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En Afrique, bien que les femmes demeurent avant tout les victimes de certaines des pires formes de criminalité organisée, un constat s’impose : depuis quelques années, elles sont également présentées comme des participantes actives, à tous les niveaux, des réseaux criminels, le nombre de délinquantes et de criminelles ne cessent ainsi d’augmenter[i].
La criminalité transnationale organisée génère dans le monde entre 1,6 et 2,2 trillion de dollars par an[ii]. Elle est, selon l’ONUDC, en constante évolution: « c'est une économie qui s'adapte aux marchés et génère de nouvelles formes de délinquance. Il s'agit d'un commerce illicite qui transcende les frontières culturelles, sociales, linguistiques et géographiques et qui ne connaît ni limites, ni règles »[iii].
L’Afrique, terreau fertile pour la criminalité organisée
L’index du Global Initiative Against Transnational Organized Crime publié en 2021, classe l’Afrique deuxième continent enregistrant le niveau le plus élevé de crime organisé, derrière l’Asie.
Crime organisé en Afrique : classement des pays par indice
[i] INTERPOL-ENACT Report: Women as actors of transnational organised crime in Africa, November 2021, 32 pages.
[ii] https://gfintegrity.org/press-release/transnational-crime-is-a-1-6-trillion-to-2-2-trillion-annual-business-finds-new-gfi-report/
[iii] Criminalité transnationale organisée : l’économie illégale mondialisée, https://www.unodc.org/documents/toc/factsheets/TOC12_fs_general_FR_HIRES.pdf
Source : Global Initiative against Transnational Organized Crime – via Agence Ecofin[i]
Chaque pays est noté sur un score allant de 1 (niveau faible) à 10 (niveau élevé). La traite des êtres humains est le marché criminel dominant sur le continent, suivi du trafic d’armes.
[i] https://www.agenceecofin.com/multimedia/2112-94067-classement-des-pays-par-l-indice-sur-le-crime-organise-en-afrique-en-2021-infographie
Une criminalité organisée multiforme
Sous l’effet d’un entrelacs complexe de facteurs socio-économiques et politiques, la criminalité organisée transnationale constitue une problématique croissante sur le continent[i], qu’il s’agisse de :
Il s’agit d’autant d'activités diverses qui tout à la fois déstructurent et stimulent les économies, menacent la sécurité, la sûreté et le développement du continent et portent atteinte à l’efficacité -et à la légitimité- des institutions étatiques[ii].
Un business florissant qui s’adapte aux nouvelles réalités du terrain
Le paysage criminel du continent se caractérise, comme tout autre environnement criminel, par sa capacité d'adaptation et sa flexibilité face aux nouvelles opportunités, technologies, tendances, en surmontant presque immédiatement tout nouvel obstacle et en étendant ses terrains d’activités. Ainsi, face à l'explosion du commerce mondial de drogues illicites, les réseaux criminels organisés africains ont établi des relations avec d'autres organisations criminelles dans le monde entier, du Brésil à la Nouvelle-Zélande.
Dans certains contextes, la porosité des frontières est l’un des facteurs qui accentue les défis sécuritaires et facilite l’expansion des réseaux et du crime organisé autour de la traite des personnes et de trafics de produits multiples (armes légères, médicaments, drogue). Le développement et le renforcement de dispositifs d’entraide judiciaire, policière, douanière[iii] sont donc primordiaux.
Des données encore lacunaires
Dans une grande partie de l'Afrique, où la criminalité organisée est prolifique, il existe une interaction complexe entre les opportunités et les activités économiques à la fois licites et illicites. Les criminels et les groupes criminels organisés s'appuient fortement sur la société civile, pour mener leurs activités.
Ces réseaux criminels organisés comprennent des multitudes d’acteurs qui jouent des rôles plus ou moins bien définis. Ce sont souvent des femmes, qui opèrent en marge ou dans l'ombre. Leur contribution et leur rôle sont souvent négligés, tout comme l'est leur dépendance à la criminalité pour obtenir des revenus.
S’il est dorénavant établi qu’aucun travail de recherche ou d'analyse du crime organisé ne peut se permettre de faire abstraction des questions de genre, au niveau mondial, l'implication des femmes dans le crime organisé n’a été plus largement reconnue qu’au cours des 10 à 15 dernières années. Ce n’est donc que récemment qu’une image plus complexe et plus nuancée de l’implication des femmes dans le crime organisé a commencé à émerger à travers la recherche et la littérature[iv].
Il existe toutefois encore des lacunes dans les études quant aux rôles des femmes africaines dans la criminalité organisée transnationale (à l’exception notable de leur rôle dans les réseaux de contrebande, de trafic d’êtres humains ou de drogues) et son impact plus large sur les communautés locales.
Au-delà des limites d’accès aux données et l'accent mis sur les femmes en tant que victimes du crime organisé, les études disponibles ont montré qu'elles jouent une variété de rôles au sein des réseaux criminels qui dépendent souvent des contextes socioculturels dans lesquels les réseaux opèrent. Les professionnelles du crime organisé transnationale exercent notamment les rôles de ‘mules’ (drogues, minerais…) et de recruteuses, de ‘patronnes’ de syndicats du crime et de maquerelles de la traite[v]. Elles attirent en effet moins l’attention des agents de police et des douanes.
La criminalité organisée sait exploiter les vulnérabilités
Bien que des hommes travaillent et/ou sont exploités à des postes subalternes au sein des réseaux criminels organisés, les femmes sont et demeurent particulièrement vulnérables étant donné leur position d’infériorité dans la société, leur manque d'éducation, l’absence d'opportunités professionnelles, la pauvreté dont elles pâtissent, et les violences sexuelles qu’elles subissent dans leurs interactions avec les groupes criminels organisés.
Il n’est pas surprenant que les activités associées à la criminalité organisée créent toute une série de rôles et soient une source d'emplois informels et de revenus locaux pour les femmes dans les économies grises/informelles qui émergent à la périphérie des entreprises criminelles. Les femmes sont plus susceptibles de prendre part à ces activités criminelles transnationales lorsqu'elles sont confrontées à la précarité financière, à la pauvreté et au chômage.
La nature changeante du crime organisé dans notre monde globalisé procure en effet aux femmes de nouvelles opportunités sur le marché criminel, l’accès à davantage de réseaux criminels et de clients.
A défaut d’autres options ‘légales’, ces activités certes répréhensibles leur donnent donc un pouvoir d'action, les confortent économiquement et leur permettent de subvenir aux besoins de leur famille.
Des femmes victimes, et d’autres, actrices en quête de prospérité
Les premières représentations des femmes dans la criminalité organisée ont porté soit sur leur statut de victimes des crimes commis par des hommes (tels que les réseaux de trafic sexuel dirigés par des réseaux d'hommes) ou sur le rôle qu'elles jouaient en tant que dépendantes soumises à des hommes impliqués dans le crime organisé (petites amies, épouses, mères et sœurs).
Alors qu'environ 10% seulement des délinquants arrêtés pour des infractions liées à la criminalité organisée sont des femmes, les crimes qu'elles commettent sont similaires à ceux des hommes[vi].
Les femmes qui s'engagent dans des activités criminelles peuvent également être motivées, tout comme leurs homologues masculins, par des opportunités, une ambition et un attrait pour l’entreprenariat criminel, et la perspective d’une indépendance financière (revenus élevés et rapides). Ce domaine d’activité permet aussi à certaines femmes de mettre en pratique leurs compétences en matière de leadership et de management, voire de développer des ‘fraternités féminines’ pour parvenir à leurs fins (notamment dans le domaine de la traite humaine)[vii].
Des réalités complexes dont il doit être tenu compte dans le cadre des politiques de prévention et de lutte contre la criminalité organisée
Cette sombre réalité a des implications sur notre perception de l'implication des femmes dans le crime organisé et doit inciter à évaluer davantage les moyens de lutte traditionnels contre la criminalité, et leur efficacité lorsque les cibles sont des femmes.
Par conséquent, les institutions en charge de l'application de la loi et les interventions de développement social œuvrant au démantèlement de ces activités criminelles doivent davantage prendre en compte l’impact de ces actions/programmes sur les femmes impliquées.
Les approches de la lutte contre la criminalité organisée transnationale (incluant les stratégies, les politiques et les lois) doivent être encore plus sensibles aux besoins, rôles et capacités des femmes[viii].
C’est pourquoi, développer des interventions efficaces, qui atténuent les méfaits du crime organisé et qui visent à prévenir ou à renforcer la résilience de la communauté face à ce phénomène, nécessite de regarder au-delà des acteurs et des dynamiques visibles, et de prendre en compte aussi l'ensemble de la toile complexe des rôles et des activités qui soutiennent le réseau criminel central[ix].
En effet, une compréhension plus nuancée de la manière dont des activités liées au crime organisé transnational permettent à des femmes, en situation de fragilité, de subvenir aux besoins de leurs familles, ouvrirait la voie à l'élaboration de programmes d’action qui répondraient plus efficacement et durablement aux besoins des intéressées.
Cela implique de revoir les hypothèses et objectifs de certaines interventions actuelles, neutre en matière de genre, et d'explorer les moyens d'adapter ou de compléter ces interventions afin de mieux répondre aux besoins et aux réalités complexes de celles et ceux qui sont pris dans les mailles du filet.
Finalement, il est nécessaire de rappeler que l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes restent des idéaux démocratiques essentiels. Leur promotion a également un effet positif sur le succès et la durabilité des programmes de prévention de l’extrémisme violent.
[i] Rapport INTERPOL-ENACT, Évaluation stratégique de la criminalité organisée en Afrique, Octobre 2018, 53 pages
[ii] https://www.interpol.int/en/News-and-Events/News/2022/Transnational-crime-threats-faced-by-Africa-focus-of-INTERPOL-meeting
[iii] Amadou Tidiane Cissé, Terrorisme, la fin des frontières, Editions Harmattan, 2021, 244 pages
[iv] Interpol ENACT Report: Women as actors of transnational organised crime in Africa, November 2021, 32 pages.
[v] Romi Sigsworth, Living on the edge Women and organised crime in East Africa, Report ENACT, September 2022, 22 pages
[vi] Ibidem
[vii] Issi Sikita da Silva, Africa: When crime does pay, The African Nation, 22 Janvier 2023
[viii] Romi Sigsworth, Living on the edge Women and organised crime in East Africa, Report ENACT, September 2022, 22 pages
[ix] Michel Luntumbue, Criminalité transfrontalière en Afrique de l’Ouest : cadre et limites des stratégies régionales de lutte, pub. 2012, Wathinotes paix et sécurité 2019
[1] INTERPOL-ENACT Report: Women as actors of transnational organised crime in Africa, November 2021, 32 pages.
[1] https://gfintegrity.org/press-release/transnational-crime-is-a-1-6-trillion-to-2-2-trillion-annual-business-finds-new-gfi-report/
[1] Criminalité transnationale organisée : l’économie illégale mondialisée, https://www.unodc.org/documents/toc/factsheets/TOC12_fs_general_FR_HIRES.pdf
[1] https://www.agenceecofin.com/multimedia/2112-94067-classement-des-pays-par-l-indice-sur-le-crime-organise-en-afrique-en-2021-infographie
[1] Rapport INTERPOL-ENACT, Évaluation stratégique de la criminalité organisée en Afrique, Octobre 2018, 53 pages
[1] https://www.interpol.int/en/News-and-Events/News/2022/Transnational-crime-threats-faced-by-Africa-focus-of-INTERPOL-meeting
[1] Amadou Tidiane Cissé, Terrorisme, la fin des frontières, Editions Harmattan, 2021, 244 pages
[1] Interpol ENACT Report: Women as actors of transnational organised crime in Africa, November 2021, 32 pages.
[1] Romi Sigsworth, Living on the edge Women and organised crime in East Africa, Report ENACT, September 2022, 22 pages
[1] Ibidem
[1] Issi Sikita da Silva, Africa: When crime does pay, The African Nation, 22 Janvier 2023
[1] Romi Sigsworth, Living on the edge Women and organised crime in East Africa, Report ENACT, September 2022, 22 pages
[1] Michel Luntumbue, Criminalité transfrontalière en Afrique de l’Ouest : cadre et limites des stratégies régionales de lutte, pub. 2012, Wathinotes paix et sécurité 2019
Par Hervé Briand
Expert Sahel
La question de l « Azawad » et ses diverses sous-régions est éminemment plus complexe : le septentrion saharien malien (Touaregs, Dogons, Songhaïs...) a sans doute besoin de l'essor économique de Bamako pour subsister, mais la riche zone sahélienne sud (des Bambaras, mais aussi des Peulhs...) a plus que jamais besoin du Nord-Mali et de l'union de tous les maliens (nordistes et sudistes, sahéliens et sahariens) pour exister durablement dans l’unité et la concorde nationales en tant que "Grand Mali" !
La communauté touarègue (Imazighen), forte de près de 3 millions d'individus, s'étend sur au moins cinq pays, principalement au Niger (1, 2 M), au Mali (1M), au Burkina Faso (300.000), mais aussi en Libye, en Mauritanie et en Algérie.
Au fil du temps, les diverses rébellions tant au Niger qu'au Mali (1963/64, 1990/1996, 2006, 2007/2009) ont "soudé", quoi qu'on en dise, ces Touaregs aux multiples origines, ethnies, communautés, clans ou fratries (Imghad, Chamanamas, Ifoghas, Daoussack... Mais aussi Inelsimen, Iklan, Haratin...). notamment au coeur du Sahel, mais particulièrement dans le Grand Sahara (Adrar, Hoggar, Aïr, Tassili, Azawad,Ténéré, Fezzan...).
Après les grandes sécheresses sahélo-sahariennes en 1973/74, puis en 1984/86, puis le retour au Mali en 1987/90 des Touaregs ayant fuit celles-ci jusqu'en Mauritanie, l'Algérie, voire même l'Arabie Saoudite, c'est toutefois une nouvelle génération de Touaregs qui voudra se faire entendre...
Ces jeunes Touaregs plus "éveillés", dont déjà le jeune Irayakan, de la tribu des Ifoghas, Iyad AG GHALI, souhaitent en effet, et ce dès 1987, à défaut d'une réelle autonomie, définir un statut particulier à la zone désertique septentrionale du Mali, l'AZAWAD...
Ainsi, se crée dès 1987/1992 une multitude de mouvements en faveur de l'autonomie ou d'un régime particulier concernant cette immense partie nord du Mali : le MPLA des Ifoghas (Mouvement Populaire de Libération de l'Azawad) qui deviendra le MPA (Mouvement Populaire de l'Azawad), puis l'ARLA des Imghads (Armée Révolutionnaire de Libération de l'Azawad), le FPLA des Chamanamasses (Front Populaire de Libération de l'Azawad), le MFUA (Mouvements et Fronts unifiés de l'Azawad - FIAA, FULA, FNLA...), puis le FLAA (Front de Libération de l'Aïr et de l'Azawad), mais aussi le MAA des Arabes (Mouvement des Arabes de l'Azawad), et bien d'autres mouvements ou groupes (spontanés ou non) en faveur d'une autonomie plus ou moins large de l'Azawad. Ce n'est que fin 2011 que se crée alors le MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) du Touareg malien Bilal AG ACHERIF originaire de Tombouktou, mouvement rebelle à la fois plus "combattant", plus politique, mais aussi avec un radicalisme également plus religieux...
Défaut de réponses ou mauvaises réponses ?
Mais, force est de constater, que tous les divers gouvernements ou dirigeants successifs au Mali ne délivrent pas alors ou plutôt répondent mal aux attentes de ces mouvements rebelles touaregs qui s'organisent peu à peu en profondeur pour faire entendre leurs voix et leurs aspirations et entretiennent déjà des liens solides sur l'ensemble de la zone sahélo-saharienne...
