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« Jeunes et Médias : entre engagement et responsabilité citoyenne », tel est le thème central de cette première série des « Conversations citoyennes » concept interactif pour la promotion du débat public avec les jeunes sur diverses problématiques ayant trait à la vie citoyenne dans ses différents aspects et implications. La séance inaugurale aura lieu le 30 mai prochain à Tambacounda.
En effet, les jeunes sont, de plus en plus, informés et intéressés par le débat public sans, parfois, y trouver réellement leur véritable place du fait de contraintes ou d’autres obstacles limitant leur prise de parole sur des sujets les concernent au premier chef. En même temps que le développement fulgurant des réseaux sociaux fait des jeunes les cibles privilégiées de contenus sur divers sujets, il se développe un phénomène d’auto-isolement qui enferme cette catégorie majoritaire de la population loin de l’expression publique des idées et des opinions. Il se creuse ainsi un important fossé entre ce public jeune, hyper-connecté et friand d’informations et le discours institutionnel ou politique qui ne prend pas en compte ses spécificités et aspirations.
Ainsi l’apparente démocratisation de l’accès au savoir et à l’information à profusion n’a pas forcément un environnement favorable au débat public et à l’échange en dehors des plateformes et réseaux sociaux qui exposent aux risques liés à la désinformation, entre autres. Il y a aussi, la circulation de diverses théories et idées reçues allant à l’encontre de l’esprit citoyen et fragilisant davantage les acquis, le débat démocratique et les valeurs fondant le vivre-ensemble.
Ces cadres d’échanges constructifs sont d’autant plus nécessaires qu’en leur absence, on risque une cristallisation des conflictualités construites et entretenues et amplifiées par les réseaux sociaux au détriment de la consolidation de l’engagement et du débat citoyen, ouvert, inclusif, contradictoire et respectueux des différences et de la diversité des opinions. Ainsi la tenue des « conversations citoyennes » participe de la promotion du débat citoyen dans un cadre participatif et inclusif mettant en avant l’accès à de véritables savoirs et informations tout en développant l’esprit critique et le sens de la responsabilité des jeunes.
La première série de « Conversations citoyennes » qui sera lancée ce 30 mai à Tambacounda porte sur le thème : « Jeunes et Médias : entre engagement et responsabilité citoyenne » et se poursuivra à Rosso-Sénégal, Fogny (Gambie), Matam, Guédiawaye et Mbour.
Dans le contexte actuel marqué par l’émergence de problématiques complexes sur lesquelles circulent les informations et idéologies des plus contradictoires, les « conversations citoyennes » cherchent à offrir des cadres sereins de débats introduits par des chercheurs, des praticiens, professionnels, des acteurs de la société civile, des jeunes porteurs d’expériences à partager etc. Ce sont des sessions interactives de conférences-débats publics qui se tiennent, régulièrement, en mettant les jeunes au centre du débat d’idées.
Dans le format retenu par le Timbuktu Institute, « les jeunes sont les véritables acteurs du débat citoyen sur des sujets variés, soit imposés par l’actualité ou suite à une expression de besoins sur des thématiques diverses : engagement citoyen, questions socioéconomiques, géopolitique, liberté de la presse et enjeux de la désinformation, religion, rapports Sud-Nord, échanges internationaux etc », souligne Dr. Bakary Sambe, concepteur et directeur scientifique des « Conversations citoyennes ».
Timbuktu Institute
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« Conversations communautaires pour l’engagement positif des jeunes dans la prévention de l’extrémisme violent au Togo » est une expérience de partenariat stratégique entre le Conseil national de la jeunesse du Togo et Timbuktu Institute, leader régional dans ce domaine, soutenu par le Programme régional d’Appui aux pays côtiers de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international). Suite à cette tournée lancée à Lomé et qui s’est déployée, par la suite, dans la région des Savanes (Nord du Togo), la chaîne panafricaine Medi1TV, basée au Maroc s’est entretenu avec Régis Batchassi, président du CNJ – Togo dans le but de mieux comprendre cette initiative. Selon M. Batchassi, « elle doit faire l’objet d’une valorisation en tant que bonne pratique dans les pays voisins au regard de l’enjeu de la transfrontalité du phénomène de l’extrémisme violent » et la « nécessité de faire des jeunes de véritables acteurs de prévention et de renforcement de la résilience ».
Medi1TV : Au moment où les dernières attaques au Bénin et au Togo rappellent les sérieuses menaces sur les pays côtiers, vous venez de boucler, dans le cadre d’un partenariat avec Timbuktu Institute, soutenue par le Programme Régional d’Appui aux Pays côtiers de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), l’initiative « conversations communautaires pour l’engagement positif des jeunes dans la prévention de l’extrémisme violent ». Pourquoi un tel projet dans le contexte actuel ?
Cette tournée de plus deux semaines avec une série de « conversations communautaires » dans 4 préfectures de la région des Savanes, après le lancement officiel à Lomé, avait pour objectif de mobiliser les jeunes et de les sensibiliser. Vous savez, très souvent, on présente cette frange importante de notre population comme de simples cibles d’intervention, en insistant sur leurs vulnérabilités. Le conseil national de la jeunesse, grâce à ce partenariat avec le Timbuktu Institute, soutenu par le Programme Régional d’Appui aux pays côtiers, a voulu faire des organisations de la jeunesse, un véritable levier de résilience en renforçant leurs capacités pour en faire des acteurs de la prévention en appui aux efforts de l’Etat. La jeunesse ne doit pas être vue comme un problème qui pèse, mais une source de propositions et de solutions constructives.
Medi1TV : On sait que votre pays le Togo a mis en place un comité interministériel de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent (le CIPLEV) et même développé une stratégie nationale. Dans quel cadre d’intervention se situe alors cette initiative du Conseil National de la Jeunesse ?
Le programme Régional d’Appui aux pays côtiers de l’USAID (Agence des Etats Unis pour le développement international) dans la région des Savanes, a été très vite convaincu de l’importance de notre action qui est complémentaire avec les efforts de l’Etat et l’a soutenue parce qu’elle se situe dans une démarche holistique. La lutte contre le terrorisme par des moyens militarisés et la mobilisation des forces de sécurité et de défense est, certes, importante. Mais, il faut la distinguer de la prévention de l’extrémisme violent qui vise à traiter les causes profondes et structurelles surtout que l’engagement communautaire de la jeunesse se fixe aussi l’objectif de l’appropriation des politiques étatiques par les populations locales. Au regard de l’effet de la transfrontalité avec des pays largement atteints par un phénomène djihadiste massif, nous comptons poursuivre ces initiatives surtout pour empêcher qu’il se constitue ce que Dr. Bakary Sambe appelle des « couveuses locales » et un ancrage de ces mouvements dans le territoire togolais qu’ils ciblent actuellement avec des attaques sporadiques. Cette tournée dans les Savanes nous a réconfortés sur le fait que les jeunes veulent jouer pleinement leur rôle dans le domaine de la prévention. La seule approche sécuritaire est, certes, utile, mais ne suffit plus face à la complexité du phénomène. Il faut, vraiment, un engagement des jeunes pour une résilience communautaire, et nous continuerons à y travailler. Les jeunes l'ont suggéré à l'Ambassadrice des États-Unis au Togo lors de sa visite lors des « conversations communautaires » pour venir les encourager.
Medi1TV : Après le succès de ces « conversations communautaires » largement saluées par les autorités et qui a suscité un grand engouement des organisations de jeunes dans ces zones exposées aux risques, quelle suite souhaitez-vous donner à cette initiative ?
Nous pouvons d’ores et déjà considérer cette initiative comme une bonne pratique à pérenniser en amplifiant l’impact. Les jeunes de la région des Savanes vont encore bénéficier de formations pour restituer ce qu’ils ont acquis. On peut dire qu’une communauté juvénile de la prévention est née suite à cette action et nos partenaires doivent nous soutenir encore pour maintenir cette flamme de l’engagement et cette dynamique encourageante malgré les attaques. Les jeunes pensent même à mettre en place un Observatoire du vivre ensemble axé sur la prévention de l’extrémisme violent. Mais, comme le Programme Régional d’Appui aux pays côtiers de l’USAID concerne, aussi, des pays comme le Bénin voisin, nous envisageons aussi un partage d’expériences avec d’autres jeunes des pays du Golfe de Guinée qui partagent les mêmes vulnérabilités. Vous savez, vu la transnationalité du phénomène terroriste et des menaces, la dimension transfrontalière doit être prise en compte, une fois que nous arriverons à consolider et élargir davantage les acquis de cette initiative au Togo.
Source : Medi1TV Afrique – Timbuktu Institute
La menace terroriste gagne du terrain en Afrique de l’ouest. A partir du Sahel, l’insécurité descends de plus en plus vers le golfe de Guinée, poussant les dirigeants de la région ouest africaine à multiplier les initiatives de mutualisation des efforts pour en venir à bout. Dans cet entretien, Dr. Bakary Sambe, Directeur de Timbuktu Institute livre son regard sur cette situation et se prononce sur la création éventuelle d’une force conjointe Cedeao.
