Plus d’une semaine après, l’attaque terroriste de Ouagadougou n’est toujours pas revendiquée. Cela rompt d’avec les pratiques des groupes terroristes qu’oppose même une certaine concurrence dans la région. Dans cet entretien, le Directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies (Dakar) analyse cette « situation assez singulière ».

Pour Bakary Sambe, « au début, certains indices comme le retard de la revendication avaient dirigé les analystes vers la piste Etat Islamique qui ne disposerait pas encore d’un appareil de communication huilé dans cette région assez éloignée du centre de commandement, mais aussi en se penchant sur les précédentes attaques attribuées à Abul Walid Al-Sahraoui qui cherche un territoire de déploiement dans la région ».

Mais, soutient le spécialiste des réseaux transnationaux,  « de plus en plus, on pourrait penser que  le fait que l’attentat ait touché des victimes qui comptent parmi les plus grands prédicateurs salafistes comme les deux koweïtiens et le Cheikh Tano, a dû mettre les commanditaires dans un certain embarras, ne pouvant pas justifier au niveau de leur base affective de s’en prendre à des personnalités jugées proches idéologiquement. »

« Ils ne peuvent pas facilement admettre d’avoir commis un attentat qui a coûté la vie à des acteurs salafistes aussi importants comme Cheikh Walid El Aly et Cheikh Fahd Al-Housseiny, proches de la mouvance d’Ihyâ Turâth qui répand l’idéologie wahhabite dans le monde et dans la région avec plusieurs voyages déjà effectués en Guinée, Gambie mais aussi des liens avec des groupes salafistes sénégalais identifiés », explique le coordinateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique. « Pour toutes ces raisons, il faut absolument redoubler de vigilance », insiste-t-il.

« On dirait même que cette dernière attaque de Ouagadougou semble avoir plus touché les mouvances radicales africaines qui ont beaucoup communiqué à travers des condamnations aussi claires comme jamais auparavant », souligne le directeur de Timbuktu Institute.

Et cela « expliquerait aussi, d’après lui, que des communiqués aient émané de différents mouvements islamistes qui n’ont jamais réagi officiellement de la sorte ces dernières années ni contre les exactions récurrentes de Boko Haram, d’Aqmi au Mali et encore moins les attentats de Bassam ou la destruction des mausolées de Tombouctou bien avant ».

Selon toujours Bakary Sambe, « il faudrait déplorer le fait que dans le communiqué des acteurs proches de la mouvance wahhabite, de la Ligue des anciens étudiants sénégalais d’Arabie Saoudite dirigée par Mohamed Ahmad Lô et d’autres mouvements islamiques sénégalais, on puisse noter une hiérarchie des indignations contre cette horrible attaque, différenciant, de manière indécente, entre musulmans et non musulmans mais aussi qualifiant, arbitrairement, certains de victimes et d’autres de martyrs selon leurs obédiences ».

« Cette pratique qui en dit long sur une certaine proximité idéologique a, d’ailleurs, beaucoup choqué au Burkina Faso, un pays africain frère, où la population a encore une fois montré son unité conformément à l’harmonieuse tradition de cohabitation religieuse que les djihadistes essaient, d’ailleurs, de détruire », conclut Dr. Bakary Sambe.

Le Pôle « Intelligence stratégique et Alerte Précoce » de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies de Dakar,  organise, le Mardi 5 septembre à 15h à la Maison de la Presse (sis Corniche), sa conférence de rentrée sur : «La stratégie africaine des nouveaux acteurs de la coopération : Cas et typologies de l’Inde et du Maroc ».

La conférence-débat sera co-animée par Alioune Ndiaye, de l’Université de Sherbrooke (Canada) auteur de « L’Afrique dans la politique étrangère indienne : les nouvelles ambitions africaines de New Delhi » et Dr. Bakary Sambe auteur de « Islam et diplomatie : la politique africaine du Maroc ». Elle sera modérée par le journaliste politologue Yoro Dia.

Seront abordées lors de cette conférence ouverte au monde de la recherche et aux décideurs, les sous-thèmes suivants : « L’Inde comme puissance émergente : quelles implications sur la politique africaine » et « Le Maroc en Afrique : entre diplomatie religieuse et conquête économique ».