Aujourd'hui, ces mouvements sont désormais fédérés au sein des deux alliances : la CMA (Coordination des Mouvements de l'Azawad : HCUA, Haut Conseil pour l'Unité de l'Azawad - MNLA - MAA...) favorable à l'autonomie, et la PLATEFORME (GATHIA -Imghad -, MSA-D...) jusqu'alors pro-gouvernementale et plutôt favorable à l'unité du Mali.
Bien sûr, outre ces mouvements "légaux", il y a eu l'incursion, d'abord au Mali, puis plus largement au Sahel, des mouvements jihadistes en faveur d'un front islamique global (GIF), dont AQMI (suite à l'allégeance à AL QAÏDA du GSPC, issu lui-même du GIA algérien) réunissant alors Arabes et Touaregs, mais aussi la création et l'implantation du MUJAO (Mouvement pour l'Unicité du Jihad en Afrique de l'Ouest) réunissant cette fois des Arabes et des Peulhs.
Enfin, la tentative d'invasion du Mali en 2013 par ces jihadistes (jusqu'à Bamako ?) n'aura été stoppée, faut-il le rappeler, que grâce à l'intervention "salvatrice" de l'armée française et sur demande expresse des autorités maliennes, dans le cadre de la remarquable opération militaire "SERVAL".
Seulement voilà, aujourd'hui la "donne" a changé :
Si au Mali, dans l'Azawad, les partisans des mouvements touaregs de la CMA ont fait face ces dernières années à ceux de la Plateforme, qui eux-mêmes ont affronté les combattants du JNIM/GSIM (Groupe de Soutien à l'Islam et aux Musulmans) d'Iyad AG GHALI, regroupant essentiellement les Arabes et les Touaregs d'AQMI et d'ANSAR ED DINE mais aussi les Peulhs du FLM (Front de Libération du Macina d'Amadou KOUFA), il y a aujourd'hui une autre menace et un danger commun auquel doit faire face tous ces groupes, légaux ou non, mais essentiellement Touaregs : l'EIS, anciennement EIGS (État Islamique au - Grand - Sahara), mouvement terroriste réunissant essentiellement des Peulhs désoeuvrés, mais aussi certains Arabes ou Touaregs, parfois issus des mouvements séparatistes ou jihadistes originels qu'ils ont quittés souvent par frustration ou opportunités pécuniaires plutôt que par idéologie...
C'est dans ce cadre, me rapportent mes interlocuteurs, que l'actuelle possible grande "Union Touarègue" serait susceptible de réunir des membres de la CMA/PLATEFORME avec certains cadres Touaregs du JNIM, ce, en voulant se donner les moyens et l'ambition de lutter par les armes contre l'EIS et chasser de l'Azawad et plus largement du Mali, ces "frères ennemis", mais aussi au travers du CSP-PSD (Cadre Stratégique Permanent - Paix, Sécurité et Développement) et l'accord d'Alger (APR - Accord pour la Paix et la Réconciliation), via l'Algérie et ses autorités médiatrices.
À ce stade, rappelons que les principaux acteurs de cette "union touarègue" se connaissent parfaitement depuis des années : le Président de la CMA, Alghabass AG INTALLAH, celui du MSA, le jeune Moussa AG ACHARATOUMANE, et le leader du JNIM, Iyad AG GHALI, sont tous des Touaregs issus de la même région de KIDAL, qui est selon moi, la ville-épicentre de la résolution éventuelle de ce conflit malien !
Selon certains acteurs locaux, la réelle menace actuelle à l'encontre du Mali et l'Azawad en particulier, serait l'implantation durable de L'ÉTAT ISLAMIQUE AU SAHARA (EIS), et seule "l'union touarègue" pourrait chasser ce danger commun plus opportuniste qu'idéologique ou politique, toujours selon eux, mais parfaitement structuré et plutôt efficace en terme de recrutement (essentiellement des Peulhs...) et de combats, notamment dans la zone dite des "trois frontières" (Mali, Niger, Burkina Faso).
Aussi, les autorités militaires au pouvoir à Bamako, auront-t-elles bien du mal à ignorer cette "union touarègue" et ses objectifs à l'encontre de "l'envahisseur" EIS, jugé trop opportuniste et dangereux, il est vrai, pour leurs propres intérêts : adouber officiellement cette union serait sans doute donner trop de gages au mouvement jihadiste JNIM, mais affronter cette "union informelle de fait", militairement ou politiquement, serait prendre le risque de provoquer la colère des Touaregs de l'Azawad, l'arrêt de l'APR et la dissémination ethnique du conflit au sein même de la société malienne...
Le temps d'une alliance stratégique au service du "Grand Mali" ?
L'actuel chef du pouvoir de transition du Mali, Assimi GOÏTA, ancien chef des commandos maliens, n'a certes pas été élu démocratiquement, mais aussi à cet égard, sans doute dispose-t-il ainsi d'une marge de manœuvre que son statut (chef militaire de la junte "putschiste") et ces temps d'exception lui permettent de facto, à savoir : un pacte possible avec cette "union touarègue" et sans doute le début d'un "dialogue" (souhaitable ?) avec certains responsables jihadistes du JNIM pour combattre "l'ennemi commun" et contrer les avancées de l'EIS au Mali. Un choix cornélien que pourrait difficilement (ou officiellement...) faire un représentant d'un pouvoir démocratique...
Sans faire évidemment l'éloge des coups d'État, mais puisque ceux-ci ont eu lieu et que leurs auteurs exercent actuellement le pouvoir, c'est donc aujourd'hui toute la question malienne : le pouvoir militaire malien actuel issu de deux coups d'État peut-il réussir (de façon certes non démocratique, voire hybride...) là ou un pouvoir démocratique a été (ou serait ?) enlisé, enkysté ou "paralysé" par une "liaison dangereuse" pourtant possiblement en faveur d'un Mali "unifié" pour combattre l'ennemi commun l'EIS ?...
Est-ce un "pacte avec le diable" ou une réelle opportunité unique (factuelle) à saisir pour le Président intérimaire du Mali et son armée (FAMAa), qui connaissent parfaitement (pour avoir combattu la plupart...) tous ces acteurs du conflit malien ?
Bien sûr, la question de l'Azawad et ses diverses sous-régions est éminemment plus complexe : le septentrion saharien malien (Touaregs, Dogons, Songhaïs...) a sans doute besoin de l'essor économique de Bamako pour subsister, mais la riche zone sahélienne sud (des Bambaras, mais aussi des Peulhs...) a plus que jamais besoin du Nord-Mali et de l'union de tous les maliens (nordistes et sudistes, sahéliens et sahariens) pour exister en tant que "Grand Mali" !
A la suite de l’article sur « Femmes, voile, polygamie et égalité » , dans la série de Publications du 8 au 16 mars 2023 et intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes », lce dernier texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute revient sur les effets du dogme de l’intangibilité de la norme religieuse, de l’instrumentalisation de ce qu’il est convenu d’appeler « sharîa » de même que toutes les confusions autour de ce concept brandi pour entraver le progrès social par l’émancipation des femmes dans le monde musulman. Il évoque aussi les différentes réformes entamées dans les pays du Maghreb, peu connues en Afrique subsaharienne où les pouvoirs politiques continuent de ménager les religieux. Ces derniers, qui ont du mal à s’inscrire dans la marche des idées et des réformes en cours dans le reste du monde musulmans ; enfermés dans une sacralisation des textes et des ouvrages classiques du Fiqh aujourd’hui caduques même dans les pays et contextes socioculturels qui les avaient générés.
Le débat qui précéda la récente réforme du code de la famille au Maroc a montré les limites et les possibilités qu’offrent les acquis de la démarche réformiste. Pour ce qui est des possibilités qu’offre au féminisme la prise en compte de l’identité culturelle, y compris dans sa dimension religieuse, de la société qu’on veut changer, il est important de rappeler le rôle joué par des théologiens mobilisés par les associations féministes et par les partisans de la réforme. Les apports du directeur de Dâr Al‑Hadîth Al‑Hasaniyya, Ahmed Khamlichi, l’actuel Ministre des affaires islamiques, Ahmed Taoufik, Abdou Filali‑Ansary, ou des penseurs invités d’autres pays musulmans, montrent le souci de rassurer la société en lui proposant des modalités de conciliation entre les croyances qu’elle pense – à tort ou à raison, là n’est pas le problème – constitutives de son identité et l’évolution souhaitée. Le rôle joué par des théologien(ne)s reconnu(e)s dans cette démarche était loin d’être négligeable. On peut mentionner, à ce propos, l’attitude du regretté Mohamed Elhabti, membre de la Ligue des ‘Ulamâ’ du Maroc, qui s’est désolidarisé de ses collègues pour soutenir le plan de réforme de la Mudawwana au nom de l’islam et de l’héritage juridique réinterprété du Maroc.
L’islam n’a rien à craindre du respect des droits des femmes …
Des associations féministes et les défenseurs du plan de réforme ont fait appel à ses contributions pour montrer que rien dans le projet n’était incompatible avec l’islam. Sans se départir des attributs de son statut, il a démontré que rien dans l’islam et dans la tradition normative du Maroc et des sociétés musulmanes n’empêche l’adoption des points sur lesquels portait la réforme (dont les restrictions concernant la polygamie, la suppression du tuteur matrimonial pour le mariage des femmes, le droit de la femme à demander le divorce, l’abolition de la répudiation, la proposition de porter l’âge légal du mariage de la jeune fille de 15 à 18 ans, et de prolonger la garde de l’enfant jusqu’à 15 ans, etc.) Sur tous ces points, il a montré que l’intérêt (maçlaha), de la société et des personnes concernées, exigeait une évolution dans le sens souhaité par la réforme. Il mit en évidence la mauvaise foi de ceux qui se cachaient derrière la religion pour rejeter la réforme tout simplement « parce que ceux qui l’ont proposée sont des laïques qui ne doivent pas être entendus même s’ils ont raison ». [1]
Dans le même sens, Abderrazak Moulay Rachid rassure les Marocains en précisant : « l’islam n’aura pas à souffrir de réformes pouvant établir l’égalité de droit entre hommes et femmes. Cette égalité est non seulement compatible, mais encore elle renoue avec les réformes amorcées au début de l’islam. Il faut continuer cette œuvre contre les esprits rétrogrades et jaloux de leurs privilèges. Ce n’est pas l’islam qui est en cause, mais son appropriation par certains groupes sociaux et politiques. » [2] De même, Aïcha Belarbi, revendiquant le droit pour les femmes d’interpréter les textes religieux au même titre que les théologiens, dit : « L’islam en tant que religion oriente la vie du musulman, organise la communauté sur les bases de l’égalité, de la justice, et de la dignité ». [3] Elle appelle à la « réappropriation de l’espace religieux par les femmes » en vue de remettre « en question des interprétations religieuses traditionalistes sur la femme, très souvent en rupture avec le Texte religieux et les pratiques sociales » et « de faire émerger et diffuser une nouvelle vision de la femme musulmane, par référence aux textes authentiques du Coran et de la Sunna » [4].
Des lectures féminines musulmanes pour rompre d’avec la théologie « masculine » ?
C’est la même « réappropriation de l’espace religieux par les femmes » qui inspira les travaux de Fatima Mernissi [5] qui remonte « très loin dans l’histoire, vers les premières années-sources de l’islam en essayant de comprendre pourquoi les femmes ont débuté dans l’islam politique comme disciples prestigieuses du Prophète (çahabiyyates) pour se retrouver sous les Omeyyades dans la position dégradante de jariya ».[6] Ce retour aux « années-sources » est, à ses yeux, nécessaire « pour évaluer la profondeur de cette amnésie dans la mémoire des musulmans qui vivent l’égalité des sexes comme un phénomène étranger » ; c’est pourquoi, ajoute-t-elle, « il nous faut toujours retourner à Médine, dans ses ruelles, où le débat sur l’égalité des sexes faisait rage, et où les hommes étaient obligés d’en discuter, sinon de l’admettre, puisque Médine et son Prophète l’exigeait ». [7] Héritières des Sultanes oubliées tout autant que de Houda Chaaroui, l’une des premières féministes musulmanes des temps modernes, les musulmanes sont de plus en plus nombreuses à investir le champ religieux pour ne plus laisser le monopole du bricolage du sacré à ses manipulateurs machistes. Leurs apports dans ce domaine seront essentiels. Les penseurs musulmans qui peinent depuis des siècles à faire évoluer les mentalités et les institutions sociopolitiques, trouveront-ils dans ces apports les moyens d’aller plus loin dans la remise en cause des structures patriarcales et autoritaires qui bloquent l’évolution de leurs sociétés ?
CONCLUSION
Si la réinterprétation des textes et de l’héritage religieux et culturel constitue une entrée nécessaire, aux yeux de celles et ceux qui la revendiquent, pour que l’évolution ne soit pas rejetée et vécue comme une entreprise menée contre la société et son identité, il est important d’avoir conscience des limites de la démarche réformiste. Comme nous pouvons le voir à travers toutes les réformes entreprises dans les mondes de l’islam depuis deux siècles, cette démarche ne lève pas complètement l’hypothèque du sacré : l’évolution des idées, des mœurs et des institutions n’est admissible que dans la mesure où elle est compatible avec la norme religieuse telle que la conçoit la lecture hégémonique dans la société. Elle ne permet pas au débat de se déployer librement à l’abri des logiques d’anathème et des persécutions qui peuvent en résulter. En effet, la sacralisation des valeurs et des conceptions qui fondent les systèmes en place, en les présentant comme inhérents à la religion et à la volonté de Dieu, a pour conséquence inévitable l’assimilation de toute nouveauté, dans quelque domaine que ce soit, à une « innovation hérétique » passible des pires châtiments.
Ce qui se passe en ce moment dans les sociétés musulmanes, comme dans toutes les sociétés où le lien social et le droit sont tributaires des normes d’une religion ou des conceptions doctrinaires d’une idéologie, montre les dangers du maintien d’une telle hypothèque pour la liberté de conscience et pour l’égalité des droits. Le problème n’est pas d’interdire aux croyants – musulmans, fidèles d’autres religions ou sans religion – de tenir compte des normes de leur sacré et de rechercher la conciliation de ce qu’ils vivent et font avec ce qu’ils croient : c’est là un droit fondamental, inhérent au principe de liberté de conscience et une société qui ne serait composée que de citoyens sans convictions, acceptant le divorce entre ce qu’ils croient et ce qu’ils vivent ou font, n’est pas plus enviable ou rassurante qu’une société embrigadée par un système doctrinaire de quelque nature qu’il soit.
Réinterroger le statut de la norme religieuse, sortir des essentialismes
Le problème est le statut revendiqué et donné à la norme religieuse : est-elle un principe moral individuel qui ne concerne que notre conscience et par rapport auquel on n’a de compte à rendre, ou à demander, à qui que ce soit ? Ou est-ce une règle juridique intangible, parce que sacrée, qui s’impose à la société, aux conduites individuelles et collectives, et structure tous les secteurs de la vie sociale, économique, politique, culturelle, etc. ? C’est là que se situe l’enjeu essentiel de la laïcité que les adeptes de l’islam politique, les modernistes timorés du monde musulman et les islamophobes, déclarés ou se cachant derrière des conceptions culturalistes essentialistes, disent impossible en islam. Les féministes iraniennes, comme celles de l’ensemble du monde musulman, sont partagées entre deux stratégies : une qui s’inscrit dans le cadre d’une démarche théologique cherchant à faire évoluer l’interprétation de la norme religieuse pour produire une « théologie de la libération des femmes » et une autre qui revendique une démarche laïque universaliste à l’instar de certains mouvements féministes qui, comme l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates et de grandes figures féminines, comme l’égyptienne Nawal Sa‘daoui, les Tunisiennes Sana Ben Achour, Sophie Bessis et bien d’autres intellectuels, femmes et hommes, considérant que les droits humains, dont les droits des femmes, ne peuvent être défendus de façon conséquente que sur la base de conceptions laïques prenant en compte l’universalité de l’humain et de ses droits[8].
