Source : Sahel weather July & august 2024 

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To mark the first anniversary of the Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie's (CNSP) stewardship of the transitional government, the Prime Minister held a press briefing at his office on August 10 to take stock of the situation. For him, the union of the people around the CNSP is the greatest satisfaction to be noted at the end of this special year, because all the components of society have formed a shield around the nation. For him, managing current affairs and ensuring the smooth running of the country in all sectors, relying solely on his own forces, would be proof that Niger would not need any outside help. The Prime Minister also welcomed the departure of foreign armed forces from Niger and the resumption of cooperation between Niger and financial institutions. The solidarity of African and foreign countries such as China was also a great help when the embargo was imposed, he maintained.

However, on July 25, on the eve of the anniversary of the putsch, the management of the transitional government was criticized by human rights defenders. Indeed, Human Rights Watch, Amnesty International and the International Federation for Human Rights noted that "human rights are in freefall" in Niger, and called for the release of all political detainees and respect for fundamental freedoms, especially those of the media.

A week after this anniversary, the first technical reshuffle of the government team made news on August 17. The dismissal of the Minister of Petroleum, Barké Bako Mahaman Moustapha, for unknown reasons, gave rise to speculation. His replacement by Dr. Sahabi Oumarou is said to be part of a drive for reform and initiatives to optimize management of oil resources and improve energy policy.

In early July, an attack on a base of the Nigerien Defense and Security Forces (FDS) in Tahoua, positioned as part of Operation SHARA, resulted in the death of at least six soldiers. The information bulletin issued by the FAN (forces armées nigériennes) states that the riposte forced the enemy to retreat. An earlier communiqué, dated July 3, reported the arrest of around 100 terrorists in response to the deadly attack orchestrated ten days earlier by the Coalition of Armed Groups.

In the Mehana region, serious atrocities cost the lives of 14 civilians (on August 13), particularly in Gangania, Amara, Mamassey, Tchibi Bero, Tchibi Kaina and Bandabarey, localities close to the so-called three-border zone. The "lakal-Kaney" operation led to the arrest of two terrorists and the recovery of stolen cattle. Also in Torodi, in the Tillabéri region, a notorious criminal was arrested by the FDS following clashes with terrorists. In Dosso Kourégou, a village in the same region, seven civilians were killed by terrorists on motorcycles.

At Koutoukalé prison, inmates including terrorists escaped from the high-security prison with weapons following a mutiny on July 11. This event testifies to the fragility of security in the country, both inland and in border areas.

Caused by various factors such as conflict, climate change, economic instability and disease, food insecurity affecting 3.4 million people is the other threat facing Niger.

On the international front, the war between Ukraine and Russia seems to have invaded the Sahel. In Mali, Ukraine's support for armed groups to confront Wagner has led to unprecedented diplomatic crises. In response, Niger, a member of the Alliance of Sahel States, announced that it was severing diplomatic relations with Ukraine with immediate effect.

Generally speaking, the security situation has deteriorated considerably with the Transitional Government celebrating its anniversary at the helm of Niger, in a context where "the number of jihadist attacks has increased", demonstrating that the problem of insecurity is far from over. The withdrawal of American troops, a pillar of the fight against insurgents in the Sahel region, has probably had an effect on control of this area.

Source : Météo Sahel Juillet & Août 2024

Télécharger l'intégralité de la Météo Sahel

 

 À l’occasion du premier anniversaire de la gestion du Gouvernement de transition par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le premier ministre a tenu un point de presse le 10 août à son cabinet pour faire le bilan. Pour lui, l’union du peuple autour du CNSP est la plus grande satisfaction à noter au sortir de cette année spéciale, car toutes les composantes de la société se sont constituées en bouclier autour de la nation. Pour lui, gérer les affaires courantes et s’assurer du bon fonctionnement du pays dans tous les secteurs, en ne comptant que sur ses propres forces, serait la preuve que le Niger n’aurait besoin d’aucune aide extérieure. D’ailleurs, le premier ministre s’est également félicité du départ des forces armées étrangères du sol nigérien et la reprise de la coopération entre le Niger et les institutions financières. La solidarité des pays africains et ceux étrangers comme la Chine a été aussi d’un grand soutien lors de l’imposition de l’embargo, soutient-il.

