En suivant l’actualité régionale, le plus marquant est qu’il y a une certaine raréfaction des attaques classiques de grande envergure et une multiplication d’actes isolés parfois jamais revendiqués. En même temps, il y a une récurrence des heurts intercommunautaires avec une violence à motivation complexe procédant par un parasitage des conflits locaux ethniques ou communautaires. S’en suit une ruralisation des incidents et attaques avec une concentration dans les zones frontalières loin des capitales ou centres politiques des différents pays du Sahel : Tillabéry, Tchintabaraden, Gueskérou, Ayerou au Niger, Gossi au Mali, provinces du Soum et de l’Oudalan au Burkina Faso.

On se demande si les groupes terroristes n’ont pas redéfini leur stratégie en parasitant et en intensifiant les conflits intercommunautaires. Cette stratégie inaugure forcément une nouvelle ère dans ce qu’il est convenu d’appeler « la lutte contre le terrorisme » avec la multiplication des zones d’instabilité dans les pays de la région et la pression sur la communauté internationale.

Dans ce contexte qui complexifie l’analyse de la situation sécuritaire au Sahel, cette contribution tente de revenir sur 1) les mutations et les nouvelles expressions de la violence au Sahel à travers les conflits intercommunautaires, 2) les malentendus évidents qui pointent entre les acteurs sahéliens, la communauté et les partenaires internationaux de même que sur 3) la problématique soulevée d’un dialogue comme possible sortie d’une crise devenue endémique.

 

Mutations des violences au sahel : une typologie mouvante à l’épreuve de paradigmes dominants

Les attaques similaires à celles de Yirgou Fulbé, dans le centre-nord du Burkina Faso (janvier 2019) vont, sans doute, se multiplier et auront un impact certain dans les pays voisins pendant que le Mali demeure au cœur de toutes les préoccupations. Le Burkina Faso est quant à lui entré dans un cycle de violences attisées par des conflits intercommunautaires qui, au début, n’avaient rien de religieux mais possédaient plutôt une dimension silvo-agro-pastorale. Il en est de même pour le Centre du Mali avec une concentration de facteurs de déstabilisation au sein d’un pays déjà largement affaibli.

De même, le Burkina Faso qui, avant 2015, était loin des tensions que connaissait le voisin malien, traverse une difficile situation d’insécurité avec des conflits intercommunautaires dans le Nord sur fond de stigmatisations entre Peuls, Mossis et autres communautés.

Une nouvelle dynamique s’installe ainsi sans qu’on y prenne garde tellement les concepts d’extrémisme violent, de radicalisation, de terrorisme ou encore de djihadisme ont façonné le regard habituellement porté sur la violence qui sévit ces derniers temps dans les pays du Sahel. D’autant plus, que ces paradigmes sont rarement renouvelés.

On peut donc se demander si le paradigme djihadiste a fini par structurer les schémas d’analyse en projetant sur toutes les manifestations de violence une préoccupation sécuritaire majeure qu’est le terrorisme, tout en perdant le réflexe d’une analyse basée sur les faits et la réalité du terrain.

C’est comme si, dans leur mode d’intervention, la communauté internationale et les pays de la région avaient fini par intégrer, malgré eux, les paradigmes désormais définis par les groupes terroristes dans le cadre de la rupture conceptuelle que leur a imposé le rapport de force après l’opération Serval.

En effet, Abu El Walid El Sahraoui avait admis qu’il était nécessaire de changer de modus operandi en transférant la violence sur les rivalités et conflits intercommunautaires tout en étant sûr de piéger les puissances occidentales qui réagiraient par des interventions militaires, sources de radicalisation et de frustrations, garantissant une base sûre de recrutement. Nos pays ainsi que les médias occidentaux sont apparemment restés obnubilés par le paradigme djihadiste qui ne colle pas à la réalité, ni aux faits de violence.

Un flou conceptuel s’est installé autour de la qualification des actes classés comme relevant de l’extrémisme violent avec une forte propension à ne pas les distinguer de ce qu’on appelle aussi le « crime organisé ».

Lorsqu’au Nord du Burkina Faso, des hommes armés s’attaquent à 6 Dozos, début septembre vers Kaïn dans la région du Nord, à la frontière du Mali ; ou encore, lorsque « des individus armés non identifiés ont attaqué plusieurs villages de la commune de Rollo dans la province du Bam (centre-nord) avec l’implication des Kolgwéogo Gondekoubé », les médias et les États-majors militaires évoquent une opération djihadiste. Idem lorsqu’il s’agit « d’individus armés non identifiés qui ont perpétré une attaque dans la soirée du 10 septembre 2019 à Ambkaongo, un village de la commune rurale de Tougouri, province du Namentenga (Centre Nord) », ou dans le cas des attaques simultanées contre des détachements militaires de Baraboulé et Nassoumbou, deux localités de la province du Soum (région du Sahel), sans aucune nuance dans les discours officiels ou les chaînes d’informations en continu.

Emmurées dans le paradigme « djihadiste », les analyses les plus expertes s’accommodent des concepts sensationnels tels que « groupes islamistes », « nébuleuse djihadiste », ou « radicalisation ». De ce fait, on ne prend guère en compte des formes d’hybridation de la menace et du transfert de la violence vers les conflits de type intercommunautaire alors que, dans le discours des groupes terroristes eux-mêmes, la dimension religieuse ou encore idéologique est quasi absente. Notamment, comparé à la période des opérations de grande envergure qui s’accompagnaient de revendications spectaculaires sur fond de références coraniques (cf. Ben Laden dans les grottes de Tora Bora, ou Al-Mourabitoune avec affichage des ténors, idéologues et chefs combattants).

Par une imbrication de circonstances, nous sommes passés de l’ère d’un terrorisme dit « djihadiste » à une situation confuse marquée par l’intensification d’une violence affectant, de plus en plus, des populations locales qui vivent une insécurité quotidienne tout en souffrant des mesures de sécurité imposées par les États qui n’ont jamais été aussi draconiennes.