Les chefs d’États-majors de la Cedeao viennent de consacrer, les 5 et 6 mai à Accra, une réunion extraordinaire à la lutte contre le terrorisme dans la région. Quel est votre regard sur ces réunions qui se multiplient sur la question du terrorisme sur le plan sous-régional.
Dans le principe, c’est une initiative à saluer au regard de la montée des périls dans la sous-région et plus particulièrement au Sahel dont les pays les plus touchés se trouvent dans l’espace communautaire. Il y a urgence dans une région où on note une augmentation de 1000% (mille pour cent) du nombre de morts depuis 2007 alors que le Sahel concentre 43% du nombre total de victimes du terrorisme en Afrique subsaharienne. Selon les organisateurs, cette réunion des 5 et 6 mai 2012 à Accra visait surtout à réfléchir sur comment travailler au renforcement de la coopération entre États afin de lutter contre l’insécurité grandissante en Afrique de l’Ouest au moment où l’Afrique est effectivement devenu le nouveau point chaud du terrorisme international selon les dernières données du Global Terrorism Index qui consacre malheureusement l’Afrique subsaharienne comme le foyer de repli du terrorisme mondial après la déroute de Daech (EI) en Orient et sa perte de vitesse même en Europe où il n’arrive même plus à mobiliser des « loups solitaires ». Il était donc temps que la CEDEAO impulse une nouvelle dynamique à son action anti-terroriste surtout que l’organisation sous-régionale semble avoir été dépossédée de cette question sécuritaire, ces dernières années, au profit du G5 Sahel, partenaire favori des partenaires internationaux.
Selon vous, pourquoi malgré l’existence depuis 2017 de l’initiative d’Accra qui a permis de mettre l’opération « Koundalgou » renforcée plus tard et élargie au Mali, au Niger et à la Côte d’Ivoire, la menace terroriste semble tout de même gagner du terrain dans la région ?
Malheureusement, on ne compte plus les initiatives dans notre région devenue l’espace de redéploiement des groupes et favorable à une nouvelle vie au terrorisme global auquel elle offre une nouvelle opportunité d’expansion. Il est vrai que les États du Golfe de Guinée ont plusieurs fois répondu par des opérations militaires, soit conjointement, soit individuellement. Par exemple en novembre dernier, une opération militaire conjointe entre plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest a pu mobiliser environ 6 000 soldats et aurait même permis l’arrestation de 300 terroristes présumés. Le déploiement militaire, baptisé Opération Koundalgou, s’inscrivait dans le cadre de l’Initiative d’Accra, un concordat signé en 2017 entre le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo pour lutter contre la menace croissante dans la région. Et il faut dire que ce n’est pas le premier cas d’opérations militaires bilatérales contre les groupes déjà actifs dans la région : En 2018, une opération conjointe entre les forces armées du Mali et du Burkina Faso avait permis de démanteler une cellule terroriste présumée à Ouagadougou. Mais à vrai dire, ce ne sont pas les initiatives militaires qui manquent mais une approche globale du phénomène multiforme du terrorisme. L’approche jusqu’ici adoptée n’a pas empêché que l’Afrique subsaharienne concentre la moitié des décès dus au terrorisme en 2021. D’ailleurs, le Général Lassiné Doumbia de la Côte d’Ivoire n’a pas manqué de souligner cette faille en soutenant ouvertement, lors de cette rencontre d’Accra, qu’« indépendamment de l’action militaire, plusieurs autres actions doivent être menées dans ces zones de vulnérabilité, … que ces groupes jihadistes peuvent exploiter pour enrôler les populations locales ». Depuis des années, dans le cadre des travaux et recommandations du Timbuktu Institute, nous appelons une approche différenciée et complémentaire : lutter efficacement contre le terrorisme en gérant les urgences sécuritaires mais ne pas oublier la prévention de l’extrémise violent en s’attaquant aux causes structurelles, souvent instrumentalisées par les groupes terroriste à la recherche d’ancrage sociopolitique et surtout de ce que j’appelle les « couveuses locales ». Hélas, on semble persister dans une approche traitant les symptômes en négligeant les racines du mal déjà profondes.
Au-delà des opérations militaires conjointes entre ces pays de la Cedeao et de la mutualisation des renseignements, la création d’une force conjointe des pays de la Cedeao serait-elle plus efficace ?
La mise en place d’une telle force qui devrait être la plus inclusive possible n’a jamais été aussi opportune au moment où la problématique de la lutte contre le terrorisme dans la région semble de plus en plus parasitée par les passes d’arme politico-diplomatiques. La Cedeao a pourtant eu, avec le leadership du Nigeria, des expériences à faire valoir comme ECOMOG et ses « casques blancs » mais aussi d’autres formes de synergie et de mécanismes qu’il suffit de réactiver comme c’est déjà le cas pour le renseignement et l’alerte précoce. Toutefois, il faudrait qu’au niveau communautaire, la volonté politique soit non seulement réelle mais accompagnée des efforts financiers nécessaires. Surtout que l’organisation sous-régionale devient de plus en plus sollicitée pour divers partenariats dont la Cedeao aura bien besoin au regard de l’ampleur des interventions nécessaires. Malheureusement la brouille actuelle entre Bamako et Paris, est en train de nuire à l’esprit de sécurité collective. Aujourd’hui, malgré cette situation qu’il faudra vite dépasser, – les deux pays étant deux maillons essentiels de la chaîne de solidarité Sud-Nord- la coopération sécuritaire, même si elle doit être repensée et élargie à tous les acteurs conventionnels, reste une priorité stratégique. La volonté d’européanisation de Takuba, qui était une nécessité, marquait un changement de paradigme. Il faut prendre conscience du fait que l’Afrique, le Sahel en particulier, et l’Europe, qui partagent la même vulnérabilité et font face à des menaces communes, restent intimement liées par la contrainte de la sécurité collective, malgré toutes les conjonctures diplomatiques.
L’échec relatif du G5 Sahel constitue-t-il un frein à la mise en place éventuelle de cette nouvelle force conjointe ?
Il serait excessif de parler d’un échec du G5 Sahel bien qu’il faille reconnaître tous les écueils de cette organisation qui, auparavant, n’a jamais eu les moyens de son ambition alors qu’aujourd’hui elle est rudement affectée par la situation de crise politique que traverse la majorité de ses Etats-membres. Mais, il faudrait faire de cette crise, une nouvelle opportunité de la redresser et de restaurer l’équilibre qui lui faisait défaut dans une complémentarité logique avec la Cedeao vu le partage de priorités stratégiques : 3 de ses cinq membres sont dans la Cedeao qui depuis la conférence de Lomé en juillet 2018 discutait déjà avec la Ceeac dont fait partie le Tchad, de l’impératif d’une coopération interrégionale pour lutter contre le terrorisme qui secoue ces deux régions. On connaît aussi toute la place de la Mauritanie dans ce schéma depuis le processus de Nouakchott. L’heure est aux partenariats qui ne peuvent plus exclure ni le Sénégal et encore moins les pays du Golfe de Guinée partageant les mêmes préoccupations sécuritaires. Vous conviendrez avec moi que la force conjointe initialement pensée devrait s’élargir. Dans ce contexte où s’imposent les synergies, la Cedeao qui doit renforcer sa présence au Mali, peut jouer le rôle de catalyseur qui lui renvient tout en prenant la pleine mesure, avec un nouveau départ, de la nécessité d’urgentes réformes et d’un inéluctable changement de paradigme. L’idéal serait, toutefois, que la Cedeao puisse disposer d’une force d’imposition de la paix aux regards des multiples défis politico-sécuritaires dans la région.
Propos recueillis par Mohamed Kenouvi
Cet entretien de Dr. Bakary Sambe, avec Medi1TV (Hebdo Africain) se focalise sur la nécessité d’accélérer les efforts conjoints pour soutenir l’Afrique qui fait face à une montée de la violence extrémiste sur le continent au moment où, paradoxalement, elle recule en Europe et dans d’autres régions du monde. Le Maroc a accueilli en mai 2022, la réunion ministérielle de la Coalition anti-Etat islamique (EI) au moment les experts africains et observateurs se posent un certain nombre de questions sur l’engagement de la communauté internationale en Afrique même si parmi les objectifs de ce cadre, figure en bonne place celui de «coordonner et poursuivre l'engagement international» contre la menace croissante de l'organisation djihadiste en Afrique et sa résurgence au Moyen-Orient. Pour Dr. Bakary Sambe, «l’Africa Focus Group est, certes, une initiative à saluer vu la montée des périls en Afrique et plus particulièrement au Sahel » même s’il exhorte la communauté internationale à mettre l’accent sur un soutien plus affirmé « de la même ampleur que les efforts conjoints déployés pour combattre conjointement l’EI au Moyen-Orient ». Toutefois, le Directeur du Timbuktu Institute reste convaincu que « la coopération sécuritaire n’a pas jusqu’ici permis de lutter efficacement contre le terrorisme en gérant les urgences sécuritaires sans négliger la prévention de l’extrémise violent » en s’attaquant aux causes structurelles, souvent instrumentalisées par les groupes terroriste à la recherche d’ancrage sociopolitique et surtout de ce qu’il appelle les « couveuses locales ».