Cependant, le 25 juillet, à la veille de l’anniversaire du putsch, la gestion du Gouvernement de transition est critiquée par les défenseurs des droits de humains. En effet, Human Rights Watch, Amnesty internationale et la Fédération internationale pour les droits humains, constatent « les droits humains en chute libre » au Niger et demandent la libération de tous les détenus politiques et le respect des libertés fondamentales, celles des médias surtout.

Une semaine après cet anniversaire, c’est le premier remaniement technique de l'équipe gouvernementale qui fait actualitéle 17 août. En effet, le limogeage du ministre du pétrole, Barké Bako Mahaman Moustapha, sans raisons connues, a donné lieu à diverses spéculations. Son remplacement par le Dr. Sahabi Oumarou, s’inscrirait dans une volonté de réformes et d’initiatives pour une gestion optimale des ressources pétrolières et une meilleure politique énergétique.

En début juillet, au nord-ouest du Niger, l’attaque d’une base des forces de défense et de sécurité (FDS) nigériennes positionnée dans le cadre de l’opération SHARA, à Tahoua, a causé la mort d’au moins six militaires. Le bulletin d’information diffusé par les FAN (forces armées nigériennes) précise que la riposte a poussé l’ennemi à se replier. Un précédent communiqué à la date du 3 juillet, informait de l’arrestation d’une centaine de terroristes en réaction à l’attaque meurtrière orchestrée dix jours avant par la Coalition des groupes armées.

Dans la région de Méhana, de graves exactions ont couté la vie à 14 civils (le 13 août), particulièrement à Gangania, Amara, Mamassey, Tchibi Bero, Tchibi Kaina, et Bandabarey, des localités proches de la zone dite des trois frontières. L’opération « lakal-Kaney » a permis d’arrêter deux terroristes et de récupérer du bétail volé. À Torodi également, dans la région de Tillabéri, un criminel notoire fut arrêté par les FDS à la suite d’affrontements contre des terroristes. À Dosso Kourégou, un village de cette région, sept civils ont trouvé la mort dans l’attaque de terroristes à moto.

À la prison de Koutoukalé, des détenus dont des terroristes se sont échappés de la prison de haute sécurité avec des armes suite à une mutinerie le 11 juillet. Cet événement peut témoigner de la fragilité de la sécurité dans ce pays, à l’intérieur comme dans les zones frontalières.

Causée par divers facteurs tels que les conflits, les changements climatiques, l’instabilité économique et les maladies, l’insécurité alimentaire qui touche 3,4 millions de personnes est l’autre menace qui pèse sur le Niger.

Sur le plan international, la guerre entre l’Ukraine et la Russie semble s’être invitée au Sahel. Au Mali, le soutien de l’Ukraine à des groupes armés pour affronter Wagner, est à l’origine de crises diplomatiques sans précédent. En réaction, le Niger, membre de l’Alliance des États du Sahel, a annoncé la rupture, avec effet immédiat, de ses relations diplomatiques avec l’Ukraine.

D’une manière générale, la situation sécuritaire s’est considérablement détériorée avec le Gouvernement de transition qui fête son anniversaire à la tête du Niger dans un contexte où « le nombre d'attaques djihadistes a augmenté », démontrant que le problème d’insécurité est loin de connaître son épilogue. Le retrait des troupes américaines, un pilier de la lutte contre les insurgés dans la région du Sahel, a probablement eu des effets sur le contrôle de cet espace.

 

 

Timbuktu Institute - September 2024

(Download the full Report at the bottom of the article)

Studies on youth radicalization and violent extremism have multiplied in recent years, particularly in the Sahelian region with the resurgence of the terrorist phenomenon as a threat to peace and stability. Originally perceived as the antechamber to a shift towards terrorist violence, successive approaches have been enriched by the diversity of experiences in different countries, leading experts to analyze radicalization as the result of a process, factors or consequences that are political, economic, social, ideological, etc.,

This radicalization is thus described as manifesting itself in the use of violence as a means of affirmation, expression or vindication of the most diverse kinds. But the study of radicalization soon fell victim, on the one hand, to the popularity of a “perfect subject” for media sensationalism, surfing on the spectacular character of terrorist attacks that tended to spill over from the Sahelian epicenter into previously unsuspected zones such as the Gulf of Guinea. On the other hand, the diversity of experiences and the speed of change have led to a multiplication of approaches, often reflecting the preoccupations that experts project onto the phenomenon, which in most cases ends up no longer being studied in its own right. Finally, the specializations of analysts who used to focus on subjects such as governance, crime or urban violence have rubbed off on many studies, deliberately denying the phenomenon its ideological or intercommunity dimensions, etc., for example.