[1]. M. Al‑Habtî Al‑Mawâhibî, « Mâjâ’a fî al‑khutta laysa fîh mâ huwa râji‘ li’l‑thawâbit al‑çârifa ‘an al‑nazhar fîh » (Ce qu’il y’a dans le Plan - de réforme de la Mudawwana -, ne comporte rien de ce qui relève des invariables indiscutables) texte reproduit dans le hors-série de Prologues, La mudawwana et sa réforme, quarante années de débats, Casablanca, 2001, p. 295-300.
[2]. A. Moulay Rachid, La femme et la loi au Maroc, Le Fennec, Casablanca, 1991, p. 130.
[3]. Voir sa contribution à Femmes et islam, Le Fennec, Casablanca, 1998, p. 5.
[4]. Ibid., p. 10.
[5]. Notamment dans Le harem politique, Le Prophète et ses femmes, Albin Michel, Paris 1987, et Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en islam, Albin Michel, Paris, 1990.
[6]. F. Mernissi, dans la préface de Femmes et pouvoirs, Prologues, Le Fennec, Casablanca, 1990, p. 9, voir aussi sa contribution à cet ouvrage : « La jariya et le khalif », p. 65-80.
[7]. F. Mernissi, Le harem politique, op. cit., p. 163
[8] A propos de ces deux stratégies, voir l’excellente thèse de Hajir Khenfir publiée par Nirvana Edition-(Tunis 2022), Tahaddiyât al-khitâb al-niswîy al-‘arabî fî al-niçf al-thânî mon al-qarn al-‘ichrîn (Les défis du discours féministe arabe dans la deuxième moitié du vingtième siècle).
A la suite de l’article sur « Luttes féminines musulmanes à l’épreuve des légitimations théologiques », dans la série de Publications entamée depuis le 8 mars 2023 et intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes », ce texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute réinterroge les conceptions théologiques sur le statut des femmes et la manière dont le débat, aujourd’hui tabou dans de nombreux pays musulmans, a été mené aussi bien par les théologiens que par des femmes engagées pour la défense de leurs droits. Ce texte aborde, de manière critique, le combat des femmes contre les conceptions islamistes de même que le débat sur le statut de la norme qu’on cherche souvent à opposer aux droits des femmes. Il s’arrête sur les travaux de nombreux penseurs musulmans à travers les siècles dont certains ont battu en brèche le sacro-saint principe de l’intangibilité de de la norme religieuse souvent enrobée dans la notion de « sharî’a » dans une forme de confusion volontaire dont le but serait de fermer les portes de l’ijtihâd, du débat et de la liberté d'expression de manière générale (A SUIVRE)
Si, dans la plupart des pays musulmans, on admet aujourd’hui l’accès de la fille à l’enseignement, beaucoup de pays continuent à le faire dans le cadre d’une stricte non-mixité. Les arguments en faveur de cette politique vont du danger que la mixité présente pour les « bonnes mœurs » et l’ordre moral traditionnel, à la nécessité de préserver la dignité de la femme. Certaines sociétés n’ont jamais permis la mixité, ni dans l’enseignement, ni dans le travail, ni dans les espaces publics ou privés, sauf lorsqu’il s’agit de personnes qui ne peuvent pas se marier entre elles du fait de leurs liens de parenté. Les Talibans, en Afghanistan, ont poussé cette interdiction de la mixité jusqu’à empêcher des médecins et des infirmiers d’examiner ou de soigner des femmes qui en ont besoin.
Là où la mixité est acceptée, elle est souvent assortie de l’obligation pour la femme de porter ce qu’on appelle une « tenue islamique » (zayy ’islâmî) : cela va d’un simple fichu sur la tête dans certains pays, à un voile ample et noir qui ne laisse rien apparaître du corps de la femme, en passant par des combinaisons intermédiaires (de couleurs, de longueurs, d’ampleurs et de formes). Cela dépend de ce que l’on considère dans le corps de la femme – mais aussi de l’homme – comme ‘awra : ce qui ne doit pas être vu – ou même entendu – parce qu’il est susceptible de tenter l’autre et de l’amener à transgresser les normes relatives aux relations sexuelles. [1] Cette notion est tributaire des fantasmes commandant les interprétations des versets coraniques, très équivoques, qui ont toujours servi de référence à ce sujet à savoir :
– « Ô prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre leurs amples tuniques (jalâbîb) sur elles. Ce sera pour elles le moyen le plus commode de se faire connaître et de ne pas être importunées. » (33/59)
– « Dis aux croyants de baisser leurs regards et de préserver leur chasteté (leur sexe). Cela est plus à même de les purifier. Dieu connaît parfaitement ce qu’ils font. Dis aux croyantes de baisser leurs regards et de préserver leur chasteté et de ne laisser voir de leur parure que ce qui en paraît. Qu’elles rabattent leur voilure (khumûr) sur leurs échancrures [de leurs habits : le mot utilisé est juyûb qui veut dire poche ou ouvertures des habits échancrés] et qu’elles ne montrent leur parure qu’à leur époux, à leur père, au père de leur mari, à leurs fils, aux fils de leurs maris, à leurs frères, aux fils de leurs frères, aux fils de leurs soeurs, à leurs dames de compagnie, à leurs esclaves femmes, aux domestiques hommes qui n’éprouvent aucun désir pour les femmes, aux enfants non-instruits sur les parties intimes (‘awra) des femmes. Qu’elles ne marchent pas de façon à attirer l’attention sur leurs atours (...) » (24/30-31)
Outre ces recommandations que les lectures islamistes intégristes cherchent à ériger en règles juridiques intangibles, les plus zélotes ajoutent des hadîths étendant la notion d’adultère à la femme qui se parfume et passe à côté d’une assemblée d’hommes, ou interdisant à un sexe de s’habiller comme l’autre, etc. Certains étendent les recommandations coraniques relatives à la conduite des épouses du Prophète à toutes les femmes avec le même esprit de rigorisme juridique, nourri par les fantasmes sexuels communs à toutes les sociétés fondées sur la séparation des sexes.
On ne peut mieux résumer la position des islamistes au sujet du statut de la femme, qu’en rappelant ces propos de Muhammad Al‑Ghazâlî : « Qu'on le sache, il est permis de se marier avec une et avec quatre. La répudiation est un droit dont l’homme bénéficie et que nul ne peut lui arracher. Dans l’héritage, la femme n’a droit qu’à la moitié. L’homme est le chef de famille, le responsable et le tuteur. Quant à ce que demandent aujourd’hui les femmes comme transformation de ces principes islamiques, ce n’est que de l’arrogance qu’il faut châtier sans pitié ». [2]
Combat pour les droits des femmes contre les conceptions islamistes
Les partisans de l’égalité des sexes ont, depuis le xixe s., privilégié d’autres références et d’autres lectures que celles des adversaires de l’émancipation féminine. Sans nier les énoncés coraniques et les traditions mobilisés constamment par leurs adversaires, ils les relativisent en invoquant les coutumes de la société dans laquelle l’islam est apparu ; l’islam a pris en compte ces coutumes mais, disent-ils, cela ne veut pas dire qu’il en faisait une règle intangible. Bien au contraire, « son intention » et « ses finalités» étaient, selon cette vision, l’évolution progressive de la société vers l’égalité, la justice et le bien. Ce qui compte ce n’est pas « la lettre de l’énoncé » mais son « esprit » et sa « finalité » déductibles à partir du sens de l’évolution souhaitée. Pour saisir ce sens, ils comparent la norme coranique et les pratiques impulsées par l’islam naissant avec ce qui existait auparavant.
Cette manière d’envisager les normes religieuses n’est pas nouvelle. Elle a toujours existé, mais la domination des conceptions patriarcales et machistes, dans les sociétés musulmanes, comme dans la plupart des sociétés humaines, l’a occultée au point que les musulmans en sont venus à penser qu’elle est incompatible aussi bien avec les lois de la nature qu’avec la religion. En effet, la théorie des maqâçid (finalités), bien que développée et explicitée par Shâtibî assez tardivement, est présente dans toutes les doctrines normatives de l’islam à travers les notions d’intérêt (maçlaha), de « justice » (‘adl), de « bien » ou « bel agir » (’ihsân) que doivent viser l’élaboration des normes et les conduites individuelles et collectives des humains. « La charia a pour fondement le jugement et les intérêts des gens dans la vie de ce monde et dans l’au-delà », disait le hanbalite Ibn Qayyim Al‑Jawziyya avant d’ajouter : « Là où apparaissent les signes de la justice, et par quelque moyen que ce soit, il y a le char‘ de Dieu ». [3]
Les notions de justice, de bien et d’intérêts étant variables selon les sociétés, les mœurs, les cultures, et les époques, les musulmans ont de tout temps divergé quant aux normes jugées conformes aux finalités de la charia, en ce qui concerne le statut de la femme et ses droits, comme par rapport à d’autres questions.
Ibn Rushd (Averroès) faisant le point, au xiie s., sur ces divergences, entre autres par rapport à la possibilité pour la femme d’exercer les fonctions d’Imam pour diriger la prière des musulmans, de Qâdhî ou de Calife, rappelait, dans son célèbre traité concernant les normes religieuses Bidâyatu’l‑mujtahid wa nihâyatu’l‑muqtaçid [4],qu’il n’y avait pas d’accord entre les théologiens à ce sujet, et que l’exégète Tabarî jugeait qu’elle y avait droit.
Dans son commentaire de La République de Platon, il déplorait les discriminations à l’égard des femmes, et leurs effets négatifs sur la société et l’économie, en affirmant qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre la nature du sexe féminin et celle du sexe masculin et pensait, en conséquence que les femmes pouvaient occuper toutes les fonctions, y compris celles que certaines législations réservaient aux hommes comme la direction des affaires politiques et religieuses. Il attribuait les inégalités, au nom desquelles ses contemporains justifiaient les différences de statut et de droits entre les hommes et les femmes, à l’éducation et aux traditions qui empêchaient la participation de la moitié de la société à la vie sociale et économique et qui étaient une des causes de la pauvreté des cités concernées.[5]
Il a fallu attendre le xixe s. pour voir Ibn Rushd réhabilité, et ce qu’il disait, entre autres à ce sujet, avoir droit de cité. Après l’Égyptien Tahtâwî qui a prôné l’éducation des filles en déplorant les méfaits, pour toute la société, de l’ignorance dans laquelle étaient maintenues les femmes, les réformistes se sont attaqués, les uns après les autres, à tel ou tel aspect rétrograde de la condition féminine dans les sociétés musulmanes. M. ‘Abduha dénoncé les méfaits de la polygamie dont il a prôné la limitation aux cas extrêmes de maladie ou de stérilité de l’épouse. Qâsim ’Amîn [6] a dénoncé le port du voile et fut le premier à plaider la libération des femmes au nom de l’islam. Presque au même moment, le fondateur du Parti Constitutionnel Tunisien, A. Th’âlibî publia, en 1905, L’esprit libéral du Coran dans lequel il reprit la dénonciation du voile et appela à l’instruction des filles.
En 1930, au moment où Mustapha Kémal Atatürk menait une politique laïque interdisant la polygamie dans le mariage civil et donnant à la femme des droits politiques et sociaux jusqu’alors inconnus dans le monde musulman, Tahar Haddad publia son célèbre ’Imra’atunânfî al‑charî‘a wa’l‑mujtama‘ (La femme musulmane au regard de la charî‘a et dans la société). Il va plus loin que tous ses prédécesseurs, aussi bien dans la dénonciation de la situation sociale faite aux femmes que dans la réfutation des arguments religieux invoqués pour justifier cette situation.
Il dénonce le mode d’éducation de la fille, « élevée dans la honte de son corps. Elle doit baisser les yeux même devant les seuls hommes qui ont le droit de la voir (...). Elle doit être timide, sans personnalité affirmée, ni initiative propre (…). Elle est élevée dans la peur de ses maîtres, son père, puis son mari », dit Mohamed Charfi pour résumer les idées de T. Haddad à ce sujet. [7] Il fait le procès de la polygamie, de l’enfermement des femmes, des modalités du mariage qui en font une marchandise, etc. Il récuse les arguments religieux à travers lesquels les théologiens cherchent à démontrer l’infériorité de la femme et son statut en soutenant que « les filles ont exactement les mêmes capacités cérébrales, les mêmes potentialités que les garçons et (…) que la condition des femmes s’explique seulement par le fait qu’elles ont été, dès leur jeune âge, maintenues dans l’ignorance et empêchées d’avoir la moindre participation à la vie publique ». [8] Il s’élève contre les lectures sclérosées de la religion et montre que l’islam ne s’oppose pas au changement de cet état des choses en disant : « D’une manière plus claire et plus précise, je veux dire que nous devons considérer la grande et nette différence entre, d’une part, l’essence de l’islam et son sens profond, tels que l’unicité de Dieu, la bonne morale, les principes de justice, d’équité et d’égalité entre tous les êtres humains, qui sont ce pourquoi l’islam est venu (...), et, d’autre part, les pratiques qui correspondaient à la mentalité ancrée dans l’esprit des gens et qui n’étaient pas conformes à son éthique. Les règles adoptées pour essayer de corriger ces pratiques et faire évoluer ces mentalités devront par la suite continuer leur évolution.
L’abrogation de toutes ces règles circonstancielles n’est en rien contraire à l’islam. C’est le cas de l’esclavage, de la polygamie et de toutes les règles similaires qu’on ne peut en aucun cas considérer comme faisant partie de l’islam. » [9] Bourguiba, qui s’en était démarqué dans les années 1930, l’a réhabilité après l’indépendance et en fit une référence majeure du Code du Statut Personnel tunisien. Il utilisa les arguments développés par T. Haddad pour abolir la polygamie en invoquant les mêmes versets coraniques relatifs à la condition d’équité entre les épouses (« si vous craignez de ne pas être équitable, une seule suffit » (4/3), et « vous ne saurez être équitables entre les femmes même si vous vous efforcez de l’être » (4/135).
Les idées de T. Haddad et de ses précurseurs sont constamment sollicitées dans les débats actuels au sujet du statut de la femme dans les pays où les conceptions patriarcales continuent à dominer. Allant plus loin dans la démarche finaliste qui a inspiré les lectures réformistes, Mohamed Talbi [10] appelle à distinguer, à propos de chaque énoncé, la situation sur laquelle il porte et qu’il vise à modifier et la situation qu’il veut atteindre. Il parle ainsi de « vecteur(s) orienté(s) » indiquant « les finalités » (maqâçid) visant l’égalité des « enfants de Dieu » (‘iyâlallâh).
Dans une démarche plus radicale, le théologien soudanais Mahamûd Muhammad Taha considère que l’inégalité entre les sexes n’est pas un fondement en islam et que le fondement est plutôt l’égalité [11] On pourrait en dire autant des nouvelles approches de la question féminine par des penseurs comme N. H. Abû Zayd, Muhammad Chuhrûr, Abdelmajid Charfi et par les femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à investir le débat religieux autour de ces questions : les Marocaines Fatema Mernissi, Farida Bennani, Aïcha Belarbi, Fatima-Zohra Zryouil, Rajae Elhabti, les Tunisiennes Olfa Youssef, Neila Sellini, Amel Grami, Latifa Lakhdar, Zeineb Ben Saïd Cherni, Raja Ben Slama, des Algériennes comme Leila Babès, des égyptiennes comme Nawâl Sa‘dâwî poursuivant dans la voie ouverte par Hudâ Cha‘râwî et Bint Al-Châti’, etc.
(A SUIVRE) sur www.timbuktu-institute.org
[1]. Voir l’analyse que fait de cette notion A. Bouhdiba 1979, La sexualité en islam (2e éd.), P.U.F., Paris, p. 52 sq.