Dr. Bakary Sambe, vous dirigez le Timbuktu Institute, une des institution africaines leader dans le domaine des études stratégiques et de sécurité avec vos travaux novateurs sur la menace terroriste. Vous considérez la première réunion ministérielle de la coalition mondiale contre Daech en Afrique qui se tient ce matin à Marrakech comme une opportunité pour le Maroc de porter la voix de l'Afrique sur cette question. Depuis le Maroc que doit dire l'Afrique à la communauté internationale ?
Le choix du Maroc pour co-présider ce nouveau groupe confirme son rôle important dans la lutte contre le terrorisme. En tant que signal important pour l’Afrique de manière générale, cette idée d’Africa Focus Group est une initiative à saluer vu la montée des périls dans la région et plus particulièrement au Sahel. Il y a urgence dans une région où on note une augmentation de 1000% (mille pour cent) du nombre de morts depuis 2007 alors que le Sahel concentre aujourd’hui 43% des victimes du terrorisme en Afrique subsaharienne. A Marrakech, l’Afrique ne doit pas rater l'occasion de dire à la communauté internationale qu’on n’a pas encore vu sur le continent une mobilisation de la même ampleur que celle opérée lors de la lutte contre Daech au Moyen-Orient. L’Afrique semble à bien des égards abandonnée à elle-même alors qu’au même moment où un note un recul de la nébuleuse Daech au Moyen-Orient et en Europe notre continent est devenu, le nouveau point chaud et foyer de redéploiement du terrorisme international. Il y a un paradoxe assez parlant relevé par un ancien ministre burkinabé : après d’innombrables conférences, la communauté internationale dit chercher en vain 423 millions d’euros pour le G5 Sahel depuis des années alors que pour l’Ukraine 6 milliards d’euros ont été mobilisés en urgence et en une seule conférence.
On le sait vous êtes assez critique sur l'approche jusqu'ici adoptée dans la lutte contre le terrorisme. Pourquoi pensez-vous que cette lutte n'a pas produit les résultats escomptés ?
Contrairement aux idées reçues, les pays de la région qui, malheureusement, offrent aujourd’hui une nouvelle opportunité d’expansion à Daech n’ont jamais été inactifs face au terrorisme. Les États du Golfe de Guinée ont plusieurs fois mené des opérations militaires, soit conjointement, soit individuellement. Par exemple, en novembre dernier, une opération militaire conjointe entre plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest a pu mobiliser environ 6 000 soldats avec l'arrestation de 300 terroristes présumés. Il y a aussi l’Opération Goundalgou, dans le cadre de l'Initiative d'Accra, lancée en 2017 par le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo. Déjà en 2018, une opération conjointe entre les forces armées du Mali et du Burkina Faso avait permis de démanteler une cellule terroriste présumée à Ouagadougou. En fait, à vrai dire, ce ne sont pas les initiatives militaires qui manquent mais une approche globale du phénomène multiforme du terrorisme. Il faut se l’avouer, l’approche jusqu’ici adoptée n’a pas empêché que l’Afrique subsaharienne concentre la moitié des décès dus au terrorisme en 2021 avec au moins 43% des victimes africaines au Sahel.
Alors qu'est-ce que l'Afrique et ses partenaires ont donc raté jusqu'ici et qu'attendre du Maroc plus spécifiquement? Peut-on s'attendre à une nouvelle dynamique avec le focus Africa après Marrakech?
La communauté internationale doit avoir à l’esprit que la réunion de Marrakech se déroule à un moment à la fois décisif et critique avec la prolifération des mouvements affiliés à Daech où notre continent se transforme en un havre d’épanouissement de l’Etat islamique. Rien qu’au Niger les décès dus au terrorisme ont doublé. La coopération sécuritaire n’a pas jusqu’ici permis de lutter efficacement contre le terrorisme en gérant les urgences sécuritaires sans négliger la prévention de l’extrémise violent en s’attaquant aux causes structurelles, souvent instrumentalisées par les groupes terroriste à la recherche d’ancrage sociopolitique et surtout de ce que j’appelle les « couveuses locales ». Hélas, on semble persister dans une approche traitant les symptômes en négligeant les racines du mal déjà profondes. Et, aujourd’hui avec la brouille entre Bamako et Paris qui a parasité l’esprit de sécurité collective, Vous conviendrez avec moi que la force conjointe initialement pensée doit s’élargir. La question est de savoir comment le Maroc, en dehors de la formation des imams et autres initiatives, pourrait impulser une nouvelle dynamique en s’appuyant sur ses excellentes relations avec les pays de la région pour porter le plaidoyer afin que la CEDEAO puisse disposer, enfin, d’une force d’imposition de la paix aux regard des multiples défis politico-sécuritaires dans la région tout en encourageant l’activation et le soutien international de la force africaine en attente… depuis maintenant, trop longtemps.
Pourquoi un webinaire régional sur « Jeunes et transitions politiques au Sahel et en Afrique de l’Ouest » au moment où les différentes expériences en cours commencent à interroger les observateurs comme les citoyens des pays respectifs qui traversent cette période décisive et cruciale pour l’avenir de leurs institutions et de manière générale, leur stabilité pour les années à venir ? Comment expliquer l’engouement des jeunes lors des différents coups d'État qui ont réussi dans la région et qui ont débouché sur de « nouvelles pathologies de la démocratie » – qu'elles prennent la forme d'interventions militaires contre le pouvoir civil ou de violations de la Constitution visant à permettre aux dirigeants sortants d'effectuer un mandat supplémentaire ?
Ces phénomènes récurrents méritent d’être analysés en prenant en compte les perceptions des jeunes qui, à l’origine, étaient aux avant-postes des luttes pour la démocratie et qu’on retrouve, aujourd’hui, en première ligne pour acclamer l’arrivée des militaires au pouvoir.
Deux questions centrales se posent avec acuité qui méritent une profonde et sérieuse réflexion : Que s’est-il réellement passé pour que s’impose cette nouvelle dynamique que l’on note aussi bien au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et dans une moindre mesure au Tchad ? En est-on arrivé à une panne du modèle démocratique qui n’aurait tenu ni la promesse du développement ni celle de la sécurité et encore moins celle d’un plein épanouissement d’une jeunesse en pleine « quête de sens et de chance » ?
Les jeunes en sont-ils à une approche « alternative » de la question démocratique parce que le multipartisme qui devait couronner le processus démocratique a, tout au plus, réveillé le spectre de l'ethnicisme et du régionalisme dans les différents pays de la région ? Comment en est-on arrivé à cette situation complexe où à un pluralisme démocratique sain et paisible tant rêvé s’est substitué l’esprit de « népotisme de clans », allumant le feu des crises et conflits intercommunautaires qui font toujours rage sur le continent sur fonds d’une insécurité devenue endémique ?
Aujourd'hui, ces conflits latents ou qui couvent dans nombre de nos pays sont ravivés par les effets du terrorisme et du radicalisme religieux au Sahel et en Afrique de l’Ouest alors que des régimes militaires sont venus sonner le glas de la réelle dynamique de démocratisation des dernières décennies malgré leurs insuffisances. Depuis quelques mois, des transitions politiques sont entamées dans un contexte de vives contestations, d’un vent inédit de « populisme » pour certains et même de surenchères nationalistes voire diplomatiques.
Pourtant, le rôle des jeunes dans cette période reste flou oscillant au gré des instrumentalisations politiques et des revendications souverainistes brandies par les gouvernements de transition comme une nouvelle demande sociale qui serait au cœur des priorités et dont ils seraient les nouveaux chantres légitimes voire incontournables.
Depuis le lancement, en octobre 2021, de l’initiative participative « la Parole aux Maliens » et l’étude de perception menée par Timbuktu Institute dans 10 régions du Mali, il manque une véritable mise à jour sur l’appréciation propre aux jeunes de la conduite des transitions politiques.
Mais, ces transitions ont-elles réussi à répondre, concrètement, aux attentes des jeunes ? Les gouvernements de transition respectifs ont-ils, comme promis à leur arrivée, suffisamment impliqué les jeunes dans la gestion des affaires publiques ? Les gouvernements respectifs et les nouvelles autorités ont-ils effectué un travail d’écoute et de recueil des attentes de cette frange qui constitue l’écrasante majorité de la population des différents pays en situation de transition politique ? Enfin, au-delà des manifestations et des diverses mobilisations politiques des jeunes, quelle est l’appréciation de cette catégorie d’acteurs de la conduite même des transitions en termes d’atteinte des objectifs, d’orientations et de prise en compte de la nécessaire consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit ?
C’est dans cette perspective que le bureau Mali du Timbuktu Institute qui conduit une veille sur ces différents pays à travers ses chercheurs et grâce aux outils technologiques de son Observatoire des réseaux sociaux, organise ce webinaire participatif à dimension régionale. Cet évènement animé par des chercheurs et acteurs de la société civile du Burkina Faso, de la Guinée, du Mali, du Sénégal et du Tchad entre dans le cadre du concept « Conversations citoyennes » développé par l’Institut et qui couvrira divers sujets de préoccupation dans les pays de la région avec un focus particulier sur les jeunes et leurs perceptions et visions de la démocratie, de l’Etat de droit, des avancées dans la conduite des transitions politiques mais aussi des rapports entre l’Afrique et le reste du monde.