Thus, the predominance of criminological approaches to the point of inducing states in the region to adopt strictly security-oriented approaches has increased, with analyses focusing more often than not on actors in the “second circle”, such as traffickers, logistical assistance couriers and so on. Meanwhile, these studies neglect the actors of the first and third circles. The first circle is made up of ideological/community entrepreneurs whose role is fundamental in recruiting, inciting and instrumentalizing grievances. The third circle, often inaccessible to criminological studies, is that of actors predisposed to extremist violence, or who may ideologically prepare for it. Most often, they interview them in prison or in situations of “remorse”, where numerous biases distort the analysis of real or initial motivations.

What's more, the tools of the criminological approach are often ill-suited to the subtleties of extremist discourse, with its ideological charge and references requiring deciphering, even exegesis, often beyond the reach of experts lacking the key concepts needed to understand symbols, allusions and language codes.

It is often after the act has been committed that many analysts who deny the ideological dimension gain access to the subjects in question, either in prison or in a situation where the security environment, prison pressure or even criminal actors weigh heavily, thus accentuating the criminological bias despite documentation efforts.

This criminological bias, which has had its full effect on the approach to the phenomenon of radicalization in the Sahel, has not spared certain studies following the spillover of the epicenter of extremist violence to the countries of the Gulf of Guinea. Many of them suffer from the lack of renewal of conceptual tools, as well as the rush to “document” a multidimensional and often diffuse phenomenon in contexts where the gaze is oriented by realities elsewhere.

Moreover, in the face of security and political pressure to develop responses, many analysts must have overlooked the paradigmatic turning point of the accentuation of the communalization of extremist violence, concomitant with the first visible phases of the spillover of the epicenter of terrorism from the central Sahel to the coastal countries of West Africa.

Thus, in the case of certain coastal countries, political responses strongly inspired by conclusions drawn from the criminological approach seem not to have learned from the mistakes of the Sahel, naturally turning towards security-dominated solutions, sometimes even reducing the extremist phenomenon to a “simple” criminal problem. Whereas criminality is not in itself the root of evil, but rather one of its symptoms.

In Benin's case, several studies point to its geographical proximity to Sahelian countries, which are victims of insurgency by armed terrorist groups, porous borders, the weak presence of the State in certain regions, community conflicts, youth unemployment, corruption, injustice, social inequalities and many other factors. Despite the measures, efforts and mechanisms implemented by the State to counter this advance, the security situation is gradually deteriorating in the Alibori and Atacora departments. Since the first terrorist incident in 2019, the number of terrorist attacks on Beninese soil, particularly in the septentrion, has been on the rise, with a growing number of deaths, injuries and displaced persons.

Using a comprehensive approach based on the perceptions of local populations, Timbuktu Institute  - African Center for Peace Studies took advantage of several field missions in the departments of Donga, Alibori and Atacora to conduct qualitative interviews with 270 young people living in the various localities and communes. In addition to these individual interviews, a dozen focus groups were organized on site.

In order to avoid “one shot” interviews, we adopted an approach based on continuous observation over a long period of time. In order to mitigate against approaches based on a chronology of security incidents, or which confine such a complex issue to a criminological “straitjacket”, this study aims to probe factors and question local perceptions in a comprehensive approach. The testimonies and responses gathered throughout the survey, and on which the analyses in this report are based, are the result of extensive fieldwork over the period from March - May 2023 to June 2024, directed on site by Dr. Bakary Sambe.

This study, the first in a series on Benin, is intended to contribute to a better understanding of the phenomenon, leading to conclusions and recommendations that can support the initiatives and solutions put in place by the State, its partners and above all local communities, who are at the heart of this reflection.