En réalité et sans qu’on y prenne garde, il s’est progressivement installé une parfaite incompréhension entre l’approche internationale de l’insécurité au Sahel et les perceptions des populations locales, notamment au sujet des présences militaires qui n’ont pas pu venir à bout ne serait-ce que du sentiment d’insécurité. Un sentiment d’incompréhension, parfois « nihiliste », des efforts de la communauté internationale commence à prendre le dessus au point de rendre flou le discours des États devenus cibles de critiques d’une société civile contestataire qui s’est invitée dans le débat sécuritaire au Sahel. D’un sujet qui avait fait l’objet d’une forte convergence des vues au sein d’une communauté internationale  rapprochée par une vulnérabilité en partage, la lutte contre le terrorisme divise aujourd’hui en faisant même ressurgir des suspicions d’ « impérialisme », ou du moins de retour d’une domination par la fenêtre du sécuritaire.

A suivre

Source : Forum de Dakar

Au Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique qui s’est ouvert ce lundi 19 novembre 2019 au Centre international de Conférence d’Abdou Diouf de Diamniadio (Cicad), des dirigeants et experts de haut niveau ont pris part. Au cours de cette rencontre, il a beaucoup été question de multilatéralisme en rapport avec les défis de sécurité et de la paix en Afrique. Pour sa part, le Dr. Bakary Sambe, Directeur et Fondateur de Timbuktu Institute s’est exprimé sur la question tout en insistant sur la prévention de l’extrémisme violent et, par ricochet, la nécessité pour l’Etat du Sénégal, de se doter d’une véritable stratégie nationale de prévention en la matière.

MAMADOU YAYA BALDE

En marge du Forum international de Dakar sur la Paix et la sécurité en Afrique,  le Fondateur et Directeur de Timbuktu Institute/African Center For Peace Studies,  a noté un changement de paradigme de l’Etat face à la menace terroriste. Selon cet enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, l’Etat du Sénégal a bel et bien pris au sérieux la question du phénomène de l’extrémisme violent  à travers de mesures concrètes. Il en veut pour preuve, le discours du président Macky Sall  lors du Forum de Dakar sur la Paix et la sécurité en Afrique et les nombreuses initiatives prises par l’Etat, notamment  la mise en place, depuis 2014, de la  Cellule de lutte anti-terroriste. 

Insistant sur la dimension de la prévention, le Directeur de Timbuktu Institute  prévient : « Le Sénégal est certes longtemps resté cet îlot de paix dans un océan d’instabilité qu’est la sous-région ouest-africaine, mais il ne doit pas dormir sur ses lauriers. Il doit gérer les impératifs de sécurité et s’investir de plus en plus dans la prévention qui, à mon avis, est plus durable», a-t-il préconisé.

Dans le même ordre d’idées, il estime que  « le Sénégal ne doit pas verser tout de suite dans le tout-militaire  avant le préalable d’une stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent avec une approche holistique distincte des opérations de lutte contre le terrorisme ». D’où la nécessité préalable de doter le Sénégal d’une stratégie nationale de prévention qui mettra l’accent sur l’éducation de la population, l’implication des leaders religieux, préalable incontournable dans le cadre de la prévention contre le terrorisme.

Au cours de ce Forum, le président de la République, Macky Sall, a plaidé pour un renforcement des mandats des Nations contre les Djihadistes. Une démarche soutenue par le nouveau président mauritanien, Mohamed Ould Ckeikh El Ghazouani.

Le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique se tient du 18 au 19 novembre 2019  au Centre international de Conférence d’Abdou Diouf de Diamniadio (CICAD) sur le thème : « Paix et sécurité en Afrique : les défis actuels du multiculturalisme ». 

 « J’ai dit et écrit qu’il est urgent voire impérieux d’engager le dialogue avec les groupes radicaux violents au Mali »

Invité à Dakar par Timbuktu Institute dans le cadre du séminaire sous-régional « coopérations sécuritaires au Sahel à l’heure des conflits intercommunautaires » dont il était l’un des panélistes, le Dr. Aly Tounkara, enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et sciences humaines à l’Université de Bamako dresse une analyse  sans complaisance de la crise malienne. Dans cet entretien exclusif qu’il nous a accordé, cet expert des questions sécuritaires au Collège sahélien de sécurité de Bamako revient sur ‘’la mise sous tutelle de l’armée malienne’’ par les forces étrangères, les enjeux économiques, stratégiques et géopolitiques qui enveloppent le discours sur la lutte contre le terrorisme, la position ambigüe de la classe politique malienne et la ‘’nécessité absolue’’, selon lui, de déclencher le dialogue avec les groupes radicaux violents. Entretien.

PROPOS RECUEILLIS PAR MAMADOU YAYA BALDE

Vous êtes Invité à Dakar par Timbuktu Institute dans le cadre d’un séminaire sous-régional intitulé : « Les coopérations sécuritaires au Sahel à l’heure des conflits intercommunautaires » dont vous êtes un des conférenciers. En tant que chercheur, comment vivez-vous le phénomène de l’extrémisme violent au Mali ?

Evoquez aujourd’hui l’extrémisme violent ou les attaques avec le référentiel musulman qu’on peut qualifier d’attaques djihadistes, cela dépend de quelle partie du Mali se place-t-on. De 2012 à nos jours, les régions du Nord et celles du centre du Mali connaissent effectivement des attaques terroristes de la part des différentes katiba notamment Alqaida, Ançar Al-charia et d’autres katiba qui se sont greffées aux tensions communautaires particulièrement dans la région de Mopti. L’action terroriste, dans le contexte malien, est quand même quotidienne. On ne peut dire que le Mali s’habitue au phénomène, mais le vit plus que les autres pays de la sous-région.

Est-ce que la présence de la force française barkhane et d’autres forces étrangères dans le pays, en plus des efforts singuliers de l’armée malienne, n’ont pas atténué la percée et l’action djihadistes au Mali ?

