconde crise malienne en cours est aussi sahélienne et sous-régionale.

Pendant que les tractations politiques vont bon train à Bamako, au sein de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et avec le reste de la communauté internationale, la situation sécuritaire régionale, elle n’attend pas. Elle se dégrade au Mali où l’arrivée des militaires au pouvoir n’a pas ramené la quiétude aux populations du centre comme du nord qui sont dans l’expectative. Les groupes terroristes qui s’étaient fait un peu oublier le temps du coronavirus - un moment de réorganisation et de reconfiguration-, ont repris les attaques.

A chaque fois qu’il y a une crise politique institutionnelle à Bamako, cela se traduit par un débordement de la violence et du djihadisme. L’étau se resserre sur cette région sur laquelle planent d’importants risques d’instabilité. La déroute de l’EIGS risque de le jeter dans les bras du groupe État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP en anglais, apparu en 2016 à la suite d’une scission avec Boko Haram), avec le risque d’un nouveau front de jonction qui menacerait particulièrement et gravement le Niger.

Les attaques de ces derniers jours à la frontière entre le Mali et la Mauritanie sont le signe d’une reprise en main progressive de la situation par le GSIM dans les seules poches de cette région qui étaient encore sous contrôle relatif de l’armée malienne. Sur la même frontière, les zones de Guiré et de Nara ont récemment subi de violentes attaques et des embuscades répétitives. A partir du Mali, l’alerte est aussi donnée d’une forte avancée du front djihadiste vers Kayes non loin des frontières sénégalaises, rare îlot de stabilité dans la région. Le débordement vers la Côte d’Ivoire est net depuis les attaques de juin 2020 dans l’extrême nord où opère à partir du sud du Burkina Faso, la Katiba de Serma du GSIM  créée en 2012  par Soulaymane Keïta dit Al-Bambarî (le Bambara), détenu au Mali depuis 2015 et objet de fortes tractations dans le cadre d'un échange pour la libération d'otages...politiques. Combinée aux effets inéluctables des troubles politiques en vue d’échéances électorales à haut risque, cette situation  doit alerter la communauté internationale.

Mais, au désarroi malien s’ajoutent les errements diplomatiques régionaux et les tâtonnements dispersés des partenaires internationaux du Sahel. Malgré les « assurances » de la junte, Barkhane qui ne gagne ni la guerre contre le terrorisme ni la paix avec les opinions publiques sahéliennes s’interroge. Au moment où on parle du déploiement de Takuba, cette force spéciale européenne qui devrait combattre aux côtés d’unités entraînées dans la zone des trois frontières du Liptako-Gourma, au Mali, les militaires les plus opérationnels semblent avoir fait, pour l’heure, le choix risqué des stratégies politiques de salon. Les tergiversations se poursuivent entre caciques du M5-RFP [la coalition d’opposants qui contestaient depuis des mois IBK] craignant de se faire voler leur révolution enfantée dans la douleur de l’engagement et les militaires qui en revendiquent l’immaculée conception. Pendant ce temps, l’avenir de l’Etat de droit au Mali est plus qu’incertain, les risques sécuritaires hantent le Sahel et ses partenaires régionaux comme internationaux plus que jamais désarmés et en compétition.

Tribune publiée dans le Monde sous le titre : "Chaque crise politique à Bamako se traduit par le débordement de la violence et djihadisme au Sahel"

Dans le cadre des "Peace Conversations", une série de dialogues en ligne et de débats entre jeunes sur les problématiques de paix et de cohésion sociale, la Région de Casamance a été choisie pour accueillir la Session inaugurale le Mercredi 23 septembre 2020 à 15h30. Ce sera sur le thème : « Jeunes contre l’extrémisme violent : comment construire la résilience ? ». 

 

Ces sessions de dialogue participatif sont organisées par Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies avec le soutien de l’Ambassade des Etats Unis au Sénégal.

En plus des autorités nationales notamment du Ministère de l’Education, la députée à l’Assemblée Marième Soda Ndiaye, prendra part à ce débat aux côtés des jeunes leaders communautaires. Outre Mme Ndèye Marie Thiam, Présidente de la Plateforme des Femmes pour la paix en Casamance,  Cheikh Mouhammed Fadel Aïdara, Leader Religieux, Animateur de la Radio ZIG FM,  Cheikh Bécaye Bayo, Président du Conseil de la Jeunesse de Ziguinchor, Enseignant à Oussouye, Mlle Marie-Noelle Rita Kayoungha, Présidente des Jeunes catholiques de Goudomp, s’exprimeront sur la question de l’extrémisme violent pour proposer des solutions de prévention innovantes.