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Timbuktu Institute – Septembre 2024

(Télécharger l’intégralité du Rapport en bas de l’article)

Les études sur la radicalisation des jeunes et l’extrémisme violent se sont multipliées ces dernières années, notamment, dans la région sahélienne avec la recrudescence du phénomène terroriste en tant que menace à la paix et la stabilité des États de la région. De phénomène perçu, à l’origine, comme l’antichambre du basculement vers la violence terroriste, les approches successives se sont enrichies de la diversité des expériences, selon les pays, qui a poussé les experts à analyser la radialisation comme la résultante d’un processus, de facteurs ou de conséquences politiques, économiques, sociales, idéologiques etc.

Cette radicalisation est, ainsi, décrite, comme se manifestant par l’usage de la violence comme moyens d’affirmation, d’expression ou de revendication les plus diverses. Mais, très vite, l’étude du phénomène de radicalisation va être victime, d’une part, de la popularité d’un « sujet parfait » pour le sensationnel médiatique, surfant sur le caractère spectaculaire des attaques terroristes qui tendent à déborder de l’épicentre sahélien vers des zones jadis insoupçonnés comme le golfe de Guinée. De l’autre, la diversité des expériences et la rapidité des mutations ont eu comme corollaire, la multiplication des angles d’approches souvent empreintes des préoccupations que des experts projettent sur le phénomène qui finit, dans la plupart des cas, par ne plus être étudié en soi. Enfin, les spécialisations d’analystes qui naguère étaient focalisés sur des sujets comme la gouvernance, la criminalité ou encore les violences urbaines ont déteint sur de nombreuses études allant, par exemple, jusqu’à dénier, délibérément, au phénomène ses dimensions idéologique ou encore intercommunautaire etc.

Ainsi, la prédominance des approches criminologiques au point d’induire des États de la région vers des approches strictement sécuritaires s’est accentuée avec des analyses s’intéressant le plus souvent aux acteurs du « second cercle » tels que les trafiquants, les convoyeurs d’assistance logistique etc. Pendant ce temps, ces études négligent les acteurs du premier et du troisième cercle. Le premier cercle est constitué des entrepreneurs idéologiques/communautaires dont le rôle est fondamental dans le recrutement, l’incitation et l’instrumentalisation des griefs. Le troisième cercle auquel les études à dominante criminologique n’ont souvent pas accès est celui des acteurs prédisposés au basculement dans la violence extrémiste ou pouvant y préparer idéologiquement. Le plus souvent, c’est dans l’univers carcéral qu’ils les interrogent ou dans des situations de « remords » où de nombreux biais viennent fausser l’analyse sur les motivations réelles ou celles de départ.

Il s’y ajoute que les outils de l’approche criminologique ne sont souvent pas adaptés pour rendre compte des subtilités du discours extrémiste avec sa charge idéologique et ses références qui nécessitent un décryptage voire une exégèse souvent hors de portée d’experts démunis des concepts-clés permettant une intelligence des symboles, des allusions et des codes langagiers.

C’est, souvent, après le passage à l’acte que beaucoup d’analystes niant la dimension idéologique accèdent aux sujets en question soit en prison ou dans une situation sur laquelle pèse lourdement l’environnement sécuritaire, la pression carcérale ou même des acteurs de la criminalité accentuant ainsi le biais criminologique malgré les efforts de documentation.

Ce biais criminologique ayant eu tout son effet sur l’approche du phénomène de la radicalisation au Sahel n’a pas épargné certaines études suite au débordement de l’épicentre de la violence extrémiste vers les pays du Golfe de Guinée. Beaucoup d’entre-elles souffrent du non renouvellement des outils conceptuels de même que l’empressement à « documenter » un phénomène multidimensionnel et souvent diffus dans des contextes où on projette un regard orienté par les réalités d’ailleurs.

De plus, face à la pression sécuritaire et politique pour l’élaboration de réponses, il a dû échapper à nombre d’analystes, le tournant paradigmatique de l’accentuation de la communautarisation de la violence extrémiste concomitante aux premières phases visibles du débordement de l’épicentre du terrorisme du Sahel central vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest.