Quand on prend les différentes interventions militaires étrangères notamment, l’on se rend compte que celles-ci ne s’adaptent pas forcément aux logiques du terroir. Autrement dit, les différents mandats qui sont assignés à la force barkhane française et la force onusienne (MINUSMA) sont des mandats qui ont été décidés tout en mettant le Mali sur la touche. De ce fait, ces forces militaires, à mon entendement, peuvent difficilement s’accommoder aux attentes des populations maliennes notamment celles du Nord et du Centre. Par exemple, quand tu prends l’intervention française de 2013 à aujourd’hui, elle a permis incontestablement une accalmie dans les centres urbains. Mais toujours est-il que l’objectif final recherché par cette intervention française, qui est de mettre fin à l’action violente terroriste, est loin d’être atteint pour des raisons plurielles. Et, très souvent, on n’oublie que derrière les actions militaires, il y a d’autres dimensions importantes. Au nom de la lutte contre le terrorisme, on s’intéresse à la migration irrégulière. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les entreprises internationales opérant sur le territoire malien et dans le Sahel de façon générale sont préservés par les militaires occidentaux. Au nom de la lutte contre le terrorisme, il y a des enjeux financiers conséquents qui concernent toute la zone sahélienne qui regorge une quantité importante de minerai, du pétrole…Bref, tout ce dont l’humanité a besoin pour sa survie. Je pense qu’au-delà du levier militaire, il y a bien d’autres enjeux économiques, géopolitiques, géostratégiques qui sont là. Si l’armée française et l’armée loyale du Mali peinent à contenir la violence par le simple fait qu’il n’y a pas une coopération objective entre les deux. On va vous parler des actions conjointes menées dans les zones en conflits, mais lesquelles opérations dites conjointes sont sérieusement hypothéquées par le simple fait que la force barkhane française n’associe pas effectivement l’armée malienne dans la définition de ses différentes stratégies de lutte contre le terrorisme. S’il y a par exemple des opérations conjointes à mener par l’armée française et la force malienne, c’est la force française sui décide toute seule. Une fois que les décisions sont prises, on demande 5 à 10 militaires maliens de se joindre à eux.

C’est juste pour un complément d’effectif ?

Exactement ! En termes de stratégies, l’armée malienne ignore tout et ne maitrise même pas aussi les différents itinéraires à emprunter. Voilà des armées étrangères qui ont mis l’armée malienne sous tutelle. C’est la triste réalité. Mais les politiques peuvent le nier. Mais quand on s’intéresse à la cartographie de conflits au Mali, naturellement l’on se rend compte que l’armée malienne est sous-tutelle. Cela s’explique par le fait que les forces étrangères (Barkhane et la MINUSMA) ont un mépris vis-à-vis de l’armée nationale. Tout ceci fait que la lutte contre le terrorisme devient très complexe dans le contexte malien.

Qu’en est-il de la propagation du phénomène ?

Il faut aussi rappeler que les forces terroristes ont réussi à épouser les logiques du terroir. Elles ont réussi à enrôler un nombre important de jeunes en se basant sur les tares de l’Etat malien, la distribution de la justice, la délivrance des services sociaux de base…Ce sont ces insuffisances qui ont été récupérées par les groupes radicaux violents afin d’enrôler davantage les communautés locales. C’est là qu’on comprend aisément que toutes les solutions militaires portées jusqu’ici ont certes permis d’instaurer un semblant d’accalmie, mais elles peinent à mettre un terme à l’action violente. D’où la limite de ces actions militaires parce qu’elles ne bénéficient pas forcément d’un soutien populaire.

Vous êtes un fervent militant du dialogue avec les groupes radicaux violents. Pourquoi adoptez-vous une telle posture ?

On a vu en Irak, en Afghanistan, en Syrie, ces mêmes puissances étrangères occidentales avaient catégoriquement refusé de déclencher le dialogue avec Al-Qaida, les Talibans mais elles ont fini par comprendre que les réponses militaires, à elles seules, ne peuvent contenir l’action violente des groupes djihadistes. Des pourparlers ont été engagés entre les Etats-Unis et les Talibans, entre la France, l’Angleterre et certains éléments de l’Etat islamique. La force militaire est nécessaire, mais ne suffit pas. J’ai dit et écrit qu’il est urgent voire impérieux d’engager le dialogue avec ces groupes radicaux au Mali. On me dira qu’il y a mille et un groupes à la fois. Certes, il y a toute une kyrielle de groupes, mais les ‘’gros poissons’’ sont connus. Il y a une cartographie des acteurs qui opèrent sur le terrain. On sait qu’au centre du Mali, la katiba de Malam Dicko et celle d’Amadou Kouffa sont les plus actives. Quand on s’intéresse aux régions du Nord, la katiba Ançar Dine d’Iyad Aghali opère suffisamment dans la zone. On connait les ères géographiques d’intervention de ces différents groupes violents.

Quelles seraient les raisons et la démarche qui sous-tendent cette invite au dialogue à laquelle vous appelez de vive voix ?

L’offre du dialogue me parait importante parce que le dialogue coûte moins cher. Quand vous prenez, rien que pour l’entretien de la force Barkhane, c’est trop cher. De même que la force onusienne, elle est hyper chère. Au contraire, avec des sommes vraiment symboliques, on peut déclencher le dialogue avec l’ensemble des oulémas. Il serait plus facile de se rapprocher des groupes radicaux violents du point de vue idéologique. On sait pertinemment que beaucoup de ces groupes s’appuient sur l’interprétation littérale des textes sacrés. On a aussi des adeptes de la même pensée littérale dans nos centres urbains qui peuvent bien être une sorte de passerelle entre l’Etat central du Mali et ces groupes radicaux violents. Quand on prend le centre du Mali par exemple, on sait que Amadou Kouffa a des accointances avec les chefferies locales qui peuvent également constituer un pont entre l’Etat central du Mali et lui. Mais le hic, c’est que les puissances étrangères ne veulent pas qu’on parle de ce dialogue tandis que ces mêmes puissances ont engagé le dialogue en Libye, en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Au bout du compte, on voit qu’on nous prend pour des idiots. Ces puissances savent pertinemment que le Mali n’a pas une armée bien structurée afin de faire face à ces groupes radicaux violents et les seuls outils efficaces et utilisables qui restent à l’Etat malien, ce sont les outils du dialogue. De ce fait, je défends partout où je passe, à travers mes travaux, qu’une des meilleurs issues à la crise malienne serait de déclencher le dialogue avec ces groupes radicaux violents : Iyad Ag-Ali, Amadou Kouffa et Malm Dicko.