Ce webinaire régional destiné, surtout, à faire entendre la voix de jeunes engagés, aux divers profils ainsi que leur appréciation de la situation verra la participation de : Maix Somé du Burkina Faso, économiste et analyste politique, Nathalie Sidibé du Mali, directrice de Data Tic Consulting, Open Data Activist, Joslain Djeria du Tchad, analyste politique spécialiste des questions de stabilisation, Sally Bilaly Sow de la Guinée, Coordonnateur de l’Association Villageois 2.0 et consultant en CivicTech et de Fanta Diallo du Sénégal, Activiste-féministe et bloggeuse engagée sur les questions de citoyenneté et de participation politique.
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Les élections électorales sont souvent un prétexte, pour la classe politique, de verser dans la violence. Des comportements qui n’honorent pas la démocratie sénégalaise. Pour mettre fin à ces pratiques, Timbuktu institute, en partenariat avec la fondation Konrad Adenauer, a procédé hier, à Mbour, au lancement national de la première session de dialogue sur l’engagement citoyen et la prévention de la violence politique. Après Mbour, ce projet compte aller dans d’autres régions du pays.
Par Alioune Badara CISS (Correspondant) – Les élections politiques sont, depuis un certain temps, considérées comme des moments d’anxiété à cause de la violence qui les émaille. Ainsi, en prélude aux élections législatives du 31 juillet 2022, Timbuktu institute, en partenariat avec la fondation allemande Konrad Adenauer, sensibilise les jeunes issus de différents partis politiques, de la Société civile et de la presse pour diagnostiquer la violence politique et l’engagement citoyen à la veille des élections législatives.
Selon Dr Bakary Samb, Directeur régional de Timbuktu institute, cette anticipation se fait par la mobilisation de divers acteurs. «Nous avons convié surtout les jeunes représentants des partis politiques présents au Sénégal, les leaders religieux, les acteurs de la presse, la Société civile et les Forces de sécurité et de défense, pour que nous voyions comment dans notre pays, nous pourrions faire des élections des moments apaisés», a déclaré Dr Samb.
Il souhaite que le Sénégal arrive à avoir cette maturité d’être une démocratie apaisée, en organisant des élections sans violence et transparentes. Mais pour en arriver à ce résultat, il rappelle les préalables : «Il faut deux types de responsabilités, d’abord celle des autorités publiques, de l’Etat, des partis au pouvoir, qui doivent assurer des élections inclusives et transparentes, démocratiques et crédibles. Mais aussi celle de l’opposition, qui doit jouer son rôle de veille, mais également assumer toute sa responsabilité de composante qui doit contribuer à la démocratie, mais aussi à la consolidation de nos acquis», a énuméré le Directeur régional de Timbuktu institute.
Malgré ces pistes pour sortir de cette spirale de violence notée depuis un certain temps dans l’espace politique, Dr Bakary Samb reconnaît que la nature de la violence politique a changé : «Cette violence continue à être une réalité. Nous avons vu maintenant des modes d’engagement politique et des modes d’engagement citoyen qui ne reflètent pas l’esprit démocratique, dans le sens où, traditionnellement, les partis politiques donnaient une certaine importance à la formation dans les écoles de partis, à la culture de l’esprit citoyen et celle du débat démocratique. Mais aujourd’hui, avec la démocratisation de l’accès à l’outil numérique, on assiste à la manifestation d’un nouveau type de violence, qui peut détruire des familles et des réputations. Cela n’honore pas notre démocratie.»
Il a donc invité tous les acteurs à matérialiser cette démocratie par la participation active de tous dans leur rôle de régulation.
Interpellé sur le pouvoir qui ne respecterait pas les règles du jeu démocratique en voulant instaurer le parrainage malgré l’arrêté de la Cedeao, le spécialiste des questions politiques pense que les ressorts de cette violence politique sont à chercher dans «l’absence de transparence dans le processus électoral, l’absence d’exclusivité par des mesures qui peuvent être des obstacles à la pleine participation, et une participation inclusive de toutes les sensibilités. Il y a également l’attitude sélective que nous avons par rapport aux décisions de la Cedeao, lorsque ces dispositifs arrangent et lorsqu’elles dérangent. La crédibilité d’un système démocratique voudrait qu’on ait la même attitude sur le respect de la loi, sur la transparence, sur les principes démocratiques, y compris tous les instruments nationaux comme régionaux, tel que l’arrêté de la Cedeao».
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La Moyenne-vallée du fleuve Sénégal n’échappe pas aux nouvelles dynamiques socio-religieuses qui traversent les sociétés sahéliennes. Avec la montée en puissance de nouveaux courants religieux en plus de divers signaux faibles, la région semble évoluer au rythme des mêmes tendances qui interrogent. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’étude du Timbuktu Institute en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer intitulée “Crise sahélienne et nouvelles dynamiques socioreligieuses dans la Moyenne-vallée du fleuve Sénégal”. Cette recherche vise à appréhender ces dynamiques d’une part et d’autre part, mesurer les perceptions des populations locales sur l’évolution socioreligieuse marquée par une crise politico-sécuritaire dans cette partie du Sénégal.
Pourtant, berceau des premières confréries - Tijaniyya et Qadiriyya - du pays, la moyenne-vallée est confrontée depuis quelques temps à la percée de nouveaux courants religieux qui ont commencé à gagner du terrain dans d’autres pays sahéliens. Cette étude s’est construite autour de quatre thématiques. D’abord, elle s’est intéressée aux différents canaux par lesquels les populations de la Moyenne-Vallée s’informent. Ensuite, l’analyse des vulnérabilités socioéconomiques ont pris une place de choix dans cette étude, si on sait qu’elles forment avec l’exclusion sociale la sève nourricière de l’extrémisme violent.
En outre, le Sahel est en pleine effervescence depuis la crise libyenne et les conséquences engendrées par l’incursion ou le réveil de la violence, la montée du radicalisme religieux, la circulation d’armes légères, la prolifération de groupes armés non-étatiques et les massacres communautaires entre autres instrumentalisation de la religion à des fins d’activités répréhensives.
Les dynamiques socioreligieuses dans un contexte régional en mutation ne pouvaient pas être ignorées dans ce travail de terrain. Enfin, le dernier volet de cette étude porte sur les défis sécuritaires en zone frontalière en l'occurrence à Matam et à Tambacounda. La crainte de la contagion djihadiste a conduit à la riposte des autorités étatiques et les efforts focalisés sur la zone de Kédougou.
Les résultats de cette étude seront présentés le mardi 12 avril 2022 à la Maison de la presse sise sur la Corniche Ouest de Dakar. L’objectif de cette cérémonie, outre la présentation des grandes tendances de l’étude, est de recueillir des points de vue de personnalités avisées sur la question afin d’exposer au public une analyse holistique de la question des dynamiques socio-religieuses.
Par Babacar Diop, Stagiaire de recherche- Timbuktu Institute
Par Yague Samb, Directrice Bureau de Dakar- Timbuktu Institute
La question lancinante du terrorisme, notamment son traitement médiatique, fait parfois reléguer au second plan les autres formes de crises qui sévissent en Afrique. C’est le cas du phénomène transnational des conflits entre pasteurs (nomades) et agriculteurs relativement sédentaires. Du Centre du Mali, au Sahel burkinabé jusqu’au Bassin du Lac Tchad, les tensions se multiplient entre ces groupes socioprofessionnels avec leur lot de conséquences économiques, sociales, sans compter leur impact sur la spirale de violence qui affecte la région.
Le constat est que la majorité des conflits opposant ces groupes, en dehors de l’instrumentalisation par certains groupes armés, renferme une dimension agro-sylvo-pastorale et concerne très souvent le foncier. Autrement dit, c’est généralement autour du contrôle des ressources que naissent ces types de tensions dont les acteurs du monde extérieur ne saisissent pas nécessairement tous les contours. Ce qui soulève un élément important dans la compréhension de cette situation à savoir la gouvernance des ressources.
Du fait que les communautés en conflit appartiennent, à des religions différentes mais aussi à des groupes ethniques toutes aussi différentes, des amalgames et stigmatisations peuvent surgir et compromettre la paix sociale. Les massacres que certaines communautés subissent, témoignent de la complexité de la situation et appellent à une réflexion poussée et pluridisciplinaire.
Dans ce contexte et suite à une étude menée au Burkina Faso sur « Pastoralisme et conflits fonciers au Burkina Faso » par la GIZ, le Timbuktu Institute, en partenariat avec cette dernière, organise le mardi 12 avril 2022 à partir de 15h30 une réunion virtuelle sur le pastoralisme et les conflits fonciers entre agriculteurs et éleveurs au Burkina Faso.
Cette rencontre à visée régionale invite autour de la question des experts du Burkina Faso, du Mali et du Tchad afin de diversifier les angles de traitement et voir les possibilités de dégager des ponts et des espaces de convergence au-delà des frontières et des cloisons disciplinaires.
Le webinaire sera l’occasion de présenter les résultats de l’étude, de débattre de la diversité des conflits fonciers, des modes et pistes de prévention et de gestion des conflits mais aussi d’identifier les canaux et outils de communication novateurs de résolution desdits conflits.