C’est ainsi que, dans le cas de certains pays côtiers, les réponses politiques fortement inspirées par des conclusions issues de de l’approche criminologique semblent ne pas apprendre des erreurs du Sahel, en s’orientant naturellement vers des solutions à dominante sécuritaire, réduisant, même parfois le phénomène extrémiste à un « simple » problème criminel. Alors que la criminalité n’est pas en soit la racine du mal mais un des symptômes entre autres.

Pour le cas du Bénin, plusieurs études font état de sa proximité géographique avec les pays sahéliens victimes de l’insurrection des groupes armés terroriste, la porosité des frontières, la faible présence de l’État dans certaines régions, les conflits communautaires, le chômage des jeunes, la corruption, l’injustice, les inégalités sociales et bien d’autres facteurs. Malgré les dispositions, les efforts et les mécanismes mis en œuvre par l’État pour contrer cette avancée, la situation sécuritaire se dégrade progressivement dans les départements de l’Alibori et de l’Atacora. Ainsi, depuis la première attaque terroriste enregistré en 2019, le nombre d’incidents terroristes sur le sol béninois notamment dans le septentrion est en hausse avec un nombre de morts croissant, de blessés et de déplacés.

S’inscrivant dans une démarche compréhensive et à partir de la perception des populations locales, Timbuktu Institute a mis à profit plusieurs missions de terrains dans les départements de la Donga, de l’Alibori et de l’Atacora afin de conduire des entretiens qualitatifs auprès de 270 jeunes habitant les différentes localités et communes. En plus de ces entretiens individuels, une dizaine de focus groups ont été organisés sur site. Afin d’éviter des interviews « one shot » nous avons adopté la démarche consistant à faire de l’observation continue sur le temps long. Ainsi, pour mitiger les approches basées sur une chronologie des incidents sécuritaires ou encore enfermant une problématique aussi complexe dans le carcan criminologique, cette étude vise à sonder les facteurs et à interroger les perceptions locales dans une démarche compréhensive. Les témoignages et réponses recueillis tout au long de l’enquête et sur lesquelles se fondent les analyses de ce rapport sont issus d’un travail de terrain étendu sur la période de Mars – Mai 2023 à juin 2024[1] dirigé, sur place, par Dr. Bakary Sambe.

Cette étude, première d’une série sur le Bénin, se veut une contribution à une meilleure compréhension du phénomène à même d’aboutir à des conclusions et recommandations pouvant accompagner les initiatives et solutions mises en place aussi bien par l’État, ses partenaires mais surtout les communautés locales qui sont au cœur de cette réflexion.

Télécharger l’intégralité du Rapport

[1] - Le rapport étant construit essentiellement sur des entretiens qualitatifs individuels et divers témoignages lors des focus group avec les jeunes des trois départements, nous signalerons à chaque fois, dans le corps du texte, l’identité minimale et la zone exacte (commune, arrondissement, village) où à défaut, selon la sensibilité du témoignage, le département où habite l’interlocuteurs. Les dates se situent dans la période allant de Mars- Mai 2023 à Juin 2024.

Timbuktu Institute - September 2024


Undertaking a refoundation of democracy, to defend its gains where it is established and promote it where it is still an aspiration, a dream or, at best, in its early stages of realization, requires taking into account the main causes of its retreat and the difficulties standing in the way of its realization in Africa and elsewhere. 
As Mohamed-Chérif Ferjani puts it, the first challenge of such a refoundation would perhaps be to collaborate “in the construction of a truly universal democracy, which excludes no one and needs no one's exploitation, neither in the North nor in the South, neither in the East nor in the West”. To achieve this, he reminds us, “ we must all assume our responsibilities, and stop stigmatizing others, with arrogance and bad faith, in order to absolve ourselves of our responsibility; we must all start by putting our own house in order, and stop seeing each other as a threat to our security and comfort ”.
Moreover, rebuilding democracy requires us to take into account the reasons for “democratic disenchantment” in Africa , as elsewhere in the world, both in relation to representative democracy and to its populist critics calling for forms of direct democracy that are often reduced to forms of “plebiscitary democracy”, not to mention the non-democratic alternatives that criticize democracy, whether direct or indirect, for the political instability inherent in changing majorities, the difficulty of envisioning long-term projects, the populist temptation to win elections at all costs, the dictatorship of the majority to the detriment of the rights of the minority(ies), etc.


