Journée noire pour le Burkina Faso. Lundi 19 août, une attaque « menée par des groupes armés terroristes » contre la caserne de Koutougou a fait vingt-quatre morts, sept blessés et cinq disparus, selon l'état-major général des armées. Cette « attaque d'envergure » est la plus meurtrière qu'ait connue le pays depuis 2016 et touche toute la région du Sahel. Une situation qui sera cette année au programme des discussions du G7, à Biarritz. Roch Kaboré, président du Burkina Faso, le Sénégalais Macky Sall, le chef d'État égyptien Abdel Fattah al-Sissi, mais aussi le président rwandais Paul Kagamé participeront aux réunions programmées du 24 au 26 août. Le dirigeant sud-africain Cyril Ramaphosa fait également le déplacement, en tant que partenaire engagé dans la protection de la planète et la transformation numérique.

 

Une première, dont l'objectif est de « rehausser l'engagement international au Sahel, peut-on lire sur le site de l'Élysée. Celui-ci visera au renforcement de l'appui aux forces de sécurité des États de la région et se doublera d'une mobilisation pour le développement, dans le cadre de l'Alliance Sahel que l'ensemble des dirigeants du G7 seront invités à rejoindre ». Voulue par Emmanuel Macron, la participation des acteurs africains est donc cette année une réalité. Coup de com diplomatique ou véritable engagement ? Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies et coordonnateur de l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afriquerépond au Point Afrique.

Bakary Sambe : L'objectif principal est surtout de renforcer la solidarité entre les nations du Sud comme de l'Occident face aux grands défis mondiaux comme le terrorisme. Aujourd'hui, on est aussi vulnérable à Tombouctou et à Ouagadougou qu'à Paris ou à New York. La situation sécuritaire au Sahel concerne aussi bien l'Afrique que l'Europe. C'est pour cela que l'organisation du G5 Sahel a été autant soutenue à l'international.

Justement, les ambitions du G5 Sahel se sont-elles concrétisées ? L'organisation est-elle efficace ?

La démarche, à l'origine, était plutôt bonne. Le problème, c'est qu'on n'y met pas assez de moyens. Il y a une différence considérable entre ce qui se passe sur le terrain et les promesses faites lors des réunions. Aujourd'hui, alors que les groupes terroristes sont en train de se coordonner, de s'organiser, la communauté internationale ne fait que se disperser un peu plus.

Cette situation donne l'impression d'une grande compétition entre les puissances militaires que sont la France, l'Allemagne – qui s'affirme de plus en plus –, la Chine et la Russie, entre autres. Et renvoie une image très négative aux populations sur place qui subissent les mesures draconiennes imposées par les autorités, tout en se sentant de moins en moins en sécurité. Le Sahel est un malade autour duquel il y a beaucoup de médecins. Mais personne n'est d'accord sur le diagnostic.

Lire aussi Mali : faut-il dialoguer avec les djihadistes ?

Au total, plus de 420 millions d'euros ont pourtant été promis...

Vous l'avez dit, il a été « promis ». Mais une grande part de cet argent n'a toujours pas été reçue par le G5 Sahel. Le décaissement n'a pas suivi.

La présence des chefs d'État africains à Biarritz peut-elle déboucher sur des solutions concrètes, ou est-ce simplement une démonstration diplomatique ?

Il est clair que ce genre d'événements permet à la France de soigner sa diplomatie. Mais je pense qu'on peut espérer plus. La participation de l'Afrique au G7 est une bonne chose si l'on va au-delà du décor. Cela tranche, certes, avec la vision d'un grand bal des puissants, de l'entre-riches. Mais la démarche ne sera inclusive que si on réussit à donner corps à cet esprit d'ouverture. Le Sahel attend plus d'actions, pas des discours. J'espère que les voix de ces chefs d'État seront audibles dans le brouhaha de cette grand-messe feutrée.