On sait que ces groupes diront naturellement qu’ils ne veulent pas voir la force française, onusienne lors du dialogue. De l’autre côté aussi, on nous dira également qu’on ne peut pas dialoguer avec des gens qui ont tué des innocents, violé ou fait ceci ou cela. Mais ce qu’on reproche aux mêmes groupes radicaux violents, est valable pour les groupes indépendantistes du Nord Mali qui ont tué, saccagé, violé. Mais en dépit de toutes ces exactions, on a fini par se mettre autour d’une table et signer les accords de la paix et de la réconciliation d’Alger. Maintenant, je ne sais pas en quoi on pourrait avoir une lecture à géométrie variable face à des acteurs qui ont tous des mains tachetées de sang.

Il est de la responsabilité de l’élite politique malienne de prendre son destin en main, d’avoir le courage d’heurter les sensibilités des puissances occidentales afin de déclencher un tel dialogue avec les groupes radicaux violents. Quand on aura déclenché le dialogue, de part et d’autres, les positions seront revues. Ce qui est intéressant, c’est que quand ces groupes vont se retrouver autour d’une table de négociation, les tensions intercommunautaires connaitront un affaissement parce qu’on sait que ces tensions sont, quelque part nourries, par le référentiel musulman. Dialoguer avec ces groupes radicaux violents permettra un recul net des affrontements intercommunautaires.

Vous avez parlé du dialogue. Mais qui peut prendre une telle initiative  et comment piloter tout ça ? Quels seraient les préalables ou termes de référence à cet éventuel dialogue ?

L’initiative revient à l’Etat central. Ce n’est pas une communauté, ni un enseignant encore moins un journaliste de déclencher un tel processus. Et ce qu’on ne dit pas souvent, c’est que quand vous allez sur le terrain, les acteurs interrogés dans leur écrasante majorité, prônent le dialogue avec ces groupes radicaux violents. Ce qui n’est pas suffisamment relayé par les médias. Une des études récentes de l’International Crisis Group montre effectivement ce besoin d’aller vers le dialogue exprimé dans les parties en proie à l’insécurité. Je pense qu’au nom de la démocratie, il faut écouter ces acteurs, au nom de l’inclusion et du vivre-ensemble, il faut les écouter. Et le savant musulman a toute sa place dans ce dialogue pour décrypter et déconstruire le discours de ces partisans de la pensée littérale. Ce qui permettra de faire comprendre à ces djihadistes que leur argumentaire ne tient pas. Les textes sacrés restent l’arme la plus redoutable pour la déconstruction du discours des auteurs de violence au nom du référentiel musulman.

En quoi ce dialogue sera-t-il différent ou semblable dans sa démarche avec les pourparlers qui ont abouti aux accords d’Alger ?

Ce qu’on ne dit pas aux gens, c’est ce que les termes de référence des accords d’Alger ont été élaborés en mettant sur la touche les vrais acteurs. Partout au Mali, je rappelle que ce ne sont pas les bergers, les journalistes, les agriculteurs qui ont déclenché cette crise. Cette crise a pris de l’ampleur à cause de l’immixtion du référentiel musulman. L’accord pour la paix devait impérativement intégrer les groupes radicaux violents. Ils constituent le moteur de l’insécurité. De nos jours, les gens qui sévissent réellement au Mali tout comme au Burkina, se revendiquent de l’islam. Comment peut-on négocier avec d’autres acteurs tout en ignorant les acteurs les plus importants dans la compréhension de la dynamique conflictuelle au Mali ? C’est ainsi qu’on comprend aisément que les documents sur les accords d’Alger, appelés « processus d’Alger ou l’accord pour la Paix et la réconciliation », ne reflètent pas forcément la réalité du terroir. Et c’est là que nous sommes dans le déni de la réalité. Le Mali a aujourd’hui un sérieux problème de gouvernance. Mais il est important, à un moment donné, que le Mali s’assume devant son histoire. Vouloir s’opposer aujourd’hui à des puissances étrangères, on peut même risquer sa vie.

Puisqu’il est avéré que l’Etat n’est plus capable de nous protéger, il faut négocier avec ces groupes radicaux violents. La crise malienne doit être résolue par les Maliens eux-mêmes. Les autres ne doivent être que des appuis. Mais ce à quoi nous assistons, c’est que les appuis deviennent l’essentiel, l’essentiel devient l’accessoire. Voilà un pays aujourd’hui où il y a beaucoup d’acteurs régionaux et internationaux, mais qui ont fini par écarter les acteurs nationaux.

Est-ce que les défaillances de l’Etat en matière de gouvernance et la contestation sérieuse de sa légitimité ne peuvent pas conduire à un refus des populations locales et des groupes radicaux de voir l’Etat conduire ces pourparlers ? La société civile malienne ne serait-elle pas l’acteur le plus approprié pour essayer de nouer le fil du dialogue ? Si oui, est-elle suffisamment outillée et à équidistance entre les différentes forces en jeu ?

Quelle que soit la fragilité d’un Etat ou ses défaillances, il y a quand même des questions régaliennes. Ce n’est pas à une société civile ou une entité confessionnelle de faire ce travail. Il est vrai qu’au Mali, il y en ce moment un gros souci de légitimité à propos de l’Etat, mais en dépit de tout cela, l’Etat est indispensable. Il doit être le garant, quelle que soit la provenance de l’initiative. Il faut aussi rappeler que tous les fonctionnaires ou agents de l’Etat ne sont pas aussi rejetés par ces groupes radicaux violents. Toujours est-il qu’on peut trouver des acteurs qui pourraient aider l’Etat central, de manière indirecte, à déclencher un tel processus. La société civile et les leaders religieux ont beau été engagés, la partition de l’Etat est indispensable.

Et l’opposition malienne dans tout ça ?

