Source : La Croix-Africa[1]

 

Enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, Bakary Sambe est fondateur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, un centre de recherche qui privilégie des approches transdisciplinaires sur des questions liées au radicalisme religieux. Ce centre est basé  Dakar et  Niamey mais travaille dans d’autres pays de la région comme en Mauritanie, Mali, Burkina Faso etc.

 

Dans cet entretien avec La Croix Africa, il analyse les décisions prises, ces derniers jours, par le Burkina Faso et le Mali pour lutter contre les attaques terroristes.

 

La Croix Africa : Que pensez-vous de la décision prise par le Burkina Faso d’armer des civils pour repousser les attaques terroristes ?

 

Bakary Sambe: Cela s’inscrit dans le cadre des conclusions du Forum national sur la sécurité qui s’est tenu au Burkina Faso en 2017. Cela rejoint aussi l’option du Burkina de promouvoir la sécurité de proximité qui, dans certaines régions, a montré son efficacité. Mais dans le cas précis du Burkina Faso, ma crainte est que cela ne produise les mêmes effets qu’au Mali où le pouvoir central de Bamako, qui n’était plus en capacité d’assurer la sécurité, s’est mis à la déléguer à des civils. On a vu que lorsqu’on a armé les milices dogons pour lutter contre les terroristes de la Katiba Macina [un groupe djihadiste du centre du Mali] cela a abouti à des heurts intercommunautaires.

 

Dans le cas du Burkina Faso, j’ai peur que cela accentue encore la stigmatisation de certaines communautés, notamment les Peuls mais aussi que cela n’attise les tensions déjà vives entre communautés (peuls, mossi etc.).

 

Le Mali a annoncé, le 10 février, son intention d’établir le dialogue avec les chefs djihadistes Iyad Ag Ghaly du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (Gsim) et Amadou Koufa, chef de la Katiba Macina. Comment analysez-vous cette décision ?

 

Bakary Sambe: Sur le principe, le dialogue est toujours nécessaire car aucun conflit au monde ne s’est terminé sur un champ de bataille ; à un moment, il a fallu que les gens se parlent. Dans le cas du Mali, la manière dont le dialogue a été annoncé, en citant les deux interlocuteurs [Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa NDLR] montre que la stratégie qui est derrière cette initiative est de pouvoir couper les groupes terroristes transnationaux comme l’État islamique au Grand Sahara d’Abou Walid al-Sahraoui des groupes locaux. Ce n’est pas un hasard que cela se fasse au même moment où l’armée malienne est en train de se redéployer à Kidal. C’est une manière de dire qu’il y a une reprise en main de la situation par le pouvoir de Bamako.

 

 

Mais comme dans chaque opération, il y a des risques, le premier serait d’accroître le prestige Iyad Ag Ghaly, sans être sûr qu’il souscrive pleinement à la paix. L’autre chose, c’est une incertitude. Iyad Ag Ghaly sera-t-il prêt à abandonner son principe d’instaurer la charia qui était quand même, un des axes principaux de son combat ? En clair, ce dialogue suscite de l’espoir mais également des craintes. Les principales questions sont : sur quoi va-t-on négocier ? Qu’est-ce que les deux parties sont prêtes à lâcher ? Bamako est-il prêt à répondre à certaines exigences d’Iyad ag Ghali et ce dernier est-il prêt à abandonner son principe d’instauration de la charia ?

 

Quelle serait finalement la solution pour rétablir la sécurité dans le Sahel  ?

 

Bakary Sambe: Je crois qu’il faut traiter les racines du mal. On peut penser à des solutions à court terme mais on ne peut camoufler la racine du mal en traitant seulement des symptômes. Il faudra rétablir une confiance en l’État. Un véritable État qui soit fort et capable de répondre aux sollicitations des populations. Il faudra aussi une volonté, au niveau international, d’appuyer le Mali et le Burkina Faso et savoir qu’en plus du support militaire, il faudra promouvoir le développement durable, la bonne gouvernance. Il est important de gérer les urgences sécuritaires mais sans négliger les racines du mal qui gangrène cette région.