Cela fait vingt ans ce 30 juillet que Mohammed VI règne sur le Maroc. Sous son impulsion, le pays a opéré une réorientation de sa politique étrangère, aux multiples facettes, vers l'Afrique sub-saharienne.

Cette réorientation s'est soldée en 2017 par sa réintégration dans l'Union africaine. Le Maroc avait quitté l'organisation régionale en 1984 suite à la reconnaissance par l'institution de la République arabe sahraouie démocratique qui comprend le Sahara occidental, une zone que le Maroc revendique. Selon le chercheur Bakari Sambe, directeur du Timbuktu Institute, le royaume a depuis opté pour une diplomatie fondée sur l'économie, avec succès.

« Le Maroc a converti son capital symbolique en capital économique et plus tard en capital diplomatique, vers les pays classiques comme le Sénégal, qui a toujours été la tête de pont des relations entre le Maroc et l’Afrique de l’Ouest, qui était son point d’entrée dans l’espace Cédéao - plus de 80 millions de consommateurs -».

Le Maroc a joué la carte de la finance, « Finance dont les pays africains avaient besoin à l’époque, notamment avec de grands groupes qu’ils ont rachetés au Sénégal. Aujourd’hui, les banques marocaines possèdent des filiales dans tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Donc le Maroc a joué sur les points consensuels, sur le plan économique, mais en avançant petit à petit sur le calendrier diplomatique et sur la grande question sahraouie qui l’oppose à pas mal de pays africains dont l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Algérie. »

Cette stratégie lui permet de se positionner aujourd'hui comme une porte d'entrée vers le continent africain face à la Libye en pleine crise et à l'Algérie avec qui il entretient des relations compliquées.

Pays refuge pour les affaires, pays de transit pour les hommes

« Le Maroc investit de nouvelles missions en jouant ce que l’on appelle les Bridge Power, c’est-à-dire les (têtes de ponts), à l’intersection entre l’Europe et l’Afrique... », reprend Bakary Sambe.

► Lire aussi : Six nouveaux accords économiques signés entre le Maroc et le Mali

« Le jeu du Maroc est très clair : c’est de dire aux pays européens et aux pays asiatiques que l’Afrique noire fait partie des régions que nous connaissons depuis la nuit des temps, depuis les caravanes. Nous pouvons vous y accompagner. Et Casablanca peut rester en attendant le lieu de dépôt de vos affaires et de vos capitaux. En cas de risque, vous pouvez vous redéployer sur Casablanca, qui est toute proche du continent africain, mais qui est à deux heures de Paris.

En même temps, le Maroc sert - pour l’Union européenne en tout cas -, à faire fonctionner les politiques migratoires, parfois, malheureusement, les plus draconiennes. Le roi a fait des efforts en régularisant plus de 50 000 Africains, mais le Maroc reste un grand pays de transit. La question migratoire est un atout aussi pour le Maroc pour s’imposer sur le plan stratégique au niveau des Européens. 

 

 

Dialogue interreligieux, situation au Sahel et dans la sous-région en rapport avec l'actualité récente au Sénégal ...Dr. Bakary Sambe, Directeur de Timbuktu Institute partenaire du Colloque annuel sur le dialogue interreligieux, a accordé une interview au quotidien national sénégalais Le Soleil dans le cadre du colloque interreligieux organisé le 25 juin 2019 par la Fondation Konrad Adenauer sur l’importance du dialogue religieux pour un pays comme le Sénégal. D’après lui, le Sénégal a certes des acquis en termes de stabilité et de bonne cohabitation entre les religions mais ces acquis ont besoin d’être consolidés en tenant compte de l’environnement sous-régional et de la situation au Sahel.

Quelle est l’importance d’un dialogue entre les religions au Sénégal ?