Representative democracy, direct democracy
As far as representative democracy is concerned, it is indisputable that the elites exercising power in the name of the people tend to distance themselves from them, or to cut themselves off from them, to the point of driving the people to various forms of rejection of politics: abstention, individualistic withdrawal that is incompatible with the requirements of solidarity necessary to life in society and the will to live together, as predicted by A. de Tocqueville (De la démocratie). de Tocqueville (On Democracy in America), withdrawal into “mechanical solidarities” and “murderous identities” based on ties of “blood” and tribal, ethnic or religious allegiances, opening the way to various forms of questioning “democratic living together”. Criticisms such as those developed by intellectuals (like A. Negri and C. Mouffe) and by populist movements pointing to the betrayal of governing elites closer to financial circles and multinationals than to the concerns of their electorate, are not entirely erroneous, even if the remedies advocated and the theoretical references (notably to C. Schmitt) are highly suspicious. 
As for direct democracy, apart from the difficulty of implementing it outside small-scale societies living on small territories, it has the disadvantage of diluting power and, consequently, responsibility: if the people who directly exercise power make a mistake, who is going to hold them to account, and how can they be sanctioned? You can dissolve a government, an assembly or an institution for reasons of incompetence or corruption, or for decisions deemed erroneous or dangerous, but you can't dissolve the people, except by subjecting them to dictatorship, tyranny (as Plato predicted), or to a despotic or dictatorial power that denies them their sovereignty and reduces them to the status of “subjects” forcibly subjected to those who know their interests and the means to guarantee them better than they do (as Hobbes conceived in Leviathan, or as all dictators, whatever their ideology, have thought and dreamt).
Taking into account Prof. Mohamed-Ferjani's remarks, a number of ideas have been put forward with a view to remedying the shortcomings of representative democracy - the only system that can be envisaged for states with large populations and extensive territories - without resorting to various forms of anti-democratic regimes. He stresses that the imperative mandate (as advocated by Rousseau and others who follow in his footsteps), participatory or deliberative democracy using popular-initiative referendums (as in Switzerland and in local democracy), and respect for the foundations of the rule of law are all possible:
(1) the real separation of powers, so that they limit each other,
(2) respect for the law by those who govern and those who are governed,
(3) pluralism and collective freedoms (political, trade union, associative, etc.), on which the strength of civil society and the intermediary bodies essential to democratic coexistence depends,
(4) respect for the inalienable personal, political, cultural, social and economic rights of peoples, individuals and minority groups, irrespective of differences of sex or gender, opinion, origin, affiliation, spirituality or religion, sexual orientation, etc.
Insisting on the universal scope of democracy, he warns of “ the dangers of seeking to dissociate or oppose democracy, human rights and the rule of law, as advocated by the ‘conceptions of Carl Schmitt and its populist uses’. In his view, such attempts at dissociation are “dangerous for democracy ”.


Is the universality of the democratic principle a way out of the pitfalls of culturalism?
The diversity of democratic forms (direct and representative democracy, parliamentary, presidential or mixed regimes, republics, constitutional monarchies, etc.) shows that the construction of democracy has never been and cannot be envisaged on the basis of a supposedly universal model. However, we cannot accept projects that tend to dilute the intangible foundations of democracy in the search for specific conceptions that distance themselves from it, in the name of a certain culturalism that opposes particularisms to the universality of the human being, his aspirations and his rights. 
This simply means that the construction of democracy cannot proceed from vertical injunctions; it must be based on the participation of socially, geographically and culturally situated populations, taking into account their needs and specificities, and giving them the means to appropriate its principles and build it themselves. This requires information and training, based on the search for ways of living it other than as an imported model, or as a foreign concept designed to “Westernize” or “McDonalize” the world, as Benjamin Barber[1] puts it, in local cultures and in the traditions of solidarity specific to each society. 
Only by embracing the forms given to it by those who aspire to it, can it become a perennial universal reality. It needs, in every situation, in every country and in every region, a democratic culture rooted in the reality of the society that claims it. 
It needs forces and institutions that embrace its values, work to promote it and defend it tooth and nail against its adversaries and gravediggers: political parties, associations, intermediary bodies, public services that guarantee the solidarity necessary for democratic coexistence, laws and rights that give it concrete content and make it desirable. It also needs the economic, social and cultural conditions to elevate it to the level of a vital need, not just for a privileged minority, as has been the case until now, but for the entire population of every country.