 

En plus de s’attaquer aux facteurs de radicalisation et d’extrémisme violent, les partenaires internationaux du Sahel doivent, en outre, prêter attention au facteur de résilience et aux ressources endogènes de résolution des conflits. Il est, par ailleurs, important de dissiper le malentendu à propos de la question sahélienne notamment celle liée à la présence de l’armée française mais également favoriser l’appropriation des projets de développement par les populations locales.

 

Recueilli par Lucie Sarr

(Niamey et les 2 jours) - Le dialogue avec les groupes terroristes est-il devenu un « mal nécessaire » au point que le Mali, malgré l’opposition catégorique de son principal allié dans la lutte contre le terrorisme, la France, se lance dans ce processus, que le directeur de Timbuktu Institute (Niamey-Dakar) considère comme « lourd de risques et plein d’incertitudes, bien qu’il faille, tôt ou tard, trouver une alternative au tout-militaire qui butte encore sur bien des difficultés  »

Le gouvernement malien a récemment assumé l’ouverture d’un processus de dialogue avec deux chefs terroristes que sont Iyad Ag Aly du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et Amadoun Khouffa de la Katiba Macina. Ce dialogue s’ouvre dans un contexte difficile où les attaques se multiplient dans la zone des trois frontières du Liptako-Gourma mais aussi au Niger qui a, récemment, subi d’énormes pertes dans la garnison d’Inatés et récemment à Chinégodar.

Dans un entretien avec Niamey et Les 2 jours, Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute, basé à Dakar et à Niamey, revient sur les difficultés des processus de dialogue avec des groupes terroristes dont l’issue est souvent « incertaine », selon lui.

Pour ce spécialiste des réseaux transnationaux dans le Sahel, citant l’expérience nigérienne en matière de solutions alternatives au tout-répressif, « les tentatives de réintégration d’anciens combattants de Boko Haram au Niger ont, certes, donné le ton sur la nécessité assumée d’alternatives au tout-répressif à travers leur installation au camp de Goudoumaria- région de Diffa - mais que les difficultés et les complexités d’une expérience de DDRR sans accord de paix avaient vite émergé notamment dans la gestion des rapports avec les communautés locales »

« Dans le cas particulier du Mali, le dialogue avec les groupes terroristes nécessitait forcément que l’on soldât, au préalable, les incompréhensions autour des dispositions de la résolution 2058 - qui faisait la différence entre groupes armés et autres terroristes et dans un contexte de mutations profondes de la violence et de l’extension des zones de conflits loin de l’épicentre malien », fait remarquer le coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique.

Il rappelle, dans le même sillage, qu’ « il y a aussi le problème de l’identification de médiateurs avec une posture de neutralité, mais aussi de légitimité aux yeux des groupes terroristes alors que le leadership politique local est discrédité pour sa gouvernance au moment où les partenaires internationaux sont, aussi, parties prenantes du conflit »

Mais pour Bakary Sambe, « bien que l’accord de Ouagadougou ait pu poser les bases d’un possible dialogue, il excluait, systématiquement, les groupes terroristes et le gouvernement de Bamako n’avait pas saisi, pour ce qui est du Centre du Mali, l’opportunité offerte, en son temps, par la main tendue d’intellectuels et de personnalités originaire de cette région dans le cadre d’un groupe appelé G8 à l’époque »

« Aujourd’hui, le dialogue est envisagé, après plusieurs volte-faces des dirigeants maliens, dans un contexte où Iyad Ag Aly se positionne comme un interlocuteur légitime incontournable avec une certaine culture politique alors qu’Amadoun Khouffa n’a pas la même stature et pendant que son camp se fissure avec des dissidences qui risquent de rejoindre l’Etat islamique au Grand Sahara », selon Bakary Sambe.