S’inscrire aux Conversations : https://us02web.zoom.us/webinar/register/4516001658098/WN_F2qYr3WFQySE0vtkGGEqdw?fbclid=IwAR0_E3uQeSKoxbrvPXGp39Jvqm7rBXAOp9AvMLF80cSYjYHkmzlwy8_Jji0

 

En partenariat avec le Bureau régional pour la promotion de l'Etat de droit en Afrique de la Fondation Konrad Adenauer, Tombouctou Institut a organisé un webinaire régional sur  "Etat de droit, chaîne pénale et société civile quelles synergies pour la prévention de l'extrémisme violent " . Cette première session a pu connecter plus de 100 participants d'une dizaine de pays africains comme d'ailleurs dont des experts des organisations internationales, des acteurs de la justice et de la société civile, des leaders communautaires, des chercheurs et des membres des forces de sécurité et de défense.
Après le mot de bienvenue du directeur de l'Institut de Tombouctou, Dr. Bakary Sambe, le directeur régional du Bureau de promotion de l'Etat de droit de la Fondation Konrad Adenauer, Monsieur Ingo Badoreck, est revenu sur l'importance pour l'Institution qu 'il représente d'appuyer ce type d'initiatives et d'autres pouvant contribuer au renforcement de l'Etat de droit en Afrique subsaharienne dans le cadre d'un dialogue constructif et inclusif.
Trois exposés ont rythmé cette rencontre virtuelle. Une intervention du Dr Bakary Sambe a insisté sur la nécessité d'une approche holistique face à l'extrémisme violent a voulu attirer l'attention des autorités de la région sur la nécessité de développer des stratégies nationales de prévention de l'extrémisme violent à côté de celles à dominante sécuritaires et visant la lutte contre le terrorisme. Pour lui la prévention est primordiale et doit mobiliser la société civile, mais aussi les autres acteurs y compris les forces de sécurité et de défense qui ne doivent pas être cantonés à un rôle répressif.
De son côté, Mme Amina Niandou du Niger, par ailleurs, présidente de l'Association des profesionnelels africaines de la communication (APAC) a mis l'accent sur la nécessaire implication des femmes qui couvrent toutes les typologies d'acteurs aussi bien familiaux, associatifs mais aussi étatiques. Pour elle, leur implication est cruciale pour s'inscrire dans une démarche holistique. Elle a tenu à déplorer que dans les pays de la région, les femmes soient exclues ou insuffisamment impliquées dans les actions de prévention de l'extrémisme violent alors qu'elles peuvent jouer un rôle majeur dans toutes ces stratégies.
Enfin le commissaire de la police Centrale de Mbour, Mandjibou Lèye a insisté sur dimension préventive dans l’action des forces de sécurité et de défense face à la montée de l’extrémisme violent. Cet expert reconnu des organisations régionales et internationales, notamment sur la question du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme est revenu sur la nécesité de créer des ponts et des espaces d'échanges entre les praticiens notamment en matière de renseignement. Pour le Commissaire Lèye, il faudrait plus de vigilence et de coordination des efforts des différents pays dans le but d'arriver à une véritable plateforme collaborative ett opérationnelle au niveau régional vu l'état des menaces transnationales.
Un vaste débat a été ouvert aux participants qui ont relevé des insuffisances dans le traitement de la question terroriste aussi bien au niveau de la chaîne pénale que dans les politiques de prévention menées par les Etats. D'autres participants ont salué l'initiative et ont demandé que l'organisation de ce type cadres d'échanges soit plus fréquente afin de mieux saisir les enjeux de la lutte contre le terrorisme, la prévention de l'extrémisme violent et surtout leur relation avec la préservation et le renforcement de l'Etat de droit en Afrique dans un contexte marqué par la récurrence des crises institutionnelles qui menacent la démocratie et le vivre ensemble.
le Directeur de Tombouctou Institute s'est par la suite réjoui de la qualité de la participation des acteurs concernés mais aussi du public nombreux et divers connectés à partir de plusieurs pays d'Afrique subsaharienne mais aussi d'Europe et des Etats-Unis. Bakary Sambe a rappelé que d'autres opportunités similaires d'échanges vont faire suite à cet évènement en plus que le Directeur régional du Bureau pour la promotion de l'Etat de droit a réitéré la volonté de l'institution de poursuivre cette collaboration avec des webinaires comme celui prévu le 30 septembre prochain sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits humains.