[2]. M. Al‑Ghazâlî, Kifâhu dîn, op. cit., p. 209.
[3]. Ibn Qayyim Al-Jawziyya, op. cit., Vol. 4, p. 373
[4]. Ibn Rushd (Al‑Qurtubî), Bidâyatu’l‑mujtahidwanihâyatu’l‑muqtaçid, op. cit., tome 1, p. 145 et tome 2, p. 460.
[5]. Voir Ibn Rushd, Talkhîç al‑siyâsa, Dar at‑talî‘a, Beyrouth, 1998, p. 124 sq. et les textes anglais à partir desquels le texte arabe a été reconstitué : E. I. J. Rosenthal, Averroes’s commentary on Platon’s “Republic”, Cambridge Universty Press, 1969, et Ralph Lerner, Averroes on Platon’s “Republic”, Cornell University Press, 1974.
[6]. Il fut le premier à dénoncer le port du voile et à prôner la libération de la femme au nom de l’islam notamment dans Al‑’islâm wa tahrîr al‑mar’a (L’islam et la libération de la femme) publié au Caire en 1901.
[7]. M. Charfi, « Tahar Haddad : “la femme musulmane : aspects religieux”, un tournant dans la pensée islamique », in Prologues n° 20, Automne 2000, p. 30-34.
[8].Ibid.
[9]. T. Haddad, ’Imra’atunâ fî al‑charî‘awa’l‑mujtama‘ (La femme musulmane au regard de la charia et dans la société), Dâr al‑ma‘rifa, Sousse (Tunisie), 1930, p. 13 (la traduction est de M. Charfi, op. cit.).
[10]. Plaidoyer pour un islam ouvert, op. cit., Penseur libre en islam : un intellectuel musulman dans la Tunisie de Ben Ali, Albin Michel, 2002.
[11]. M. M. Taha, op. cit., p. 162.
A la suite de l'article sur les conceptions patriarcales de l’islam politique, dans la série de Publications entamée le 8 mars 2023 et intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes », ce texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute revient sur l'impact des luttes féminines sur l'évolution des cadres normatifs et législations dans les pays à majorité musulmane. Dans cette partie, il s'intéresse aux questions relatives notamment à l'égalité, à la polygamie ainsi qu'aux tentatives théologiques de légitimer religieusement d'autres formes de discriminations à l'égard des femmes (A SUIVRE)
En Tunisie, par exemple, le législateur s’est appuyé sur la mobilisation des femmes pour leurs droits comme sur les acquis des réformes accomplies dès le xixe s., pour déduire de l’impossible équité entre les femmes, stipulée dans le Coran, l’interdiction de la polygamie. Les islamistes tunisiens, et leurs alliés conservateurs ont longtemps dénoncé cette abrogation en affirmant que la polygamie « est autorisée et comme l’admet explicitement le texte bien établi et sans équivoque, et comme l’ont appliqué le Prophète et ses compagnons (...), il n’est absolument pas permis au gouvernant musulman de l’interdire ; car l’interdire voudrait dire que le savoir d’un tel gouvernant est plus étendu que celui de Dieu. » [1] En conformité avec la ligne défendue par son mouvement depuis sa genèse dans les années 1970, le leader du mouvement islamiste tunisien, Rachid Ghannouchi, demanda au début des années 1980 la révision du Code du Statut Personnel qui avait abrogé, entre autres discriminations à l’égard des femmes, la polygamie. Devant la protestation des femmes et des forcesprogressistes dans le pays, il fut obligé de tenir une conférence de presse pour dire que le code en question était une interprétation possible de la charia islamique. Il ajouta que s’il demandait la révision de ce code, c’était pour garantir plus de droits pour les femmes et non pour contester leurs acquis !
En Algérie, la condition de l’équité a été réduite à la nécessité de garantir un logement équivalent à toutes les épouses ! Vu la crise de logement dans le pays, une telle interprétation a permis de réduire considérablement la pratique de la polygamie ; cependant, ceux qui ont les moyens de s’offrir autant de logements qu’ils le souhaitent, continuent à profiter de ce « droit ».
Ailleurs, on continue à ignorer cette condition et à justifier la polygamie comme un bienfait de la « Sagesse divine ». Ainsi Y. Qaradhâwî nous dit : « Certains hommes désirent ardemment procréer, mais leur épouse est frigide ou malade, ou ses règles sont trop longues, ou il y a une autre anomalie ; cependant, l’homme ne peut supporter longtemps la privation de femmes. N’a-t-il pas le droit, dans ce cas, d’épouser une autre femme dans la légalité plutôt que de se chercher une autre maîtresse ?
Il arrive aussi que le nombre de femmes excède celui des hommes, surtout à la suite de guerres qui diminuent le nombre d’hommes et de jeunes gens. C’est dans l’intérêt de la société et des femmes elles-mêmes, que les femmes soient des co-épouses, plutôt que de rester toute leur vie vieilles filles privées de vie conjugale et de ce qu’elle assure comme paix, amour pur, sauvegarde de la chasteté et de l’honneur, privées aussi du bienfait de la maternité alors que le cri de la nature qui se cache en elles les appelle à cette noble fonction.
Ces femmes, dont le nombre dépasse celui des hommes, se trouvent, en effet, devant trois solutions :
1) soit elles passent le restant de leur vie dans l’amertume de la privation ;
2) soit on les libère pour qu’elles vivent comme instruments pour les amusements prohibés des hommes ;
3) soit on leur permet d’épouser un homme marié et capable de faire face à ses nouvelles responsabilités.
Il ne fait aucun doute que cette dernière solution est la voie de la justice et le baume bienfaisant ». [2]
De son côté, Sa‘îd Hawwa ajoute : « l’islam a permis à l’homme de multiplier ses épouses, mais pas à la femme parce que cette dernière n’a pas plusieurs utérus dans lesquels elle pourrait mettre séparément les enfants de chaque mari. Et comment pourrait-elle s’occuper de plusieurs maris à la fois, et quelle serait sa relation avec chacun d'eux ? Et comment est-ce que l’un d'eux pourrait être responsable d’elle ? La logique et la nature de la femme sont d'accord, la femme ne peut avoir qu’un seul mari. Quant à l’homme, il peut déposer sa semence dans plus d’un utérus, nourrir plus d’une femme et c'est donc normal que la polygamie lui soit permise. Si son appétit sexuel est grand et que sa femme est froide, il peut lui joindre une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième, et qui ne peut se satisfaire de quatre femmes ? Et puis il y a les cas des maladies des femmes, des longs voyages, des guerres… ne vaut-il pas mieux permettre la polygamie que de voir s’instaurer la relation illicite (zinâ) ? » [4].
Quant à Mohammad Qutb, il justifie la polygamie par les cas « où la multiplicité des épouses est une nécessité absolue. Parmi ces cas, citons l’existence, chez certains hommes, d’un besoin ou appétit sexuel aigu et violent, auquel ils ne peuvent résister et qui ne peut se satisfaire d’une seule épouse. Citons aussi les cas des femmes stériles. Nous savons que le besoin d'avoir une progéniture est profond, légitime et tout à fait honorable (…) et il n’est pas juste de priver l’homme d’une progéniture. Citons également les cas de maladies répétées chez les femmes, qui peuvent empêcher ou espacer les rapports sexuels. Et n’allez surtout pas dire que la sexualité est quelque chose de vil ou de bas. C’est, en fait, une force à laquelle l’homme ne peut pas échapper et Dieu ne demande pas l’impossible à ses créatures. De même pour les cas d’incompatibilité sexuelle (…) Dans tous ces cas, prendre une nouvelle épouse (deuxième, troisième ou quatrième) est beaucoup mieux que de répudier la première. » [5] Ce qui est étrange c'est que les islamistes n'imaginent pas que ces « cas » peuvent être invoqués pour justifier le droit de la femme à plusieurs époux ! C’est ce qui permet à l’islamiste égyptien Mohammad Ghazali, qui a sévi en Algérie sous le règne de Chadli Ben Djédid, de protester : « Parler d'interdire la polygamie, c'est peut-être parler des Martiens, mais en aucun cas de notre société égyptienne qui, dans ses profondeurs, ignore le délire de ceux qui veulent copier les Européens alors que ces derniers, plongés dans l'ignominie, interdisent le licite et permettent l’illicite (…) » [6]
Si dans la famille, le statut de la femme est marqué de toutes ces discriminations, comment peut-il en être autrement dans la société conçue, dans le cadre de cette vision, comme une famille patriarcale élargie ? Faute de versets coraniques traitant de cet aspect, les islamistes mobilisent les hadîths et un certain nombre de traditions consacrées pour les besoins des intérêts d’une société machiste. Ainsi, un hadîth, selon lequel « un peuple qui délègue la gestion de ses affaires à une femme ne peut pas réussir », est mobilisé contre la participation de la femme à la vie politique et à l’exercice de fonctions publiques en Arabie Saoudite comme dans les pétromonarchies du Golfe. L’islamiste algérien Ali Belhadj considérait que le rôle de la femme se limitait à ses tâches dans la famille. Les islamistes tunisiens, malgré l’évolution connue par la société dans laquelle ils vivent, allaient jusqu’à contester le droit des femmes au travail prétextant qu’il a pour objectif de concurrencer les hommes et de les dominer.
L’accès au travail a – selon eux – « amené la femme à se dévoiler, se dénuder », et à « aller à l’encontre des traditions familiales et du devoir d’obéissance à l’égard de son mari ». Le plus grave à leurs yeux c’est qu’un grand nombre des activités exercées par la femme lui permet « d’exercer une tutelle ou une quasi-tutelle sur les hommes. Nous savons que la tutelle ne peut être que sur celui qui est incapable, mineur ou faible. Pour cela, toute la tutelle revient à l’homme dans toutes les affaires publiques. Dieu (...) a réservé [à l’homme] la prophétie, le califat, l’imâmat, le jihâd, l’appel à la prière, le prêche, etc. Il a institué l’obligation pour la femme de lui obéir et non le contraire. » Les mêmes islamo-conservateurs tunisiens n’osent plus contester le droit de la femme à l’instruction. Cependant ils préconisent de limiter ce droit « à l’apprentissage de ce qui est indispensable pour l’accomplissement de sa fonction, comme la lecture, l’écriture, le calcul, la religion, l’histoire des ancêtres bienfaisants, l’entretien de la maison, l’hygiène, les principes de l’éducation et de l’orientation des enfants. Quant aux autres sciences, (...) elles sont sans intérêt [pour les femmes] et il est vain de leur permettre de les acquérir. » [7] Confrontés à l’hostilité de la société à l’égard de leurs conceptions rétrogrades, ils ont fait marche arrière en considérant que le Code du Statut Personnel tunisien, qu’ils ont longtemps rejeté, était une interprétation compatible avec charia. Selon les circonstances et les rapports de forces, ils n’hésitent pas à passer d’une conception à son contraire. Ainsi, après les tergiversations au sujet du Code du Statut Personnel, une fois au pouvoir, ils ont essayé de remplacer le principe d’égalité par celui de complémentarité entre les hommes et les femmes. Il a fallu la mobilisation des femmes et des défenseurs des droits humains pour les obliger à faire marche arrière.
A SUIVRE ....
[1]. « La question de la femme entre les adeptes de la monogamie et ceux de la polygamie », dans la revue tunisienne Le Maghreb, n° 45, 1982.
[2]. Y. Qaradhâwî, op. cit., p. 195-196.
[3]. S. Qutb, Fîzhilâl al‑qur’ân (À l'ombre du Coran) Beyrouth, Dâr ach‑chourouq, 1973, vol. 1 p. 578.
[4]. S. Hawwa, Al‑’islâm, Beyrouth, Dâr al‑kutuub al‑‘ilmiyya, 1979, (2e éd.), p. 240.
[5]. M. Qutb, Chubuhât Hawla al‑’islam, op. cit., p. 129.
[6]. M. Al‑Ghazâlî, Kifâhu Dîn (Un combat de religion), Le Caire, Dâr at-ta’lîf, 1965, (3e éd.), p. 209, cité par EmnaBelhaj Yahya dans « Discours islamiste radical et droits des femmes », in La non-discrimination à l’égard des femmes, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, Tunis, 1989, p. 369-376.
[7]. Revue Al‑Ma‘rifa n° 4, « Al‑mar’a ka ‘insâna » (« La femme en tant qu’être humain »), cité par A. Hermassi dans Al‑haraka al‑islamiyyafîtûnis (Le mouvement islamiste en Tunisie), Bayrim, Tunis, 1985, 1977, p. 122 sq.
Ce texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute sur les présupposés et interprétations religieuses en défaveur des droits des femmes est la première partie d’une série de publications intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes ». Cette série se poursuivra en évoquant les formes de résistance développées dans le monde musulman aussi bien par des théologiens que par des femmes qui se sont appropriées les textes fondateurs de l’islam pour fournir des interprétations en faveur de leurs droits et de l’amélioration de leur statut du XIXème siècle à nos jours.
Le 13 septembre dernier, Mahsa Amini, 22 ans est arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour "port du voile inapproprié". Trois jours après, la jeune femme décède des suites des traitements infligés par la police. Sa fin tragique est à l’origine d’un mouvement de colère parti le 17 septembre, du Kurdistan iranien, pour s’étendre rapidement à Téhéran et à d'autres régions. Défiant l’ordre des Mollahs, des centaines de femmes se filment en train de se couper les cheveux, de brûler leurs voiles. Les symboles du régime sont attaqués. La protestation tourne à une contestation du régime et de son chef suprême, Ali Khamenei. Ainsi, les femmes iraniennes, premières victimes des conceptions rétrogrades de l’islam politique depuis l’avènement de la République islamique en 1979, sont aujourd’hui à la pointe du combat contre l’ordre de mollahs. Elles donnent l’exemple à toutes les femmes des sociétés musulmanes et du monde en lutte contre les discriminations que leur réserve l’ordre patriarcal dont les islamistes et les fondamentalistes et intégristes de toutes les religions sont les plus fervents défenseurs. Les Iraniennes renouent par ce soulèvement avec les combats de générations de femmes qui, par diverses voies, ont essayé de briser les chaînes de la servitude que les sociétés musulmanes, comme la plupart– pour ne pas dire l’ensemble – des sociétés humaines réservent à la femme au nom de sa soi-disant infériorité naturelle par rapport à l’homme.
En effet, les préjugés relatifs à la nature essentiellement différente de la femme et de l’homme, au nom desquels on défend les discriminations à l’égard de la moitié de l’espèce humaine, ont partout trouvé, dans les différentes religions, sans exception, des arguments de nature à en faire des normes sacrées et intangibles. Les fondamentalismes religieux continuent partout à défendre les conceptions à la base de ces préjugés prônés de nos jours par toutes les expressions de la révolution conservatrice.
Malgré les progrès réalisés sur la voie de l’émancipation des femmes partout dans le monde grâce aux combats des femmes et au soutien des hommes convaincus de la nécessité des méfaits de l’injustice et de la discrimination pour l’ensemble de la société, la plupart des sociétés musulmanes font partie des sociétés qui résistent à la reconnaissance de l’égalité entre les hommes et les femmes. Le développement des mouvements islamistes intégristes, en réaction à des modernisations chaotiques qui n’ont pas tenu leurs promesses, a même généré des involutions qui se sont traduites par une remise en cause, non seulement des droits récemment acquis, mais aussi de certains droits garantis par les systèmes traditionnels. En effet, le développement de différentes expressions de l’islam politique – le mouvement des Frères musulmans et ses ramifications dans divers pays, le Parti de la libération islamique, les prolongements de Jamaat-e-Islami en Inde et au Pakistan, le Hizbollah et les mouvements islamistes se réclamant du chiisme, la nébuleuse des groupes salafistes et jihadistes plus ou moins affiliés au wahhabisme, à Al-Qâ‘ida, aux Talibans ou à DAECH, etc. – a eu pour effet la remise en cause de certains droits arrachés par les femmes musulmanes, à la faveur des réformes entreprises depuis le xixe s. et dans les années 1950.