Ce dialogue arrive à point nommé au regard de l’actualité récente que notre pays a vécue. Cela nous interpelle sur plusieurs choses. La première remarque est que le contrat social sénégalais est un acquis. Et comme tout acquis, il doit être consolidé pour qu’il soit durable. Ce genre d’initiatives avec la présence de tous les chefs religieux, des membres du gouvernement pour encourager cela est un des  jalons posés pour la consolidation de notre contrat social. J’ai bon espoir parce que le Sénégal a encore les ressources culturelles, spirituelles, sociales qui nous permettent de dépasser de telles crises temporaires. Cela montre que le rôle des religieux est très important. Il est à valoriser pas seulement en termes d’appel au dialogue lorsque de grandes crises se profilent mais aussi matière de prévention et d’anticipation. Aujourd’hui nous devons véritablement mettre en valeur ce que beaucoup de pays nous envient, cette forme de cohésion sociale, la convergence des vues entre les différentes confréries, les relations paisibles entre l’Eglise et l’Islam mais aussi cette tolérance qui est notre marque de fabrique et qui fait de notre pays un îlot de stabilité dans l’océan d’instabilité qu’est la sous-région ouest africaine. Ceci est un trésor et nous devons le conserver. C’est pourquoi je salue l’initiative du gouvernement dans son souci de vouloir préserver l’image de nos guides religieux qui font partie du patrimoine national.

Comment consolider ces acquis, dans un contexte marqué par des menaces qui viennent de partout ?

Nous devons consolider ces acquis. Mais pour le faire il y’a plusieurs responsabilités. D’abord de la part des chefs religieux, les Khalifes précédents comme Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké, dans son célèbre discours de 2010, El Hadji Abdou Aziz Sy Dabakh, dans ses nombreses interventions, Serigne Abdoul Aziz Sy Al-Amine dans ses appels constants au dialogue ont joué leur partition. Il appartient à la nouvelle génération de jouer la leur. Je suis relativement rassuré aujourd’hui quand je vois le cadre unitaire de l’Islam au Sénégal avec Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Alamine, Serigne Abdou Aziz Mbaké Majalis et tant d’autres appartenant à d’autres confréries appelant à la concorde. A chaque fois que certains veulent profiter des réseaux sociaux pour semer la zizanie et promouvoir des messages de haine dans l’inconscient de nos jeunes, ces personnalités se lèvent comme un seul homme pour dire que le Sénégal ne peut aller dans cette direction, nous devons rester dans la consolidation de nos acquis. C’est du rôle des religieux, des éducateurs, des enseignants que nous sommes. Le cadre unitaire de l’Islam a rédigé un manuel sur les écrits de la Paix professée par nos guides religieux. Il appartient à la famille éducative et aux autorités de s’approprier ces messages et de l’inclure dans les curricula de l’Education nationale.

L’autre responsabilité est politique. L’Etat doit prendre ses responsabilités pour qu’à l’image de tous les autres pays qu’on n’accepte pas de brûler nos symboles. Il faut que les modèles que nous avons soient valorisés et qu’on fasse un véritable travail de sensibilisation pour que des idéologies qui ont produit tellement de mal là où elles sont originaires ne soient pas importées dans notre pays et qu’on reste fier de ce patrimoine religieux que nous avons tout en veillant à son actualisation.

Le Mali à côté est en proie à des groupes djihadistes, qu’est ce que le Sénégal doit faire pour rester à l’abri ?

Quand on regarde les pays de la sous-région, on peut les classer en trois groupes. La catégorie des pays largement atteint par le terrorisme comme le Mali et le Nigéria. Il y a aussi, la catégorie des pays sous fortes pressions  sécuritaire comme le Burkina Faso et le Niger. Egalement des pays qui ont le temps de développer une approche prospective et préventive. Le Sénégal fait partie de cette troisième catégorie comme le Burkina Faso jusqu’en 2016. Il est vrai que nos forces de défense et de sécurité sur le qui-vive, développent des politiques nationales et des stratégies mais on doit coupler ces stratégies de défense avec celle de la prévention qui passent par l’Education, la sensibilisation, la valorisation du patrimoine religieux et l’implication de la Société civile pour que de manière éducative, consensuelle, on arrive à inculquer des valeurs de paix en guise prévention contre l’extrémisme violent. Il ne faut pas seulement se contenter de la lutte contre le terrorisme. La lutte contre le terrorisme malgré tous les moyens qu’elle mobilise, vise à éliminer les cibles et parfois elle n’est pas efficace car ne s’arrêtant qu’aux symptômes. On n’a jamais vu une kalachnikov tuer une idéologie. Le travail doit donc se faire en amont dans le cadre de la prévention contre l’extrémisme violent. Et dans ce sens, il faut développer une stratégie de prévention de l’Extrémisme et à côté et distincte d’une stratégie de lutte contre le terrorisme.