Cette conférence de rentrée qui entre dans le cadre des études stratégiques de l’Institut est organisée en partenariat avec IntellAfrica active dans l’intelligence économique et les Relations publiques, d’Oméga Finance, du Centre d’études sur le partenariat Indo-africain et Eclore-France.

Le triste anniversaire des attentats du 11 septembre coïncide, cette année, avec un contexte où l’idée d’un retour en force en Afghanistan agitée par l’Administration Trump, « préoccupe tous  les partisans de la paix et d’une meilleure solidarité entre les peuples surtout à l’ère des menaces transnationales », déclare le Dr. Bakary Sambe enseignant-Chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, joint par la rédaction à cette occasion. Il rappelle que « des soldats américains s’y trouvent encore et qu’on espérait plutôt une désescalade ».
« Le monde se souviendra toujours avec tristesse et émotion de cet attentat meurtrier et barbare qui a changé la nature même du terrorisme ; ce mal du siècle qui instaure la vulnérabilité en partage au sein de la communauté internationale », soutient Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies.
Sambe rappelle que «pour rendre hommage aux victimes de tous les pays, aux Etats-Unis comme quotidiennement au Sahel, le monde entier doit, aussi, se mobiliser davantage contre le terrorisme qui n’épargne plus aucun territoire, une mobilisation qui doit contribuer à la promotion de la culture de la paix »
Rappelant que « les jeunes nés en 2001 sont ceux-là mêmes qui sont dans les collèges et lycées du Sénégal que nous parcourons, aujourd’hui, dans le cadre du Programme  « Educating for Peace » ; ils ont plus besoin d’une culture de la paix que de discours de guerre. Ils nous expriment plus l’envie d’un monde sans violence faisant bloc contre tous les extrémismes politique comme religieux »

Pour le coordonnateur de l’Observatoire des Radicalismes et Conflits religieux en Afrique (ORCRA), « le discours belliciste de Donald Trump ne rassure guère ». Il affirme que « Barack Obama avait pourtant fait des pas appréciables dans la pacification de la narrative américaine envers le monde musulman lors du discours historique du Caire dans l’enceinte même de l’Université d’Al-Azhar  et qui signait un nouveau départ allant jusqu’à la nomination d’une envoyée Spécial au monde musulman, Mme Sarah Pandith, à l’époque».

« Nous devons nous évertuer à ce que les tristes leçons du passé puissent servir dans le cadre de la construction et de la consolidation de la paix et il ne faudrait pas opposer le peuple américain au monde musulman. Ils gagneraient à mieux se connaître et à se respecter. Lors d’un voyage d’étude aux Etats-Unis (IVLP 2008), je m’étais rendu compte que l’urgence était plus de combattre ensemble une méconnaissance mutuelle par le dialogue et le respect. Une kalachnikov n’a jamais défait une idéologie; il faut plus d’écoles que de chars », rappelle Dr. Sambe.

Exprimant son inquiétude, il conclut que « toute surenchère militaire rappelant de mauvais souvenirs de l’ère Bush serait dommageable pour les relations et la coopération nécessaire entre les Etats-Unis et le monde musulman qui sont, tous les deux, aussi interpellés par le même défi du terrorisme ».

Source: dakaractu.com

En un peu plus d’une décennie, le Mali comme le Sahel, est devenu l’un des points les plus chauds des conflits armés en Afrique et fait l’expérience, de façon inédite, du terrorisme, qui gagne du terrain. Les pays du G5 Sahel tentent de répondre à ces menaces en mettant sur pied une force commune pour combattre les groupes djihadistes, qui utilisent notamment le Nord Mali comme base de repli. Alors que cette force est en passe de devenir opérationnelle, des voix s’élèvent contre cette énième réponse sécuritaire et plaident pour une analyse plus profonde des causes des conflits qui ne soit pas uniquement axée sur le tout sécuritaire.