L’avènement des « Républiques Islamiques », en Iran et au Soudan, a donné à cette régression un caractère spectaculaire et dramatique avant que les Talibans – portés au pouvoir en Afghanistan par la principale puissance du « Monde Libre » – ne prennent, dans le même sens, des mesures inédites allant jusqu’à priver les femmes de soins médicaux sous prétexte de respecter « les règles de la loi islamique » destinées à « préserver la dignité féminine du péché » que représenterait le fait qu’elles soient examinées et soignées par des médecins hommes.
A l’instar de tous les adversaires de l’émancipation des femmes, les islamistes mobilisent des conceptions traditionnelles sacralisées au nom de la religion et présentées comme étant, sinon la charia de l’islam, du moins un «droit musulman » qui en procède et qui l’incarne.
Contre cet état des choses, de grandes figures féminines ont réclamé, à l’instar de Houda Cha‘raoui, depuis le début du XXIe s siècle, l’émancipation féminine. Dans certains pays, les origines du combat pour l’amélioration du statut et de la condition des femmes remontent au xixe s. Ce combat est mené au nom de références universelles : les principes de liberté et d’égalité prônés par la déclaration universelle des droits humains, les conventions et textes internationaux relatifs à la lutte contre toutes les formes de discriminations entre les femmes et les hommes. Il est aussi mené au nom des normes religieuses interprétées dans une perspective opposée aux conceptions patriarcales et misogynes des adversaires de la cause féminine.
Ainsi, l’islam et sa charia sont invoqués, d’un côté, par les islamistes et les milieux conservateurs pour justifier les discriminations et les atteintes aux droits des femmes, et de l’autre, par des mouvements de femmes qui s’en réclament, pour revendiquer l’égalité des sexes et la fin de l’asservissement de la « moitié» de l’humanité.
Il est difficile de revenir ici à la discussion des arguments développés par les islamistes et leurs adversaires favorables à l’égalité entre les femmes et les hommes[1], ou de présenter une analyse exhaustive de la situation des femmes dans les différents pays musulmans. Outre la difficulté de satisfaire une telle ambition dans un cadre aussi limité, d’autres travaux ont été consacrés à ce sujet [2]. C’est pourquoi on se limitera à montrer comment les normes religieuses de l’islam se trouvent utilisées par les un(e)s et par les autres pour justifier les conceptions relatives aux principales questions qui sont au cœur du débat au sujet de la question féminine.
Conceptions et arguments islamistes contre les droits des femmes
À la base de toutes les discriminations encore défendues par les islamistes et les conservateurs au nom de l’islam, nous trouvons le refus de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce refus est justifié par un verset coranique qui stipule : « Les hommes leur [c’est-à-dire aux femmes] sont supérieurs d’un degré »(2/228). Donnant à ce verset la portée d’une loi universelle, Y. Qaradhâwî, dans son ouvrage Le licite et l’illicite en islam, résume les justifications traditionnelles de ce postulat en précisant : « L’homme est le seigneur de la maison et le maître de la famille d’après sa constitution, ses prédispositions naturelles, sa position dans la vie, la dot qu’il a versée à son épouse et l’entretien de la famille qui est à sa charge » [3]. S. Qutb défendant une conception de la justice fondée sur le refus de l’égalité, affirmait : « Entre les sexes, l’égalité de la femme avec l’homme est totale du point de vue de [l’appartenance à] l’espèce [humaine] et des droits humains. La distinction n’est instituée qu’au regard des considérations relatives aux possibilités, à l’expérience et à la responsabilité [de l’homme et de la femme] ; ce qui n'affecte pas le statut humain des deux sexes. Là où il y a égalité de possibilités [naturelles], d'expérience et de responsabilité, ils sont égaux. Là où ils diffèrent en quoi que ce soit, l’inégalité doit être en conséquence ». [4]Hassan Al‑Banna ne disait pas autre chose : « La différence entre l’homme et la femme dans les droits est la conséquence des différences naturelles des rôles attribués à chacun des deux sexes ; elle est nécessaire pour protéger leurs droits respectifs » [5]. Ces arguments se retrouvent dans le discours de certains « modernistes » comme Abbâs Mahmûd Al‑‘Aqqâd, invoquant les mêmes références religieuses et les mêmes arguments quant aux différences naturelles entre l’homme et la femme. [6] Dans les débats récents au sujet de la réforme du code de la famille (la mudawwana), au Maroc, le Ministre des affaires islamiques, Abdelkébir Mdaghri, opposé à la réforme, dit : « L’islam n’a pas établi l’égalité absolue entre les hommes et les femmes au sens que donne l’Occident à l’égalité. Et celui qui dit le contraire commet un mensonge envers Dieu ». [7] L’un des dirigeants du mouvement Al‑‘adl wa’l‑’ihsân (Justice et Bienfaisance) de Absalam Yassine affirme : « l’égalité totale entre les époux telle qu’elle est dans le projet des féministes est totalement inacceptable. Elle n’est possible que si la charia est éliminée et que l’État déclare ouvertement sa laïcité ». [8]
C’est au nom de cette inégalité fondamentale que les adversaires de l’égalité des sexes justifient toutes les autres discriminations.
Ainsi, la tutelle des hommes sur les femmes est encore justifiée au nom de ce verset coranique : « les hommes ont tutelle sur les femmes en raison de la distinction établie entre eux et du fait de ce qu’ils dépensent de leurs biens. » (4/34) S. Qutb, que ne contredisent ni Y. Qaradhâwî, ni les théologiens ou juristes attachés à la mise sous tutelle perpétuelle des femmes, précise à ce sujet : « la raison (…) en est la capacité [naturelle] et l’expérience en ce qui concerne la charge de tutelle. L’homme, en raison de sa disponibilité du point de vue des responsabilités maternelles, a plus de temps pour affronter les problèmes sociaux auxquels il se prépare avec toutes ses facultés intellectuelles (…). En outre, les charges maternelles développent chez la femme le côté affectif et réactionnel autant que se développent chez l'homme la spéculation et la réflexion. Le droit de tutelle revient [à celui-ci] en raison de ses capacités et de l’expérience qu’il a de cette fonction. Il a en outre la charge d’entretenir [la famille], or l’aspect financier est fortement lié à la question de tutelle. La tutelle est donc un droit d'obligation qui revient, en vérité, à une égalité de droits et d'obligations (…) » [9]
Ce droit de tutelle s’accompagne, dans cette conception, de l’obligation d’obéissance pour la femme vis-à-vis de son tuteur, et du droit de correction qui revient à l’homme à l’encontre de la femme jugée rebelle. Y. Qaradhâwî dit à ce propos : « Pour toutes ces raisons, la femme ne doit pas désobéir à son mari, ni se rebeller contre son autorité provoquant ainsi la détérioration de leur association, l’agitation dans leur maison ou son naufrage du moment qu’elle n’a plus de capitaine » [10].
Il ajoute « Quand le mari voit chez sa femme des signes de fierté ou d’insubordination, il lui appartient d’essayer d’arranger la situation avec tous les moyens possibles en commençant par la bonne parole, le discours convainquant et les sages conseils. Si cette méthode ne donne aucun résultat, il doit l’aborder au lit, dans le but de réveiller en elle l’instinct féminin et l’amener ainsi à lui obéir pour que les relations deviennent sereines. (…) Si cela s’avère inutile, il essaie de la corriger avec la main tout en évitant de la frapper durement et en épargnant son visage. Ce remède est efficace avec certaines femmes, dans des circonstances particulières et dans une mesure déterminée. Cela ne veut pas dire qu’on la frappe avec un fouet ou un morceau de bois » [11].Y. Qaradhâwî conclut : « Si tout cela ne donne aucun résultat et si l’on craint l’aggravation de leur désaccord, c’est alors que la société islamique et les gens connus pour leur sagesse et leur bonté doivent intervenir pour les réconcilier (...). C’est après l’échec de toutes ces tentatives de réconciliations qu’il est permis au mari de recourir à une solution ultime codifiée par l’Islam, afin de répondre à l’appel de la réalité et aux exigences de la nécessité et afin de résoudre des problèmes auxquels seul le divorce à l’amiable peut mettre fin. Telle est la seule justification du divorce ». [12] Passons sur la contradiction entre la notion de « divorce à l’amiable » et le fait de considérer que c’est « au mari de recourir » à cette « solution ultime. » C’est une manière d’éviter de parler de la « répudiation » et de faire l’amalgame – très courant dans les textes juridiques des pays musulmans – entre cette pratique arbitraire considérée comme un droit exclusif du mari, et le divorce accordé par le juge à la demande de l’épouse ou par les deux conjoints. Cette confusion est confortée par la désignation des deux formes de rupture du lien conjugal par le terme talâq qui veut, précisément, dire « rupture » sans prise en compte de la manière dont le lien conjugal est rompu.
Là-aussi, S. Qutb ne dit pas autre chose en justifiant à sa manière le droit pour le mari de « corriger » son épouse en ces termes : « lorsqu’il s’avère que toutes les autres méthodes de correction sont restées inefficaces, c’est que le mari se trouve devant un cas de rébellion violente qui nécessite l’utilisation d’un procédé violent : les coups, non pas dans l’intention de nuire mais de corriger… Et ce droit (de corriger sa femme rebelle) dont l’homme a le privilège, c’est Dieu qui le lui a accordé » [13]. Le comble, c’est la reprise de ce type de justifications par des femmes qui ont intégré le discours islamo-machiste. Ainsi, à l’encontre de la législation tunisienne qui donne droit à la femme de poursuivre son conjoint qui porte atteinte à son intégrité physique en la frappant, l’islamiste tunisienne Warda Râbih nous dit : « la rébellion (nuchûz) est un cas pathologique qui se présente chez la femme de deux façons :
– la première est celle où elle prend plaisir à être le partenaire dominé, et à recevoir des coups et des châtiments, c’est ce qu’on appelle en psychologie « masochisme » ;
– la deuxième est celle où elle prend plaisir à faire du mal à l’autre, ou à le dominer (…), c'est ce qui s'appelle « sadisme ». Pour W. Râbih, la solution dans les deux cas est celle que le Coran prescrit, à savoir le châtiment et la force pour la ramener au droit chemin. Elle conclut que : « la psychologie moderne est venue confirmer et vérifier la valeur et l’efficacité de ces châtiments administrés par les maris, confirmation scientifique qui (…) donne à la recommandation religieuse un caractère de miracle… » [14]
Ceux qui revendiquent « ce droit de l’homme » sur son épouse s’appuient sur un verset coranique érigé en règle intangible qui n’admet aucune forme de relativisation, aucune possibilité de contextualisation. Ce verset stipule : « Les femmes dont vous craignez l’insubordination, sermonnez-les, éloignez-vous d’elles dans le lit, frappez-les. Si elles vous obéissent, ne cherchez plus à leur nuire injustement. »(4/34)
Le même type d’argumentation est mobilisé pour justifier l’équivalence entre le témoignage d’un homme et celui de deux femmes sur la base de la même technique de lecture d’un verset coranique stipulant : « S’il n’y a pas deux témoins hommes, alors un homme et deux femmes... » (2/28 S. Qutb y voit là une exigence de sa conception de la justice sociale en islam [15] en disant : « la femme, en raison de la nature des fonctions maternelles voit se développer chez elle le côté affectif et réactionnel autant que se développent chez l'homme la spéculation et la réflexion (…) la question, ici, est une question de considération pratique dans la vie, et non une question (…) d’inégalité ». [16]
De la même façon, la discrimination en matière d’héritage est érigée en règle intangible, y compris en Tunisie, sur la base du verset coranique suivant : « Au mâle, l’équivalent de ce qui revient (en héritage) à deux femelles. » (4/176). S. Qutb résume les arguments de tous ceux qui continuent à défendre cette discrimination en disant : « Favoriser l’homme en lui accordant le double de ce dont hérite une femme est une justice trouvant sa justification dans la responsabilité qui revient à l’homme dans la vie. Il épouse une femme dont il a la charge ainsi que celle de leurs enfants. C'est à lui que revient la charge de constituer un foyer, et à lui seul revient la responsabilité des compensations et des contraventions. Il a donc le droit d’hériter comme deux femmes pour cette seule raison (…). La question est, ici, une question d’inégalité de responsabilité nécessitant une inégalité au niveau de l’héritage ». [17]
Là où les islamistes ne s’encombrent pas de la norme coranique – qu’ils érigent en règle intangible pour d’autres questions – c’est au sujet de la discrimination concernant le mariage avec un(e) non-musulman(e). Les recommandations coraniques à ce sujet ne font pas de différence entre les sexes. « N’épousez pas les associatrices (muchrikât) tant qu’elles n’auront pas cru. Une esclave croyante vaut mieux qu’une associatrice (muchrika), même si celle-ci vous plaît. Ne donnez pas vos femmes aux associateurs tant qu’ils n’auront pas cru. Un esclave croyant vaut mieux qu’un associateur, même si celui-ci vous plaît. » (2/201)
Cependant, pour justifier le mariage du musulman avec la non-musulmane, parmi les gens du Livre, on invoque, en l’isolant de son contexte historique et textuel, ce verset donné en réponse à une question posée au prophète par ses compagnons : « Aujourd’hui, (Y. Qaradhâwî n’est pas le seul à oublier cette précision contextuelle) vous sont licites les bonnes choses et la nourriture de ceux qui ont reçu le Livre, comme votre nourriture est licite pour eux ; de même, [vous sont licites] les femmes chastes parmi les croyantes et les femmes chastes parmi celles qui ont reçu le Livre avant vous, à condition que vous leur apportiez leurs dots en hommes chastes et non débauchés ou amateurs de maîtresses (...) » (5/5) Pour interdire ce droit aux femmes, on invoque le verset précédent concernant le mariage avec les associateurs, et non les gens du Livre, en oubliant qu’il concerne les hommes et les femmes. Y. Qaradhâwî nous donne à cet égard un exemple édifiant sur cette démarche tordue : « Il est interdit à la musulmane d’épouser un non-musulman, qu’il soit ou non des gens du Livre. Cela ne peut en aucune façon lui être permis et nous citons les paroles de Dieu à ce sujet : “Ne donnez pas vos femmes en mariage à des associateurs tant qu’ils n’auront pas cru” (2/221). Dieu a dit au sujet des croyants qui s’étaient exilés à Médine : “Si vous savez qu’elles sont croyantes, ne les renvoyez pas alors aux autres mécréants. Elles ne leur sont pas permises (comme épouses), et ils ne leur sont pas permis” (60/10). Aucun texte n’est venu libérer les gens du Livre de cette sentence. » [18] Nous remarquons que le premier fragment de verset n’est qu’une partie du verset concernant le mariage des hommes et des femmes, avec un(e) adepte de l’associationnisme sans la moindre mention des gens du Livre. De même, le deuxième fragment de verset parle de « mécréants » sans la moindre référence aux gens du Livre. Cela n’empêche pas Y. Qaradhâwî – et il est loin d’être le seul dans ce cas – d’affirmer de façon catégorique, qu’il s’agit là d’une interdiction formelle pour la musulmane d’épouser un non-musulman qu’il soit ou non des gens du Livre ! Il n’apporte même pas un hadîth, ou une tradition consacrée allant dans le sens de son affirmation. Toute son argumentation repose sur les préjugés relatifs au statut de l’homme et de la femme, d’un côté, et à la tolérance de l’islam et l’intolérance des autres religions, d’autre part. Ainsi, dit-il sans l’ombre d’une preuve : « l’Islam a uniquement permis au musulman d’épouser une juive ou une chrétienne, mais il n’a jamais permis à la musulmane d’épouser un juif ou un chrétien, car l’homme est le maître de la maison. C’est lui qui veille aux intérêts de la femme et qui en est responsable. L’islam a assuré pour l’épouse juive ou chrétienne, à l’ombre de son mari musulman, sa liberté de conscience et a protégé sa législation et ses directives, ses droits et sa responsabilité. Par contre, une autre religion, telle que la religion chrétienne ou juive, n’assure aucune liberté de conscience à la femme de croyance différente et ne lui préserve pas ses droits. Comment l’islam peut-il livrer à l’aventure l’avenir de ses filles et se jeter entre les mains de gens qui n’ont aucun respect et aucun scrupule pour leur religion ? » [19]
Qaradhâwî, et les musulmans qui partagent ses conceptions xénophobes, reproduisent, par ce genre de discours, à l’égard des autres religions, ce qu’ils dénoncent dans les discours qui stigmatisent l’islam en le réduisant aux aspects les plus négatifs dans les sociétés qui s’en réclament. En effet, ce qui est affirmé ici à propos des religions chrétienne et juive ne peut se justifier qu’en les réduisant au même type de lecture que font de l’islam Qaradhâwî, S. Qutb et les adeptes de leur archaïsme.