Le thème du colloque porte sur « Religion et Développement, » les deux concepts sont ils indissociables?

Il est vrai que certains penseurs, notamment les théoriciens de la sécularisation mettaient la religion à la pointe de l’échec du politique et de l’économique. Alors que nous pouvons dire que chez nous, les religions étaient des forces motrices du développement. Il y’a le Mouridisme dans la culture de l’arachide, par exemple, Cheikh El Hadj Malick Sy avec ses champs à Diacksao et Ndianrdé et toute sa théorie autour du travail come moyen de préservation de la dignité et des valeurs. Ces valeurs sont fortement incrustées par celles que professent nos confréries. Il n’y a aucune forme de contradiction mais des complémentarités. C’est le lieu de féliciter la Fondation Konrad Adenauer avec tous ses partenaires mais aussi l’Etat et les chefs religieux qui encore une fois ont donné un exemple de solidarité et de concorde autour d’une thématique aussi importante que le dialogue. La prière collective pour la paix si émouvante à laquelle nous avons assisté, ce matin, atteste que le Sénégal a encore des ressources endogènes, spirituelles  qui lui permettent de surpasser les crises. Les acquis sont là, mais il faut bien veiller à les consolider.

 

iGFM – (Dakar) L’Association pour Servir le Soufisme AIS s’est prononcé sur la Visite rendue officielle Secrétaire général de la Ligue Islamique en visite au Sénégal jugée comme une première dans notre pays, serait le couronnement d’un processus essaimé d’insultes que les wahhabites ont toujours proféré contre nos Confréries soufies et les Symboles islamiques.

Sinon, comment comprendre le privilège octroyé au Secrétaire général de la Ligue Islamique Mondiale, Dr Muhamed Abdul Karim Al-Issa, qui est l’hôte du Sénégal, depuis hier vendredi, et pour donner à l’événement toute sa solennité, le chef de l’État M. Macky Sall puisse autoriser son avion d’atterrir à l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor que seuls certains rares Chefs d’État ont le privilège d’atterrir.

Et comment expliquer la présence d’un Chef f’Etat d’un pays a majorité confrérique puisse s’assoir à côté d’un sponsor d’un Courant anti Soufisme notamment le Wahhabisme , source d’instabilité et de terrorisme dans le monde et pourfendeur du soufisme ?

De surcroît assister à la conférence sur le thème : « La pensée islamique authentique, méthodologie et message » qui sera co-présidé, dimanche à 9 heures, par le Président Macky Sall. Nous sommes certains qu’un Khalife Soufis n’est invité à la conférence.

S’assoir à côté de cette sommité wahhabite n’est il pas une caution morale et politique pour que le Wahhabisme puisse surseoir davantage et étendre ses tentacules au Sénégal ?

Selon certains, oui, l’octroi d’un terrain de 7000 mètres carrés aux Wahhabites pour y construire une université qui serait le prolongement des l’universités wahhabites obéit dans ce sens.