*This article was written under the coordination of Prof. Mohamed-Chérif Ferjani, Chairman of the High Council of the Timbuktu Institute.


[1] Benjamin Barber, Jihad vs McWorld, 1995

Timbuktu Institute - Septembre 2024

Entreprendre une refondation de la démocratie, pour en défendre les acquis là où elle est établie et la promouvoir là où elle encore une aspiration, un rêve ou, au mieux, à ses débuts de réalisation, exige la prise en compte les principales causes de son recul et des difficultés se dressant sur la voie de sa réalisation en Afrique et ailleurs. 

Le premier enjeu d’une telle refondation serait, peut-être, de collaborer, comme le dit Mohamed-Chérif Ferjani, « à l’édification d’une démocratie réellement universelle, qui n’exclut personne et n’a besoin de l’exploitation de personne, ni au Nord, ni au Sud, ni à l’Est, ni à l’Ouest ». Pour cela, rappelle-t-il, « chacun doit assumer ses responsabilités, cesser de stigmatiser les autres, avec arrogance et mauvaise foi, pour se dédouaner à bon compte ; nous devons tous commencer par balayer devant nos portes, arrêter de voir, les uns dans les autres, une menace pour notre sécurité et pour notre confort ».

Par ailleurs, la refondation de la démocratie exige une prise en compte des motifs du « désenchantement démocratique » en Afrique comme partout dans le monde, aussi bien par rapport à la démocratie représentative que par rapport à ses critiques populistes appelant à des formes de démocratie directe qui se réduisent souvent à des formes de « démocratie plébiscitaire », sans parler des alternatives non démocratiques reprochant à la démocratie, directe ou indirecte, l’instabilité politique inhérente aux changements de majorités, la difficulté d’envisager des projets à long terme, la tentation populiste pour remporter à tout prix les élections, la dictature de la majorité au détriment des droits de la, ou des, minorité(s), etc.

Démocratie représentative, démocratie directe 

Pour ce qui est de la démocratie représentative, il est incontestable que les élites exerçant le pouvoir au nom du peuple, ont tendance à s’en éloigner ou à s’en couper au point de le pousser à différentes formes de rejet du politique : abstention, repli individualiste antinomique avec les exigences de la solidarité nécessaire à la vie en société et à la volonté de vivre ensemble, comme le pronostiquait A. de Tocqueville (De la démocratie en Amérique), repli sur des « solidarités mécaniques » et sur des « identités meurtrières » faisant appel aux liens de « sang », aux appartenances tribales, ethniques, confessionnelles ouvrant la voie à différentes formes de remise en cause du « vivre ensemble démocratique ». Des critiques comme celles développées par   des intellectuel(le)s (comme A. Negri et C. Mouffe) et par des mouvements populistes pointant la trahison des élites gouvernantes plus proches des milieux financiers et des multinationales que des préoccupations de leurs électeurs, ne sont pas totalement erronées, même si les remèdes préconisés et les références théoriques (notamment à C. Schmitt) incitent à beaucoup de méfiance.   

Quant à la démocratie directe, outre la difficulté de sa mise en œuvre en dehors de sociétés de petites tailles et vivant sur des territoires peu étendus, elle présente l’inconvénient de la dilution du pouvoir et, partant, de la responsabilité : si le peuple qui exerce directement le pouvoir se trompe, qui va lui demander des comptes et comment le sanctionner ? On peut dissoudre un gouvernement, une assemblée ou une institution pour des motifs d’incompétence, de corruption ou pour des décisions jugées erronées ou dangereuses, mais on ne peut pas dissoudre le peuple sinon en le soumettant à la dictature, à la tyrannie (comme le pronostiquait Platon) ou à un pouvoir despotique ou dictatorial lui déniant sa souveraineté et le ramenant au statut de « sujets » soumis par la force à celui ou ceux qui connaissent mieux que lui ses intérêts et les moyens de les garantir (comme le concevait Hobbes dans Le Léviathan, ou comme le pensaient et en rêvent tous les dictateurs quelle qu’en soit l’idéologie).