En rapport avec cette question du mariage, l’une des discriminations auxquelles s’attachent la plupart des islamistes et tous les conservateurs, concerne la polygamie. Ce « droit de l’homme » d’après eux, ne saurait être aboli car il serait reconnu comme un droit intangible par le Coran. Il invoque à ce sujet un fragment de verset stipulant : « Épousez, selon ce qui vous agrée, une, deux, trois ou quatre femmes (...) » (4/3) Ils omettent de prendre en compte la suite du verset qui précise : « (...) si vous craignez de ne pas être équitable, n’en épousez qu’une seule. » (4/3)Quand on leur rappelle cette condition – qu’un autre verset déclare irréalisable en stipulant : « vous ne saurez être équitable entre les femmes même si vous vous efforcez de l’être » (4/135) – les réponses varient selon les situations, les rapports de forces, l’évolution des mentalités et des mœurs, etc.
A suivre
[1]. J’ai déjà réfuté ces thèses dans Le politique et le religieux dans le champ islamique, Paris, Fayard, 2005, Islamisme, laïcité et droits de l’Homme, L’Harmattan, 1991, Les voies de l’islam : approche laïque des faits islamiques, op. cit., ainsi que dans les chapitres précédents de ce travail et dans plusieurs articles (concernant le statut du politique et du juridique en islam et ses incidences sur la question de la laïcité et des droits humains), parus dans différentes revues : ce texte reprend en les actualisant les idées développées dans ces travaux au sujet des droits des femmes aux yeux de leurs défenseurs et des islamistes ;
[2]. Je pense notamment aux travaux de F. Mernissi (Sexe, idéologie, islam, Tierce, 1975, Le harem politique, Albin Michel, 1987, La peur-modernité, chez le même éditeur, 1992), de Nawâl Sa‘dâwî (Nawal Saadoui) (Les femmes de l’islam, La Brèche, 1980, La face cachée d’Eve, Éditions des femmes, 1982), ainsi qu’à d’autres travaux.
[3]. Y. Qaradhâwî, Le licite et l’illicite en islam, Al‑Qalam, Paris, 1995, (3e éd.), p. 207.
[4]. S. Qutb, Al‑’adâla al‑’ijtimâ’iyyafîal‑’islâm (La justice sociale en islam), Dâr al‑churûq, Beyrouth, 1983, p. 47.
[5]. H. Al‑Banna, Al‑mar’a al‑muslima (La femme musulmane), Dâr al‑jîl, Beyrouth, 1371, p. 7.
[6]. Voir son livre Al‑mar’a fî’l‑qur’ân (La femme dans le Coran), Al‑maktaba al‑‘açriyya, Beyrouth, s.d.
[7]. A. Mdaghri, Al‑mar’abayna ’ahkâm al‑fiqhwa’l‑da‘wa ’ilâ al‑taghyîr (La femme entre les normes du fiqh et l’appel au changement), Muhammadiya, Maroc, 1999, p. 146.
[8]. M. Al‑Bachiri, Munâqachatu al‑matâlib al‑nisâ’yya al‑hâdifa ’ilâtqghyîrmudawwanat al-’ahwâl al-chakhçiyya (Critique des revendications féminines visant la modification du Code du statut personnel), Université Hassan II, 1994, p. 693.
[9]. S. Qutb, op. cit., p. 48.
[10]. Y. Qaradâwî, op. cit., p. 207.
[11]. Ibid.
[12]. Ibid., p. 208.
[13]. S. Qutb : ChubuhâtHawla al‑’islam (Calomnies au sujet de l’islam), (13e éd.), Beyrouth, Dârash‑shûrûq, 1980, p. 136-137.
[14]. W. Rabih in Al Ma‘rifa n° 10, 1er octobre 1978, p. 25.
[15]. C’est la traduction du titre de son livre dont sont tirées les citations relatives à cette question.
[16]. S. Qutb, op. cit., p. 48.
[17]. Ibid.
[18]. Y. Qaradhâwî, op. cit., p. 189.
[19]. Ibid., p. 189-190.
By Dr. Bakary Sambe
Regional Director Timbuktu Institute
From the structure of AQIM through different original groups that came together in 2017 to the recurrent attacks that spill over to the Gulf of Guinea, there has been a great evolution that West African states and their partners are slow to take into account
Both in the case of Mokhtar Bel Mokhtar's al-Mourabitoune, replaced since his death by a Mauritanian Qadi (Islamic judge) named Abu Yahya Shinqiti, and Ansardine, originally founded by Iyad Ag-Aly at the beginning of the Malian crisis, the mutations of Jihadism mean that the classic fight against terrorism still does not take into account the changes taking place.
Now the vast area between Gao and Timbuktu and a good part of the Mauritanian border is controlled by Abû Talha Al-Lîbî. Meanwhile, the Macina Katiba founded in 2012 in Konna (central Mali) by the Malian preacher Muhammadun Saada Bari, alias Muhammadun Koufa, has taken on unprecedented proportions as part of the regionalization of jihadist strategy in the Sahel. Despite the appearance of autonomy, the Katiba is under the effective command of Iyad Ag Ghali, the head of the JNIM. Certainly, since March 2015, this Katiba has been conducting operations in central Mali against symbols of the state, deployed foreign forces and against civilian populations.
Playing the community card against states under pressure
Even with the announcement of the death of Muhammadun Koufa in November 2018, the Katiba not only has a community dimension but is becoming the most structured of terrorist groups with targeted attacks. In the new jihadist division of labor, the Katiba Macina the area from central Mali to the borders of Mauritania and the roads leading to the Senegalese border. In recent years, the MUJAO (Movement of Unity for Jihad in West Africa), a former splinter group of Al-Mourabitoune, has become the EIGS, which has long been very active in the so-called tri-border area between Mali, Niger and Burkina Faso.
Terrorist groups that were thought to be weakened and decapitated of their leaders are regenerating and adapting to strategies of struggle that have had their day. The Serma Katiba, commonly known as “Aqmi Sud”, founded in 2012 by AQIM and whose first commander was a Malian by the name of Souleymane Keita alias Al-Bambary (the Bambara), is advancing along the Sikasso (Mali) axis towards Côte d'Ivoire. It threatened Guinea around the Yanfolia forest and the Haut-Niger Park.
The massive influx of thousands of refugees from Burkina Faso into northern Côte d'Ivoire is only the visible part of a much more worrying phenomenon, which demonstrates the unsuspected possibilities for terrorist groups to move towards the countries of the Gulf of Guinea. In these border areas, they are already finding a favorable breeding ground among communities already indexed as potentially terrorist, with the added stigma of a worrying situation. The communalization of violence is taking its course and terrorist groups are seizing on it in their reorganization and their strategy of penetration and, above all, of anchoring themselves in the coastal countries.
AQIM reorganizes and divides jihadist work
There is today a vast recomposition within the terrorist groups of the region with, in particular, defections to the Islamic State from elements of the Serma katiba. It is in this context that the structuring of AQIM, the evolution of katibas engaged in territorial expansion towards the south of Mali and Burkina Faso, and the emergence of new terrorist groups are to be seen.
These katibas, which are difficult to identify, have a certain amount of management autonomy but receive strict operational instructions on targets from the central command of JNIM. They now operate by harassing security forces in Burkina Faso, northern Togo and Benin with highly mobile elements. They have autonomy in their relations with traditional authorities, in the management of booty, and in the inclusion of influential religious leaders of the communities in the framework of the establishment of local Shûrâ
This structuring, which would give the impression of dispersion, is rather a division of labor between the sub-groups affiliated with the JNIM. Jafar Dicko's Ansarul Islam, which returned to the central fold of the JNIM after intense activity in Burkina Faso, is actively seeking to establish itself in northern Benin. It is supported by the Katiba of Serma, which targets the area around Bobo Dioulasso, and the Katiba Macina, which operates in the Oudalan and the Sahel region in general, in addition to support operations.
In this AQIM strategy of a multiplication of local 'jihads', the traditional wing of Ansarul Islam is prioritizing further expansion into Burkina Faso, while elements under the Macina Katiba and to a lesser extent the Serma Katiba are strategically fixated on the tri-border area of Mali, Burkina Faso, and the Cascades region of Côte d'Ivoire.
Moreover, since 2018/2019, a new group affiliated with the JNIM (and close to the Macina katiba) has formed in this Cascades region and calls itself "Katiba Alidougou", named after the village where it was created. Most of the attacks that have occurred on Ivorian territory have been planned and launched from this area, which is currently under high security pressure.
Multiplication of gaps and areas of instability
As part of the extension and descent towards the countries of the Gulf of Guinea, the so-called "Gourma" Katiba, led by a Mauritanian by the name of Abu Hamza, already controls the three border areas of Burkina Faso, Benin and Niger. Some claim that this leader is a Malian Arab from the Gao region (Gourma zone). It is even very active in the forest that stretches from Niger in the Tamou area to northern Benin via eastern Burkina Faso.
It is this junction that facilitates zones of passage and sporadic attacks in northern Benin, Togo and even Ghana. Some of the precursors of the Macina Katiba were given the task by the central command of AQIM of opening up gaps in order to prepare the logistics, by setting up several Markaz which multiplied in the north of Benin; base camps, to regroup the fighters, ensure supplies to the zones and strategic withdrawal routes while waiting for a more important anchorage in the region.
This strategy would also explain the specificity of operations in eastern Burkina and northern Benin, where elements of the Katiba Macinna and the Islamic State in the Sahel, the new name for the Islamic State in the Great Sahara, which has been an independent province of ISIS since March 2022, coexist. This same type of cohabitation is noted in the Komandjari, the border region between Benin and Burkina. Nevertheless, it is to be expected that there will be a future competition for a sustainable settlement and the recruitment of the largest number of fighters in northern Benin.
A bright future for community-based recruitment
In fact, AQIM's strategy in the region today seems to revolve around the creation of zones of instability and the instrumentalization of inter-community conflicts, such as those related to pastoralism, by taking advantage of the frustration of communities due to the failings of the fight against terrorism and the blunders of national armies. Political instability allows AQIM to thrive by seeking out areas where it can make alliances with "persecuted" communities where there may be local incubators. The terrorists have succeeded in presenting themselves as protectors of local populations in the grip of insecurity.
Despite the announced readjustment of security cooperation by countries like France, the states of the region and their international partners are mired in excessive militarization, a false solution that is itself part of the problem. The harsh reality is that, according to the current form of military cooperation, our armies are training with a lot of energy and resources for forms of battle that they have little chance of fighting. This strategy, in which we are stubbornly neglecting the dialogue with the communities, has already shown its inadequacies in the face of the asymmetric threat.
The states of the region seem to want to compensate for the failures of their defense and security forces by a strategy that pits self-defense militias and volunteers against ostracized communities while creating the conditions for massive recruitment in these same communities. The fact is that every time these armies triumphantly declare that they have raided such areas and neutralized terrorists, they are at the same time sowing the seeds of future inter-communal conflicts that will further inflame the region.
@Timbuktu Institute, March, 2023
Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute
En tant que Président du Haut Conseil Scientifique de Timbuktu Institute for Peace Studies, basé à Dakar, je suis interpelé par mes collègues et ami(e)s de l’Afrique Subsaharienne au sujet de ce qui se passe dans mon pays qui représentait, à leurs yeux, un modèle et un horizon d’espoir pour toute l’Afrique. La campagne contre les migrants subsahariens les laisse d’autant plus perplexes qu’elle n’est pas seulement le fait d’une partie de la population, comme c’était le cas avant les derniers développements. Ils sont sidérés par la caution que lui a apportée le chef de l’Etat qui, au lieu de dénoncer cette campagne et exiger son arrêt et des poursuites contre ses instigateurs, l’a reprise à son compte en voyant dans l’arrivée de migrants subsahariens un complot destiné à déstabiliser la société tunisienne et à en modifier la composition. Ils n’ont pas tort d’y voir une version tunisienne du « grand remplacement » qu’Eric Zemmour s’est empressé de saluer comme l’exemple à suivre par les autorités européennes dans le traitement de la question migratoire. Cependant, l’interpellation de mes ami(e)s subsahariens ne concerne pas seulement cette question ; on me demande des explications sur les poursuites engagées contre des acteurs politiques accusés de complot contre la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat, des journalistes et d’autres personnes accusées de corruption, etc. J’avoue que j’ai eu beaucoup de mal à répondre à toutes ces interrogations et je n’arrive pas encore à comprendre le lien entre toutes ces affaires sorties en même temps comme pour ajouter confusion à la confusion qui règne depuis des mois et fait perdre la boussole aux observateurs les plus avertis.
Certes, il y a des affaires gelées sans raison depuis plus de 10 ans comme les assassinats politiques, dont en particulier ceux de Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et Lotfi Naggadh, les complicités avec les réseaux terroristes partant du pays et y revenant pour commettre impunément leurs crimes, et d’autres affaires étouffées par une justice aux ordres du pouvoir politique. Mais pourquoi ces affaires ne sont-elles pas réouvertes dans la transparence et dans le cadre d’une justice indépendante réhabilitée et fonctionnant sur la base du respect de la loi et des droits des personnes poursuivies et de la défense ? Comment ne pas donner raison à la défense qui parle d’enlèvements, de poursuites engagées en dehors des règles prévues par la loi ? Comment ne pas faire le lien avec le climat dans lequel ces affaires sont reprises : Etat d’exception dont on ne connait ni le terme ni les raisons ; modifications des règles de la vie politique sans concertation avec qui que ce soit et sans adhésion de la population comme l’attestent les taux de participation à la consultation, au référendum sur une constitution que personne n’avait demandée, aux élections législatives ; conspirationnisme n’épargnant ni les partis politiques, ni les organisations syndicales, ni les associations de la société civile, ni les médias, ni les acteurs économiques, ni les pays avec lesquels la Tunisie a des relations historiques vitales, ni même les migrants devenus tout à coup la cinquième colonne d’une stratégie visant la modification de l’identité de la société, etc. ? A quelle fin cette confusion est-elle entretenue et au profit de qui ? Certainement pas au profit de la justice qui se trouve à nouveau instrumentalisée dans des affaires politiques ; encore moins au profit du pays et de l’Etat dont les intérêts exigent, plus que jamais, une vision claire concernant le fonctionnement des institutions, les relations entre les autorités, la société et les citoyens, les choix politiques, les partenariats indispensables au niveau de la région et au niveau international.
Dans cette situation de confusion qui ne peut que brouiller les chemins, la planche de salut pour la Tunisie reste, à mes yeux, l’initiative de l’UGTT et de ses partenaires de la société civile que les forces sociales et démocratiques doivent soutenir afin de l’imposer contre la volonté de ceux qui cherchent à la faire avorter ; il est d’ailleurs fort probable que la confusion entretenue ne vise qu’à faire capoter cette initiative. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas se laisser fourvoyer et concentrer tous les efforts au soutien à cette initiative dont dépend l’avenir du pays.