Le Mali, dont une partie importante du territoire échappe au contrôle de l’État, est une zone durement touchée par la crise sécuritaire sahélienne, où les conflits armés à grande échelle sont récurrents et la violence très répandue. Le principal facteur responsable de cette situation préoccupante serait, selon certains observateurs, si on devait le résumer en un seul mot, « l’injustice », rendue permanente ou persistante par son corollaire politique : État en déficit, mal gouvernance, corruption, crises alimentaires successives, frustrations accumulées. « Il y a une grande masse de la population qui est là, dans une situation désastreuse. D’année en année, les choses s’aggravent. Donc, à mesure que l’injustice grandit, il y a des réactions violentes et différentes forces qui essaient de tirer profit de cela », explique Moussa Tchangari, Secrétaire général d’Alternative Espaces Citoyens, à Niamey et membre de la Fondation Frantz Fanon. Les djihadistes profitent de ce « terreau favorable » créé par ces injustices pour islamiser le conflit, utiliser les frustrations pour recruter indéfiniment et attirer l’Occident dans le piège de l’intervention. « Les terroristes sont aussi des gens révoltés, qui pensent avec leurs actions pouvoir apporter un changement qui aille dans le sens de leur propre agenda politique», poursuit le chercheur.

Erreurs et stratégies Cette situation, qui échappe au contrôle de l’État, est gérée par les forces étrangères de la communauté internationale, installées dans le pays, qui doivent aider à trouver une solution. « Dans cette crise, la communauté internationale a au moins 40 ans de retard », lance le Dr Bakary Sambé, enseignant-chercheur, coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique et directeur du think tank Timbuktu. « Dans les années 70, elle n’avait pas les moyens de fournir de l’aide à l’Afrique, frappée par la sécheresse, à cause du choc pétrolier qui touchait l’Europe et les États-Unis. Les pays vendeurs de pétrole ont utilisé la prédication et l’humanitaire pour s’implanter au Sahel. Puis, dans les années 80, la communauté internationale a commis une deuxième erreur, d’appréciation. Elle a imposé aux pays des politiques d’ajustements structurels, qui voulaient dire en quelque sorte : investissez le moins possible dans l’éducation, la santé, etc. et les puissances dites islamistes sont venues carrément occuper le terrain, via des centres culturels, des écoles, des services sociaux de base, pendant que l’État tentait de faire face au défi du déficit d’État. 40 ans après, la communauté internationale élabore des stratégies Sahel pour combattre les terrorismes, alors qu’ils sont là depuis 40 ans. La situation conflictuelle est en partie due à ces deux erreurs », affirme l’enseignant-chercheur.

Armes contre idéologie Toujours est-il que pour faire face à la situation sécuritaire au Mali et dans le Sahel, les pays du G5 (Mauritanie, Tchad, Mali, Niger et Burkina Faso), soutenus par la France, se sont « unis face au terrorisme » et tentent de mettre sur pied une force régionale conjointe, qui comptera 5 000 militaires des cinq pays. Son centre de commandement a été inauguré le samedi 9 septembre, à Sévaré, par le chef de l’État malien, mais son financement, 450 millions d’euros annuels, peine toujours à être bouclé. Le premier bataillon de cette force dite du G5 devrait être opérationnel dès le mois de septembre et les premières opérations militaires transfrontalières menées dès le mois d’octobre. Pour autant, l’efficacité de cette énième force censée combattre le terrorisme au Sahel est loin de convaincre. « La façon dont on pose le problème n’est pas la bonne. On pense qu’on le résoudra avec une force militaire qui aura des moyens. Nos pays font fausse route. Il y a beaucoup de choses à destination de la population qui ne coûtent pas autant d’argent et qu’il faut faire. Il faut commencer par tout ce qui dépend de nous, ce pour quoi on a déjà les moyens, qui ne coûte pas d’argent mais demande de la volonté. Pourquoi ne commence-t-on pas d’abord par ça, au lieu de s’épuiser à obtenir le soutien de la communauté internationale quand on n’a pas celui de son peuple ? Ça montre vraiment le décalage », observe Moussa Tchangari. Pour le Dr Bakary Sambé, il faut privilégier les approches multiples et non seulement se concentrer sur le recours à la force pour résoudre un problème aux racines profondes. « Si la solution militaire était une solution pour combattre le terrorisme, il n’y aurait plus de Talibans en Afghanistan, alors que Trump veut y retourner. Il n’y aurait plus de djihadistes au Nord du Mali. Vous savez, je n’ai jamais vu une idéologie défaite par les kalachnikovs », conclut, sceptique, l’enseignant-chercheur.

source: www.journaldumali.com