In fine, cette rencontre se veut un cadre de dialogue et de partage d’expériences et de bonnes pratiques où émergeront des pistes de solutions afin que pasteurs et éleveurs vivent en parfaite symbiose et respectueux de la propriété de l’autre.
Par Yague Samb, Directrice du bureau de Dakar et coordinatrice des programmes régionaux du Timbuktu Institute
Le Directeur régional du Timbuktu Institute, Dr. Bakary Sambe, a pris part au Colloque international de Lomé, les 5 et 6 mars 2022, sur « les transitions politiques et lutte contre l’extrémisme violent en Afrique », il a servi de cadre de réflexion sur la situation socio-politique en Afrique subsaharienne. Il était invité parmi d’autres experts de la région par le Ministre des Affaires Étrangères du Togo, S.E.M Robert Dussey. Il revient ici, lors d’une interview de la chaîne marocaine Medi1TV sur la portée d’une telle initiative qu’il salue et qui selon lui s’inscrit dans le cadre d’une diplomatie préventive
Bakary Sambe, vous êtes le directeur régional du Timbuktu Institute et parmi les experts invités par le Ministère togolais des affaires étrangères la semaine dernière à prendre part au Colloque international sur la gestion des transitions politiques et le renforcement de la résilience face aux extrémismes. Quelle est la portée d'une telle initiative dans le contexte sous régional actuel ?
L’initiative à laquelle Timbuktu Institute a été associée, par le ministères des affaires étrangères, s’inscrit dans le cadre de la Stratégie sous-régionale et interrégionale du Togo de lutte contre le terrorisme et de préservation de la paix au Sahel. Vous savez au moment où on assiste à des transitions politiques difficiles dans la région en plus du contexte d’insécurité dans un espace structurellement sous menace, cette initiative du Togo de solliciter le parrainage des Nations Unies pour une conférence nourrie en amont de réflexions endogènes et de l’expertise africaine est, à mon sens, un jalon important dans la consolidation d’une prospective africaine sur les questions qui, en premier lieu, concernent d’abord et avant tout, notre continent
Dans une récente interview avec nos confrères togolais voud parliez d'une réelle vision prospective de la diplomatie togolais. En quoi cette vision pourrait être constructive pour une bonne conduite des transitions politiques dans la sous-région?
Une telle vision pose les bases et les conditions permettant de réfléchir sur les réformes possibles des mandats et actions des opérations de maintien de la paix ou de lutte contre le terrorisme pour mieux les adapter aux besoins réels de nos populations et aux défis sécuritaires de la région en proie à de nombreuses instabilités. Aujourd’hui cette vision basée sur la prospective et l’implication des experts africains donne une nouvelle opportunité de définir des actions pouvant apaiser et impacter positivement la vie des populations et des communautés locales des pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Je pense que ce sera le début d’une synergie inédite des partenaires africains et internationaux autour de la grande préoccupation actuelle qui est de garantir la sécurité durable dans notre région.
D'après Robert Dussey Ministre des Affaires étrangères du Togo ce colloque était une phase préparatoire de la conférence internationale de Lomé en avril prochain. Que peut-on attendre d'une telle rencontre?
Cette prochaine conférence dans laquelle le Togo cherche à associer les Nations unies et les partenaires internationaux sera d’un grand apport pour deux raisons : premièrement elle permettra d’examiner, ensemble et de manière sereine et constructive les tendances et développements dans notre région rudement affectée par l’extrémisme violent et le terrorisme.
Deuxièmement, cette conférence pourra être une avancée significative si elle arrive à dégager des pistes sérieuses et concertées pour contenir la dissémination de la menace terroriste et à mobiliser davantage tous les acteurs pertinents dans ce sens.
Mais, à vrai dire, le défi majeur à relever reste celui de la volonté politique des chefs d’Etats pour opérationnaliser ces réflexions et ces stratégies. Comme j’ai eu à le réitérer lors de ce colloque, au regard de la situation actuelle, le temps est à l’action et il est vraiment urgent d’agir.
Source : Medi1TV
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Par Dr. Bakary Sambe, Directeur Régional de Timbuktu Institute
La parution du premier ouvrage du Colonel des douanes sénégalaises, Amadou Tidiane Cissé sur Terrorisme, la fin des frontières ? avait été largement saluée dans la communauté des experts en sécurité comme une réponse cruciale à une question que posait déjà, un certain Bruno Domingo au moment de la mise en place de l’espace Schengen avec ses implications sécuritaires et stratégiques. En mars 2007, dans la revue Politique Européenne cet éminent chercheur déplorait que la douane, restât encore « un instrument oublié dans la mise en œuvre d'un espace de liberté, de sécurité ».
Fin des frontières » et du « confinement disciplinaire »
Au-delà des analyses, à travers un ouvrage fouillé et documenté sur le terrorisme, l’un des mérites d’Amadou Tidiane Cissé a été d’avoir l’audace salutaire d’une prise de parole douanière légitime sur un sujet qui combine dimensions sécuritaires et enjeux de contrôle et de maîtrise des espaces. L’exercice auquel ce Colonel des Douanes s’est prêté s’avéra concluant dans le sens d’une analyse prenant en compte des aspects jusqu’ici négligés mais surtout qui ouvrit de larges perspectives inattendues. Le confinement disciplinaire, les idées reçues sur un corps comme la douane perçue assez lointain des questions sécuritaires avaient fait leur œuvre au point que le travail d’Amadou Tidiane Cissé eut l’effet d’une libération des paradigmes et des angles d’analyse.
C’est, certainement, dans ce même ordre d’idées que l’auteur de La fin des frontières prit le goût d’ouvrir de nouveaux horizons dans la réflexion globale sur la sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest côtière. Par ce nouvel ouvrage, Amadou Tidiane Cissé semble avoir bien saisi l’impertinence des cloisons disciplinaires et des prétendues étanchéités des espaces comme de la circonscription des menaces de plus en plus hybrides profitant de ce que j’ai toujours appelé le débordement incessant des épicentres de la violence et des criminalités, par essence transfrontalières.
Archéologie des phénomènes et interrogations l’avenir
Avec ce livre sur Les Etats offshore à l’épreuve du pétro-terrorisme, (Harmattan, 2022), Amadou Tidiane Cissé s’accorde le défi d’analyser, comme l’indique le sous-titre, les Enjeux géopolitiques des découvertes pétrolières et gazières et défis sécuritaires dans le golfe de Guinée.
Fidèle à sa démarche d’archéologie des phénomènes qu’il place d’abord dans leur dimension historique tout en faisant l’état des lieux, l’auteur nous entretient, dès les premières parties de l’ouvrage aussi bien de l’histoire du pétrole, des réserves mondiales et d’une analyse du positionnement des majors du pétrole. Mais avec l’œil du douanier averti du lien structurel entre les espaces et la pratique des acteurs qui s’y déploient, selon les enjeux et les contraintes, Amadou Tidiane Cissé brosse une analyse critique de l’importance stratégique des routes maritimes du pétrole et du gaz. Il attire surtout l’attention sur la forte capacité d’adaptation des acteurs de la criminalité.
Perçue par les uns comme une « bénédiction », vue par les autres sous l’angle d’une « malédiction », la découverte du pétrole a été largement analysée dans cet ouvrage renseigné et pédagogique à travers les différents prismes mais aussi les espoirs qu’elle soulève, les inquiétudes et risques qu’elle fait planer sur les Etats offshore au cœur de ce livre.
Un ouvrage fruit d’une immersion dans la pratique
L’auteur, Colonel des douanes de son état, semble tellement rompu aux techniques d’enquêtes douanières que dans le cadre de cet ouvrage, même s’il ne s’agit pas d’une « infiltration » comme dans le jargon de son métier, son immersion au cœur des réalités géopolitiques de la région lui a permis de documenter le lien entre criminalités diverses et surtout le continuum des insécurités induit par l’entrée dans l’ère offshore des pays côtiers.
S’appropriant les outils d’analyse nécessaires pour appréhender la lancinante question de la piraterie maritime et les risques qu’elle fait planer sur l’industrie pétrolière, Amadou Tidiane Cissé réussit la prouesse démonstrative d’établir, sans peine ni contorsion, le lien, pourtant ancien, entre le terrorisme international et la pression sécuritaire autour des installations pétrolière. Sa vaste culture historique contemporaine renforcée par une observation continue des récents développements dans la région sahélienne ressort de son recours aux exemples parlants illustrant la réalité d’un pétro-terrorisme depuis l’attaque retentissante d’In Amenas qui ouvrit les yeux sur une menace persistante. Ainsi, dans un style simple et accessible, l’auteur nous promène sur l’itinéraire qui conduit, aujourd’hui, à l’inquiétude des observateurs comme des gouvernants par rapport aux importants risques liés à l’exploitation prochaines des hydrocarbures dans les pays côtiers.
Pétrole, pesanteurs sécuritaires et risques émergents
Du delta du Niger au Golfe du Guinée qu’une certaine analyse avait pendant longtemps, par erreur d’appréciation, déconnectés de l’espace du Sahel central, Amadou Tidiane Cissé fait le point sur les pesanteurs sécuritaires mais aussi les risques émergents liés à la connexion désormais réelle entre terrorisme et criminalités inhérentes au basculement offshore et à l’économie maritime. L’analyse de Cissé nous édifie davantage que les côtes bordant l’Atlantique ne sont pas des espaces d’exception isolés mais des pans entiers de ce que j’ai eu à qualifier, par moments, de « nouveaux territoires insoupçonnés du terrorisme ».