Que mes ami(e)s de l’Afrique subsaharienne, dont les interrogations étaient à l’origine de cette clarification, trouvent ici mes excuses et celles d’une grande partie de la société tunisienne qui ne se reconnait pas dans la campagne xénophobe visant leurs compatriotes installés en Tunisie ; l’Ifriqia qui a donné son nom à notre continent, comme l’a bien rappelé mon collègue et ami Bakary Sambe, n’en sera pas détournée par ses brebis égarées.
Par Dr. Bakary Sambe
Directeur Régional du Timbuktu Institute
De la structure d’AQMI à travers différents groupes originels qui se sont retrouvés en 2017aux attaques récurrentes qui débordent vers le Golfe de Guinée, il y a eu une grande évolution que les Etats ouest-africains et leurs partenaires tardent à prendre en compte
Aussi bien dans le cas d’al-Mourabitoune de Mokhtar Bel Mokhtar, remplacé, depuis sa mort par un Qadi (juge islamique) mauritanien du nom d’Abou Yahya Shinqiti ou encore d’Ansardine originellement fondé par Iyad Ag-Aly, au début de la crise malienne, les mutations du Jihadisme font que la lutte classique contre le terrorisme n’intègre toujours pas les mutations en cours.
Désormais la vaste zone entre Gao Tombouctou et une bonne partie de la frontière mauritanienne est contrôlée par Abû Talha Al-Lîbî. Pendant ce temps, la Katiba Macina fondée en 2012 à Konna (Centre du Mali) par le prédicateur malien, Muhammadun Saada Bari, alias Muhammadun Koufa a pris une ampleur inouïe dans la cadre de la régionalisation de la stratégie djihadiste au Sahel. Malgré les apparences d’autonomie, la Katîba est placée sous le commandement effectif d’Iyad Ag Ghali patron du JNIM. Certes, depuis mars 2015, cette Katiba mène des opérations au centre du Mali contre les symboles de l’Etat, les forces étrangères déployées et les populations civiles.
La carte communautaire face aux Etats en alerte
Même avec l’annonce de la mort de Muhammadun Koufa en novembre 2018, la Katiba comporte, non seulement, une dimension communautaire mais devient le plus structuré des groupes terroristes avec des attaques ciblées. Dans la nouvelle division du travail jihadiste, la Katiba Macina se charge de la zone du centre du Mali jusqu’aux confins de la Mauritanie et les routes menant vers la frontière sénégalaise. Ces dernières années, le MUJAO (Mouvement de l’unicité pour le jihad en Afrique de l’Ouest) ancienne dissidence d’Al- Mourabitoune est devenue l’EIGS, restée longtemps très active dans la zone dite des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso
Les groupes terroristes qu’on croyait affaiblis et décapités de leurs chefs se regénèrent et s’adaptent aux stratégies de luttes qui ont fait leur temps. Ainsi la Katiba de Serma, communément appelée Aqmi Sud, fondée en 2012 par AQMI et dont le premier commandant était un malien du nom de Souleymane Keita alias Al-Bambary (le Bambara) avance dans l’axe Sikasso (Mali) vers la Côte d’Ivoire. Elle menace la Guinée aux environs de la forêt de Yanfolia et le Parc du Haut-Niger.
L’afflux massif de milliers de réfugiés du Burkina Faso vers le Nord de la Côte d’Ivoire n’est que la partie visible d’un phénomène beaucoup plus inquiétant et qui démontre les possibilités insoupçonnées de glissement des groupes terroristes vers les pays du Golfe de Guinée. Dans ces zones frontalières, ils trouvent déjà un terreau favorable chez des communautés déjà indexées comme potentiellement terroriste avec le lot de stigmatisation aggravante d’une situation préoccupante. La communautarisation de la violence suit son cours et les groupes terroristes s’en saisissent dans leur réorganisation et leur stratégie de pénétration et surtout d’ancrage dans les pays côtiers.
Aqmi se réorganise et divise le travail djihadiste
Il y a aujourd’hui une vaste recomposition au sein des groupes terroristes de la région avec, notamment, des défections vers l’Etat islamique de la part d’éléments de la katiba de Serma. C’est dans ce contexte, qu’il faudrait intégrer la structuration d’AQMI, l’évolution de katibas engagées dans l’extension territoriale vers le sud du Mali et du Burkina
Ces katibas difficilement identifiables ont une certaine autonomie de gestion mais reçoivent des consignes opérationnelles strictes sur les cibles du commandement central du JNIM. Elles opèrent, aujourd’hui, par le harcèlement des forces de sécurité au Burkina Faso, au Nord du Togo et du Bénin avec des éléments très mobiles. Elles ont une autonomie dans la relation avec les autorités traditionnelles, la gestion des butins de même que l’inclusion des chefs religieux influents des communautés dans le cadre de la mise en place de Shûrâ locale
Cette structuration qui donnerait l’impression d’une dispersion relève, plutôt, d’une division du travail entre les sous-groupes affiliés au JNIM. Ansarul Islam de Jafar Dicko, revenu dans le giron central du JNIM avec une intense activité au Burkina Faso cherche activement un ancrage dans le Nord du Bénin. Il est épaulée par le Katiba de Serma qui vise les environs de Bobo Dioulasso et la Katiba Macina qui opère dans l’Oudalan et la région du Sahel de manière générale, en plus d’opérations de soutien.
Dans cette stratégie d’AQMI d’une multiplication de ‘jihads » locaux, l’aile traditionnelle d’Ansarul Islam se fixe comme priorité de s’étendre davantage au Burkina Faso, tandis que les éléments relevant de la Katiba Macina et dans une moindre mesure de la Katiba de Serma ont une fixation stratégique sur la zone des trois frontières du Mali, du Burkina Faso et de la région des Cascades en Côte d’Ivoire.
D’ailleurs, depuis 2018/2019, un nouveau groupe affilié au JNIM (et proche de la katiba Macina) s’est constitué dans cette région des Cascades et se nomme « Katiba Alidougou », du nom de ce village où il est créé. La plupart des attaques survenues sur le territoire ivoirien ont été planifiées et lancées à partir de cette zone, aujourd’hui sous haute pression sécuritaire.
Multiplication des brèches et des zones d’instabilité
Dans le cadre de l’extension et de la descente vers les pays du Golfe de Guinée, la Katiba dite du « Gourma ». dirigée par un mauritanien du nom d’Abu Hamza contrôle, déjà, la zone des trois frontières du Burkina Faso, du Bénin et du Niger. D’aucuns soutiennent que ce chef serait un arabe malien de la région de Gao (Zone du Gourma). Elle est même très active dans la forêt qui s’étend du Niger dans la zone de Tamou jusqu’au Nord du Bénin en passant par l’Est burkinabé.
C’est cette jonction qui facilite des zones de passages et des attaques sporadiques aussi bien dans le nord du Bénin, du Togo et même du Ghana. Une partie des précurseurs de la Katiba Macina sont chargés par le commandement central d’AQMI d’ouvrir des brèches pour préparer la logistique, par l’installation de plusieurs Markaz qui se multiplient au Nord du Bénin ; des base-vies, pour regrouper les combattants, assurer les ravitaillements des zones et pistes de repli stratégique en attendant un plus important ancrage dans la région.
Cette stratégie expliquerait, aussi, la spécificité des opérations à l’Est du Burkina et au nord du Bénin où on note une cohabitation entre des éléments de la Katiba Macina et de l’Etat Islamique au Sahel ; la nouvelle appellation de le groupe Etat islamique au Grand Sahara qui a été érigé en province indépendante de l’EI ou ISIS depuis mars 2022. Ce même type de cohabitation est notée dans la Komandjari, région frontalière entre le Bénin et le Burkina. Malgré tout, il faudra s’attendre à une future compétition pour une installation durable et le recrutement du plus grand nombre de combattants dans le nord du Bénin.
Bel avenir du recrutement au sein des communautés
En fait la stratégie d’AQMI, dans la région semble, aujourd’hui, tourner autour de la création de zones d’instabilité et de l’instrumentalisation des conflits intercommunautaires comme ceux liés au pastoralisme en profitant de la frustration des communautés due aux travers de la lutte contre le terrorisme et des bavures des armées nationales. L’instabilité politique permet à AQMI de prospérer en cherchant surtout des terrains propices aux alliances avec les communautés « persécutées » où il peut y avoir des couveuses locales. Les terroristes ont réussi à se présenter, désormais, comme des protecteurs des populations locales en proie à l’insécurité.
Malgré la réadaptation annoncée de la coopération sécuritaire par des pays comme la France, les Etats de la région et leurs partenaires internationaux s’embourbent dans la militarisation à outrance, une fausse solution, elle-même partie intégrante du problème. La dure réalité est que, selon la forme actuelle de la coopération militaire, nos armées s’entraînent en y mettant beaucoup d’énergies et de moyens à des formes de batailles qu’elles n’ont que peu de chance à livrer. Cette stratégie dans laquelle on s’entête en négligeant la part du dialogue avec les communautés avait déjà largement montré ses insuffisances en face de la menace asymétrique.
Les Etats de la région semblent vouloir compenser les échecs de leurs forces de défense et de sécurité par une stratégie qui dresse des milices d’auto-défense et les volontaires contre des communautés ostracisées tout en créant les conditions de recrutements massifs dans ces mêmes communautés. Le fait est qu’à chaque fois que ces armées déclarent, triomphalistes, avoir ratissé telles zones et neutralisé des terroristes, elles sèment, en même temps, les graines des futures conflits intercommunautaires qui embraseront davantage la région.
@Timbuktu Institute, Mars 2023
This interview with Dr. Bakary Sambe is the long version of an interview given to the French online magazine Le Point Afrique in early February 2023 which was conducted by the eminent journalist specializing in strategic issues, Malick Diawara. Among other issues related to the burning news in the Sahel and West Africa, this interview deals with issues related to the ongoing political transitions in Mali and Burkina Faso. Dr. Sambe answers straightforward questions about the perception of security cooperation in the Sahel, the contestation of the French presence and the contradictions of Europe on the issue of migration. He pleads for a better awareness of interdependencies and the topicality of the notion of "collective security" in a world in upheaval. He also, in the context of the war in Ukraine, returns to the rivalries between powers and the struggle for influence between Western powers, Russia, China and emerging powers of the Middle East in addition to the issues of the dispute between Algeria and Morocco and its impact in the construction of new political and economic spaces at the continental level.
Dr. Bakary Sambe, Regional Director of the Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies (Dakar, Bamako, Niamey), a leading regional think tank in strategic studies and experimentation of agile approaches in crisis zones. Dr. Sambe is Assistant Professor and researcher at the Gaston Berger University of Saint-Louis (Senegal).
How do you see the political and social evolution of the countries concerned, particularly those of the Sudano-Sahelian strip?
The States of the region cannot escape the global trend according to which governments will be increasingly confronted with the pressure of various demands that they cannot satisfy, a rise in power of civil societies and citizens who are more and more informed and demanding. This explains all the recent turmoil in Mali, Burkina Faso and elsewhere. In addition, the efforts made for democracy and the adherence to the neoliberal economy have not kept their promises of security and development. The populations are rising up against their national authorities as well as their international partners. The accumulation of problems that have led to institutional crises coupled with security crises has turned the region into a boiler, a pressure cooker that is only waiting for the circumstantial conditions of deflagration whose debris will cause a domino effect that is already of concern to our States and the international community. There is the multiplication of inter-community conflicts, the shortcomings of the fight against terrorism, while with the stigmatization of certain communities and the generalized ostracism, we have already entered the era of a communalization of the Jihad which threatens many States with progressive implosion. While we refuse to change the paradigm in this struggle that is far from being won.
What evolution do you see on the front of radicalism and religious fundamentalism?
Radicalization is no longer solely religious or ideological, although extremist groups like to put an Islamic veneer on all the mobilizing conflicts that allow them to recruit by presenting themselves, from now on, as "legitimate" protectors of marginalized communities in border areas. What is happening in the region is the final phase of a long struggle for influence and competition between religious models. Faced with the weakening of the leadership of traditional Islam in countries such as Mali, Niger, Burkina Faso and, to a lesser extent, Côte d'Ivoire, the salafist currents have had the fine strategy of using technological and communicational modernity to better combat social and democratic modernity. In addition, salafism has now imposed itself not as the religion of those who are resistant to social progress, but as the mode of religiosity that recruits the most among the elites. There is a little visible and under-researched trend of an elitization of extremism and a progressive salafization of Islamic practice in the region. The contestation of secularism in Mali today is made in the name of a demand for sovereignty of thought and an endogenization of modes of governance. This tendency is the result of two factors: the recurrent links between the traditional Islamic leadership and all the successive regimes with a political class that is now largely rejected by a youth in search of meaning and opportunity. There is also the capacity of salafist currents to create discursive spaces of convergence with traditional Islam. They do this through the contestation of the secular model but also through the "defense of values" against what they call the Westernization of society and its "shortcomings" such as homosexuality and the "depravity of morals".
You have just published a book entitled "Islam in Senegal. Where do the brotherhoods come from? How can they make a difference in a country like Senegal? Can they be a real brake on religious extremism in the current context?
Brotherhood Islam is often analyzed in Senegal as the main bulwark against the radical Islamism that is already shaking several regions of the world and the Sahel. But the problem is that this confraternity model is weak in the eastern border regions, which are the most exposed and neighboring Mali and Mauritania. We must remain vigilant in the face of recent developments: the disappointment of young bangs vis-à-vis the confraternity discourse and certain marabouts seen as allies and guarantors of successive regimes has favored the influence of salafist doctrines perceived as more modern and committed, such as "theologies of liberation" seducing even the educated elites. At the end of my last book, "D'où viennent les confréries?", I explain the rise of a form of islamo-nationalism favoured by the cyclical inseparability between the religious and nationalist imaginations at a time when various identity claims are emerging. Paradoxically, today they unite certain members of the traditional left who are regenerating with Salafist movements under the banner of rejecting neo-liberalism and contesting Western domination, which is gaining ground in the region.
Do you see a link between what is currently happening in the Sahel and the issues of the food and health crisis?
Everything is connected. The Sahelian crisis is multidimensional; its resolution will be achieved precisely by moving away from mono-causal analyses. It is no coincidence that in recent years the international community has moved towards the paradigm of a security-development nexus. The security crisis in Burkina Faso and in the tri-border area of the Liptako Gourma in general has enormous consequences for the movement of populations and the abandonment or extortion of cultivable land. Insecure roads and the control of trade routes by extremist or criminal groups inevitably have an impact on food production and the availability of food in areas that have been severely affected by mass exodus. There are more than 2 million internally displaced persons in Burkina Faso today, not to mention the closure of more than 5,000 schools, not to mention the humanitarian consequences of the massive influx of refugees, with no less than 9,000 already heading to neighboring Côte d'Ivoire alone.
How do you think the situation and the management of the migration issue will evolve in this area?
During a meeting with a European Head of State visiting Senegal, I told him that Europe should take into account the new situation, according to which we have become an international community that is increasingly close because of the vulnerability we share. Terrorism strikes us in Gao, Timbuktu, Ayerou or Tchintabaraden, but threatens you every day in Paris, Berlin and elsewhere in Europe. Far be it from me to believe in a massive flood of migrants from the continent to Europe in case of a major crisis. Europe believes it has created the conditions - sometimes selfishly and at the cost of its own principles - for a façade of protection against African migration by spending colossal sums on initiatives such as Frontex and other trust funds. But it forgets our interdependence, which is now accentuated by the illusory nature of watertight borders. The world economy from which it derives the greatest benefit also exposes Europe to various vulnerabilities in terms of raw material supply. It is true that intra-continental migration is far more important than migration to Europe, which continues to barricade itself against Africa, whose natural resources it needs as well as the vitality of its youth. But the latter is less and less willing to accept and challenge the unequal paradigm of globalization where human flows seem to be one-way. You know, this one-way mobility is central to the perceptions of African youth who, in order to challenge a former colonial power, often first attack the visa services of consulates, as recently in Ouagadougou. As if it were necessary to use the very symbol of discord as a means of venting their anger.