Elle fait son mieux, faut-il le rappeler, en se prononçant sur la question. Mais les positions sont très ambigües parce que les politiques font des déclarations tout en restant très prudents à l’endroit notamment des puissances occidentales. Ce qui fait que cette question de la prise en compte de l’avis des populations du terroir n’est pas là. C’est la catastrophe. Les gens parlent tout en faisant attention à ne pas faire entorse aux Etats-Unis, à la France, etc. Sinon comment prétendre défendre un peuple tout en ayant peur de porter la voix de ce peule ? Même l’opposition est dans le déni, elle aussi. Je n’ai pas entendu un leader influent, appeler à ce dialogue de peur d’être mal vu. Quand on gère un Etat avec de tels calculs et raccourcis, les conséquences s’appellent la catastrophe. Il faut sortir du déni de l’évidence, du simplisme.

En conclusion, peut-on dire que les forces étrangères venues aider, appuyer l’Etat malien constituent-elles aujourd’hui le blocage, le problème même ?

Les puissances le sont, à certains égards d’autant plus que les mandats qui sont le leur ne sont pas forcément en phase avec les attentes des populations maliennes. De ce fait, l’action de ces puissances devient contre-productive en termes de lutte contre le terrorisme et en termes même de contribution à la paix et à la stabilité sociale. C’est pourquoi, des soulèvements sont observables au Sahel pour demander, sans équivoque, le départ immédiat de ces différentes forces étrangères sur le territoire malien. Je pense que la question de l’utilité de ces forces se pose dans le contexte malien d’aujourd’hui.

 

 

 

Des visites officielles des Muqaddams de Fès entre 1922 et 1948, à l’inauguration de la Grande mosquée de Dakar, par Hassan II, en 1964, avec une prière du vendredi dirigée par El Hadji Abdou Abdou Aziz Sy Dabakh en passant par l’escale historique, à Dakar, du Roi Mohammed V à son retour d’exil de Madagascar en 1955, Tivaouane a joué un rôle diplomatique majeur et pionnier dans les relations entre le Sénégal et le monde arabe.

De la mise en place de la Fédération des Associations islamiques du Sénégal à l’implantation du Bureau régional de la Ligue islamique mondiale (LIM) au Sénégal, en plus du raffermissement des liens entre notre pays et le Maroc ou l’Arabie Saoudite et l’Egypte, d’éminentes personnalités de l’Ecole de Tivaouane se sont longtemps investies et ont accompagné le processus qui a conduit à la situation enviable des relations arabo-sénégalaises actuelles.

Dans l’histoire de la diplomatie et des relations entre le Sénégal et le monde arabe, Tivaouane et les nombreux autres foyers religieux qui y sont liés, ont joué un rôle déterminant et ce, avent même l’indépendance.

Cet état de fait découle de liens historiques qui surplombent les seules réalités diplomatiques ou bilatérales et sont le fruit d’un long processus dans lequel le religieux comme élément facilitateur a eu un incontestable rôle.

Sans parler de la période récente où des personnalités religieuses issues de Tivaouane ou de son Ecole comme Serigne Abdoul Aziz Sy Al-Amine et El Hadji Moustapha Cissé de Pire ont incarné le statut de véritables interfaces entre le Sénégal indépendant et le monde arabe, la ville de Maodo a toujours été au centre de ces relations.

La prédominance du paradigme institutionnel dans l’analyse du fait diplomatique, sous nos tropiques, a fait que cet aspect reste méconnu parfois même des spécialistes qui ne vont pas au-delà des circuits officiels, des déclarations ou encore des accords bilatéraux.

Il faudrait revisiter l’histoire des liens entre le Sénégal et le Maroc pour comprendre pourquoi le royaume chérifien lui-même a toujours tenu à mettre en avant la dimension religieuse comme capital symbolique que Rabat a fini par convertir en capital diplomatique…

Dans Falâ Budda Min Shakwâ à travers une belle complainte poétique, Maodo exprime son regret de ne pouvoir se rendre physiquement à Fès (Wa kam ashtakî indal ilâhi ziyâratan). Mais, l’impossibilité matérielle pour Seydi El Hadj Malick de se rendre à Fès n’a pas empêché des échanges entre Tivaouane, la communauté tijânie du Sénégal et la ville de Fès ainsi que d’autres régions du Maroc.

Ces échanges qui ont comme cadre principal la confrérie et l’appartenance commune à celle-ci, ont amené certains grands dignitaires religieux marocains à effectuer des visites au Sénégal, dans une période où les conditions administratives des déplacements étaient plus que difficiles. Non seulement les moyens de communications n’étaient pas très développés, mais que les autorités coloniales françaises voyaient d’un mauvais œil tout contact entre les deux rives du Sahara dans le sillage du rapport Willaim Ponty.

D’après nos entretiens, ces relations initiées, déjà, à son époque, par El Hadj Malick Sy lui-même, se sont poursuivies après sa disparition en 1922. Ainsi, son fils aîné et premier calife Seydi Ababacar Sy reçut la visite au Sénégal du petit-fils du fondateur de la confrérie Tijâniyya Cheikh Muhammad al Tayyib al-Tijânî en 1948. Cette visite inscrite dans la continuité des rapports entre la famille Sy et le Maroc sera suivie de celle de Sayyid Ben’amar al-Tijânî dès 1951 dont Serigne Mansour Sy Dabakh garde encore d’intéressantes traces photographiques.

Il faut savoir que ces relations et ces échanges ont toujours été inscrits dans une certaine continuité de part et d’autre. Rappelons que, de son vivant, El Hadj Malick Sy avait essayé de rapprocher du Maroc sa famille, en l’occurrence son fils aîné, Seydi Ababacar Sy, en le chargeant d’organiser la visite et la tournée au Sénégal de cheikh Ahmad ibn Sâ’ih, de la branche Tijâniyya de la région de Rabat où se trouve encore leur Zâwiya.

C’est cette même volonté qui se manifesta à l’occasion des visites de 1948 et de 1951 lorsque Seydi Ababacar Sy confia son frère et futur calife El Hadj Abdou Aziz Sy d’organiser la tournée des marabouts Ben ‘Amar et Tayyib al-Tijânî à travers les villes et villages du Sénégal, pour rencontrer les communautés tijânies.

C’est pourquoi, lors de nos études de terrain, on nous fit savoir, au niveau de la famille Sy, que le « vœu cher » formulé par El Hadji Malick Sy de se rendre à Fès et qui ne s’est jamais matériellement réalisé a été « exaucé » et s’est concrétisé lorsque son fils El Hadji Abdou Azîz Sy se rendit à Fès en 1949.