S’interrogeant sur les issues incertaines d’un tel processus déjà perturbé par les récentes attaques de Koro et contre la gendarmerie de Sokolo dans le cercle de Niono (Région de Ségou) au centre-sud du Mali, le directeur de Timbuktu Institute, avertit que « l’un des principaux risques est qu’à l’issue du processus largement menacé aujourd’hui par plein d’incertitudes, Iyad Ag Aly en sorte renforcé sans souscrire à la paix et qu’Amadoun Khouffa soit délégitimé parce qu’il n’aura pas eu assez de marges de manœuvres pour positionner les revendications communautaires à l’origine de l’insurrection dans le Centre du Mali »

« Cette situation ferait, non seulement, retourner à un amer statu quo mais provoquerait une inévitable ruée vers les rangs de l’Etat islamique au Grand Sahara alors que le principal gain escompté en lançant ce processus de dialogue était justement de couper les réseaux djihadistes transnationaux comme Al-Qaida et l’EIGS de leurs couveuses locales », conclut Dr. Bakary Sambe.

Propos recueillis par Babacar Cissé

Adama Dieng est le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide. Il revient dans cet Appel à l'Action qu'il lance à l'occasion de la commémoration de la libération des camps de concentration et d'extermination nazis d'Auschwitz sur la nécessité d'un meilleur engagement et d'un leadership audacieux pour éviter la répétition de l'Histoire.

 

75 ans après la libération des camps d'Auschwitz, le monde n'a apparemment pas tiré les leçons de ce passé tragique - Les pays doivent s'attaquer aux causes profondes de la haine, y compris le racisme, défendre l'universalité des droits de l'Homme

Cette semaine, nous commémorons le 75e anniversaire de la libération en 1945 des camps de concentration et d'extermination nazis d'Auschwitz. La gravité de ce qui s'est passé dans ces camps, où plus d'un million de personnes ont été tuées dans d’horribles conditions, ne réside pas seulement dans le nombre de victimes et la reconnaissance de leur sacrifice, mais aussi dans notre capacité collective à tirer les leçons de cette tragédie et à faire en sorte qu'elle ne se reproduise plus. Nous le devons aux victimes.

Malheureusement, les campagnes menées avec succès contre la haine ne peuvent cacher les revers subis. 75 ans après la libération des camps, le monde ne semble pas avoir tiré les leçons de ce passé tragique. Les génocides au Cambodge, au Rwanda et à Srebrenica, les attaques en cours contre la population rohingya, les souffrances des communautés yézidies en Irak, et de nombreuses autres situations où il existe un risque élevé que des populations subissent des crimes d'atrocité, soulèvent de sérieuses interrogations sur notre engagement au-delà de notre rhétorique du «plus jamais cela». Si par le passé, le manque d’informations ou de connaissances suffisantes était invoqué pour ne pas prendre des mesures décisives, aujourd’hui, le monde dispose de nombreuses informations souvent à notre portée par un simple «clic». Pourtant, la volonté d'agir face à des informations crédibles demeure hésitante. Notre promesse de «plus jamais cela» doit commencer par un engagement indéfectible pour la coexistence pacifique, le respect des droits de l'Homme et de l'état de droit. L'Holocauste n'a pas commencé avec des chambres à gaz. Il a commencé par l'intolérance, la discrimination et la déshumanisation des Juifs comme «l'autre».

Gérer les signes d'alerte précoce et les facteurs de risque est la meilleure forme de prévention. Cependant, de plus en plus d’Etats, y compris ceux du monde développé, sont confrontés à des défis pour faire face à ces risques. L'Europe, le continent qui a été témoin de l'Holocauste, connaît aujourd'hui une intolérance et des tensions croissantes entre les communautés locales et ceux qui franchissent les frontières pour y chercher refuge, fuyant la persécution et d'autres violations graves des droits de l'Homme, ou qui cherchent désespérément à échapper à la pauvreté. Les communautés minoritaires, les migrants et les réfugiés sont souvent utilisés comme «cibles» faciles lorsque les débats politiques se polarisent. Alors que les extrémistes injectent un langage incendiaire dans le discours politique dominant répandu sous le couvert du «populisme», les discours et les crimes de haine ne cessent d'augmenter. En jetant le blâme sur les migrants et les réfugiés en les qualifiant de menace pour la sécurité nationale, les dirigeants d'extrême droite et les leaders populistes entretiennent un climat où il est justifié de commettre des actes de violence contre eux comme moyen de «légitime défense». Ces mouvements extrémistes se réapproprient le récit de «l'autre» que Hitler maîtrisait si bien.