Source : IGFM

«Nous devons rester vigilants» et raffermir les liens entre les différentes confréries qui constituent un ciment social dans ce pays qui ne connaît pas des différends religieux. Bacary Samb, directeur de Timbuktu institute, se dit néanmoins «rassuré», car les ressorts sont là pour juguler cette menace. «Je suis très rassuré. Quand je vois des personnalités religieuses, des jeunes très investis dans le domaine comme Cheikh Tidiane Sy Al Amine, Serigne Abdou Aziz Mbacké, cela me rassure», a expliqué M. Samb, membre du Comité scientifique du colloque plaidoyer pour le dialogue interreligieux qui s’est ouvert hier à Dakar. «Ce sont des gens mal intentionnés qui veulent semer la zizanie entre les confréries qui font cela. Je pense que dans la pensée de Cheikh Ahmadou Bamba et dans celle de Elhadji Malick Sy, tous appellent à une concordance, une convergence de vues», a-t-il ajouté lors de ce colloque qui a pour thème «Religion et développement économique». Samba Sy, ministre du Travail, du dialogue social et des relations avec les institutions, analyse cette nouvelle tendance à l’aune de changements de la société. Il dit : «Nous sommes dans un monde qui est en train de changer radicalement de base. Il est important que nous parlions en tant que Sénégalais, mais aussi citoyens du monde pour essayer d’explorer les hypothèses les meilleures, afin que les progrès qui s’annoncent à l’horizon le soient dans le plein sens du terme.»
Le ministre du Travail, du dialogue social et des relations avec les institutions met en garde contre les menaces : «Autour de la question religieuse et celles économiques, il y a un cercle de feu qui est en train de se rétrécir. Et il est important que nous nous mettons dans la tête que nous ne vivons pas sur une sorte de planète isolée du reste de la sphère de l’univers.» Selon lui, «nous sommes concernés par ce qui se joue et se trame un peu partout. Et une initiative de cette nature a le mérite de mettre ensemble des chercheurs, des hommes religieux, des agents économiques pour leur dire : réfléchissons ensemble, essayons de tirer le meilleur parti de l’humanité». Quid de l’apport des religieux dans le développement économique ? M. Sy estime que la religion, «si elle est entendue au sens véritable qui est le sien, elle ne peut qu’être profitable». Mieux, il poursuit : «Une religion bien entendue et bien comprise peut aider au développement et contribuer à renforcer les performances économiques.»
Pour Thomas Volk, représentant résident de la Fondation Konrad Adenauer, le Sénégal est un modèle dans la sous-région et même à travers le monde pour sa cohabitation religieuse et sa cohésion sociale. C’est cette raison même qui les a poussés à inviter des représentants de la société civile, des religions différentes et des structures étatiques pour discuter des défis du développement.

Source : lequotidien.sn

Dr Bakary Sambe est enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. Il est également fondateur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, un centre de recherche qui privilégie des approches transdisciplinaires sur des questions liées au radicalisme religieux. Avec La Croix Africa, il analyse la situation sécuritaire dans le Sahel secoué par de récurrentes attaques terroristes.

La Croix Africa  : Comment analysez-vous les attaques terroristes dans les églises au Burkina Faso ?

Bakary Sambe : La stratégie des groupes terroristes, après l’opération Serval (1) a été d’actionner et d’intensifier des conflits intercommunautaires pour ensuite s’y greffer mais également d’attirer l’attention de la communauté internationale et éventuellement des interventions en multipliant les zones d’instabilité. Cela a très bien été théorisé par Abou Walid al-Sahraoui un terroriste qui sévit actuellement dans la région. Il est vrai que le Burkina Faso était, jusque-là, exemplaire en matière de cohésion sociale et religieuse. Il était aussi un pays phare en matière de dialogue interreligieux, les chrétiens étaient invités à des fêtes et célébrations musulmanes et vice versa.

Mais il y a eu une fracture au moment de la transition politique (2) avec, notamment la montée de certaines Églises évangéliques qui étaient très proches des cercles du pouvoir. Cette montée a fait que certaines catégories de la population, notamment les musulmans (majoritaires à près de 60 %) se sont sentis marginalisés dans la gestion du pouvoir de même que certains catholiques qui se plaignaient des avantages octroyés à ces Églises évangéliques proches des cercles du pouvoir durant cette transition.