Signalons que cette visite à Fès s’est effectuée lors de son retour du pèlerinage à la Mecque, comme il est de coutume chez les Tijânis sénégalais. Cette visite est d’une importance clé dans l’approche des relations entre le Maroc et la communauté tijânie du Sénégal dans le sens où la personnalité en question l’a effectuée comme le représentant de tous les fidèles du pays, en faisant ou renouvelant l’allégeance à la zâwiya-mère.

D’après nos sources, très proches des personnalités concernées, c’est lors de ce séjour au Maroc que le futur calife de la Tijâniyya sénégalaise fit la connaissance d’un certain Ahmad Bensûda. Celui-ci deviendra, plus tard, un des Conseillers du Roi Hassan II très attaché à la qualité des relations entre le Maroc et le Sénégal, notamment, celles liant le Trône aux Zâwiya Tijaniyya.

Il s’est, ainsi, établi une tradition de coopération et de relations « personnelles » entre la communauté tijânie du Sénégal et le trône alaouite du Maroc. On pourra, par la suite, constater que, simultanément,, étaient nées des relations semi-officielles entre acteurs politiques et relais religieux d’une coopération bilatérale.

Ainsi, El Hadj Abdou Aziz Sy de Tivaouane et Thierno[1] Saïdou Nourou Tall, petit-fils d’El Hadj Omar Tall seront les deux personnalités religieuses sénégalaises à aller accueillir le Roi Mohamed V du Maroc, lors de son escale à Dakar, alors de retour d’exil de Madagascar suite à de nombreux efforts de la part de personnalités sénégalaises religieuses comme politiques.

La zâwiya de Fès n’a jamais sous estimé le rôle et la place des communautés tijanies et leurs marabouts dans les rapports entre le Sénégal et le Maroc. C’est certainement ce qui a assuré à ces rapports la continuité qui les caractérise encore aujourd’hui.

D’ailleurs deux émissaires – et non des moindres – seront présents à Tivaouane suite au décès de Seydi Muhammad al-Mansour Sy, fils d’El Hadj Malick Sy. En 1922 Il venait – juste une semaine avant - de succéder à Seydi Ababacar Sy.

Ce sera l’occasion pour ces deux émissaires de Fès – Sidî Ahmed Tijânî et Chérif Muhammed al-Habîb Tijânî- d’assister à l’installation d’El Hadj Abdou Azîz Sy comme calife de la Tijâniyya sénégalaise.

Serigne Maodo Sy fils d’El Hadji Abdoul Aziz Sy Dabakh avait eu la générosité de nous fournir une copie de cette lettre manuscrite adressée par la Faqîh Cheikh Ahmad Sukayrij à cette même famille, à la mort d’El Hadj Malick Sy afin d’appeler à l’unité de la communauté Tijânie[2].

Même à la mort d’El Hadji Malick Sy en 1922, les rapports entre la ville de Tivaouane et, à travers elle, la communauté tijânie du Sénégal et le Maroc se sont distingués par cette imbrication d’un processus de coopération bilatérale et d’une légitimation religieuse de « liens historiques entre deux peuples ».

Les politiques tendent à se servir de cette réalité dans le cadre de la diplomatie d’influence. Elle devient, même, un outil de politique extérieure dans le sens où elle facilite la réception positive des initiatives bilatérales. La Maroc l’a bien compris dans sa stratégie africaine contemporaine.

Dans le cadre de cette tournure particulière des rapports sénégalo-marocains, on pourrait dire, sans excès, que les relations entre la «zâwiya et le trône » ont connu une intensification sans commune mesure, sous le règne de Hassan II.

Rappelons que le Roi du Maroc d’alors procédera à l’inauguration de la Grande Mosquée de Dakar en 1964. On peut même se demander si les autorités sénégalaises, dans l’organisation protocolaire de cette cérémonie, n’avaient pas, déjà, une parfaite compréhension de l’enjeu de la Tijâniyya dans leurs rapports avec le royaume chérifien. Sans être l’imam « officiel » de la Grande Mosquée, par la suite, El Hadj Abdou Azîz Sy, par ailleurs, calife de la Tijâniyya au Sénégal, fut désigné par les autorités sénégalaises pour diriger la prière inaugurale du vendredi avec, précise, Pape Makhtar Kébé, « deux remarquables sermons prononcés devant Sa Majesté Le Roi Hassan II ».

Ainsi, d’après nos multiples entretiens avec les guides religieux et muqaddams de la Tijâniyya, nous avons toujours senti la volonté unanime de placer les relations sénégalo-marocaines à un niveau « exceptionnel ». Les différentes familles de la confrérie essayent, même, de mettre en exergue leur proximité avec le royaume chérifien par l’intermédiaire de la « zâwiya mère » de Fès. Ainsi, on note cet aspect chez les autres acteurs de la Tijâniyya sénégalaise qui ont, tous, leurs réseaux de relation au Maroc pourvu qu’ils puissent accéder à la reconnaissance de la zâwiya-mère de Fès. A côté des relations entre Tivaouane et le Maroc d’autres obédiences tijânies ont établi de nombreux contacts avec le royaume, utilisant les réseaux confrériques.

La dernière tournée de l’actuel Khalife Général des Tidianes Serigne Mbaye Sy Mansour a été l’occasion d’une réception au Ministère des Habous et des Affaires Islamiques, accueillis par Ahmed Toufiq qui voyait en cette visite une continuité des rapports historiques.

Mais, le Maroc qui est dans une stratégie de promotion de son modèle islamique comme partie intégrante de sa diplomatie d’influence sur le continent, a bien réalisé l’importance capitale de la Zawiya de Tivaouane en tant qu’alliée incontournable avec laquelle il partage le Fiqh malikite, le dogme ash’arite et le Taçawwuf dans le contexte d’une forte concurrence des offres religieuses et spirituelles.