De nos jours, la dissémination rapide du discours de la haine à travers les médias sociaux abondamment utilisés par la jeunesse pourrait avoir des conséquences néfastes sur la façon dont les jeunes perçoivent le monde et l'interaction entre les communautés pour les prochaines générations.

Un leadership audacieux est nécessaire pour contrer ces faux discours de haine et de discrimination. Les dirigeants progressistes doivent approfondir leur compréhension du problème et assumer leur responsabilité de protéger toutes les populations menacées. Les pays doivent s'attaquer aux causes profondes de la haine, y compris le racisme et la discrimination, défendre la société civile, l'état de droit et l'universalité des droits de l'Homme. La poursuite de l'érosion des protections que confèrent les droits de l'Homme et celle des normes démocratiques exacerbe le risque potentiel de conflits violents, conduisant à des actes d'atrocités. Aucun pays au monde ou aucune région n'est à l'abri des conflits fondés sur l'identité et, par conséquent, personne ne devrait faire preuve de complaisance quant au respect de sa responsabilité de protéger.

Alors que nous commémorons l'anniversaire de la libération des camps d'Auschwitz, ainsi que le 75e anniversaire de la Charte des Nations Unies, nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire pour prévenir la répétition des atrocités et faire avancer les engagements et les valeurs de la Charte. Les atrocités dont le monde a été témoin depuis l’adoption de la Charte devraient nous rappeler constamment que ce qui s’est produit il y a 75 ans se produit encore aujourd’hui, avec des conséquences catastrophiques pour l’humanité. Un engagement renouvelé en matière de prévention est nécessaire pour honorer véritablement les victimes de l'Holocauste non seulement en paroles mais également en actes. Autrement, nous ne tiendrons jamais la promesse de la Charte de «sauver les générations futures du fléau de la guerre».

Adama Dieng
Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide

Les rivalités entre Al-Qaida et l’Etat islamique vont connaître une nouvelle tournure ces prochains jours et vont restructurer les rapports de force au Mali et plus particulièrement dans le Centre. En effet, des éléments du Front de Libération du Macina reprochent de plus en plus à Amadoun Khouffa une certaine propension à « s’aliéner » avec cette nébuleuse et d’être le « valet » d’Iyad Ag Ali. Rappelons que ce dernier naquit de la fusion d’Ansar Dine, des forces d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) dans le Sahel, de la Katiba Macina et de la Katiba Almourabitoune.

Des circonstances inattendues sont en train de les pousser dans les bras d’Aboul Walid Al-Sahraoui, le chef de l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) ayant conduit les attaques d’Inatés, au Niger, et dont le film a été largement diffusé et commenté par un de ses bras droits, Abdoul Hakim Al-Sahraoui, un combattant maure qui serait originaire des camps du Polissario. Sa voix facilement reconnaissable avertit, d’un ton menaçant, les dirigeants de toute l’Afrique de l’Ouest de « l’imminence d’un grand chaos et des attaques encore plus violentes pour combattre leurs régimes corrompus » ; La réente attaque de Chinégodar, encore au Niger, semble donner le ton.

Mais, un fait important vient, aujourd’hui, complexifier la carte du djihadisme au Sahel et dans toute la région qui, en plus des graves problèmes sécuritaires, va être de plus en plus marquée par l’intense rivalité entre les groupes terroristes malgré les impressions de convergence et de coordination. Le contrôle du Mali et de la « zone des trois frontières » représente un enjeu crucial pour les différents groupes.

Des sources dans la zone du Macina au centre du Mali rapportent à Timbuktu Institute que des heurts violents ont eu lieu le 10 janvier dernier, dans le Liptako (côté malien) entre des éléments d’Amadoun Khouffa, le chef du Front de libération du Macina et des récalcitrants au sein de son mouvement affiliés à un certain Mamadou Mobbo (l’érudit en Peul du Macina).

Il faut rappeler que Mamadou Mobbo fut de ceux qui avaient aidé à légitimer le combat d’Amadoun Khouffa, au début, dans le Macina dont il n’est pas originaire en réalité. Khouffa qui est plutôt de Tenenkou dans la Gourma avait besoin de Mamadou Mobbo pour se faire accepter dans le Centre du Mali pour mettre en place le FLM et en faire un outil de conquête et de recrutement en milieu Peul.