Fin décembre 2018-début janvier 2019, une attaque terroriste à Yirgou, dans le nord du Burkina Faso, a provoqué des affrontements intercommunautaires. Faut-il craindre qu’un pareil schéma se reproduise dans la sous-région ?

Bakary Sambe  : Il est vrai que les attaques de Yirgou, dans la commune de Barsalogho, dans le centre-nord du Burkina Faso, ont marqué un tournant décisif. Durant les funérailles des victimes, on s’est rendu compte que des opérations de vengeance ont été organisées avec un bilan de 13 morts. Si l’on sait que ce qui se passe actuellement dans la région, notamment dans le centre du Mali, ne sera pas sans conséquence dans les pays voisins, on peut bien craindre que les représailles continuent ainsi que les opérations de vengeance. D’ailleurs, l’on peut noter que le Burkina Faso est entré dans un cycle de violences. Celles-ci sont attisées par des conflits intercommunautaires qui, au début, n’avaient rien de religieux. Ils avaient plutôt une dimension silvo-agro-pastorale mais ont été attisés et aggravés par les groupes terroristes qui veulent se greffer sur ces tensions intercommunautaires afin de déstabiliser les pays de la région, notamment le Burkina Faso qui est considéré comme le verrou vers l’Afrique côtière.

Les tensions intercommunautaires seraient donc sensiblement identiques à celles entre bergers fulani et paysans sédentaires au Nigeria ?

Bakary Sambe  : Si pour le Nigeria, notamment dans l’État du Plateau, ce sont les bergers fulanis (Peuls) qui sont accusés de s’attaquer aux paysans Béroms, dans le cas du Burkina Faso et du Mali, ce sont les paysans sédentaires qui s’affrontent souvent avec Peuls nomades. Mais comme déjà dit, aujourd’hui, le terrorisme va parasiter tous les conflits pour attiser les tensions et faciliter l’installation de l’État islamique au Grand Sahara, notamment au Burkina Faso qui est une zone charnière entre l’Afrique côtière et le Sahel. C’est en partie, l’explication des vives tensions dans des zones comme Gorom Gorom et Markoye, dans la province de l’Oudalan.

Comment analysez-vous la situation au Niger avec les attaques récurrentes contre les militaires ?

Bakary Sambe  : Le Niger fait partie des pays qui sont sous pression sécuritaire. Il doit faire face au terrorisme sur au moins deux fronts : dans le Sud avec Boko Haram et au nord avec les Mujao et autres groupes venant du Mali tout en craignant, à tout moment, un débordement du front sud libyen. Avec la défaite de l’État islamique en Syrie et en Irak, tous les regards se tournent, en effet, vers le sud libyen qui devient un refuge pour les terroristes. Le groupe d’Abou Walid al-Sahraoui cherche à s’étendre. Ne pouvant pas déborder vers le sud algérien – qui est le territoire de Belmokhtar ou de ses hommes – il tente d’étendre ses tentacules vers le Niger. Ce pays est, en effet, une zone de passage et de circulation des armes à partir du canal libyen vers les pays sahéliens.

On se rend compte que ces pays ciblés par des attaques sont, pour la plupart, membres du G5 Sahel. Cela prouve-t-il son inefficacité ?

Bakary Sambe  : Le G5 Sahel en soi, est une bonne initiative mais qui a besoin de soutien et donc de l’appui de la communauté internationale. Il faut l’appuyer mais aussi crédibiliser la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, alors que le terrorisme tend à s’étendre et à s’unifier, les partenaires internationaux sont en train de se disperser avec une multiplicité d’acteurs même au sein des Européens. Cela donne, malheureusement, aux populations l’impression qu’il y aurait d’autres agendas voire une compétition occidentale autour des ressources, ce qui décrédibilise de plus en plus la lutte contre le terrorisme. Il y a aujourd’hui un véritable dilemme sahélien ; entre la nécessité de gérer les urgences sécuritaires et la projection vers des solutions plus durables que le tout-militaire. La communauté internationale doit opérer une rupture paradigmatique : les groupes terroristes ont déjà réussi à transférer les hostilités dans les heurts intercommunautaires qui leur permettront de déstabiliser nos États. Ils sont déjà comme dans une situation de post-djihadisme alors que continuons à raisonner en termes de radicalisation du type religieux. le religieux n’est plus qu’un vernis, mais capable de mobiliser du sens et des symboles pour saper le vivre-ensemble.