Par Wilfrid AHOUANSOU*

L’acte fondamental n°001/CNSP du 24 aout 2020 publié au Journal officiel, constitue sans aucun doute le véritable entracte de la crise politique au Mali, née à l’issue de la démission volontaire ou contrainte de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Sans avoir besoin de le qualifier ainsi dans son intitulé, les membres du CNSP posent un geste fondamental, qui donne le ton sur ce que sera la suite de la transition politique.

Cet acte fondamental n’est pas pour autant commun dans les processus de transition démocratique, à l’issue d’un événement majeur : coup d’Etat, révolution populaire, conflit armé, etc. Il est inédit parce qu’il ne rentre pas aisément dans le prisme des instruments juridiques habituellement observés et qui encadre un processus de transition.

Un objet juridique difficile à identifier ?

Les processus de transition démocratique observables sur le continent africain sont pour l’essentiel gouvernés par un acte juridique fort, dont l’objectif est, soit de rassembler les différents acteurs dans une logique de consensualisme, soit de créer les bases pour la définition du futur contrat social au niveau national. Le but final de ce texte qui met en berne la constitution précédente, est quand même de créer les conditions pour un retour à l’ordre constitutionnel. C’est pour cela que la constitution est considérée comme la loi fondamentale, puisque même lorsqu’elle est mise en mal à un moment donné de l’histoire politique d’un pays, le choix ou la qualité du régime démocratique visé, justifie que l’on veuille y faire participer une grande représentation des courants politiques, idéologiques et sociales de la nation. On distingue ainsi dans ces périodes, les chartes de la transition, petites constitutions, constitutions transitoires, etc.

Les rapports entre ces normes ad’hoc et la constitution peuvent être conflictuels, au point où le Professeur Frédéric Joël AÏVO évoque un triomphe du conventionnalisme constitutionnel, pour désigner l’idée que la recherche d’un accord politique de règlement de la crise amène à mettre sous le boisseau, la constitution précédente.

Après la compétition entre la constitution et l’accord politique de transition, survient à nouveau l’ordre constitutionnel marquée par l’adoption d’une nouvelle constitution ou l’intégration des dispositions de la charte transitoire dans un processus de révision de la constitution précédente. Le Professeur Paterne MAMBO parle alors de cohabitation pacifique entre les deux types de normes, qui vise in fine à enrichir le processus démocratique et à consacrer l’hégémonie constitutionnelle.

Ces bases et échanges entre normes juridiques fondamentales sont communs aux différents processus de transition identifiés par le Professeur Mahaman Tidjani ALOU comme des moments où des acteurs politiques essaient de tirer le drap de leurs côtés en participant au mécanisme de négociation de la norme fondamentale, afin de garantir pour eux-mêmes, des conditions propices d’accession au pouvoir suprême.

C’est le but de la démocratie et l’essence même du consensualisme que les intérêts individuels des uns et des autres soient confrontés à l’intérêt général afin que se dégage un terrain commun d’entente.

 

Sur ces prolégomènes, peut-on identifier la place à accorder à l’acte fondamental n°001/CNSP du 24 aout 2020 ?

Il est rédigé comme son nom l’indique comme un instrument à portée générale pour gouverner la période au cours de laquelle le CSNP assumera les plus hautes fonctions de l’Etat. D’ailleurs le Président de cet organe auto-formé s’y déclare Chef de l’Etat. L’article 33 de l’acte indique qu’il « incarne l’unité nationale. Il est garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités et accords internationaux auxquels le Mali est partie. Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi qu’à la continuité de l’Etat ».

Il faut noter que l’acte fondamental du 24 aout 2020 fait référence dans son préambule à la Constitution du Mali du 25 février 1992, qu’il considère donc comme étant toujours en vigueur. Il indique également toujours dans ce préambule, la position déjà défendue par le CNSP, qu’il n’y aurait pas eu de coup d’Etat, et que ce seraient les soulèvements populaires du 18 aout 2020, qui auraient mené à la démission du Président IBK. D’autres considérants de ce préambule évoquent l’attachement aux principes démocratiques de la Charte africaine de la Démocratie, des élections et de la Gouvernance du 30 janvier 2007 et du Protocole A/SP1/1201 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Ces références à des textes fondateurs prônant le respect des normes démocratiques et l’existence des titres I (portant sur les droits et devoirs de la personne humaine) et II (portant sur l’Etat et la souveraineté) n’enlèvent toutefois rien au caractère antinomique du but visé par l’action du CNSP, qui serait la consolidation de la démocratie.