Avec ce nouvel ouvrage, les travaux d’Amadou Tidiane Cissé renforcent et font un vrai plaidoyer pour un meilleur positionnement de la douane dans cette lutte contre le phénomène multidimensionnel du terrorisme. Mais en réalité, l’auteur ne fait qu’une démonstration pédagogique d’un rôle évident mais parfois occulté par les approches sectorielles qui pêchent par défaut de vision globale des phénomènes et de leurs manifestations. Pourtant, suite à l’adoption de la Résolution de Punta Cana en décembre 2015 et la 23è conférence des directeurs généraux des douanes de la région Afrique Occidentale et Centrale (AOC) en avril 2018 à Conakry, l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) avait lancé son nouveau projet qui insistait, déjà, sur le rôle de la douane dans le contexte de la sécurité, notamment le « mouvement licite des produits chimiques et autres composants les plus courants qui pourraient être utilisés pour fabriquer des engins explosifs ».
Plusieurs expériences de l’histoire contemporaine ont largement montré la manière dont les installations pétrolières accentuaient le risques d’attaques en tant que cibles hautement stratégiques pour les terroristes surtout si l’on prend en compte les opportunités de nuisance inédites qu’offre l’accès à la mer et au trafic maritime comme accélérateur de circulation de tels produits et de leurs dérivés.
Pétro-terrorisme : entre travers de l’exploitation pétrolière et conflictualités émergentes
De plus, foncièrement inscrit dans une vision de sécurité humaine qui va au-delà des approches classiques, réductrices et fragmentaires, Amadou Tidiane Cissé arrive, avec méthode, à mettre en évidence une chaîne des risques avec des maillons que l’on avait l’habitude de différencier. En s’arrêtant sur le cas du Delta du Niger, à travers les pages édifiantes qu’il consacre au lien entre les conflits intercommunautaires et les enjeux liés à l’exploitation des ressources pétrolières, Cissé rappelle l’impérieuse nécessité d’une approche intégrée au regard des interdépendances et de l’imbrication entre les facteurs internes et externes des potentiels conflits et facteurs d’instabilité liés à l’exploitation des hydrocarbures.
D’ailleurs, son intérêt particulier, à la fin de l’ouvrage sur les rivalités entre les puissances régionales et internationales illustre davantage cette approche qui fait de cet ouvrage un nid de questionnements quant aux enjeux présents et futurs de l’exploitation des hydrocarbures dans un contexte de fortes rivalités régionales et internationales.
Pétro-terrorisme à l’heure des rivalités internationales
A l’heure du « glocal », la pertinence d’une telle démarche ayant parfaitement intégré la notion de « linkage » sur l’inséparabilité entre « les affaires du dedans et du dehors » fait qu’Amadou Tidiane Cissé persiste dans l’ouverture de nouveaux horizons connectant pratique de terrain, conceptualisation et élaboration des politiques publiques.
Mais, bien au-delà de toutes ces contingences, ce livre, paru en pleines turbulences au niveau international avec la guerre opposant la Russie à l’Ukraine et les velléités vis-à-vis des pays de l’OTAN, sonne comme une nouvelle alerte sur les incertitudes liées à la montée du péril terroriste combinée aux enjeux qui dépassent même les Etats côtiers et offshore.
Considérés comme « variables d’ajustement » pour certaines puissances occidentales, potentiellement perçus par la Russie sous l’angle d’acteurs pouvant, bientôt, atténuer sa force de pression gazière sur l’Europe, les Etats côtiers d’Afrique de l’Ouest vivent déjà un moment critique et décisif qui a besoin de toutes les prospectives. C’est en cela, parmi d’autres raisons liées à l’actualité du lien entre terrorisme et exploitation pétrolière dans les pays du Golfe de Guinée, que le présent ouvrage d’Amadou Tidiane Cissé constitue une précieuse contribution d’un auteur de terrain et homme de pratique à une meilleure conceptualisation d’une nouvelle réalité débordant largement les paradigmes actuels et en quête d’autres explorations.
Lomé, le 4 mars 2022
Par Dr. Bakary Sambe[1], Directeur Régional du Timbuktu Institute
Le discours prononcé vendredi (25/02/2022), par le Président Mohamed Bazoum face aux cadres nigériens, ouvre de nouvelles perspectives en termes d’approches alternatives pour la sortie de crise au Sahel. On peut constater que les pistes qui se dégagent à partir des initiatives prises et révélées par le Président nigérien s’inscrivent non seulement dans la continuité de ses efforts en tant que Ministre de l’Intérieur et entrepris jusqu’ici mais renseignent sur son approche holistique et inclusive en fin connaisseur de la problématique.
Pari de la transparence ou stratégie du « faire-savoir » ?
Lorsqu’un jeune nigérien engagé dans un groupe terroriste n’a que deux choix soit la mort sous les bombardements de l’armée ou la prison et la répression à la sortie, il y a de fortes chances qu’il plonge encore plus dans la radicalisation durable en s’enlisant dans une guerre interminable contre sa propre communauté. Le discours du président nigérien sous-tendu par une bonne connaissance du dossier sécuritaire, une certaine conscience des défis et une apparente volonté de les relever est une amorce crédible du travail de communication nécessaire pour sortir de ce que j’appelle souvent, le "conflit de perception du conflit sahélien" avec ses malentendus et confusions entretenus. Au temps des mobilisations citoyennes où les sociétés civiles se sont imposées dans le débat sécuritaire, le "faire-savoir" est souvent un complément indispensable du faire et du savoir-faire.
Ces dernières années, malgré les attaques auxquelles le Niger devait faire face sur les deux fronts de la région de Tillabéri et de Diffa, la résilience nigérienne à laquelle l’actuel Président a beaucoup contribué en tant que Ministre de l’Intérieur s’est construite dans l’expérimentation de de diverses solutions. Malgré l’accalmie dont parle le Président nigérien, il est vrai que les tueries massives et les drames comme In-Atès restent des souvenirs encore vivaces. Toutefois, rappelons que dès 2014, le Niger décida de riposter militairement contre Boko Haram en s’alliant aux pays du Bassin du Lac Tchad autour de la Force Multinationale Mixte (FMM) soutenue par des acteurs de la communauté internationale comme la France, les Etats Unis et l’Union africaine.
Au-delà de la répression : des efforts de réintégration
Suite à l’afflux important de personnes fuyant les exactions du groupe extrémiste violent, à la première attaque de Boko Haram sur le sol nigérien en 2015 en plus de la récurrence d’attaques de villages ou de casernes de l’armée, sans oublier les attentats-suicides - l’Etat nigérien se lança dans une vaste offensive. Cette dernière prit diverses formes alliant riposte militaire, mesures d’urgence avec leurs limites et stratégies d’assèchement des sources de financement des groupes terroristes. Déjà, à la date du 17 février 2017, plus de 1200 personnes étaient en détention pour faits de terrorisme. L’Etat nigérien a même recouru à la délocalisation des procès et audiences prenant en compte la gestion des traumatismes des victimes du terrorisme dès en juillet 2018. On peut penser que l’actuel Président Bazoum avait déjà compris que la bataille contre Boko Haram ne pouait connaitre un succès tant qu’elle était axée sur une approche strictement sécuritaire.
Du coup, parallèlement à la répression, un mécanisme de justice transitionnelle visant la réintégration des anciens engagés de Boko Haram a été envisagé dès après la sanglante attaque de Bosso en juin 2016. C’est là qu’alors Ministre de l’intérieur, Mohamed Bazoum avait lancé sa stratégie dite de la "main tendue". Par l’arrêté du 13 décembre 2016 portant création et fonctionnement d’un comité chargé de la gestion des activistes repentis de Boko Haram, il travailla à ce que le processus de réintégration des repentis soit lancé. L’article 2 de cet arrêté disposait : "le comité est chargé de réfléchir sur les modalités de sensibilisation, d’accueil et de réinsertion des activistes repentis de Boko Haram".
Le vrai sens du discours prononcé devant les cadres nigériens ne peut être pleinement saisi sans le rappel de l’action menée par le Président de la République dans le cadre de la stratégie de la "main tendue" qu’il avait déjà prônée et qui constituait une offre crédible destinée aux citoyens nigériens engagés dans les groupes extrémistes et qui désiraient de réintégrer la société en déposant les armes en échange d’une amnistie. Cette nouvelle stratégie lancée en décembre 2016 avait connu un relatif succès chez les jeunes nigériens se trouvant dans les rangs de Boko Haram et animés par une peur de lourdes sanctions pénales. C’est à la suite d’une telle initiative que vit le jour le centre permanent de dé-radicalisation de Goudoumaria, à l’Ouest de Diffa, où les repentis subirent une "cure de dé-radicalisation" grâce à l’intervention de spécialistes en plus des imams et bénéficièrent d’une formation professionnelle. Cette nouvelle approche partait du postulat que les jeunes se radicalisent généralement par manque d’opportunités socioéconomiques et venait nuancer l’approche du tout-sécuritaire ou celle de l’analyse mono-causale s’arrêtant sur la seule dimension idéologique qui, bien qu’importante à considérer, ne peut épuiser la compréhension de l’engagement terroriste.