Quelles solutions proposeriez-vous contre la menace terroriste dans le Sahel ?

Bakary Sambe : Pour une lutte efficace contre le terrorisme, il faut s’appuyer, certes, sur des solutions mais il ne faudrait pas négliger des alliés de taille : les populations locales dont la résilience doit être renforcée et les stratégies endogènes mises en valeur. Or les populations souffrent de plus en plus des contraintes et difficultés liées aux mesures sécuritaires draconiennes tout vivant de manière permanente en insécurité. Il faudrait donc d’une part une aide de la communauté internationale et d’autre part, la mise en place d’une politique sécuritaire inclusive mettant la population au cœur de la stratégie. L’on a malheureusement, jusque-là, privilégié le militaire détriment de la prévention. Et les alertes et restrictions sécuritaires des pays occidentaux font planer sur les États de la région la menace d’être catégorisés « pays pas sûr ». Hélas, cela les pousse à une politique du déni alors qu’ils pouvaient développer et assumer des politiques de prévention ; s’attaquer aux racines du problème au lieu de concentrer tous les efforts sur le militaire qui ne traite que des symptômes d’un mal beaucoup plus profond.

Pourquoi le Sahel est-il particulièrement visé par les attaques ?

Bakary Sambe  : Au regard des vastes étendues territoriales et des frontières poreuses comme celles Mali, celles du Niger et du Burkina Faso et aussi l’échec des terroristes en Irak et en Syrie, le Sahel risque d’être, pour les années à venir, une véritable base arrière des groupes terroristes. Malheureusement les attaques au Burkina Faso nous renseignent sur l’avenir du terrorisme qui tend à atteindre les pays côtiers.

Avec l’enlèvement de Français et le meurtre d’un guide béninois dans le parc de Pendjari au Bénin, faut-il craindre la percée des terroristes dans des zones jusque-là épargnées ?

Bakary Sambe  : Le Sahel constitue une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest où il y a une forte influence française. Plusieurs groupes ont proféré des menaces contre la France et ses alliés faisant d’elle une cible. Tout cela combiné explique l’acharnement de ces groupes qui en veulent également à la France et qui considèrent ces pays – notamment ceux du G5 Sahel – comme très liés à leur ancienne puissance coloniale.

Par ailleurs, on a vu dans le passé, des attaques dans d’autres pays loin de l’espace sahélo-saharien comme celles de Grand-Bassam… De fait, si le verrou burkinabè cédait, l’Afrique côtière serait menacée et là aussi, les groupes joueraient sur les conflits intercommunautaires et instrumentalisation de toute forme d’instabilité politique. Cela qui serait un risque énorme pour la région.

Recueilli par Lucie Sarr

(1) Offensive militaire lancée au Mali par l’armée française en janvier 2013 avec pour objectif de soutenir les troupes maliennes conte une offensive des groupes armés islamistes qui avaient pris le contrôle de l’Azawad, la partie nord du pays.

(2) Après la chute de l’ancien président Blaise Compaoré en octobre 2014, le Burkina Faso avait entamé une période de transition avec comme président Michel Kafando. Des élections présidentielles et législatives étaient prévues le 11 octobre 2015 mais le 16 septembre, des putschistes menés par le général Diendéré ont annoncé la destitution du président et la dissolution des instances de transition avant, finalement, de redonner le pouvoir à Michel Kafando. Après cette période d’instabilité, l’élection présidentielle a finalement eu lieu le 29 novembre 2015, dans un climat apaisé.