En effet, apparaît comme un cheveu sur la soupe dans le préambule de l’acte fondamental du 24 aout 2020, la déclaration de constitution du CNSP du 19 aout 2020. Le titre III de l’acte traite également du CNSP sans s’étendre sur la qualité de ses membres et leurs attributions à part celles du Président, qui est remplacé en cas d’empêchement par un Vice-Président, suivant l’ordre de préséance déterminé par le même Comité.

L’acte fondamental n’est pas très disert sur les objectifs poursuivis par le CNSP, à part « la nécessité de fixer l’organisation provisoire des pouvoirs publics et de jeter les bases d’un Etat de droit respectueux de l’ensemble des droits et libertés de l’Homme et du Citoyen malien » et « l’urgence de doter le Mali d’organes de transition pour la conduite des affaires publiques ».

Pourtant, comme présenté plus haut, la suspension de l’ordre constitutionnel par l’ouverture de la période transitoire en raison de la démission du Président IBK dans les circonstances désormais connues, n’empêche pas un certain encadrement de la gestion de ce temps par des règles.

 

Des références opportunes aux textes régionaux ?

Les références aux textes régionaux sont fort à-propos en effet, notamment la Déclaration sur le cadre pour une réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, héritée par l’Union Africaine (UA) et pris en considération par la CEDEAO dans son Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Si son omission par le CNSP peut se justifier par le fait qu’il se défend d’avoir effectué un coup d’Etat, le texte de la CEDEAO référencé est tout de même en porte-à-faux par rapport à certaines dispositions de l’acte fondamental.

Son article 1er indique l’interdiction de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement, de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. De même, il poursuit en stipulant que « l’armée est apolitique et soumise à l’autorité politique régulièrement établie ; tout militaire en activité ne peut prétendre à un mandat politique électif ».

Même en arguant du fait que le Président IBK aurait démissionné par le fait de l’action populaire, le fait pour le Président du CNSP de se proclamer Chef de l’Etat, qui est un mandat électif, est en contradiction avec les textes de l’institution régionale. A fortiori, le signataire de l’acte fondamental est toujours un militaire en activité, le Colonel Assimi GOITA, Président du CNSP, ce qui d’emblée l’exclurait selon la CEDEAO à prétendre occuper cette fonction.

Au demeurant, le porte-parole du CNSP insistesur le fait que les conditions de la transition politique au Mali seront déterminés par les maliens. A moins de résumer les membres du CNSP, dont le nombre n’est pas défini par l’acte fondamental, au peuple malien, il est difficile d’appréhender l’idée que ce texte puisse constituer un instrument à vocation constitutionnelle, comme le prétend son titre VIII qui traite des dispositions finales.

Tout ou presque tout fait penser le contraire, notamment le manque de consensualisme dans l’adoption du texte, sa portée trop générale alors qu’il n’y a aucune mention de la durée de l’exercice du pouvoir par le CNSP (dont le Président se donne entre autres le droit d’accréditer des diplomates maliens et de recevoir les accréditations des diplomates étrangers), ou encore sa nature contradictoire avec des textes régionaux.

Au regard de ce qui précède, on peut dire que l’acte fondamental du 24 aout 2020 est un objet juridique non identifiable, d’abord en raison de la nature non constitutionnelle de son auteur, le CNSP n’étant prévu nul part parmi les institutions de la République pouvant prendre un texte à publier au Journal officiel. Il est également difficile d’inscrire cet acte dans la nomenclature générale des normes juridiques internes à un pays. Il n’est ni un décret, ni une loi constitutionnelle, même si le sens voulu par le CNSP est qu’il se substitue à certaines dispositions de la Constitution de 1992. Au demeurant, on peut le qualifier sans plus d’acte unilatéral, qui engage le CNSP dans la mission qu’il s’est lui-même confié au sommet de l’Etat malien.

Le CNSP, qui se réclame une certaine légitimité parce que soutenu par une partie du peuple malien, ne rêve-t-il pas trop de pouvoir comme l’accusent déjà certains de ses détracteurs ?