Répondant à une interview de Sputnik France, le Directeur de Timbuktu Institute revient sur la situation au Sahel qui a beaucoup marqué les discours au Sommet Russie -Afrique qui s'est tenue à Sotchi et analyse certaines déclarations de chefs d'Etats comme l'expression d'un certain désarroi.
Pour Bakary Sambe, directeur de l’Institut Timbuktu basé à Dakar, fondateur en 2012 de l’Observatoire des radicalismes et des conflits religieux en Afrique (Orcra) et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal, les États sahéliens sont à la peine pour financer l’effort de guerre que représente la déstabilisation, depuis 2012, par divers groupes terroristes ayant envahi la région en s’engouffrant par le nord du Mali.

Ils cherchent donc à mutualiser leurs efforts, mais sans toujours y parvenir, afin de contrer l’avancée de ces groupes djihadistes, au sud, vers les États côtiers. D’où, selon lui, une nouvelle logique africaine de promouvoir le multilatéralisme sur le plan international en appelant la Russie à rejoindre la coalition de lutte contre le terrorisme au Sahel, dont elle ne fait pas partie pour le moment. Pas plus d’ailleurs qu’elle n’a obtenu une position d’observateur au G5 Sahel en raison, selon plusieurs sources diplomatiques, de l’opposition jusqu’ici de la France.

«La Russie bénéfice du statut de pays non colonisateur aux yeux des populations africaines. Elle est donc un acteur différent, plus désirable. Il ne faut pas séparer cette demande d’une opinion montante en Afrique francophone que les interventions étrangères feraient partie du problème, en même temps que d’un rejet très fort de la France comme en témoignent actuellement les débats sur le franc CFA. La Russie apparaît donc comme un allié moins encombrant que les autres puissances occidentales, notamment l’ex-puissance coloniale», a déclaré au micro de Sputnik le directeur de l’Institut Timbuktu.
Pour le chercheur sénégalais, grand spécialiste de la radicalisation au Sahel, ces déclarations du président Roch Marc Christian Kaboré sont aussi une façon subtile de rappeler aux bailleurs de fonds du G5 Sahel leurs promesses d’aide financière qui n’ont pas été tenues à la hauteur des engagements initiaux. Au point que des pays comme la Chine, voire les États du Golfe, ont fini par être sollicités.

«C’est une manière de prendre Paris au mot et de lui forcer un peu la main puisque lors du dernier sommet du G7 à Biarritz, la France a demandé davantage d’ouverture pour financer le G5 Sahel à l’Afrique elle-même, mais aussi à des pays comme l’Allemagne, par exemple. Face à la montée du terrorisme et à l’insécurité grandissante au Sahel, le désarroi des chefs d’État africains est apparent. D’autant que la grogne des populations de ces États ne va pas s’arrêter là: celles-ci souffrent de plus en plus des conditions de vie difficiles dues au manque de sécurité dans cette région, alors qu’elles sont elles-mêmes de moins en moins en sécurité», estime Bakary Sambe.

Source : Sputnik France https://fr.sputniknews.com/afrique/201910291042340202-apres-sotchi-quelle-implication-de-la-russie-dans-la-lutte-contre-le-terrorisme-au-sahel/

Timbuktu Institute, qui vient d’installer son Bureau Sahel-Bassin du Lac Tchad à Niamey ouvre un nouveau chapitre de recherche-action à propos des questions migratoires et des enjeux sécuritaires pour l’Europe et ses partenaires de la région. Cette thématique de recherche va couvrir aussi bien les volets migratoires que la question de la réinsertion socio-économiques. Ce sera à partir d’une approche holistique de la question migratoire très souvent confinée dans le domaine du contrôle des flux et des mesures répressives.

Récemment, s’est tenue à Las Palmas de Gran Canaria, la 7e rencontre des Envoyés spéciaux UE et partenaires du Sahel avec une forte participation des différents services de coopérations européens dont la France, la Suisse, la Norvège, la Finlande, la Belgique, souligne Bakary Sambe. Selon le directeur de Timbuktu Institute, "la question de la coopération était au centre de nombreux échanges pour aller au-delà du sécuritaire et s’ouvrir sur les perspectives basées sur le développement et la coopération. L’idée du Fonds fiduciaire européens de même que d’autres initiatives de l’OCDE entrent dans le cadre d’un tel tournant dans l’approche de la question migratoire à laquelle souscrit Timbuktu Institute".

En effet, depuis des décennies la migration en Afrique de l’ouest est une des plus denses et ne cesse de s’intensifier d’année en année. En 2000, le nombre de migrants intra-africains s’élevait déjà à 12,5 millions et ce chiffre est monté jusqu’à 19,4 millions en 2017[1].

En dépit de la croyance populaire, les migrants quittant l’Afrique subsaharienne n’ont pas tous l’intention de traverser la méditerranée pour arriver en Europe, la plupart ont pour destination finale un autre pays de leur communauté économique. En effet, d’après une étude de la CNUCED, 47% des migrants internationaux issues de pays de la CEDEAO vivent dans un pays de la même zone.

En Afrique plusieurs zones de transit important sont à noter dont le Niger qui fait partie des 10 plus grands pays de transit au monde, avec des zones d’affluence comme Agadez, Séguédine et Arlit.

Les flux migratoires à travers le Niger se structurent autour de plusieurs sous‐canaux, les principaux reliant d’une part, le Sahel à l’Afrique côtière et, d’autre part, le Sahel à l’Algérie et à la Libye. Le Niger est actuellement avant tout un pays de transit et d’émigration. Des filières migratoires se sont consolidées au fil du temps, associant l’installation pérenne d’un flux migratoire circulairesouvent correspondant à des activités agricoles saisonnièresgénéralement compris entre six et sept mois[2].

Les migrants utilisant le Niger comme pays de transit proviennent principalement du Nigéria, de la Gambie, du Mali, du Sénégal et dans une certaine mesure du Ghana, du Liberia, de la Sierra Leone et de la Cote d’ivoire[3].

Cela s'explique par plusieurs raisons, comme la position géographique stratégique du Niger par rapport à la Libye qui est l'un des principaux pays d’accueil de migrants irréguliers ainsi que d’autres pays de la région à forte taux migratoire. Les couloirs d’Agadez, du Niger–Sabha et de la Libye concentrent la majeure partie des flux migratoires transsahariens.