Prenant en compte les remarques du Pr. Mohamed-Ferjani, certaines idées ont été émises dans le but de remédier aux carences de la démocratie représentative, la seule envisageable dans le cadre d’Etats dont la population est nombreuse et le territoire étendu, sans recourir aux différentes formes de régimes antidémocratiques, des solutions démocratiques sont envisageables. Il souligne que le mandat impératif (tel que l’avait préconisé Rousseau et ceux qui s’en réclament), la démocratie participative ou délibérative faisant appel aux référendums d’initiative populaire (comme en Suisse et dans la démocratie locale), le respect des fondements de l’Etat de droit dont principalement :

(1) la séparation réelle des pouvoirs de façon à ce qu’ils se limitent les uns les autres,

(2) le respect des lois par les gouvernants comme par les gouvernés,

(3) le pluralisme et les libertés collectives (politiques, syndicales, associatives, etc.) dont dépend la force de la société civile et des corps intermédiaires indispensables pour un vivre ensemble démocratique,

(4) le respect des droits inaliénables – personnels, politiques, culturels, sociaux, économiques, - des peuples, des individus et des groupes minoritaires, par-delà les différences de sexe ou de genre, d’opinion, d’origine, d’appartenance, de spiritualité ou de confession, d’orientation sexuelle, etc.

Insistant sur la portée universelle de la démocratie, il avertit sur « les dangers de vouloir dissocier ou opposer la démocratie, les droits humains et l’Etat de droit, à l’instar de ce que préconisent les « conceptions de Carl Schmitt et ses usages populistes ». Pour lui, ces tentatives de dissociation sont « dangereuses pour la démocratie ».

L’universalité du principe démocratique pour sortir des pièges du culturalisme ?

La diversité des formes démocratiques (démocratie directe et démocratie représentative, régimes parlementaires, régimes présidentiels ou régimes mixtes, Républiques, Monarchies Constitutionnelles, etc.), montre que la construction de la démocratie n’a jamais été et ne peut pas être envisagée sur la base d’un modèle prétendument universel. Cependant, on ne peut pas s’accommoder des projets qui tendent à en diluer les fondements intangibles dans la recherche de conceptions spécifiques qui s’en éloignent, au nom d’un certain culturalisme opposant les particularismes à l’universalité de l’humain, de ses aspirations et de ses droits. 

Cela veut simplement dire que la construction de la démocratie ne peut pas procéder d’injonctions verticales ; elle doit s’appuyer sur la participation des populations situées socialement, géographiquement et culturellement en prenant en compte leurs besoins et leurs spécificités, et en leur donnant les moyens de s’en approprier les principes et de la bâtir eux-mêmes. Cela passe par un travail d’information et de formation basé sur la recherche, dans les cultures locales et dans les traditions de solidarité propres à chaque société, les moyens de la vivre autrement que comme un modèle importé, ou comme une conception étrangère destinée à « occidentaliser » ou à « McDonaliser » le monde, selon l’expression de Benjamin Barber[1]. 

Ce n’est qu’en épousant les formes que lui donnent celles et ceux qui y aspirent, qu’elle peut devenir une réalité universelle pérenne. Elle a besoin, dans chaque situation, dans chaque pays et dans chaque région, d’une culture démocratique enracinée dans la réalité propre à la société qui la revendique. 

Elle a besoin de forces et d’institutions qui adhèrent à ses valeurs, œuvrent pour sa promotion et la défendent bec et ongle contre ses adversaires et ses fossoyeurs : des partis politiques, des associations, des corps intermédiaires, des services publics qui garantissent les solidarités nécessaires à un vivre ensemble démocratique, des lois et des droits qui lui donnent un contenu concret et la rendent désirable. Elle a également besoin de conditions économiques, sociales et culturelles à même de l’élever au rang d’un besoin vital non seulement pour une minorité de privilégiés comme c’était le cas jusqu’ici, mais pour l’ensemble des populations de tous les pays.

*Cet article a été rédigé sous la coordination du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani, Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute

[1] Benjamin Barber, Djihad vs McWorld, 1995