L’absence de référence dans cet acte fondamental à l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé à Alger en 2015 ne contribue-t-elle pas à consacrer déjà une exclusion d’une frange de la population malienne représentée par certains signataires de ce précédent texte ?

Ce sont autant de questions pour lesquelles, il faut espérer une réponse dans les rebondissements futurs de la crise malienne de 2020.

Wilfrid AHOUANSOU* est Docteur en droit public de l’Université d’Abomey-Calavi

Dans cadre d’un partenariat entre le Bureau Régional de la Fondation Konrad Adenauer pour la promotion de l’Etat de Droit en Afrique et Timbuktu Institute (Dakar-Niamey), un wébinaire régional sera organisé ce mercredi 2 septembre (11H-13h) sur le thème : « Chaîne pénale et acteurs de la société civile : quelle synergie pour la prévention de l’extrémisme violent au Sahel ? ». Il sera ouvert à la participation des acteurs étatiques, des forces de sécurité et de défense de la région, des praticiens, de la société civile, des chercheurs et des experts des organisations régionales et internationales etc.

 

Pour Dr. Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute et coordonnateur de l’Observatoire des Radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA), « les solutions strictement sécuritaires ou militaires montrent leur inefficacité et leurs insuffisances et l’aggravation de la situation dans les différents pays du Sahel invite plutôt à une valorisation des méthodes préventives y compris de la part des forces de sécurité ».

 

« Très souvent en contexte de lutte contre le terrorisme, on a tendance à opposer les acteurs de la chaîne pénale à ceux de la société civile notamment engagés dans la défense des droits humains. Il se trouve que cette conception de rôles opposés disperse les nombreux efforts dans cette lutte qui doit faire l’objet d’une approche holistique et inclusive », souligne Dr. Bakary Sambe qui rappelle que « ce premier webinaire d’une série soutenue par la Bureau régional pour la promotion de l’Etat de Droit initie un large débat dont l’objectif sera de faciliter davantage un dialogue serein entre tous les acteurs impliqués dans la prévention de l’extrémisme violent et la lutte contre le terrorisme ».

 

Par cette conférence régionale, il s’agira surtout de dégager des pistes de réflexions sur les possibilités de synergies et de coopération entre les acteurs de la société civile et de la justice pénale. L’idée est de voir dans quelle mesure « rompre d’avec la logique de l’opposition systématique des rôles » et promouvoir une meilleure collaboration dans la prévention d’un phénomène aussi complexe qui interpelle les pays de la sous-région.

 

Aux côtés des experts du Timbuktu Institute, Mme Amina Niandou, présidente d’APAC Niger (Section nigérienne de l’Association des professionnelles africaines de la presse) et le Commissaire de Police Mandjibou Lèye (commissaire central de Mbour), spécialiste des questions de sécurité, donneront des pistes de réflexion et d’actions pour engager les pays de la région dans la promotion d’un « dialogue constructif entre toutes les parties prenantes dans la lutte contre le terrorisme, phénomène déstructurant et déstabilisant pour les pays soucieux de consolider l’Etat de droit et la gouvernance démocratique ». Le débat ouvert au public sera modéré par le journaliste et analyste guinéen Mamadou Yaya Baldé, acteur très impliqué dans la promotion de la participation politique des jeunes en Afrique de l’Ouest et la défense des droits humains.

 Par Dr. Issa M. KANTÉ*

Le mardi 18 août 2020 survint au Mali un coup d’État orchestré par des officiers de l’armée réunis en Comité national pour le salut du peuple (CNSP). Les condamnations par la communauté internationale ne se sont pas fait attendre, en commençant par la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), suiviepar l’Algérie, les États-Unis, la France, l’ONU, l’Union européenne, etc. Cependant, on peut faire un distinguo entre ces réactions, car il est une chose de condamner le coup d’État et d’appeler à un retour immédiat ou rapide à l’ordre constitutionnel, il en est une autre que d’imposer un isolement total à tout un peuple, qui souffre déjà depuis des années. Cette dernière option est clairement celle que prône la CEDEAO ; l’Union africaine semble aussi tenir une ligne assez ferme, à voir jusqu’où ira-t-elle. Après tout, on pourrait penser que la CEDEAO a bien raison d’adopter cette position, mais avant de tirer une telle conclusion, arrêtons-nous sur quelques passages et arguments de son communiqué[1] contre ce putsch, en les mettant en perspective par rapport à la situation qui prévaut au Mali.