Flux migratoires observés sur certains axes du Niger de Janvier à Février 2019

Mois

Flux entrants

Flux sortants

Janvier

24808

21924

Février

34875

35402

March

44900

47819

April

64356

68326

Mai

64356

68326

Juin

101231

105425

Juillet

110673

124450

Aout

131490

141862

Septembre

142354

188369

Total

719043

801903

 

Source IOM/DTM, Flow monitoring report, dashboard January to February 2019

Le tableau ci-dessus nous montre l’importance des flux migratoires à travers le Niger. Ces données ont été collectées sur des points de points de suivis des flux nommés FMP (flow monitoring points) installés par l’OIM dans des zones d’affluences comme Agadez, Séguédine, Arlit… Même si ces données ne représentent pas l’ensemble des flux mensuels de migrants, ils donnent une vue d’ensemble de leur importance.

Quand on observe les données mensuels de l’OIM sur l’étude des flux migratoires au Niger, on se rend compte qu’il y a principalement 3 types de profils de migrants au Niger les migrants économiques, les migrants saisonniers,et les migrants de courte durée[4].

La migration économique du Niger vers le sud de la Libye a également un effet, avec une migration économique circulaire bien établie entre les deux pays. Depuis de nombreuses années, les Nigériens ont l'habitude de travailler pendant plusieurs années en Libye ou en Algérie avant de retourner au Niger.

Ce statut de pays de transit fait peser beaucoup de pression en provenance de pays d’accueil européens dont la France, l’Italie et bien d’autres pour que le Niger prenne des dispositions dans le but de résoudre la question de la migration irrégulière. Mais, d'après Bakary Sambe, "le Niger qui a déjà fourni de nombreux efforts, ne pourra le faire qu’en étroite collaboration avec les cadres régionaux existants comme le G5 Sahel et la CEDEAO. Le dernier sommet extraordinaire de la CEDEAO sous présidence nigérienne mais aussi la rencontre de Las Palmas semble confirmer une certaine volonté de synergie dans les actions pour la sécurité et le développement"

On sait que le fort flux de migrants pose aussi des problèmes de sécurité nationale (l’arrivée de migrants et de réfugiés rend difficile d’installer un certain climat de sécurité stable). Aussi les conflits au Mali, en Lybie et les attaques de Boko Haram au Niger ont mis le Sahel dans un climat d’instabilité sécuritaire.Ces crises ont par ailleurs permis le développement de la criminalité transnationale, notamment le trafic et la traite des migrants.

A partir d’un el constat, on peut donc comprendre le durcissement de la politique migratoire du Niger, qui adopte une gestion de plus en plus répressive des flux. Le principe de liberté de circulation est souvent mis au second plan pour favoriser l’aspect sécuritaire et le maintien de l’ordre public En 2015 a été adopté la Loi n° 2015-36 du 26 mai 2015 qui a pour but la protection des migrants, la sanction du trafic illicite de migrants (qui peut aller jusqu’à 30 ans[5] d’emprisonnement) et la sécurisation des frontières.

C’est dans le cadre de ce dernier aspect que s’inscrit le projet de monitoring des flux aux frontières du gouvernement nigérien lancé en octobre 2019 qui vise à améliorer la lutte contre la migration irrégulière.

L’un des problèmes principaux de ces flux importants de migrants au Niger demeure la protection des droits de ces derniers qu’ils soient réguliers ou clandestins. En effet les migrants en transit au Niger sont souvent victimes d’extorsion de fond, de problèmes administratifs, leur droit de libre circulation leur est souvent dénié surtout au niveau des points de contrôle policier, ce qui met ceux-ci dans une situation de danger permanent.Aussi beaucoup de migrants périssent dans le désert nigérien durant sa traversée vu les conditions précaires dans lesquelles les passeurs les mettent.

Le Niger doit pouvoir compter sur ses partenaires internationaux notamment l’Union européenne à travers le programme intitulé Mécanisme de réponse et de ressources pour les migrants, qui vise à aider le gouvernement dans sa gestion des flux migratoires par le développement économique et social basé sur la migration circulaire.

L’Organisation  internationale pour la migration (OIM) est un autre des partenaires phares du gouvernement nigérien dans sa gestion des flux migratoires à travers l’assistance humanitaire aux migrants en détresse, le relèvement précoce des communautés nigériennes, la réintégration socioéconomique des retournés et la stabilisation communautaire, le renforcement des capacités techniques et opérationnelles en matière de gestion des flux migratoires, les campagnes d’information et de sensibilisation sur les risques liés à la migration irrégulière, l’appui technique en cas d’urgence ou catastrophe naturelle, la lutte contre la traite et le trafic des personnes et la mobilisation de la diaspora pour le développement.

Même si le problème de l’importance des flux de migrants passant par le Niger demeure actuel, il faudra quand même noté que le nombre de migrants transitant par ce pays et mêmepar la Lybie selon les donnéesrecueillies par l’OIM a considérablement baissé ces dernières années. Le Niger a mis en place un contrôle plus accru des frontières, à procéder à la fermeture de plusieurs maisons de transit de passants ainsi qu’à l’arrêt massif de trafiquants de migrants.

Des discussions vont être ouvertes avec les parties prenantes aussi bien au niveau régional qu’auprès des partenaires internationaux du Niger et des pays sahéliens pour le lancement de cette initiative de recherche-action. Les résultats pourront aider à accompagner les projets en cours comme ceux prévus dans le cadre des actions de l’Union Européenne, des pays-membres mais aussi des entités des Nations Unies comme l’OIM et l’UNHCR.

Joseph Christophe Adams Diouf

 Expert Junior Migrations et apatridie (Timbuktu Institute)

 

 [1] Le développement économique en Afrique : les migrations au service de la transformation structurelle ; rapport 2018, CNUCED

[2]Enquétesur les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest, 2016 ; page 249

[3] Irregular migration between West Africa, North Africa and the Mediterranean, page 26, préparé par Altai Consulting pour OIM Nigeria | ABUJA - novembre 2015

[4]Point de suivi des populations du Niger, OIM/DTM, avril 2019

[5] Article 18 de la loi n° 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite de migrant