D’après les même sources de Timbuktu Institute, il y aurait, depuis quelques temps, au sein du FLM, trois points de désaccord entre d’Amadoun Khouffa et son désormais ancien lieutenant et soutien de taille dans les milieux érudits du Macina. Ces points de désaccord renseignent davantage sur l’enjeu de la répartition des ressources dans le Centre du Mali et les conflits qui minent le Sahel, de manière générale.

Les partisans de Mobbo reprochent, en fait, au chef du Front de libération du Macina sa « mauvaise gestion des rapports locaux autour des ressources naturelles et les pâturages ». Ils désavouent aussi la délimitation des voies de passage et bourgoutières qu’ils veulent voir gouvernés conformément à la « Dina » de Cheikhou Amadou.

Lors des affrontements de mi-janvier, deux éléments de la faction de Mamadou Mobbo ont été tués par les partisans de Khouffa. A la suite de ces profondes divergences, le groupusule affilié à Mamadou Mobbo fort d’un certain soutien local et des dignitaires Peuls aurait décidé de rejoindre l’Etat islamique au Grand Sahara et faire allégeance à Aboul Walid Al-Sahraoui.

Timbuktu Institute reviendra sur les différents enregistrements et déclarations des deux camps qui s’affrontent désormais ouvertement dans le Macina au risque de voir le FLM divisé et peut être affaibli.

Source : Timbuktu Institute

(Niamey et les 2 jours) - Pour Dr. Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute basé à Dakar et à Niamey, l’une des grandes inquiétudes est que la décision de la Turquie d’intervenir « ouvertement sur le plan militaire en Libye » soit prise au moment où « la base avancée de Madama au Niger est mise en sommeil par les forces françaises de Barkhane qui se sont redéployées vers Gossi dans le Nord du Mali ». L’expert des réseaux transnationaux dans le Sahel confie à la rédaction de Niamey Et Les 2 jours qu’« une éventuelle situation chaotique et un enlisement militaire en Libye auront de fâcheuses conséquences au Sahel dont les différents pays sont déjà touchés par la recrudescence des attaques terroristes, aussi bien au Niger qu'au Burkina Faso en plus du Mali, épicentre du djihadisme dans la région».

Pour le chercheur, par ailleurs, fondateur de l'Observatoire africain du Maghreb et du Moyen-Orient, « ce qui se passe en Libye est le fait d’une compétition ouverte autour d'intérêts stratégiques de la part de puissances étrangères avec diverses convoitises ne mettant pas toujours en avant l’impératif de paix et la stabilisation du pays ». 

Bakary Sambe explique qu’«en Libye s’affrontent actuellement, deux principaux camps celui sous l'égide du Maréchal Haftar contrôlant l’Est de la Libye (Cyrénaïque) avec une mainmise sur le trafic de migrants, la contrebande pétrolière, et l’exportation de ferraille. Ce camp dit de l’Armée nationale Libyenne est soutenu par l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et l'Egypte ». Pour le chercheur, ces pays qui soutiennent le Maréchal Haftar « partagent la préoccupation de limiter l’influence des Frères musulmans dans le monde arabe ».

De l'autre côté, poursuit, Sambe, « il y a le camp dit du Gouvernement d’Union nationale conduit par Faïez Al Sarraj qui a pris le contrôle de la Tripolitaine et est reconnu par les Nations Unies. Il bénéficie d’un soutien ouvert du Qatar et de la Turquie en plus d’un appui plus discret de l’Iran qui saisit l’opportunité de contrer l’influence saoudienne, entre autres »

Cependant, « en plus des raisons idéologiques mises en avant dans beaucoup d’analyses, il y des visées économiques et géostratégiques qui motivent l'engagement de la Turquie ». Pour le directeur de Timbuktu Institute, « ce pays est en train de jouer son avenir énergétique en Méditerranée ».