 

Peut-on parler de paix et stabilité au Mali ?

Le premier passage du communiqué de l’organisation sous-régionale qui mérite réflexion est l’idée que ce coup de force des militaires « est de nature à avoir un impact négatif sur la paix et la stabilité au Mali et dans la sous-région ». Cela sous-entendrait-il que le Mali connait « la paix et la stabilité » ? La réponse est clairement non quand on est au courant de la situation dans le nord (nord-est) et le centre du pays. Le seul exemple des massacres du village d’Ogossagou, dans la région de Mopti au centre du pays, suffit pour illustrer cette sinistre réalité. En mars 2019, ce village a connu le massacre d’environ 160 personnes, révélant ainsi au grand jour les graves problèmes d’insécurité dans cette zone. A nouveau en février 2020, dans la même localité, 35 civils ont été tués et 19 sont toujours portés disparus. Inutile donc d’énumérer les attaques terroristes récurrentes contre les FAMa (Forces Armées Maliennes) et les populations civiles.

La CEDEAO, le Mali et l’ordre constitutionnel

Lorsque la CEDEAO« dénie catégoriquement toute forme de légitimité aux putschistes et exige le rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel », on peut se demander s’il y avait un véritable « ordre constitutionnel » au Mali. Quand on sait que l’institution qui était la garante même de la Constitution était contestée pour avoir rendu plusieurs décisions dont le but était de favoriser le président et son camp. Le dernier exemple en date fut la proclamation biaisée (euphémisme) des résultats des élections législatives de mars et avril 2020 par la Cour constitutionnelle. C’est cela même qui fut l’élément déclencheur de la contestation, et la « dissolution de fait » de ladite Cour, le 11 juillet dernier, par le président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) n’a pas suffi pour sauver son pouvoir. Certes, il existe d’autres raisons plus profondes et complexes, parmi lesquelles : la crise sécuritaire dans le pays, la crise endémique de l’école, la corruption, le népotisme, le chômage, etc. Des défis pour lesquels IBK avait pourtant été confortablement élu en 2013 pour son premier mandat. Disait-on à l’époque au Mali et ailleurs que c’était « un homme à poigne », donc « l’homme de la situation » pour régler la crise sécuritaire dans le nord du pays, entre autres.

 

Au contraire, il est à noter que le temps a donné raison à ceux, moins nombreux à l’époque, qui étaient plus que sceptiques à l’idée qu’IBK puisse être une option viable. Néanmoins, à sa décharge l’histoire retiendra que la minorité sceptique de l’époque était obligée d’admettre que les quelques leaders politiques qui auraient pu apporter des solutions concrètes au pays n’avaient aucune chance en 2013 de remporter la majorité des suffrages exprimés. Le peuple dans une large proportion, à sa tête certains leaders d’opinion bien écoutés, n’avait qu’un mot à la bouche IBK, tous pour IBK. Certains diront même que les ex-putschistes de 2012 étaient de cet avis. Quelle ironie du sort ce nouveau putsch sept ans après qui aura bouclé la boucle, dirait-on.

 

A regarder de près, le peuple malien aura, pour le moins, été collectivement naïf en 2013. Et en définitive, face à ce qui lui arrive et à ce régime qui n’était plus viable, on se rappellera que ceux-là mêmes qui ont constitué le fer-de-lance de la contestation, dont certains leaders bien connus du M5-RFP, avaient été de puissants soutiens d’IBK et furent déterminants dans son élection en 2013, voire sa réélection en 2018. Certains d’entre eux auront eu l’honnêteté et le courage d’avouer qu’ils s’étaient lourdement trompés sur ses capacités réelles, et ont fini par combattre vigoureusement son régime et exiger sa démission, l’imam Mahmoud Dicko en est la figure de proue. Il faut rappeler que si la situation du pays s’est aggravée sous le régime IBK, tout n’est pas de sa faute, loin de là ; le pays paie plusieurs années de mauvaise gouvernance, de laxisme et de corruption.