Une approche communautaire désormais assumée ?
Dans sa longue allocution de ce week-end, le Président nigérien évoque publiquement ses démarches auprès des jeunes nigériens et des chefs terroristes identifiés avec qui il a établi un dialogue sincère pour les ramener dans la société. La démarche qu’il décrit rappelle l’approche holistique impliquant tous les segments de la société comme les leaders religieux, la famille, les chefs communautaires en concertation avec les forces de défense et de sécurité.
En analysant cette démarche politiquement assumée lors de son discours, on peut noter qu’elle adopte l’approche communautaire en s’adressant directement aux acteurs pertinents. Elle prend en compte la complexité du phénomène et la nécessité de varier les solutions au-delà de la seule intervention militaire. En effet, la démarche ainsi préconisée par le Président Bazoum semble s’accorder avec diverses recommandations stratégiques de la communauté des experts. Ces derniers, malgré leurs divergences analytiques, s’accordent, principalement, sur l’identification des niches de radicalisation dans les différents foyers de la violence extrémiste au Sahel et dans le Bassin du lac Tchad. Il est communément admis que le terreau de la radicalisation est fait de la combinaison de trois facteurs déterminants : une faible capacité d’inclusion sociopolitique de l’Etat, les vulnérabilités socioéconomiques en tant que facteurs incitatifs se nourrissant des griefs poussant à la frustration et, enfin, la capacité des groupes extrémistes à intégrer tous ces éléments dans un narratif politico-idéologique en tant que facteur attractif vers l’engagement terroriste.
En voulant convaincre de sa détermination à ramener la sécurité dans les régions nigériennes affectées par le fléau de la violence terroriste, le Président semble révéler les démarches entreprises au niveau local en ciblant les communautés les plus exposées aux vulnérabilités que tentent d’instrumentaliser des groupes comme l’Etat islamique au Grand Sahara dans le Liptako Gourma.
Vers l’inéluctable approche holistique au-delà du sécuritaire ?
Les experts les plus avisés de la lutte contre l’extrémisme violent savent que ce procédé au-delà du contre-terrorisme classique est emprunté à l’approche dite « santé publique » et passe par les quatre phases connues à savoir : la prévention, l’intervention, l’interdiction et la réintégration sachant que la première et la dernière peuvent, parfois, se dérouler de manière concomitante. D’ailleurs, la prévention primaire avec la méthode du ciblage large n’exclut pas des mesures apaisantes de réintégration pour mitiger le tout répressif si l’on sait que les phases de prévention dites secondaire et tertiaire sont parfois plus périlleuses et incertaines.
Cette approche rappelant bien des aspects du discours du Président Bazoum lors du Forum International de Dakar sur la paix et la sécurité semble s’inscrire, comme il l’a dit, dans la "recherche de la paix" en considérant les spécificités et dynamiques locales parfois plus déterminantes que beaucoup d’autres considérations d’ordre principiel. Elle reconnaît en outre la dignité de solution aux initiatives endogènes, dans une parfaite conscience d’arrimer la coopération internationale sur les efforts régionaux, coordonnées avec une nécessaire implication des communautés locales.
A l’heure de la désinformation et de l’emprise des réseaux sociaux sur les opinions nationales et régionales, cette mise au point fortement applaudie tout au long du discours sonne, en soi, comme un nouveau style dans le traitement des questions sécuritaires qui ne sont plus l’apanage des seuls acteurs sécuritaires mais une véritable problématique dont se sont désormais approprié la société civile et le débat public.
Cet important jalon posé à travers le discours par le Président nigérien, en plus d’une communication mettant en avant la transparence auprès des opinions nationales parfois désorientées par le fléau de la désinformation massive, dessine déjà les contours d’une nouvelle stratégie à explorer et qui devrait inspirer les pays de la sous-région et leurs partenaires internationaux.
[1] Dr. Bakary Sambe, Fondateur et Directeur de Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies (Bamako, Dakar, Niamey) et de l’Observatoire des Radicalismes et Conflits Religieux en Afrique (ORCRA).
Expert international ayant accompagné l’élaboration de plusieurs stratégies de prévention de l’extrémisme violent en Afrique et dans le monde et conçu la CELLRAD, cellule de lutte contre la radicalisation du G5 Sahel en appui aux Nations Unies.
Par Hervé Briand
Analyste Sahel, Associé au Timbuktu Institute
La France dispose de l'une des meilleures armées du monde. Et il convient en premier lieu de rendre hommage aux 53 militaires français morts au Sahel dans la lutte antiterroriste et qui ont obtenu des résultats remarquables.
Mais force est de constater que si l'opération militaire française "Serval", réclamée par les autorités maliennes en janvier 2013, a été perçue comme une "armée salvatrice", l'opération militaire française "Barkhane" qui a succédé semble avoir trop duré, et ce, sous sa forme actuelle... En effet, au fil du temps, "Barkhane" semble, malheureusement, été perçue par une partie non négligeable de la population malienne comme une "armée d'occupation".
L'erreur serait ainsi de ne pas avoir transformé structurellement, dès 2018, "Barkhane" en une nouvelle 3ème opération militaire française, beaucoup plus discrète et axée exclusivement sur un "appui stratégique, technique/logistique et de renseignement militaire" au service des forces armées maliennes.
Le changement effectif du nom même de "Barkhane" concernant cette nouvelle phase de la coopération militaire française au Mali devenait alors également impérieux.
Le nouvel enjeu immédiat devient donc pour la France la "sécurisation" des convois militaires de rapatriement (matériels, soldats...) via le Mali, le Niger, la Côte d'Ivoire, voire le Burkina Faso ou le Bénin... Ces convois risquent en effet de représenter une cible, surtout médiatique, pour d'éventuels djihadistes, mais aussi des propagandistes "anti-français".
Le second enjeu est de contrer ou d'échapper aux propagandes "anti-françaises" factuelles ou virtuelles (réseaux sociaux) au Sahel en général...
Ainsi, la France doit revoir urgemment sa communication externe, non seulement vis à vis des autorités sahélo-sahariennes (Niger, Mali, Burkina Faso), mais plus généralement vis à vis de l'ensemble des populations locales ouest-africaines (Togo, golfe de Guinée, Sénégal...).
La forme (communication), encore plus que le fond, ne va pas : c'est de la perception par les populations sahélo-sahariennes des décisions françaises dont il faut aussi tenir compte !!
Déjà, il y a plus d'un an, le fait de "convoquer" cinq Chefs d'État du Sahel à Pau ou Montpellier a été très mal perçu par les populations africaines concernées :
En effet, "convoquer" dans une ville de province française (moins connue en Afrique) plutôt que de les "inviter" à Paris et/ou l'Élysée, leurs "tontons", comme disent respectueusement les initiés en évoquant leurs Présidents (ou tout autre "sachant" souvent plus âgé...), a été perçu, notamment par les jeunes acteurs africains, comme une arrogance, voire un mépris inexcusable de la part d'un jeune président français.
Cette situation de fait avait déjà engendré de nombreux commentaires défavorables et parfois même violents à l'encontre de la France et non propices à un partenariat "équitable", à une synergie d'actions, de confiance réciproque et de respect mutuel entre l'État français et les populations du Sahel...
Au Mali, la France semble surtout avoir été "battue" par les officines Russes de propagande.
Après la guerre classique, tactique, asymétrique, hybride, et les cyber-attaques, c'est aujourd'hui la "cyber-propagande" (via les réseaux sociaux...) qui semble devenir le fer de lance de cette nouvelle forme de guerre d'influence et de manipulation, notamment en Afrique...
Aussi, la communication des autorités françaises et nigériennes sur le "recentrage" de Barkhane au Niger sera primordiale au regard de la perception par la société civile et les populations locales de ce nouveau redéploiement militaire français au Sahel, et au Niger en particulier.
Il peut être à craindre malheureusement demain que "trop de convois, trop de présence de militaires occidentaux" finissent, là encore, par susciter au sein d'une partie de la population locale des sentiments "anti-occidentaux/impérialistes", par générer des troubles et "importer" des problèmes sécuritaires nouveaux, notamment au Niger...
En effet, les mêmes causes induisent les mêmes conséquences !
C'est donc contre ce sentiment "anti-occidental/français" (en dépit des propagandes russes ou autres.. ) qu'il conviendrait aussi de combattre dès aujourd'hui, notamment auprès des jeunes africains de la société civile.
C'est un phénomène malheureusement classique...
À moyen terme, après les sentiments de libération au Mali (pareillement en Afghanistan...), et de soutien au Niger, les armées occidentales prennent le risque d'être toujours appréhendées injustement au fil du temps comme des "armées d'occupation" : le peuple est enthousiaste quand elles arrivent (pour l'aider), mais il n'aime pas quand elles "s'installent" trop longtemps...
Il est très clair, qu'à l'heure des réseaux sociaux, très largement relayés au sein des populations sahélo-sahariennes et surtout parmi la jeunesse ouest-africaine, la communication des États en présence, et notamment la France, est primordiale !