With all the upheavals currently observed, notably the departure of French troops from Mali and Burkina, the installation of Wagner,..., what security situation do you foresee in and around the Sahel?
Wagner has never been an actor in regulation or stabilization; in fact, the use of Wagner is a sign of security failure, either assumed or repressed in populism. The famous rise in power of the FAMS, supported by Wagner, in Mali is often against ostracized communities that were more in need of protection than persecution. It is well known that in Mali, in particular, all of these movements - armed or terrorist - are each backed by a tribe, and some of their leaders even have a second hat as a tribal chief. A recent report by the Timbuktu Institute announced in mid-January that a clear alliance is emerging between the signatory movements and the JNIM against the EIS, which could mark a major turning point in the northern regions for the year 2023. This unexpected situation may also rekindle inter-communal tensions, particularly between the Tuareg and the Peulh (Fulani), and increase acts of banditry and other forms of violence.
The official end of the Barkhane operation in the Sahel announced by French President Emmanuel Macron on November 9, 2022, raises questions about the future of the G5 Sahel force in Niger and Burkina Faso, which are still members. The territorial discontinuity of the G5 Sahel following Mali's withdrawal alone risks giving more space to radical groups in the tri-border area. The future of the G5 Sahel is fraught with uncertainty, as a new alliance of circumstances between Mali and Burkina Faso is emerging that will consolidate Wagner's presence in the region. In addition, the tense climate between Mali and Niger makes it politically and practically impossible to take a common approach, let alone the necessary cooperation in the so-called "Three Borders" zone. Certainly, Burkina is preparing itself accordingly with a massive recruitment of VDP and a very likely rapprochement with Wagner. At the same time, Niger is opting to strengthen its national guard through a nomadic component and the support of its international partners, notably France, Italy and Germany, among others. But the truth is that in Mali, the Wagner option and the "all-military" approach have not produced the expected results. On the contrary, in addition to the isolation of the country from its traditional partners and immediate neighbors, serious human rights violations, ethnic and communal amalgamation and the massacres of civilian populations make the situation much more critical than before. With such a situation, there is every reason to believe that Mali is headed for a situation more serious than that of 2012, which will not spare any part of the country and, worse, will quickly spread to neighboring countries.
How could the alliances between Maghrebian and sub-Saharan countries between them and Europe and the United States, between them and countries such as China, India and Russia, while the latter is now mired in its war against Ukraine?
In Europe, public opinion will tend to tire of the war in Ukraine, which is likely to last longer than expected, as can be seen in Germany and even in France, a country that is already paying the price. If Africa does not succeed in taking advantage and playing, in the direction of its own interests, of this unprecedented positioning according to which the strategic tilt of our continent towards one of the blocks can modify the state of the international balance of power, it will be reduced, unfortunately, to a simple theater of confrontation by interposed countries. Syria is the perfect example, and even Mali is heading in that direction. Today, we are in the configuration of an off-shore balancing, a mechanism by which the great classical powers ensure that the strategic shift of the continent, which today can change the configuration of powers on the international scene, will not be at their expense or even better, will be to their advantage.
President Macky Sall's speech to Vladimir Putin explaining that, from now on, the continent would no longer vote by injunction or by simple alignment is a signal. Today, the situation has changed and Africa, if only its political leadership were to become aware of it, should do better in this new great game. There are at least three reasons for this: First, we are in a divided world where alignments are both multiple and diffuse. Second, the distribution of power is increasingly fragmented with the combined effect of classic powers that are declining, emerging powers that are rising, and a multitude of states claiming middle power status. Finally, and this is the trigger, we are in the context of an Africa that, through the dual effect of an increasingly uninhibited elite and a more demanding population, is seeking to better position itself in the game of international relations.
China has understood this at the expense of Europe and the United States, which are in the process of making a comeback. Russia does not have a clear vision for Africa; the continent serves, for the time being, as a demonstration ground for its capacity to harm Europe, France and the West in general. In this context, Africa is moving, at least in perceptions, from an acquired zone, a simple adjustment variable, to a more comfortable and advantageous zone in which its influence and weight could decide the balance of power on an international scale. It is a pity that the latent war between Morocco and Algeria is fragmenting continental alliances when what is needed is the synergy of efforts required for concerted African solutions. Only the overcoming of this conflict could facilitate a better reconnection of the two shores of the Sahara in the service of an integrated development of the continent.
Violent Extremism remains one of West Africa's most pressing security threats. Violent extremism is a phenomenon that threatens the peace and tranquility of different countries and has claimed the lives of millions of people around the world in recent years.
Radicalization has different forms and dimensions; religious, sectional and, sometimes, racial. Internationally and regionally, no country is left unchallenged about this phenomenon and the dangers it poses to society at large. Religious radicalization has captured the attention of the international community and poses a major threat to global peace and security; it winds have believed to have blown from the Arabic world and spread like wildfires in countries around the world. It should be remembered from the outset that the phenomenon of extremism is not unique to predominantly Muslim societies. It is a phenomenon that is experienced by all religions in different social contexts and geographical areas.
Since decades, West Africa and the sahel are at the forefront of radicalization thoughts and activities, primarily carried out by local actors and small theaters in the region. Groups such as Jamâat Nusrat Al-Islam Wal Muslimeen (JNIM) and Islamic State Sahel province (ISSP),which operates in Mali and Burkina Fasso, and Boko haram in Nigeria, among others, have been carryout terrorist activities in their respective countries and far beyond.
Unlike the countries of the central Sahel, some West African countries are still spared terrorist attacks, although they are gradually being marked by the rise of a certain radicalization. This trend can be seen in the behaviors, modes of religiosity, and speeches of new preachers who are increasingly influential among young people.
As observed in the recent evolution of the countries of the region, the hardening of the increasingly contentious religious discourse is also linked to interactions between the political and religious spheres. The specific case of the Gambia cannot be properly analyzed without taking into account the inconsistencies of Yayah Jammeh's regime as well as the influences coming from abroad, more specifically from the Middle East and the Gulf countries.
One will, without a second thought, negate the question of The Gambia being completely immune from all elements of Islamic radicalization. To begin with, Gambia is geographically located in a community of nations that share not only an open and porous border but also deeply ingrained values and religious brotherhoods. The independence of nations within the Sahel and West African countries has increased the possibilities of radicalization. As a Muslim-majority country that regained its democratic values following the highly controversial 2016 presidential elections which brought current president Adama Barrow to power. However, the Gambia is a very welcoming country,its citizens also travel to different predominantly Islamic countries notably Iran,Iraq and Syria to pursue Islamic and Coranic studies. There is still no concrete evidence as to what type of knowledge such Gambian receive when they reach those countries. Also, the lack of adequate vetting process put the country into serious threats of radicalization etc.
The other important element is that there exist many Quranic educational centres that are run outside the umbrella of the government and its agencies. One might find it difficult to ascertain the philosophy being inculcated in the minds of these knowledge seekers in these completely isolated Islamic and Quaranic establishments. A study of Government programs revealed a well-organized structure in place to moderate and monitor what happens in conventional and Arabic (Madarasas) schools, but until now little is known of the locally run "daara" which are mainly run under the watch of learned community leaders. This survey intends to detail elements of Islamic radicalization in the Gambia and aims to find linkages with groups in Sub-Saharan Africa and globally recognized radicalized groups.
Through an analysis of the recent dynamics of the Gambian religious field, this article will first look at the prospects of radicalism in the Gambia. After an examination of the management of religion during the Yaya Jammeh era, the evolution of the relationship between Islamic actors and the regime will be discussed, as well as the process that has seen the development of Wahhabi movements and the evolution of religious discourse. Finally, beyond a simple religious phenomenon, it will be discussed how the hardening of preaching could constitute early signals of radicalization in the Gambia and why this country should be able to learn from the mistakes of Sahelian states in the face of the rise of violent extremism.
Par Hervé Briand, Expert Sahel
Ce n'est pas un sentiment "anti-français" qui a cours actuellement en Afrique de l'Ouest : beaucoup de Français y résident paisiblement, temporairement ou non, notamment dans les pays sahéliens ou côtiers. Les voyageurs et les vacanciers y sont d'ailleurs toujours accueillis et traités avec bienveillance et la diaspora y est plutôt bien intégrée.
Ce n'est pas non plus un sentiment "anti-France", pays qui attire, quoi qu'on en dise, toujours des candidats à la migration estudiantine ou professionnelle de plus en plus nombreux, non seulement ceux issus des pays sahélo-sahariens plus pauvres, mais aussi ceux en provenance des pays africains côtiers même ceux aux économies plus fortes,
Ce "malaise" est d'abord, je le crois, en premier lieu, un sentiment "anti-méthode" à l'encontre de l'Occident et plus particulièrement de la France, qui est aujourd'hui de plus en plus exacerbé en Afrique de l'Ouest, non seulement au Sahel (essentiellement au Mali, au Burkina Faso, voire au Niger...), mais aussi de plus en plus ressenti dans les pays côtiers (Sénégal, Guinée, Côte d'Ivoire...)
Davantage que le fond, c'est la forme qui ne va pas ou qui n'est plus adaptée à l'écoute des autorités actuelles et des populations locales, dont une majorité d'acteurs civils, notamment au sein de la jeunesse africaine. En effet, une partie de ces populations et de ces décideurs ouest-africains déclare ne plus se satisfaire désormais de certaines attitudes occidentales, et notamment françaises, ayant pu donner une impression d’arrogance, de suffisance, de "donneur de leçons, voire d'ordres", ou pire encore de mépris qu'elles aient été volontaires ou non (y compris sur les réseaux sociaux...).
Ce "malaise" ou "lassitude" peut, il faut le souligner, être parfois exagéré par une sorte de "bashing anxiogène incessant", émanant d'une partie des médias français, spécialisés ou non sur l'Afrique, et souvent mal ressenti par certains interlocuteurs ouest-africains qui, disent-ils, ne parle du Sahel uniquement que pour évoquer les attaques des groupes terroristes, les actions militaires, les prises d'otages, les trafics en tout genre, les problèmes de gouvernance... Sans jamais (ou très peu..) citer aussi régulièrement les échanges commerciaux ou culturels fructueux, les initiatives sociales ou entrepreneuriales parfois heureuses, les succès individuels, les belles histoires communautaires..
Un de mes interlocuteurs m'interrogeait, récemment, à ce propos : "Que diriez-vous si le magazine américain "The Times" ou le journal "The Washington Post" ne parlaient de la France uniquement pour y évoquer les grèves ou les violences urbaines ? Ne serait-ce pas totalement réducteur et finalement très orienté ou engagé ? Ne deviendriez-vous pas quelque peu "anti-américain ?". Il est certain que ce "bashing anxiogène latent", surtout français selon certains, peut être aussi, sinon le déclencheur, au moins l'un des accélérateurs de ce malaise dit "anti-français"...
Élan d’indépendance, d’émancipation et de souveraineté assumée …
En second lieu, et à mon sens c'est le plus important, il s' agit aussi et surtout d'un ÉLAN D'INDÉPENDANCE, D'ÉMANCIPATION, DE SOUVERAINETÉ AFFIRMÉE et affichée aux yeux des populations locales, et surtout de la jeunesse, non seulement malienne ou burkinabé, mais aussi guinéenne et sénégalaise, que certains États ouest-africains veulent ou souhaiteraient assumer aujourd'hui et demain.
Certains responsables politiques ne seraient pas contre cette "indépendance", ou plutôt une certaine "neutralité" vis à vis notamment de la France, en guise de signe ou gage d'une nouvelle "maturité", selon eux, de leurs États et surtout de leurs gouvernances et régimes, militaires ou non.
À cet égard, au Burkina Faso, il s'agit bien avant tout d'une volonté affichée du pouvoir de transition et d'une détermination du pays à vouloir se défendre militairement par lui-même, sans aide (visible) extérieure, notamment de l'ancien pays colonialiste. C'eût été peut-être une étape nécessaire si le Burkina Faso n'était pas un pays actuellement en proie à un terrorisme majeur... Mais c'est un risque énorme que d'entreprendre aujourd'hui cette "émancipation" (au moins militaire...) soudaine dans le contexte actuel d'un terrorisme accru et aux multiples ramifications [JNIM (AQMI, AD, FLM), EI(G)S, ISWAP, JAS, AI...) et se "couper" ainsi d'une expertise et d'une capacité d'intervention française reconnue, à savoir l'opération d'élite "SABRE" (environ 400 soldats français "ultra-spécialisés" sur le sol burkinabé)
Que doit-on apprendre de ce nouvel élan ?
Cette volonté ou désir d'indépendance, voire de neutralité, vis à vis de la France n'est donc évidemment pas sans conséquence : si sur la forme, les autorités concernés escomptent bien obtenir un bénéfice populaire, et probablement électoraliste, à court ou moyen terme, il n'en reste pas moins que sur le long terme, c'est aussi, hormis l'aspect sécuritaire et militaire, un "déni de réalité" que font ces États ouest-africains, particulièrement le Mali et le Burkina Faso.
En effet, en dépit de l'histoire coloniale française, la France partage avec ces États sahélo-sahariens non seulement la francophonie, mais également un lien unique, une identité, des valeurs communes, et aussi, je peux l'affirmer, beaucoup d'empathie et de fraternité.
Rétablir la réalité des faits pour sortir des perceptions et préjugés ?
Enfin, l'idée que la France "pillerait" les richesses de l'Afrique sous couvert d'une présence militaire est simpliste et surtout totalement faux : les opérations militaires françaises "Serval" et "Barkhane" ont coûté à la France bien plus cher que n'ont rapporté les exploitations minières françaises, d'ailleurs en forte baisse au Sahel (Mali, Niger). Dans cette région de l'Ouest-Africain, c'est en fait avec le Nigéria que la France réalise la majorité de ses échanges commerciaux...
Aussi, multiplier les partenariats et s'ouvrir à d'autres acteurs diplomatiques, économiques, et même militaires est plutôt sain et louable pour les États africains, quels qu'ils soient, au regard du contexte actuel mondial, et notamment africain, bouleversé et instable...
Mais se jeter dans les bras de Wagner ou de la seule Russie n'est certes pas la solution idoine, et rejeter en bloc tout lien avec la France n'aurait aucun sens !
Un jeune activiste sahélien me résumait ainsi la situation de la France aujourd'hui au Sahel et plus largement en Afrique : "La France doit comprendre qu'elle n'a plus 51 % des parts, qu'elle n'est plus le "décideur", mais seulement un partenaire minoritaire... Comme les autres !".
Alors que le gouvernement de transition a décidé de se passer de la mission française Sabre, quelle est sa stratégie en matière de lutte anti-terroriste ?
L'annonce a été faite mercredi par le ministère français des Affaires étrangères.
Présentes au Sahel depuis 14 ans, les forces spéciales françaises de l'opération "Sabre" sont spécialisées dans le renseignement. Elles procèdent, chaque année, à une quarantaine de missions et sont spécialisées dans l'élimination des chefs des réseaux djihadistes.
Dès lors, comment analyser la stratégie de lutte contre le djihadisme mise en place par les nouvelles autorités de la transition burkinabè ?
France ou pas, la lutte anti-terroriste a été "contreproductive" (Bakary Sambe)
Ecoutez ou lisez ce qu'en pense Bakary Sambe, directeur régional au Timbuktu Institute, le Centre africain des études pour la paix.