« Rappelons que la Turquie a précipitamment pris la décision de déployer ses soldats en Libye juste après la signature d’un accord pour la projet "EastMed" entre la Grèce, Chypre et Israël portant sur un Gazoduc de 2000 Km auquel l'Union européenne a, aussi, apporté son soutien financier conséquent », révèle Dr. Bakary Sambe. Il rappelle  que « cet accord porte essentiellement sur les énormes réserves offshore au large de Chypre et d’Israël vers la Grèce, puis vers le reste de l’Union européenne et que des pays d’Europe du Sud comme l’Italie seraient très intéressés à rejoindre cette initiative que la Turquie considère comme une menace sérieuse sur son approvisionnement énergétique »

Ainsi, selon Dr. Bakary Sambe, « la Turquie cherche surtout à assurer ses arrières pour son approvisionnement en gaz dans des eaux territoriales libyennes renfermant d’énormes gisements non loin de ses côtes et à bonne portée » et se positionne également « sur les marchés juteux de la reconstruction du pays avec ses géants du bâtiment assez présents dans la région », conclut le directeur de Timbuktu Institute.

Dakar 13 déc – Le directeur du Timbuktu Institute, Bakary Sambe, a prévenu vendredi contre les risques d’une approche purement militaire dans la lutte contre l’extrémisme violent, qui nécessite d’abord une ‘’stratégie nationale de prévention’’.
  
‘’Il ne faut jamais entrer dans un cycle d’intervention militaire sans régler au préalable la question d’une stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent, qui permet de faire adhérer les populations aux politiques publiques’’, a déclaré M. Sambe. 
 
Il intervenait à un atelier de restitution de l’étude ‘’Facteurs de radicalisation et perception du terrorisme chez les jeunes des zones frontalières du Sénégal et de la Guinée’’, menée par le Timbuktu Institute, un centre africain de recherches et d’études sur la paix.
 
Bakary Sambe avertit que ‘’ce serait une grosse erreur de la part des pouvoirs publics de plonger le Sénégal dans une approche purement militaire et sécuritaire (…) sans le préalable d’une stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent‘’.
 
Si les populations n’adhèrent pas à cette stratégie par le biais de la sensibilisation ou de séances d’explication, affirme-t-il, ‘’les autorités risquent d’avoir les mêmes problèmes que les pays de la région où les gouvernants sont contestés dans leur politique sécuritaire’’.
 
M. Sambe rappelle que la Guinée dispose d’une stratégie nationale de prévention, mais le Sénégal n’en a pas encore élaboré.
 
‘’Il faut que le Sénégal accepte de développer une stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent. Il y a des stratégies de sécurité nationale, mais c’est différent de la stratégie de prévention, qui est une stratégie holistique basée sur la sensibilisation, avec l’implication du monde religieux, du système éducatif et de la société civile’’, a-t-il précisé.
 
Le Sénégal et la Guinée, souligne Bakary Sambe, ont la particularité d’appartenir à la typologie 3 définie par l’étude. Celle-ci concerne les pays qui ‘’peuvent encore développer des stratégies nationales de prévention de l’extrémisme violent’’, selon le directeur du Timbuktu Institute. 
 
S’ils sont ‘’encore un peu éloignés de l’épicentre et des ventres mous où se déploie ce terrorisme’’, ils ‘’doivent prendre leur garde’’ toutefois, en raison de leur situation de pays côtiers.
 
‘’Les pays qui peuvent développer des approches préventives et prospectives ne le font généralement pas, de peur d’être classés comme zones menacées ou incertaines, ce qui aurait des impacts sur les investissements ou encore le tourisme’’, a analysé Bakary Sambe.
 
Il relève une confusion que beaucoup d’Etats font entre une stratégie de prévention de l’extrémisme et une stratégie de lutte contre le terrorisme.
 
‘’La lutte contre le terrorisme s’attaque à l’élimination des cibles, mais ce n’est ni efficace ni durable‘’, a-t-il expliqué.
 
L’étude comparative a été menée dans les régions de Labé (Guinée) et Vélingara (Sénégal) pour mieux appréhender les facteurs de vulnérabilité des jeunes (18-35 ans) dans les zones frontalières sénégalo-guinéennes et récolter des informations générales et spécifiques autour de la radicalisation et de l’extrémisme violent.
 
Les principaux facteurs de radicalisation relevés grâce à cette étude sont le chômage, la pauvreté et l’exclusion sociale des jeunes