Ainsi, la perception par les populations locales de l'image de la France, de ses actions et/ou de ses partenariats est cruciale, souvent ingrate (et parfois différente de la réalité...), mais doit absolument être prise en compte, notamment via les nouveaux réseaux de communication populaires, et ce, afin de ne pas répéter les erreurs du passé...
L'important n'est pas seulement ce que vos amis pensent de vous... Mais c'est surtout ce que vos ennemis disent sur vous !
Voir aussi :
Bakary Sambe, Perceptions locales des coopérations sécuritaires aux Sahel
By Bakary SAMBE Phd, Regional Director of the Timbuktu Institute
In the Sahel, the various counter-terrorism strategies have so far failed to contain a phenomenon which, instead of receding, continues to threaten the entire region. Since the beginning of this fight, the military and security approach had been favored in view of the security emergencies that had surprised the bewildered states. One of the main errors of assessment on the part of the Sahelian states was that for a long time they had remained in a position of considering terrorism as a "distant", exogenous phenomenon, whereas it was gradually becoming a very real scourge with increasingly local manifestations. As soon as the Maghreb countries were affected in the 1990s, it was to be expected that the threat would extend to the Sahel countries. But a certain dominant geopolitics had conceived the Sahara Desert as an impassable barrier, whereas it has always been a zone of infinite interactions and circulation of people and goods, but also of conflicts and sources of violence. Thus, the Sahelian countries, caught unawares, first tested their individual response capacities, which proved to be so weak that they quickly resorted to the Nouakchott process and the establishment of the G5 Sahel. Despite the obvious transnationality of the phenomenon of violent extremism as well as the threats, there has been a late recognition of the importance of joint strategies. Moreover, it seems paradoxically that terrorist groups in the region are more capable of synergy than the states of the region and their international partners. These groups have been able to exploit the phenomenon of transnationality and territorial continuum better than states that have long remained on the pattern of classical warfare when it was more important to deal with asymmetry.
From epicenter spillovers to continuums of insecurity
The increasingly hybrid nature of the threat, aggravated by the outbreak of communal conflicts, has even pushed the states of the region to resort to self-defense groups to compensate for the failings of security governance and the shortcomings of national armies that are poorly equipped and unprepared, like those in the rest of the world, for unprecedented forms of insurrection, mobilizing socio-political and even identity-based demands.
In this context, which will be marked by the overflow of epicenters where the phenomenon is becoming increasingly difficult to contain, the shift in theaters of operation as strategic redeployment zones makes certain countries privileged strategic targets. Burkina Faso is part of this context, seen by terrorist groups as the last lock to be broken in order to start an easier advance towards coastal Africa. The countries bordering it are already feeling the effects of such an overflow. States such as Benin, Togo and even Ghana are already aware of the growing scale of terrorism that has already crossed their borders.
Even if the threat of mass radicalisation at the local level is limited for the time being, terrorist recruitment is on the increase with young Ghanaians having joined Daech as early as 2015. Recent armed conflicts in the region (Sierra Leone, Liberia) facilitate the circulation of arms in a context of porous borders and arsenals still intact in the hands of groups and gangs that have never been so mobile. More than 80 uncontrolled incursion points along the borders of Togo, Burkina Faso and Côte d'Ivoire from Ghana, make the access of terrorist groups to the sea a compelling reality today. Incidents of kidnapping of foreigners in 2019, in addition to the recurrence of arrests of armed individuals on Togolese territory from Burkina Faso, coincide with the dismantling of terrorist cells in that country. The connection between terrorist and criminal networks from the Sahelian corridors with the South American cartels raises the risk of increased insecurity.
End of denial and gradual and collective awareness
The authorities in Benin, Ghana and Togo have begun efforts to share capacity and exchange best practices despite the different levels of strategy development underway in each country. Indeed, although they are at different levels in the national strategy development process, the three countries share similar vulnerabilities and security concerns that justify a regional approach.
In a process covering Benin, Ghana and Togo, the regional implementation plan of an ongoing joint project attempts to include, in addition to entities from different states, Civil Society Organizations (CSOs), women, youth and religious organizations. It should be recalled that this inclusive process was approved in 2019 under the aegis of the UNDP's regional programme for the prevention of violent extremism. The latter aims, together with its country offices, to provide the three countries with the necessary resources and expertise to initiate and develop national action plans for the prevention of violent extremism.
Indeed, there are several objective reasons that support the idea that the challenges and threats faced by the three countries need to be addressed in a comprehensive, cross-border and transnational manner, such as the phenomenon of socio-cultural continuums and the fact that cross-border areas remain a proven source of instability in the region where violent extremist groups whose actions and modus operandi transcend national borders are active. Similarly, the fact that the theatre of operations of terrorist groups in the region is moving closer together seems to lead to an awareness that the cross-border dimension is a key element to be taken into account, despite the need to clearly specify the needs and challenges for the coastal countries.
The specification of needs will be the key to a paradigm shift, an experience that could be offered by the coastal country context. International partners must avoid transposing the solutions - which are unsuccessful - from the Sahel to coastal areas that do not have the same realities. Strategies must be differentiated and break away from the "security package". The same strategy with a strong security component cannot be applied in countries already affected by the phenomenon of massive violent extremism, such as Mali and Nigeria, or in states under security pressure, such as Niger, Mauritania, Burkina Faso and Chad. Despite the initiatives taken in the framework of the Accra initiative, the coastal countries can still develop a preventive and prospective approach that would best suit their situation.
These coastal countries would even be the appropriate laboratory for a holistic preventive and prospective approach that prioritizes the strengthening of community cohesion within the framework of an assumed prevention policy while integrating the imperatives of human security. The announced success of recent joint military operations in the framework of the Accra Initiative may galvanise enthusiasm, but should not distract coastal countries from seizing the opportunity to differentiate between countering terrorism and the prevention of violent extremism.
The specification of needs will be the key to a paradigm shift, an experience that could be offered by the coastal country context. International partners must avoid transposing the solutions - which are unsuccessful - from the Sahel to coastal areas that do not have the same realities. Strategies must be differentiated and break away from the "security package". The same strategy with a strong security component cannot be applied in countries already affected by the phenomenon of massive violent extremism, such as Mali and Nigeria, or in states under security pressure, such as Niger, Mauritania, Burkina Faso and Chad. Despite the initiatives taken in the framework of the Accra initiative, the coastal countries can still develop a preventive and prospective approach that would best suit their situation.
These coastal countries would even be the appropriate laboratory for a holistic preventive and prospective approach that prioritizes the strengthening of community cohesion within the framework of an assumed prevention policy while integrating the imperatives of human security. The announced success of recent joint military operations in the framework of the Accra Initiative may galvanise enthusiasm, but should not distract coastal countries from seizing the opportunity to differentiate between the fight against terrorism and the prevention of violent extremism.
There is now a clear will to complete the development of strategies against violent extremism in Togo, Benin and Ghana despite the disparities in the level of threat assessment. However, what is missing is the documentation of the deep-rooted and possible causes of the rise of terrorism through field studies, particularly through perception surveys, which are currently lacking. This raises the risk of reproducing existing strategies without specifying the real needs of the countries in question. An updated review of existing prevention-oriented strategies and policies (VEC and TC) will be necessary. Coastal countries must necessarily ensure that they conduct an updated threat analysis and move towards an early warning system. The support of partners such as the United Nations Development Programme (UNDP), which has already embarked on a preventive approach, could help to improve harmonization and to carry out the reforms necessary to comply with international texts, particularly those relating to human rights.
Even though they are still relatively far from the epicenter of Sahelian jihadism, the coastal countries have, however, been experiencing socio-political and religious changes in recent years that should raise alarm. The security pressure in the far north of Côte d'Ivoire, on the borders between Burkina Faso, Benin and Ghana, is a clear sign that the threat is descending and that the areas of intervention of terrorist groups from the Sahel are expanding. In the latter region, where the failure of the all-security approach seems to have already been acknowledged, the fight against terrorism has not ceased to raise serious doubts about the very viability of states and their security systems in the face of new threats. Coastal countries should not indulge in strategic mimicry despite the security pressure and the hype surrounding joint military operations. There is a need to specify solutions and not to lose sight of the possibilities that the preventive approach can still offer, which must necessarily be coupled with the management of security emergencies. It is in this balance between preventive action and anticipation through human intelligence, which will be gained with the populations by circumscribing the threat, that the possible chances of avoiding the Sahel scenario lie. In these countries, which seem to be developing strategies that give a large place to a synergy of action at the military level, as in the framework of the Accra initiative, it would be important to learn from the mistakes of the Sahel, where counter-productive "solutions" have led to a disavowal of the security policies of states and the intervention of their international partners. The latter must also learn from the Sahelian failures and avoid preconceived solutions for coastal countries, which have put the states of the region in the difficult position of having to face public opinion that is increasingly critical of current modes of security cooperation. This conflict of perceptions, which is now perceptible between the West African populations on the one hand, and the states and their international partners on the other, is a sign that security governance is now at the heart of citizens' demands. Their best chances of escaping "sahelinisation" depend to a large extent on whether this socio-political change is taken into account and on the willingness of coastal states to go beyond the security packages of classic counter-terrorism.