 

La CEDEAO et les notions de ‘‘démocratie et de bonne gouvernance’’

Dès l’annonce de l’arrestation du président IBK, la CEDEAO « suspend le Mali de tous les Organes de décision de la CEDEAO avec effet immédiat » et évoque le « Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance ». Cela signifierait-il que pour eux le Mali sous le régime d’IBK respectait ce Protocole et jouissait d’une démocratie et d’une bonne gouvernance ? Il est fort probable que le peuple dans sa grande majorité n’est pas du tout de cet avis. La preuve, sur les réseaux sociaux et lors d’un rassemblement ce 21 août 2020 à Bamako, les Maliens ont massivement exprimé leur satisfaction de l’intervention de l’armée qui, disent-ils, aura « parachevé le travail », en qualifiant même le putsch de « victoire du peuple malien ». Et pourtant, une autre issue aurait été possible à cette crise politique et institutionnelle, mais IBK avec son entêtement n’a sans doute pas aidé. Malgré cela, il y a unanimité au Mali pour dire qu’il aurait été souhaitable que le processus de changement de régime se fasse sans l’intervention de l’armée. C’est d’ailleurs ce qu’a tenté en vain lemouvementM5-RFP (Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques) pendant des semaines. Elle a eu comme réponse, d’abord le silence du président, puis quelques discours ne proposant rien de concret. Et quant à la CEDEAO, avec sa tentative de médiation, elle aura plus tenté de sauver le soldat IBK au lieu de regarder la réalité en face et penser au peuple – c’est sans doute une de ses graves erreurs dans cette crise malienne. Cela d’autant plus que les 10 et 11 juillet 2020, la manifestation contre le régimea débordé et a fait l’objet d’une répression sanglante, faisant une vingtaine de morts selon diverses sources.

 

La fermeture de toutes les frontières avec le Mali

Si une décision de la CEDEAO est vécue dans le pays comme une punition contre le peuple, c’est bien l’annonce de« la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes ainsi que l’arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali » et l’invitation formelle à « tous les partenaires à faire de même ». A peine une semaine après, force est de constater que les conséquences de cette décision se font sentir, non seulement dans des villes/régions frontalières du Mali, comme à Kayes vers la frontière sénégalaise (cf. reportage audio RFI[2]), mais également à la frontière Mali-Niger, en l’occurrence la localité nigérienne d’Ayorou[3]. Et comme si l’on ignorait encore plus la souffrance des populations, deux jours après le putsch, les Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO se sont réunis par visioconférence (Covid-19 oblige) en session extraordinaire et « demandent le rétablissement immédiat du Président Ibrahim Boubacar Kéita en tant que Président de la République, conformément aux dispositions constitutionnelles de son pays »[4]. Là pourrait-on voir une pure incantation d’une CEDEAO des chefs d’État.

  

La CEDEAO des Chefs d’État, ou la CEDEAO des peuples ?

En prenant des décisions dont les conséquences touchent plus les populations que les putschistes, la CEDEAO court le risque dese mettre à dos ses peuples. On peut craindre que ce qui se passe au Mali aujourd’hui puisse arriver ailleurs dans la sous-région, où certains pays connaissent des contestations contre un troisième mandat de leur président. Ainsi, au Mali et à ailleurs il est erroné de rejeter la faute sur les seuls militaires putschistes, car parfois les coups d’État font suite à un dysfonctionnement démocratique des instituions en place, souvent accompagné d’un refus catégorique du pouvoir d’écouter le peuple. En la matière, on peut rappeler les décisions de la Cour constitutionnelle du Mali en faveur du pouvoir en place lors de la proclamation des résultats des dernières élections législatives.En somme, les Chefs d’État de la CEDEAO doivent d’abord s’appliquer à eux-mêmes les principes du « Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance ». Peut-être que cela limitera les coups d’État, ou à défaut mettrait les dirigeants de l’organisation sous-régionale dans une position cohérente face aux futurs putschistes.

 

*Issa M. KANTÉ

Chercheur Associé

Enseignant-chercheur, Linguiste

Université de La Réunion, France

 

 

[1]Communiqué sur la situation au Mali, 18 août 2020 :https://www.ecowas.int/category/actualites/communiques-de-presse/?lang=fr (consulté le 19/08/2020)

[2] Cf. reportage audio RFI https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200823-mali-sort-ibk-coeur-discussions-entre-la-c%C3%A9d%C3%A9ao-junte (consulté le 23/08/2020).

[3] Cf. article RFI https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200823-niger-habitants-frontaliers-mali-inqui%C3%A8tent-fermeture-fronti%C3%A8res (consulté le 23/08/2020)

[4]Cf. https://www.ecowas.int/wp-content/uploads/2020/08/DECLARATION-DES-CHEFS-D-ETAT-SUR-LE-MALI-200820.pdf (consulté le 21/08/2020)